N°12 / Discours et propagande Janvier 2008

Attitudes et mentalités dans la justice postcommuniste

Lavinia Betea

Résumé

La justice postcommuniste ; attitudes et mentalités
Il est connu que l’année 1989 a signifié pour l’Europe Centrale et de l’Est la chute du régime communiste et le début d’un complexe processus de changement au niveau individuel et collectif. Notre recherche se déroule sur suivantes axes principaux:
1. Cognitions et attitudes dues aux  mass-medias et à  la campagne de reforme de la Justice en vue de l’intégration dans l’UE
2. L’analyse des changements produits par le passage d’un système totalitaire à  la démocratie dans la mentalite colective.
Méthodes et techniques d’investigation : questionnaire, focus- groupe et analyse de contenu de la presse.

Post-communist justice: attitudes and conceptions
Is well-known that year 1989 represent for Eastern Europe the fall of communist regimes and complex process beginning with changes of individual and collective level. Our study is centred on next main axes :
1. Cognitions and attitudes owed media and justice reforms for EU integration;
2 . The analyse of changes generated by translation from an totalitarian system to democracy in social consciousness.

Methods and norms of investigation: questionary, focus-group and content analyse of press.

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Dans le discours politique post-communiste les défis de la transition sont traités en termes de « mentalité communiste » : c’est une expression utilisée à l'excès par les mass média et dans les communautés universitaires surtout  par les historiens et par les économistes, avec des connotations et positionnements qui rappellent le dogmatisme de certains syntagmes de la « langue de bois » de la communication officielle.

Mais les pratiques critiquables de la justice actuelle, sont elles exclusivement des rémanences de cette histoire d’une moitié de siècle ?

Avant qu’on n’arrive à Dieu

Malgré la propagande des affirmations de l’histoire réécrite dans l’esprit du national-communisme (qui date de l’origine de l’Etat roumain il y a plus de  deux mille ans), la Roumanie est un jeune pays européen1,  Parmi d’autres particularités de l’entre-deux-guerres, la Roumanie  témoigne de l’effort de la construction et du fonctionnement des institutions avec un statut et une structure identiques aux Etats modernes occidentaux confrontés à la réalité de ce que  le critique littéraire Titu Maiorescu nomme les « formes sans fondement ».

Il est notable de remarquer que dans les relations des citoyens avec la justice, toute liaison de l’« homme du peuple » avec le jugement officiel est évitée2. Largement utilisé, le proverbe « On est mangé par les saints avant qu’on n’arrive à Dieu » exprime des marques essentielles de la justice roumaine : sa relation avec le pouvoir, la corruption, l’inaccessibilité.

Le philosophe C.Radulescu-Motru apporte des précisions sur les relations des élites avec l’Etat qui a adopté une Constitution (1923) selon le modèle de la Constitution belge. Dans une analyse de la « psychologie du peuple roumain »(1937), inspirée par les débats de l’Epoque concernant le rapport mentalité nationale- institutions représentatives, Motru constate : « Chez nous, c’est un fait reconnu que les lois, qui sont des obligations contractées par les représentants des majorités citoyennes, ne sont pas respectées. Elles ne sont respectées ni par ceux qui les font, ni par ceux pour qui elles sont faites ». Cela parce que « les Roumains considèrent le non-respect des lois comme un titre de grandeur et de pouvoir » (1999, p.29).

