N°12 / Discours et propagande Janvier 2008

Le récit de Cïda : rapports de pouvoir et lien social

Vanessa Andrade de Barros

Résumé

La presentation de ce récit s’inscrit dans une entreprise dont le but est d’étudier le pouvoir dans son caractère psycho-social, autrement dit,  le pouvoir à travers l’articulation dialectique de ses dimensions psychique et social. Dans ce sens nous choisissons la perspective clinique de recherche en sciences humaines. Cette perspective, qui cherche dans l’articulation du fonctionnement social et du fonctionnemment psychique la compréhension de l’existence individuelle et des ses déterminations sociales, constitue, à notre avis, un moyen privilégié pour étudier les phénomènes du pouvoir. Ainsi, pour traiter notre sujet dans cette perspective clinique nous optons pour l’approche de l’histoire de vie, méthode idéale à notre avis, dans la mesure où elle nous a permis d’appréhender l’expérience vécue des sujets et le sens qu’ils lui ont donné.
Il faut remarquer aussi le caractère thérapeutique de ce processus de récolte de histoire de vie a partir de la perspective clinique, dans la mesure où il donne à ceux qui se racontent une occasion de réfléchir à voix haute, d’en maîtriser le sens pour eux mêmes et de devenir les sujets de leurs histoires.

Mots-clés

Aucun mot-clé n'a été défini.

Plan de l'article

Télécharger l'article

Introduction

Cïda a été une des figures les plus marquantes du mouvement syndical rural au Brésil dans les années 80, période où ont eu lieu d’importants événements politiques.

D’abord, la transformation de l’église (inspirée par le Congrès de Medellin en 1968 en Colombie) qui a été la force d’opposition la plus éminente à la domination du régime militaire. Dans cette optique sont été créés par la CNBB (Conferencia Nacional dos Bispos do Brasil) las CEBs (Communautés Eclesiales de Base) et las Pastorales, mouvements de conscientisation et d’organisation des travailleurs, que ce soit dans le milieu urbain, ou dans le milieu rural. (SADER, 1998 ; SGRECIA,1997 ; PAIVA, 1987)

Ensuite la substitution à la “politique dure” de la dictature militaire d’une “politique d’assouplissement lent et graduel” et plus tard, (à la fin des années 70), d’une “politique d’ouverture”, ce qui, d’une certaine façon, a facilité l’émergence de nouveaux mouvements sociaux..

Enfin, le surgissement du mouvement du nouveau syndicalisme (à la fin des années 70), la création du Parti des Travailleurs - PT (1980) et de la Centrale Unique des Travailleurs - CUT (1983), nouveaux sujets de representation de la classe des travailleurs. (RODRIGUES, 1993 ; SADER, 1998)

Cependant, malgré ces “airs nouveaux”, la conjoncture en milieu rural se caractérisait par une forte violence de la part des grands proprietaires terriens. Un processus de la “modernisation” de l’agriculture avait eu lieu, ce qui signifié, d’un côté l’utilisation de grandes superficiés de terre pour élever des boeufs, et de l’autre l’implantation d’une politique de “reflorestamento”de l’eucalyptus. La conséquence en a été l’expulsion des gens qui vivaient depuis des années sur les terres comme parceiros1 (fermiers)ainsi que l’expulsion des petits proprietaires qui ont été obligés de vendre leurs terres aux grandes industries.

L’histoire de Cïda a été profondément marquée par ces événements, qui, comme nous y reviendrons plus loin, font partie de l’ensemble des déterminations socio-historiques de son parcours personnel.

Son parcours politique (que l’on définit ici comme comportant un objectif de transformation des rapports sociaux) débute dans sa petite communauté, passe par le syndicat, la centrale et le parti des travailleurs.

L’analyse de ce parcours nous offre des éléments fort importants :

En premier lieu, il nous donne l’opportunité de connaître une partie de l’histoire de la lutte pour la terre à Minas Gerais, y compris le rôle de l’église, dans la mesure où il en est inséparable. On peut même dire que l’histoire de Cïda individualise une histoire sociale collective à un moment donné et en est l’expression.

En second lieu, cette analyse nous fournit des éléments très utiles pour mieux saisir la dynamique des diverses tendances politiques qui constituent le mouvement des travailleurs au Brésil et leurs rapports de force, que ce soit dans les syndicats ou dans la centrale et dans le parti. En ce sens ces groupes et leurs relations institutionnelles constituent des endroits privilégiés pour l’étude du pouvoir.

En troisième lieu l’analyse de ce parcours nous introduit dans le champ complexe des relations entre les déterminations sociales et psychiques qui structurent l’existence individuelle et nous permet de comprendre l’importance des articulations entre les facteurs subjectifs et objectifs dans la construction d’une trajectoire militante.

Finalement et c’est de beaucoup le plus important, cette analyse nous procure une compréhension plus fine du rôle de l’illusion et de l’idéologie chez un militant politique, ses rapports avec le pouvoir et les liens sociaux. (ENRIQUEZ,1997, 1983 ; BRAUD, P 1996 ; ANSART,1983 ; ).

Ainsi, notons-nous quelques points qui nous servirons de repères pour nous guider dans l’analyse du chemin parcourru par Cïda, et que nous appelons sa “trajectoire de pouvoir”.

D’abord nous nous interrogeons sur le cadre référentiel sur lequel s’etaie ce parcours, et sur le rôle des processus d’ identification vécus par Cïda vis-à-vis de ses groupes d’appartenance.

Ensuite notre question porte sur les mécanismes qui ont transformé ce parcours en une trajectoire de pouvoir et sur les changements que cela va apporter à la vie personnelle de Cïda avec les conflits qui en découlent.

Enfin, nous questionnons ce parcours dans ce qu’il répresente d’autonomie, d’inventivité, d’instauration de nouveaux rapports sociaux, (tels les caractéristiques de l’individu “créateur d’histoire” dont nous parle Enriquez (ENRIQUEZ, 1997) tout en demeurrant, malgré tout, un parcours à l’intérieur du pouvoir.

Presentation

Cïda m’a reçue chez elle pour les entretiens. En dehors des entretiens elle m’a aussi montré ses archives personnelles : des documents, des journaux et des photos qui à leur tour m’ont raconté son histoire. Il existe aussi un film, produit par une TV suédoise, qui parle de la violence dans les champs à Minas Gerais, Brésil, et qui raconte quelques passages de sa vie. (I morgon Carneval)

Fille aînée d’une famille de 8 enfants dont 5 filles, elle a eu pour parents, des agriculteurs sans terre, qui ont vécu toute leur vie la réalité de la lutte pour la terre au Brésil : la pauvreté, la faim, la misère et la violence de la part des grands proprietaires terriens et de l’Etat.

Son père était orphelin et avait été élevé comme domestique ; il n’avait pas non plus de frère ni de soeur. A l’âge de 18 ans il a été obligé de se marier et de s’en aller sans rien.

Sa mère était d’une famille de petits producteurs ruraux, très religieuse et fort attachée aux traditions. Son grand-père n’admettait pas que les femmes étudient. Cïda raconte qu’il disait : “les femmes sont têtues, dangereuses ; si elles font des études, personne n’arrivera plus à les dominer”. Mais malgré cette interdiction, sa mère, en cachette, avait appris à lire et à écrire avec une amie. Elle avait aussi appris à jouer du violon, ce qui n’était pas permis non plus aux femmes bien élevées. Elle avait été obligée de se marier avec quelqu’un quelle ne connaissait pas bien.

Cïda décrit son père comme extrêmement dévoué à la famille, tendre, mais très timide et introverti ; bref, une figure discrète. Sa mère, à l’opposé, “est la référence de la famille” raconte Cïda. Et dans la suite deson discours : elle est très expansive, courageuse, intelligente. Quand mon père était vivant elle était le lien entre le père et nous. Il nous parlait à travers d’elle. Mais elle lui était toujours soumise. C’était lui le chef. Un épisode qui m’a marquée profondément s’est passé quand j’avais presque dix ans : j’ai entendu une dispute entre mon père et ma mère, à cause d’une réunion des hommes de la communauté avec le propriétaire de la ferme. Ma mère voulait y aller et mon père ne le lui a pas permis. Il disait : qu’est ce que les gens vont penser de moi si j’améne ma femme à côté ? la bas ce n’est pas un lieu pour une femme. Elle n’a pas insisté, elle est restée chez nous et a beaucoup pleuré. Moi, je n’ai compris ce qui arrivait que quelques temps après.”

Revenons à l’enfance de Cïda. Quand elle était petite ses parents étaient allés habiter sur les terres d’une grande ferme pour travailler comme parceiros2. C’était leur troisième démenagement après leur marriage, et ils cherchaient une place pour vivre. D’autres familles s’étaient jointes à eux et de cette façon ils avaient fondé une petite communauté. Pendant presque une dizaine d’années ils avaient vécu tranquilles, ils avaient une production abondante et élevaient des animaux. Ils ne donnaient que trente pour cent de leur récolte annuelle au propriétaire, que d’ailleurs ils ne connaissaient pas. Il avait une espèce de gérant qui leur avait donné la permission d’occuper les terres et qui recevait le ‘règlement’.