«La révolution communiste» (Août, 1944)3  a signifié la destruction des structures traditionnelles du pays et l’imitation des réalités de l’Union Soviétique4. La « justice populaire » a été, probablement, une réalité des plus concrètes dans la perception sociale des foules du régime communiste de ce temps. Le début apparaît avec les « tribunaux populaires » institués après la guerre pour juger les « coupables des crimes de guerre et du désastre du pays » (1945). Le « Tribunal du peuple » est l’instance extraordinaire où se présentent, comme des représentants du politique, les « accusateurs publics » recrutés parmi des citoyens sans préparation juridique. Largement médiatisés, les procès jugés par ces tribunaux se terminent sur des sentences dures contre les « saboteurs », les « spéculateurs », les « ennemis de classe », des catégories désignées selon la grille idéologique communiste. La justice et les lois mêmes sont entachées par le « caractère de classe », la neutralité étant sanctionnée comme « objectivisme bourgeois » ou « trahison des intérêts du peuple ». « Un juge doit savoir qu’il n’est pas censé connaître des codes et des textes de lois, qu’il ne doit pas entrer dans le labyrinthe des termes juridiques mais qu’il doit juger selon sa conscience et son jugement » (1945), conformément au portrait du nouveau justicier décrit par le ministre de la Justice Lucretiu Patrascanu.   « La justice n’est pas  une question formelle et abstraite, comme les juges de carrière l’ont entendu souvent » mais un effet « de vie », c'est-à-dire une certaine expérience due à son origine sociale, en fonction de laquelle les « représentants du peuple » se guideront dans leurs jugements. Suivant ces préceptes, le « juge populaire sera l’homme nouveau introduit dans la justice » qui va juger «  selon les commandements de sa conscience d’ouvrier » (1983, p.109).

Avec l’instauration de la « dictature du prolétariat » s’arrête la distinction de l’intention et de l’acte, de l’opinion et du délit, la notion de dirigeant et celle de pays (Vaksberg, 1991). Cette habileté de la justice de Staline à opérer des substitutions de concepts a suscité un abîme entre la forme démocratique des lois soviétiques et le despotisme des pratiques politico-juridiques (critiquer un détail de la vie quotidienne était puni, par exemple, comme « crime contre la paix » ou « trahison du pays »). Conformément à ces pratiques, « au nom du peuple », Patrascanu lui-même, le ministre de la justice qui avait mis en fonction ces mécanismes «  populaires », sera condamné et exécuté en tant que « traître » dans un procès staliniste.  

Après   la lutte contre l’ennemi de classe », on a détruit tous les types de hiérarchie, sauf celle du politique (Braudel, 1985) et la justice enrichit ses contenus et ses représentations du « caractère populaire » en intervenant dans le quotidien des relations de famille5. Une autre caractéristique de la justice en Roumanie conduite par Ceausescu est le gouvernement par « décrets présidentiels », le leader communiste cumulant aussi la fonction de président du pays6

Une représentation du changement et ses expressions dans le mental collectif

Mais que signifient les mentalités communistes en fin de compte ? La définition du terme est généralement évitée par l’utilisateur. Dans la vision psychosociologique, les mentalités collectives sont une interface entre le collectif et  l’individuel concernant par exemple, la mémoire sociale, les représentations, les schémas de pensée, d’attitudes et de comportements.

Dans la détermination des rapports et des points de convergence entre la représentation sociale, l' attitude et la mémoire collective, qui sont autant de composantes des mentalités, N. Roussiau et C. Bonardi(1997) proposent la prise en considération du fait que :

1. la mémoire exerce une influence sur le contenu représentationnel ;

2. les processus qui interviennent au niveau de la dynamique des représentations intègrent  nécessairement quelque chose de l’ordre des phénomènes de la mémoire mais ils l’orientent et l’organisent en même temps, en filtrant le contenu mémorisé pour constituer une représentation  en vue d’une utilisation dans l’avenir.

3. les groupes d’appartenance, les objets à représenter ainsi que les structures avec des dimensions institutionnelles et historiques jouent le rôle de fournisseurs de sens au niveau de la formation et du maintien d’une représentation, ainsi qu’au niveau de l’organisation et du contenu propres à la mémoire individuelle.

4. par le biais de ces dimensions, le rapport  acquiert un double sens : des représentations sociales vers la mémoire et de la mémoire vers les représentations sociales.

Les mentalités collectives post-communistes peuvent être, et elles le sont généralement, traitées dans le sens de la rémanence des effets des institutions et de la propagande communistes. Les lieux de mémoire se situent ainsi entre l’horizon de l’attente et un champ d’expérience ( Kosellek, 1990). Et le passé ne semble pas être autre chose qu’un «  fruit de la construction sociale » dont «  la grammatique historique s’élabore par les choix de la mémoire » (Darre, 1998, p.131).

Que se passe-t-il pourtant à propos des particularités roumaines concernant  le rapport de la justice et de ses représentations et pratiques? L’observation de F. Furet (1995) selon laquelle le communisme faute d'avoir été une super puissance incarnant une civilisation, finit dans le néant, s'avère totalement valide. Le flux de la furie des foules, alimenté par les frustrations des individus de même que par des techniques de persuasion et d'influence utilisées par des acteurs difficile à identifier pour le moment, a anéanti en une seule semaine ce qui semblait inébranlable pour le pouvoir communiste. Sur le terrain du pouvoir vidé par l’abolition des institutions caractéristiques - le parti et la Securitate - s’est installé un chaos dont l’unique possibilité d’ordre semblait l’espoir généralisé du « bien ».

La comparaison entre la construction et la déconstruction du régime communiste suscite la tentation de l’analogie, la représentation recevant consistance et concrétude par l’évocation de certains projets. Les gens qui ont vécu dans la cinquième décennie du siècle passé ont omis les directions et les acteurs des changements qui ont conduit à l’imposition du régime soviétique dans les pays où l’Armée Rouge était entrée vers la fin de la guerre7.Les objectifs et les étapes proposés par Z. Brzezinski (1993) en The National Interest dans l’article «La grande transformation» semblent correspondre au projet actuel de transition, avec des variations de durée, en fonction du niveau économique et l’état de la démocratie dans chaque pays ex-communiste (entre 11 et 25 ans)8. Une courte incursion dans la stratégie de l’adhésion à l’Union Européenne et à l’OTAN justifie l’affirmation selon laquelle le programme synthétisé peut être un modèle de la transition, diffusé, d’ailleurs, fréquemment, par la communication médiatique.

Mais des syntagmes, après  la «langue de bois» du  régime communiste (où des notions telles que société, droits, liberté étaient utilisées fréquemment mais vidées de leurs sens et de leurs contenus génériques) éveillent encore des attitudes et des comportements rémanents. Même le changement de 1989 en Roumanie - avec ses particularités qui l’on fait nommé «la machination d’une révolution typique» (Gabanyi, 1999) – a  été fait sur le fond des comportements justiciers rémanents9. Sortis de la terrible confusion, créée délibérément par l’impératif de la « lutte contre les terroristes » (manipulation utilisée en 22-25 Décembre pour installer le nouveau pouvoir), nombreux sont ceux qui associent les échecs économiques et sociaux de la Roumanie dans les années de la transition avec le «châtiment de Dieu» pour le péché d’avoir commis un crime avec  le «procès Ceausescu» (ou d’en avoir joui), le jour même de Noël (apud Betea, 2005)10.

Justice et communication médiatique

Au cours des deux dernières décennies, la «libre initiative» étant ainsipermise, la formation de nouvelles hiérarchies et élites qui ont transféré la propriété d’état en propriété privée, ont conduit à la représentation de l’homme de succès comme d'un individu dont les caractéristiques principales sont les relations (la capacité d ‘influencer)et la malhonnêteté (Betea, 2000)11.  D’ailleurs, conformément aux sondages d’opinion, 71% des Roumains ne se considèrent pas égaux devant la loi et ne se fient pas à la justice, la variation du degré de confiance en la justice étant similaire à celle du degré de confiance dans le gouvernement12.

A la différence de l’armée, qui apparaît comme une institution très indépendante (l’armée et l’église étant depuis 1990 les institutions bénéficiant de la plus grande crédibilité en Roumanie), la justice est perçue comme une institution très proche du politique. Ce fait contraste avec la réalité (l’armée et l’église étant dans le régime communiste des institutions tout aussi politisées que la justice). L’explication fondamentale réside dans la théorie conformément à laquelleles représentations sont élaborées par des processus cognitifs qui ont comme support le langage (Moscovici, 1976). Une analyse du contenu des journaux télévisés présentés en prime time par les chaînes nationales ayant le plus grand quota d’audience (TVR, Antena 1 et Pro Tv), montre que les programmes d’actualités sont composés majoritairement d' informations qui, d’après leur contenu, peuvent être classées selon la hiérarchie suivante:

1. des  «scandales» et des «divulgations» concernant des fraudes et des violations de la loi par des personnes publiques;

2. des «cas sociaux» dont la situation, quoique spécifiée par des lois portant sur la protection sociale, ne sont pas résolus;

3. des crimes passionnels, viols, infractions.