Quand les familles étaient arrivées, il n’y avait que la forêt (mata pura). Ils avaient défriché et construit des maisons et aussi une petite école. Toute la production était partagée entre les familles, le reste était vendu et l’argent était investi dans la communauté. De cette façon ils avaient engagé une institutrice de la ville (distante de12 km) pour alphabétiser les enfants qui grandissaient.

D’aprés Cïda : “ nous étions si heureux dans ce temps là ; j’ai appris des valeurs fort importantes, la valeur du travail bien fait, de l’amitié, de la solidarité. Nous avons toujours travaillé, dés notre enfance. Nous étions (nous sommes encore) une famille très unie.”

Ici nous considérons ces valeurs et ces normes du groupe comme inscrites dans un code valorisé, ce qui peut être constitutif d’un référent identitaire stable.

Au début des années 70, avec la vague de ‘modernisation de l’agriculture’, mentionnée plus haut,3 les problèmes commencent à arriver : d’après Cïda, le propriétaire veut expulser les familles pour planter du “capim” et élever des bœufs, ce qui était beaucoup plus lucratif. Il empêche les agriculteurs de cultiver de nouvelles terres et exige la moitié de la récolte et de tout ce qui existe dans la communauté. Chaque fois la pression était plus grande. Les familles ont commencé à avoir faim, elles n’avaient plus d’argent et la terre, épuisée, ne produisait plus comme auparavant  Quelques familles sont parties sans savoir où aller, ne résistant pas aux pressions du fermier.

C’est aussi dans ce temps là que commence à surgir le mouvement des CEBs (communautés écclesiales de base), dejà cité, dans la région. Aidés par des soeurs et un prête venant d’une ville voisine les gens de la communauté où habitait Cïda, la transforment en une “communauté de base”, qui en viendra à être l’embryon d’une organisation politique dans l’avenir. Dans la structure de l’église, ils commencent à réfléchir sur leur réalité, sur l’exploitation à laquelle ils sont soumis et sur la nécéssité de s’organiser et de lutter pour garder la terre, et avoir une place sociale en tant que producteurs.

C’est un projet qui commence à se formuler à partir des expériences vécues ensemble, de l’instauration d’un imaginaire commun où chacun se reconnaît comme égal, comme porteur de la même volonté politique de reprendre en main son destin, à travers une action réfléchie de résistance collective qui, à son tour, pourra être porteuse de pratiques sociales novatrices.

La figure la plus remarquable de la communauté était Lucas, raconte Cïda. Son oncle du côté maternel à qui elle était fortement liée.“C’est lui qui a commencé a prendre des contacts avec d’autres communautés de base et avec la CPT (Centrale Pastorale de la Terre) qui existait à Montes Claros, une ville plus grande et plus éloignée. Il faisait aussi des voyages dans les grandes villes pour amener sa femme malade à soigner la santé et, au retour, il nous apportait des nouvelles.

Il a acheté une petite radio et écoutait journellement les informations pour nous les expliquer et réfléchir. C’étais comme un patriarche, tout tournait au tour de lui”.

Il ne savait pas écrire, donc il parlait, et les enfants et les jeunes, dont Cïda, se réunissaient autour de lui et écrivaient des lettres et des documents racontant l’histoire de la communauté et dénonçant les violences subies.

Le premier affrontement direct que Cïda a vécu est ici raconté par elle d’une façon qui nous a semblé actualiser l’indignation anciènne :

“ En 1974 la communauté a subi une telle violence de la part du propriétaire qu’elle nous a marqué profondément : ils sont venus et ont exigé presque toute la récolte. Comme nous étions dans un processus de réflexion sur l’exploitation à laquelle nous étions soumis, nous avons essayé de poser des questions sur la demande du fermier. Ils ont, donc, mis le feu partout, ils ont fait brûler notre dépôt d’aliments. Pour moi ce fait a été très symbolique : le propriétaire avait détruit le fruit du travail collectif. C’était une agression à la morale, à l’organisation que nous avions déjà construite. A nos valeurs historiques et collectives. Je n’ai jamais oublié ça ; cette année là a été un chaos. Nous avons commencé à penser à créer un syndicat.”

En 1975 Cïda est amenée par son père à la ville pour travailler comme serveuse dans une famille afin de pouvoir suivre ses études, avoir des livres et des cahiers. Dans la communauté la scolarité s’arrètait au CM1. A la fin de l’année elle rentre chez ses parents pour les vacances et son oncle Lucas lui demande de rester pour être l’institutrice de la communauté. Ils n’arrivaient plus à avoir d’institutrices de la ville parce que le propriétaire les menaçait de mort.

“Oncle Lucas m’a dit : nous avons ici trente enfants qui doivent être alphabétisés. Nous n’avons plus d’institutrices. Toi, tu dois assumer l’école parce que tu as déjà appris une partie, alors tu dois  partager avec les autres qui ne savent rien.