L’analyse formelle des informations d’actualité présentées, montre que dans lastructure de la nouvelle(développée sous la forme de réponses aux questions: «qui?»,  «quoi?»,  «où»,  «quand?»,   «pourquoi?»,  «avec quels effets?»), les réponses concernant les effets et la causalité de l’action manquent ou sont tronquées : tronquées, soit parce que les explications se réfèrent exclusivement à des «causes sociales» (du type «l’homme s’est jeté par la fenêtre parce qu’il était devenu chômeur»), soit parce que les effets sont expédiés en régime d’urgence (par exemple «le violateurde la fillette de 5 ans a été enlevé par les agents de police»)13. Le résultat est la formation de représentations sociales d’une société « tarée » du fait que les principales institutions qui n’accomplissent pas leurs tâches sont la police et  la justice. Après les agents de police, les magistrats sont considérés comme les personnes les plus corrompues14.

L'impact de cette représentation est accru aussi par le fait que l’un des thèmes préférés du discours post-communiste est «la lutte contre la corruption»15. La médiatisation des cas de corruption qui n’ont pas été solutionnés, l’impossibilité de l’application efficiente de la législation de protection sociale à cause de la situation économique précaire, les promesses propagandistiques d’ «éradication de la corruption», mènent à la représentation de la justice en interdépendance avec le politique comme source principale des maux de la transition.

„Pis qu'avant“

Que pensent les citoyens de la justice actuelle par rapport à celle du régime communiste et comment ceux qui sont à son service se la représentent-ils?16 A l’aide d’un questionnaire17 et d’un focus-groupe, nous avons essayé de déterminer les différences entre les représentations sur un «objet» de grande difficulté et abstrait, le mythe biblique du «tableau de lois» de Moïse étant en ce sens, démonstratif.

Quelques-unes des réponses au questionnaire peuvent être considérées comme des éléments de l’actuelle représentation de la justice post-communiste par rapport à la justice du régime communiste. Il faut pourtant remarquer dès le début qu’à peu près 90% de sujets interrogés admettent qu’ils n’ont jamais pris part à un procès civil ou pénal, et un tiers d’entre eux affirment qu’ils sont «peu intéressés» par la justice (alternative qu’ils choisissent par rapport aux degrés «énormément», «beaucoup», «peu», et «pas du tout»). En conséquence, les opinions et les attitudes exprimées se sont formées sans but ou objectif conscientisé, la presse étant celle qui les a nourries.

La notion de «justice» est associée tout d’abord avec « l’équité» en tant que son synonyme (57% des répondants), suivi par «liberté» (34.3%) – mot avec des significations et fréquences différentes lors du changement de 1989, «égalité» et «vérité»  étant utilisées dans des proportions quasi-égales18. « Vérité » est aussi associée aux caractéristiques désirables du post-communisme.

Les réponses à la question « Dans quel domaine prennent place aujourd’hui les actes de corruption les plus nombreux? » (avec les variantes de réponse : enseignement, santé, finances, politique, église, armée, justice, économie, autres) présentent l’ordonnancement  suivant:

Justice – 45%

Politique – 36

Finances – 10

Autres – 9

Image1

Par conséquent, si le domaine de la justice est considéré comme le plus corrompu (chose déjà connue par dessondages d’opinion et diffusée avec une certaine fréquence par les media), les causes de cet état de fait peuvent être, aussi, associées avec le discours public. Les sujets questionnés (82% d’entre eux) pensent que la justice est corrompue  parce qu’elle est «influencée par les vieilles mentalités communistes» (thème récurrent dans le discours public du post-communisme). Le degré de confiance des citoyens en certains métiers de la magistrature est hiérarchisé de la manière suivante: procureur – juge – avocat (ces derniers étant ceux qui sont le plus fréquemment présents dans la presse en tant qu’avocats de la défense dans divers cas de corruption).

A la question sur la manière la plus efficiente d’influencer les magistrats, 14.3% affirment qu’«’il n’existe aucune modalité d’influence». Dans la relation citoyens - institutions de la justice, c'est «l’argent» qui  est apprécié comme le moyen adéquat d’influence, avant les « pressions politiques » et les « relations ». Cette opinion est renforcée, en reprenant la question d’une manière différente, par les réponses qui confirment encore une fois que « ceux qui ont de l’argent» et les «gens avec des relations» gagnent prioritairement, à la différence de ceux qui ont raison. « Est-ce que la justice semble, de l’avis des répondants, dérangée par les mass media? » «Non»  catégoriquement répondent ceux-ci à 47%19. De l’opinion des questionnés, les droits les mieux défendus en Roumanie sont la liberté d’expression et d’évaluation, et les pis, les droits sociaux. Cette opinion dépend aussi des particularités du discours politique post-communisme qui évite les thèmes économiques, la propagande électorale ayant comme public cible les retraités.

« Quels seront les effets, dans le futur proche, du grand nombre de licenciés en droit? » Les réponses sont données de la façon suivante: en première place, l’accroissement de la corruption dans le système (35%), l’efficience accrue du système juridique (33.5%), une meilleure connaissance et le respect de la législation (28%). L’opinion la plus fréquente a sans doute été  induite par les cas de corruption portant sur les concours de titularisation dans la magistrature, dénoncés dans les media20.

Concernant le rapport justice communiste et justice post-communiste, la majorité des répondants déclarent qu’après la chute du régime, la justice «a un trajet descendant». Cette opinion a été confirmée une fois encore. Les répondants terminent la proposition : «par rapport avec la justice communiste, la justice actuelle est...» en choisissant prioritairement la variante «plus corrompue» (39%).

En conséquence, un taux significatif des interviewés déclarent  que la justice est pire que pendant le régime communiste.  Les explications de cette évaluation se trouvent aussi dans le rapport communication mass-média et représentations sociales. La concurrence aigüe entre les journaux et les chaînes de télévision en Roumanie – en très grand nombre par rapport à la population et à la situation économique du pays – induit des états de découragement et  d’angoisse. Les explications concernant les causes de la corruption de la justice au sommet sont, bien sûr, plus complexes et plus nuancées dans l’interview-focus que dans les sondages publics21. «L’intervention du politique» et le «manque de transparence dans le système» sont pourtant les principales causes avancées par les futurs spécialistes expliquant la mauvaise réputation du système jugé corrompu par les citoyens roumains. A ce niveau aussi, l’intervention du politique est comprise comme une rémanence des pratiques du système totalitaire. « Quelle est la gravité de ce phénomène de justice en Roumanie par rapport aux autres états communistes?»  En général, la réponse est «égale», nuancée avec des évaluations correctes sur la situation de l’ancien bloc communiste (où les réformes ont enregistré des moments et des résultats différents) et associée au passé historique et aux situations politiques, économiques et sociales du régime communiste même.

Le fait qu’un si grand nombre de jeunes choisissent la faculté de droit s'explique par l’association avec «les relations et l’argent» comme symboles inséparables de la réussite à l’étape de transition. « Quels changements seraient nécessaires pour que le système juridique de droit puisse être déclaré reformé? » Les réponses sont, bien sûr, celles de futurs spécialistes mais le «changement de ceux qui dirigent » et qui «sont âgés», détient la fréquence la plus grande. Cette réponse adéquate aux attentes personnelles, tout comme le profil modal de l’avocat – désigné globalement comme étant une représentation de la corruption – ont des valeurs fort positives, s’accordant avec les aspirations des jeunes.

Image2Profil d’avocat réalisé par la technique du différenciateur sémantique

Les données présentées peuvent être appréciées comme des valeurs et hypothèses préliminaires à une recherche plus vaste concernant les représentations sociales de la justice post-communiste. De cette étude, il ressort clairement le rôle de la communication médiatique dans la formation des représentations sociales. Sous ce rapport, la représentation de la corruption impose la contextualisation de la censure communiste qui ne permettait pas la médiatisation des cas de violation de la loi, sauf en concordance avec les demandes de la propagande de parti.