Moi, j’accepté. Je n’avais pas la dimension de ce que j’assumais ; mais je ressentais de nécessité ; j’ai senti que c’ était utile et que je devais accepter. Je ne peux pas dire que j’avais déjà une consciênce de classe, mais j’avais pourtant une vision critique de la réalité née du fait que nous discutions et réflechissions sur nos problèmes. Je n’avais pas la conscience d’avoir un rôle fondamental en acceptant l’école ; mais je n’avais pas non plus la conscience du contraire. Le seul choix que j’ai fait a été d’abandonner mon désir de retourner à la ville pour suivre mes études et de rester pour enseigner aux enfants.Mais ç’a été un moment grandiose dans ma vie. J’avais presque 15 ans, j’étais très petite mais j’avais une autre vision du monde que les jeunes de mon âge. Même à l’église, j’apparaissais un peu, c’était moi qui dirigeais les groupes. Mon identification avec mon oncle Lucas était assez forte et c’étais moi qui écrivais ses documents, ses lettres, qui quelquefois l’ accompagnais chercher des aides institutionnelles pour obtenir la terre.”

Ici nous observons avec clarté le jeu des processus d’identification vécus par Cïda, qui l’amènent à incorporer et à reproduire les habitus, les valeurs, les aspirations et les manières d’être de ceux qu’elle prend comme modèle. C’est surtout le cas de son oncle Lucas à qui elle a donné le rôle de “patriarche”(père) et avec qui elle a établi un fort lien de référence, et de sa mère qu’elle prend comme modèle de courage et qui, à sa place, “occupe la position désirée mais impossible car interdite par le père” de la participation politique dans la communauté.

Il faut signaler ainsi le rôle du groupe familial en tant que groupe d’appartenance primaire comme le lieu où se jouent les premières identifications et où se construit un “héritage familial” (Gaulejac) qui a son tour est incorporé et reproduit dans ses aspects affectifs, culturels, sociaux et idéologiques.

En ce sens ce qui a attiré notre attention c’est le fait que, au centre de “l’héritage familial”de Cïda se trouve ce que nous pouvons appeler le “roman” de ses parents : les disputes avec les grands propriétaires terriens et avec l’Etat, dans un affrontement de mort (au sens littéral comme nous le verrons plus loin), dans la lutte pour retrouver une place pour vivre (la terre), une identité (en tant que producteurs) et une existence sociale (en tant que citoyens).

Cela nous amène à penser à l’incorporation, par Cïda, d’un projet parental en tant que“mission” salvatrice des gens de la communauté en lutte pour leur emancipation.

Mais ce qui est aussi remarquable, c’est la jouissance narcisique que Cïda retire de la considération dont elle bénéficie en assumant la charge de l’école.

Ses débuts au pouvoir

C’est en racontant la fonction de l’école rurale que Cïda nous permet de saisir son passage de la base au centre du pouvoir de la communauté, où elle va occuper la place de Lucas :

“L’ecole rurale a une particularité : elle se transforme en centre de pouvoir pour la communauté. Quand j’ai assumé la charge de la petite école de ma communauté, du fait que j’étais une fille de la terre, l’école a tenu le rôle de centre de décisions.Tout passait par là. Nous avons fait des travaux dans l’école, elle est devenue très sympa, très agréable. Là bas on se réunissait pour jouer, pour danser, pour fêter, commémorer et surtout pour les réunions politiques, pour discuter les problèmes de la communauté. Et tous participaient, même les enfants. Et c’était moi, la responsable de l’école, qui dirigeais les activités.

A côté de l’alphabétisation des enfants, j’ai assumé aussi le MOBRAL4, qui s’est constitué comme une amplification de l’ espace de pouvoir que j’avais, dans la mesure où toutes les familles, les enfants et les adultes, étaient groupées autour de l’école et donc, je suis devenue la référence de cette communauté. Son leader. Et ce rôle s’est amplifié. Par l’intermédiaire du prêtre et des soeurs, j’étais invitée à toutes les réunions mensuelles et annuelles des leaders de communautés de base.”

Il est intéressant d’observer ici l’utilisation de l’espace de l’école comme centre du pouvoir, un pouvoir où tous participaient, et aussi comme local des fêtes, de la convivialité. Ce qui a attiré notre atention c’est la dimension politique de ce fait, étant donné que, loin de reproduire l’idéologie dominante - le rôle d’appareil idéologique de l’Etat (n’oublions surtout pas que à cette époque le pays était soumis à une dictature militaire), l’école se transforme en local politique par excellence dans la mesure où les gens vivent l’apprentissage et la prise de conscience selon un même processus qui passe aussi par l’aspect affectif, par la camaraderie et la solidarité.