Combien de temps faudra-t-il pour instaurer la «réforme de la justice»? Comme on le sait, les mentalités ne changent pas par décrets gouvernementaux et ceux dont on parle ont une histoire plus longue que celle du régime communiste. Les termes avancés par diverses chaînes de communication, mènent objectivement celui qui connaît l’histoire, à l’association avec les projets «à longue terme» des leaders communistes. Mao Ze Dong et Hrousciov, par exemple, connus pour leurs désaccords idéologiques en ce qui concerne les relations avec l’«impérialisme», avaient un point commun significatif: tous les deux prévoyaient le «rattrapage» en 1990. Mao avait en vue les «colonisateurs anglais» et Hrousciov le «capitalisme américain». Dans leurs visions volontaristes, «les révolutions prolétaires» allaient parcourir en trois décennies ce que les modèles cibles avaient réussi en deux siècles d’histoire au moins. Ils avaient réussi,  par les méthodes de coercition et de contrainte qu’on connaît, la performance de changer de fond en comble les mondes anciens en cinq ans seulement.

Cette vision n'est pas nécessairement pessimiste, dans le sens où des objectifs – tel l’adhésion à l’Union Européenne – sont une condition et en même temps un moyen de restructuration du système et de ses représentations. Et ceci est vrai même là où les symboles du monde ancien ont été démolis en gardant des places vides, comme le socle creux de la statue de Lénine à Bucarest.

1  Unies en 1918, les provinces peuplées majoritairement par les Roumains- la Transylvanie, la Valachie, la Moldavie et la Bessarabie- ont chacune des histoires différemment imprégnées par l’administration, les institutions et les pratiques des élites qui les ont gouvernéesau nom des empires Habsbourgeois, Ottoman, Autrichien Hongrois ou Tsariste.

2 D’ailleurs, en Valachie, c'est au XVIIe siècleque sontapparues les premières lois écrites (pravile) et seulement un siècle plus tard les premières institutions pour juger les conflits entre les gens. La méfiance dans la justesse de la décision du juge s explique aussi par les difficultés d’accéder en instance (en Transylvanie, par exemple, jusqu’en 1918 on n’a pas utilisé la langue roumaine dans la justice et l’administration).

3 Un changement déclenché par un coup de palais achevé par l’arrestation du dirigeant militaire Antonescu et la sortie du pays de la guerre contre les Alliés nazis.

4 La Constitution de la Roumanie de 1948 a été elle aussi une copie de cellede l'Unionsoviétique.

5 Par l'introduction d'un “code de l'éthique de l'équité socialiste” (1972), le parti-Etat intervient aussi dans l'intimité des relations de couple. Les « Commissions publiques de conciliation », créées au niveau des entreprises, des institutions, des grands immeubles de logement ou dans les villages, où entrent des citoyens avec un statut validé de zélés loyaux du politique, sont amenées à « débattre » et à «  intervenir », dans une première étape, dans la solution des conflits maritaux. C'est seulement après que la « commission » ait déclaré son incapacité à réconcilier les époux que ceux-ci peuvent s’adresser à une instance judiciaire pour le divorce.

6  Le «décret anti-avortement» (1966), s'est soldé par plus de dix mille victimes (des femmes décédées à la suite d'avortements clandestins). Les pratiques et les structures judiciaires créées pour l'application de ce décret ont permis de contrôler et  sanctionner politiquement la partie la plus intime de l’être humain : la sexualité.

7 Le fait compte comme une des manipulations exemplaires de l’histoire de l’humanité (Soulet, 1996). Après la chute du régime et l’ouverture de certaines archives secrètes, on a publié les directives reçues par les services spéciaux soviétiques en vue de la communisation. Le plan diffusé en 1947 a été mis en application en quelques années seulement, par des moyens de propagande, coercition et terreur caractéristiques.

8  La première phase la plus critique (1-5 ans) vise la transformation politique, la stabilisation économique et l’élimination des contrôles arbitraires de l’Etat dans le domaine de la légalité. La seconde vague des transformations (3-10 ans) poursuit la stabilisation politique après les changements démocratiques antérieurs, la restructuration de l’économie, un nouveau système législatif et un cadre légal pour la propriété et les affaires. La troisième et dernière phase (avec une durée de 5 jusqu’à 15 ans) suppose la consolidation du régime démocratique, un rythme soutenu dans le développement de l’économie de marché, une justice indépendante et l’apparition d’une culture de la légalité.

9 Un groupe de leaders situationnels qui se sont déclarés «révolutionnaires» (rémanence des «révolutionnaires de profession»), ont institué un tribunal militaire «révolutionnaire» (rémanence de la justice staliniste) qui a prononcé, d’après les procédures consacrées, une sentence «au nom du peuple», appliquée immédiatement, comme le faisait la  «troïka révolutionnaire» de la guerre civile en Russie.

Aussi longtemps que l’événement est resté au niveau des cognitions et représentations sociales adéquates au contexte communiste, il a connu une appréciation quasi-unanime de la part de la foule. On se représentait le Mal comme étant personnifié par les Ceausescu, «À bas Ceausescu !» étant, en fait, les principaux slogans et revendication des foules en décembre 1989. Par opposition avec ce qui se passait dans les années du régime communiste -  censure de la presse et interdiction de la liberté d’expression, la diffusion télévisée du procès – suite aux pressions du public- a eu un impact extraordinaire sur les attitudes du public. Après que le speaker de la seule chaîne de télévision existante à ce moment-là en Roumanie (le même speaker qui, seulement quelques jours auparavant, faisait l’éloge de «la politique sage du dirigeant bien-aimé») ait annoncé la nouvelle portant le titre «L’Antéchrist est mort le jour du Noël», on a fait transmettre des séquences du procès. Le contraste entre la représentation du couple Ceausescu – dont l’image avait dominé le programme quotidien de la télévision – et l’apparition des deux vieillards confus et stupéfiés par les accusations qu’on leur portait, a bouleversé les téléspectateurs. Les commentaires défavorables des agences de presse étrangères sur le procès, les articles de la presse roumaine («libre» après la disparition des structures politiques qui l’avaient complètement subordonnée), le suicide de l’un des membres du tribunal ont mené à une resignification de la représentation du procès. Ainsi, dix ans après son déroulement, le magistrat C. Lucescu lui-même (l’avocat d’office des époux Ceausescu, leur frénétique accusateur en fait) affirmait dans une interview télévisée: «Ce qui s’est passé là ne peut pas représenter un acte juridique portant le qualificatif de procès et on ne peut pas consentir non plus à salir l’histoire de la Justice avec une chose pareille».  Les participants de la révolte de Timisoara, la ville du déclenchement du mouvement contestataire, avouent eux aussi un sentiment de culpabilité au souvenir de l’euphorie éprouvée en apprenant la nouvelle du «procès Ceausescu».

10 Les affirmations se réfèrent aux résultats d’une recherche effectuée en 2004, en utilisant l’interview-focus sur un groupe de 25 participants à la révolte de Timisoara (des interviews menées par l’étudiante Stepanescu Silvia, Faculté de Sciences Politiques, Université de Timisoara.)

11 Les résultats de l’enquête sur échantillon faite en 2000 concernant «l’homme nouveau» et ses rémanences, réalisée dans le cadre d’un programme de recherche financé par Open Society Institute (Etats-Unis).

12 Le baromètre d’opinion publique réalisé par l’Institute Metro de Transylvanie eu Juillet 2002.

13 L’analyse a été réalisée sur la base des contenus des journaux télévisés du soir de la semaine du 16 au 22 Janvier 2006 par les étudiants du cours optionnel « Méthodes et techniques d’analyse du discours », Faculté de Sciences Politiques, Bucarest.

14 Sondage SAR-CURS, Juillet 2002.

15 C’est le cas du Parti Romania Mare, occupant la deuxième position aux élections de 2000, et dont le principal thème du programme électoral a été l’éradication de la corruption.

16 La justice roumaine actuelle est représentée par la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême de Justice, la Cour d’Appel, le Ministère de la Justice et les tribunaux civils départementaux ou locaux, la tâche de ces institutions étant la défense «des intérêts généraux de la société, de l’ordre légal, des droits et des libertés des citoyens».