Le cas du MOBRAL est exemplaire a cet égard : créé par le régime militaire comme une méthode pour alphabétiser les adultes et sortir le pays du rang des analphabètes, il s’agissait cependant d’une méthodologie aliénante. Pourtant, utilisée dans ce contexte, l’école en tant que lieu politique, se transforme aussi en fait politique dans la mesure où le fait de savoir lire et signer son nom créé un sentiment de confiance qui s’étend à d’autres domaines de l’existence, spécialement à celui de l’action politique.

Observons dans la suite de l’histoire un point fort important dans la définition du parcours de  Cïda : la conjonction entre la façon dont elle a vécu les événements de cette èpoque et la manière dont sa famille les a assimilés. Elle nous raconte que : “a partir du moment où j’ai assumé l’école, je suis devenue adulte. Je n’avais pas encore quinze ans, j’étais dans les conflits de l’adolescence et celle- ci a été brisée. Mon adolescence a été une étape brûlée. A l’école, les exigences du travail  l’ensemble de mes activités, mon implication, mes responsabilités m’ont placée dans une condition d’adulte. Je me privais de choses que mes amies faisaient, je devais donner de bons exemples à mes éléves : je ne pouvais pas rencontrer mom ami dans le noir, je ne pouvais pas danser très collée à lui, etc. Quand ils ( les jeunes) jouaient, se promenaient, moi, je m’occupais d’eux, dans le travail d’organisation. ET je faisais ça avec plaisir, j’aimais tellement toutes ces responsabilités, toutes ces affaires. Quant à ma famille, elle avait une connivence très forte avec moi. Les autres filles ne sortaient pas seules de la communauté, ni même de chez elles pendant la nuit. Toutes se mariaient très tôt. Quand les filles avaient l’âge de quinze ans, leurs pères leur cherchaient tout de suite un mari. Avec moi tout s’est passé différemment ; mes parents ne m’ont jamais parlé mariage. Et ils ne m’ont plus interdit de sortir seule de la communauté. J’allais en ville, j’allais dans d’autres communautés, dans d’autres fermes pour le travail d’organisation et ils ne disaient rien. Plusieurs fois ils m’ont accompagnée, quand les réunions étaient loin et en soirée. De même pour les affaires de la maison, je ne m’en chargeais plus. Mes sœurs et ma mère s’en occupaient à ma place. Elles faisaient même mon linge, je n’avais pas le temps.

Cette séparation entre affaires d’homme et affaires de femme (travail politique et travail domestique) va être présente dans toute l’histoire de Cïda comme un sceau, comme une marque de sa subversion, de sa rupture avec un ordre qui déterminait ce qui était “destiné” aux hommes et ce qui était “destiné” aux femmes. Cependant, si Cïda arrive à sortir de ce déterminisme elle n’y réussit qu’en se ressemblant aux hommes : “je coupais mes cheveux très courts, je ne portais que des blues jeans, des tee-shirts et des tennis. Je n’utilisait jamais de rouge à lèvres, de vernis à ongles, je ne portais pas non plus de bijoux. Je n’avais aucune vanité.”

 A partir de ce moment là elle va de plus en plus occuper des espaces de pouvoir, et être reconnue et légitimée en tant que leader de base. Cepandant, son travail était encore un travail “de base”, profondément lié à l’église, limité aux questions spécifiques de sa communauté, dépourvu d’analyses plus profondes, et de modèles théoriques autres que l’approche religieuse. Cette situation commence à changer a partir du moment où elle sort de sa collectivité et rencontre des groupes qui vivent dans la même oppression que le sien, qui ont des problèmes semblables et la même histoire de résistance - un groupe d’égaux.

“Dans les années 78 la Centrale Pastorale de la Terre - CPT, a réalisé une rencontre nationale des responsables de communautés de base à Montes Claros ;5 quelques syndicalistes ruraux y participaient aussi. J’avais seize ans. Cette renconttre a été pour moi la découverte d’un nouvel horizon de vie, d’un nouveau monde. Nous étions quatre-vingt personnes et pendant une semaine nous avons suivi un cours de formation politique, à partir d’une réflexion sur la réalité que plusièurs groupes vivaient et que je ne connaissais pas. C’était une rencontre qui visait à rendre plus fortes les petits organisations et à créer une organisation plus puissante au niveau de la région.Je me sentais en extase ; je me sentais hallucinée devant les découvertes,les livres politiques, les musiques, le courage des gens, l’histoire de chacun. Je me sentais faisant partie d’un groupe qui pensait comme moi, qui critiquait comme moi, qui se faisait du souci comme moi et qui rêvait comme moi.Je suis rentrée absolument conquise par l’idée du syndicat, par l’idée du travail d’organisation des travailleurs ruraux et je ne me suis plus arrêtée.”  