17 Le questionnaireporte sur233 personnes du département Arad en 2005. Il a été réalisé par des étudiants de la Faculté de Psychologie, l’échantillon ayant valeur d’échantillon représentatif de la population.

18 Les évaluations faites sont le résultat d’une étude sur « la langue de bois » et de ses rémanences dans le post-communisme.

19 Dans les sondages d’opinion le nombre de ceux qui pensent que les révélations faites par la presse n’ont pas d’effet significatif est, également, grand.

20 Les étudiants les plus nombreux qui finissent le cycle d’études de l’enseignement supérieur en Roumanie se trouvent dans les facultés de droit.

21  L’interview focus a étéproposée à un groupe de 25 étudiants en année terminale à la Faculté de Droit d’Arad.

1.Betea, L., „Mentalităţi şi remanenţe comuniste. Aspecte psihosociale”, Nemira, Bucureşti, 2005

2.Betea, L., Psihologie politică. Individ, lider, mulţime în regimul comunist, Polirom, Iaşi, 2001

3.Braudel, F, Dinamica capitalismului ( 1985), Corint, Bucureşti, 2002

4.Brzezinski, Z., Europa Centrală şi de Est în ciclonul tranziţiei (1993), Edit. Diogene, Bucureşti, 1995, pp.169-200

5.Darre, A., Usages du passe et insularites identitaires în F. Albertini şi D. Salini (coord.) Iles et memoires, colloque internationale de Corte, Universite de Corse, 1998

6.Furet, F., Trecutul unei iluzii, Eseu despre ideea comunistă în secolul XX (1995), Humanitas, Bucureşti, 1996

7.Gabanyi, A. U., Revoluţia neterminată, Edit. Fundaţiei Culturale Române, Bucureşti, 1999

8.Kosellek, Le Futur passe. Contribution a la semantique des temps historiques, Paris, EHESS, 1990

9.Moscovici, S., La psychanalyse, son image et son public, PUF, Paris, 1976

10.Roussiau, N.,. Bonardi,  C., Quelle place occupe la memoire sociale dans le camp des representations sociales în La memoire sociale. Identites et Representations Sociales (coord. S. Laurens, N. Roussiau), Presses Unnivesitaires de Rennes, 1997, pp. 33-50

11.Pătrăşcanu, L., Scrieri, articole, cuvântări, 1944-1947, Editura Politică, Bucureşti, 1983, p. 76

12.Rădulescu-Motru, C., Psihologia poporului român (1937), Paideia, Bucureşti, 1998

13.Scurtu, I.(coord), Viaţa politică în documente: 1947, Arhivele Statului din România, Bucureşti, 1994, pp.304-305

14.Soulet, J.F., Histoire comparee des Etats communistes de 1945 a nos jours , Edit. Armand Colin, Paris,1996

15.Vaksberg, A., Vychinski, le procureur de Stalin, Les grandes proces de Moscou, Albin Michel, Paris, 1991

16.Les directives fondamentales de NKVD pour les pays de la sphère d’influence soviétique, Moscou 2-6-1947 (strict secret), K-AA/CC 113. L’indication NK/oo3/47 dans la revue “Memoria”, 8/1993

17.L’émission “Marius Tucă Show” présentée par la chaîne de télévision Antena 1 en décembre 1999 « Les derniers jours de Ceausescu ». Invités : le général Victor Atanasie Stănculescu, Gelu Voican-Voiculescu, le général Andrei Kemenici, le général magistrat Constantin Lucescu, les colonels Viorel Domenico et Ionel Boeru, le majeur Constantin Paisie, l’analyste Ion Cristoiu.

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L’engagement dans l’action associative écologique : Motivations et handicapsLe cas tunisien

Ridha Abdmouleh

Le public tunisien est départagé face à l’engagement dans l’action associative. Quant aux facteurs et aux raisons expliquant l’attitude d’engagement, nous constatons que la prise de conscience écologique et le sens de responsabilité collective y jouent un rôle décisif. Le contexte socio-culturel semble y peser également  un poids. En outre, bien que moins déterminante, la pratique associative constitue un arrière plan qui explique et  justifie l’attitude face à l’engagement associatif. Mais en dépit des critiques dont ces associations font l’objet,...

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