L’importance de ce moment est lié à la rencontre avec un groupe “étranger” à la communauté, groupe avec lequel Cïda va vivre l’expérience de la reconnaissance de son désir et en même temps être reconnue comme membre du groupe partageant le même “objet d’amour” : la cause. C’est un nouveau processus d’identification vécu par Cïda, cette fois ci un processus de groupe où les membres  s’identifient les uns aux autres à travers un même objet d’amour mis à la place de l’idéal du moi. Ainsi, chacun est lié libidinalement d’un côté à l’objet d’amour et de l’autre aux autres membres du groupe, ce qui les rend semblabes, égaux.

Mais c’est aussi un moment important parce qu’il s’agit du moment de l’instauration du groupe, de la constitution d’un projet commun qui serà mis en oeuvre par ses membres. A ce sujet nous observons dans la narration de Cïda, qu’elle vit le projet de construire un syndicat comme quelque chose d’exceptionnel, une idée inattaquable, au-dessus de toute critique, de tout doute. On retrouve les éléments de l’idéalisation, de l’illusion et de la croyance (ENRIQUEZ, 1997), qui mobilisent l’énergie des membres et font marcher les groupes. En ce sens, notons aussi le caractère de “mission à accomplir” dont Cïda s’est investie elle même dans ce projet syndical.

 “Je me considérais comme un agent de l’idée de syndicat. Je ne pensais qu’à cela, je ne vivais que par cela. Le travail “de base” que je réalisais n’était pas suffisant, il fallait avoir un syndicat, alors, j’étudiais des documents, je parlais à tout le monde, je convainquais les gens que le syndicat était la seule façon de réussir notre lutte. Je créais des groupes de discussion, j’allais dans plusieurs communautés pour organiser des réunions. Finalement, au mois de mai 1981 se tient l’assemblée de fondation du syndicat, à UNAI6, car c’est là qu’existaient les meilleures conditions de travail. C’était le rêve fait réalité.”

La création du syndicat apporte des changements fort importants dans la vie de Cïda, elle la conduit, d’après ses paroles “dans un chemin sans retour” et l’enfonce dans l’univers de querreles, de discrimination et de stratégies de survie politique. Si jusqu’à ce moment elle avait été la principale référence et le porte-parole de l’idée du syndicat, garder cette place n’était pas si facile. A partir de la création du syndicat les questions institutionnelles, c’est à dire , les questions de pouvoir prennent corps et se montrent dans tous leurs aspects.

“Il était naturel que je fasse partie de la direction provisoire du syndicat, il était surtout naturel que j’en sois le président, car c’était moi qui avais le plus travaillé pour à sa réussite. Mais il y a eu un problème auquel je n’avais jamais pensé : les gens insinuaient que j’étais une femme et que j’étais trop jeune (j’avais presque 18 ans) pour assumer la direction du syndicat, que je ne serais pas respectée en tant que telle. Et le poste de président a été occupé par un homme. Mais j’ai pris quand même une place dans la direction : celle de secrétaire! Mais je vous avoue que à ce moment là je n’avais pas la moindre idée de la discrimination que j’avais subie. Je n’avais pas encore la consciênce des questions de sexe et ni même de pouvoir. Je ne pensais qu’ au syndicat, que nous avions à créer”.

Elle quitte sa famille et va habiter en ville, une chambre dans le syndicat.

Comme nous le remarquerons dans le cours de son histoire, à partir ce moment là elle entre dans un tel processus d’enthousiasme pour la lutte, pour l’action syndical qu’elle est hors d’elle même.

Elle était mûe par l’idée fixe du syndicat, de l’action syndicale dans la lutte pour la terre. Les intérêts collectifs, la “cause”, étaient au-dessus de tout, ce qui l’amenait à ne pas réfléchir à ce qui lui arrivait, au sens des événements ; elle “avalait” tout, sans arriver à formuler aucune critique. La “passion” pour la cause empêchait le travail d’élaboration de ce qu’elle vivait au niveau personnel, au niveau de la subjectivité.

 Le travail syndical devient l’objet de tous les investissements, la vie personnelle est très facilement sacrifiée aux intérêts collectives.” J’étais partout sur le terrain et moins dans ma famille. J’avais perdu la dimension de la famille, je ne sentais pas le besoin d’y aller, de leur rendre visite ainsi q’aux gens de ma communauté. J’avais l’impression que ma famille s’était agrandie, s’était transformée en syndicat et mes parents, mes frères et sœurs étaient une partie de cette grande famille. Je n’avais plus de vie personnelle, de vie privée, mais cela n’avait aucune importance.”

Le rôle de leader exercé par Cïda est de plus en plus renforcé, son côté charismatique se révèle d’autant plus, associé à son énorme capacité de travail, à sa disponibilité, à sa connaissance des problèmes vécus par les gens et à son dévouement à la lutte conçue comme une “mission”.

Le travail se transformait pour Cïda, en véritable obsession. Son action répresentait tout le mouvement de resistance à l’oppression et à la spoliation par les grands proprietaires qui commencent à la ménacer de mort. De plus en plus sa puissance en tant que leader va être reconnue et elle commence a avoir sa place dans les médias.

“ Je continuais a travailler, je me mêlais de tout ce qui arrivait, je participais à toute action. Comme j’habitais dans le local du syndicat, cela rendait les choses plus faciles. Il n’y avait pas d’horaires ; même pendant la nuit les gens venaient nous chercher (l’avocate et moi). Je m’entraînais de plus en plus à la lutte. A l’occasion de notre première marche à Brasilia7 pour revendiquer du gouvernement la désapropriation des terres où 250 familles avaient été expulsées par les propriétaires terriens, c’est moi qui ai parlé aux gens et aux médias. Le président du syndicat avait peur, il ne participait jamais à ce type d’activité. Je n’avais aucune peur. J’allais partout où existaient des conflits de terre et l’avocat, Nilza, y allait aussi. De cette façon j’ai appris beaucoup de choses avec elle, je savais comment travailler dans la légalité. J’avais beaucoup d’informations juridiques, je connaissais les lois et le droit. Je discutais avec les gens qui avaient des problèmes, même dans les fermes où il y avait des “jagunços”8. Le travail d’organisation des bases par le syndicat s’accroissait, il y avait un représentant syndical dans toutes les communautés. Nous avons beaucoup travaillé pour cela.”

L’expérience institutionnelle

Le syndicat des travailleurs ruraux de Unaï

Le statut du syndicat indiquait qu’en, cas de vide de la présidence, le secrétariat devait assumer cette fonction. Mais cela n’était pas si évident. La démission du président a amené la mise en place de la Féderation des Travailleurs de l’Agriculture de Minas Gerais - FETAEMG, à laquelle les syndicats ruraux de la région de Minas sont soumis, pour contrôler le processus de sucession. Ses dirigeants sont allés à Unai pour convaincre Cïda de restér au secrétariat. D’après elle : “le poste de président n’était pas bon pour moi,ont-ils déclaré, parce qu’ il fallait voyager beaucoup, c’était dangereux, il y avait des menaces”.Personne ne m’a dit que c’était parce que j’étais une femme. A chaque argument qu’ils utilisaient pour me convaincre, je pensais, que c’était bien la réalité que je vivais depuis la fondation du syndicat, que rien ne me semblait étrange. Mais je n’ai fait que penser, je n’ai pas discuté, j’ai accepté leur proposition. De toute façon je ne me sentais pas menacée dans mon statut de leader car bien que je n’aie fait qu’occuper formellement le poste de secrétaire, j’étais en réalité le président du syndicat depuis sa création et personne n’arrivait à me faire de l’ ombre. Mais maintenant, quand je réflechis sur mon passé à cause de cet entretien, je me rends compte, que, d’une certaine façon je répétais l’histoire de ma mére qui ne pouvait pas participer aux affaires politiques des hommes et qui s’est soumise au désir de mon père. Je me suis rendu compte que la division sexuelle est une chose intériorisée qui est passée de génération en génération et, de ce rôle attribué à la femme on ne se libère pas .Comme ma mère auparavant, je me suis tue et j’ai accepté le second rôle.”

Cette affaire avec la FETAEMG nous donne bien la dimension de contrôle a tout prix que veut exercer le pouvoir. Cïda était un leader dont la croissance menaçait la stabilité des institutions, l’ordre établi et evidemment la place de ceux qui étaient à la tête des représentations formelles. En tant que femme elle portait (et montrait) la différence, elle interrogeait ce monde masculin des égaux. Alors, fallait la faire taire. Rien de plus facile, dans l’aspect formel, bureaucratique, des lois, corrollaires du pouvoir institutionnel.

“Par une manipulation du statut, ils ont placé au poste de président quelqu’un qui n’avait pas de passé de lutte et n’était pas engagé dans les conflits de terre. Néanmoins, si du côté formel la question était résolue, du côté politique la dispute pour le statut de leader n’était que dans son commencement : Il y avait deux visions opposées du syndicat : d’un côté la mienne, celle d’ un syndicat de lutte, ouvert et de l’autre côté la vision du syndicat bureaucratique, clos, du nouveau président. Dans les réunions nous défendions chacun des positions opposées et les autres membres de la direction prenaient toujours le parti du président. J’ai commencé à créer des stratègies pour ne pas rester dans l’isolement et pour continuer le travail. Quelquefois je cédais, d’autres fois j’insistais, mais sans laisser tomber le travail sur le terrain. C’était toujours moi qui allais sur place, là où il y avait des conflits. Comme son précédent, le président avait peur des “jagunços”.

Cette dispute à l’intérieur du syndicat s’est répandue aussi dans la FETAEMG à laquelle Cïda participe en tant que membre de la direction du syndicat de Unaï. La différence, pourtant, se fait jour dés le début en ce que concerne surtout les valeurs, les habitudes, les manières d’être auxquelles elle n’était pas accoutumée et particulièrement l’aspect sexuel, le jeu de séduction qui dorénavant sera un élément constitutif de sa trajectoire.

“Là bas j’étais la différente.La seule femme dans un monde de plus de 200 syndicats qui y participaient. J’étais comme un “ET” pour eux qui ne comprenaient pas la présence d’une femme dans leur milieu. Et en plus, une femme qui parlait tout le temps, qui défendait des positions. Et ils s’approchaient de moi de plusieurs façons mais l’aspect sexuel était le plus fréquent. Le respect politique et professionnel était oublié depuis longtemps. Mais cela ne faisait rien. J’étais absolument fascinée par ce monde là, par l’ambiance ; je connaissais beaucoup de monde, je parlais à tous les gens, je voulais tout connaître, tout savoir, interroger sur tout. A ce moment là je me suis retrouvée dans une réalité complètement nouvelle où la dispute était constante, et pour survivre dans ce milieu je devais montrer mes services, prouver que j’étais capable et me défendre des séducteurs, de ceux qui ne s’approchaient que pour essayer de coucher avec moi. En ce sens la seule réference que j’avais c’était les valeurs que j’avais reçues de ma famille, de ma communauté et qui m’ont aidée à ne pas me laisser aller. Ma stratègie a été de m’approcher de quelques groupes que j’estimais avoir une méthode de travail semblable à la miene,  je me suis identifiée à eux à travers la façon dont ils travaillaient. Mais toujours dans une perspective de conquête d’un espace de reconnaissance.

La Centrale Unique des Travailleurs - CUT

Dans l’année 1982 le mouvement pour l’organisation du congrès de fondation d’une centrale unique des travailleurs qui serait réalisé en 1983, (RODRIGUES, 1993) se répercute à Unaï et met à jour, d’une façon définitive, les rivalités pour le contrôle du syndicat entre Cïda et le président. Cela signifiait, à “l’arrière scène” une querelle entre les deux visions syndicales, entre le vieux modèle, où se trouvaient la fédération-FETAEMG et la confédération-CONTAG, qui menaient une politique de composition avec le gouvernement et les secteurs conservateurs et le modèle qui représentait la nouveauté, la lutte, les revendications et la remise en cause des institutions et du mode de fonctionnement dominant.

La CONTAG décide de ne pas participer au congrès (plus tard elle s’affilie à la Confédération Générale des Travailleurs - CGT, une branche plus conservatrice du mouvement syndical) et elle interdit aux fédérations et aux syndicats ruraux d’y participer. Affrontant cette décision et affrontant aussi le président, Cïda s’appuie sur l’argument que l’assemblée du syndicat de Unaï avait voté la participation et l’envoi des représentants au congrès de la CUT, et que cette assemblée était plus légitime que la Confédération et le président, va, donc, à São Bernardo do Campo, São Paulo, où se tient le congrès. Elle est accompagnée par l’avocate et par deux autres réprésentants de base.

Il faut remarquer ici le la foi de Cïda dans les idéaux de la CUT et son identification à ces idéaux : “la façon dont je travaillais m’identifiait profondement aux propositions de la CUT. Pas pour des réflexions théoriques, que nous n’avions pas, mais pour l’identité empirique. Notre syndicat était “cutista9”, il l’a été dés le début. J’avais entendu parler du nouveau syndicalisme, je connaissais l’existence de Lula et j’avais le sentiment que tout cela était juste. Je me sentais faire faisant partie de tout ce mouvement.”

Aller au congrès de fondation de la CUT a poussé l’ascension de Cïda dans le mouvement syndical. Elle a été choisi comme membre de la direction ce qui lui a donné une reconnaissance nationale. Mais malgré son incompréhension des débats du congrès et de sa mconnaissance des tendances politiques dont les idées étaient en discussion, elle a vécu sa première expérience d’affrontement entre courants, d’une façon naive, évidemment, etant donné son manque de connaissance et de maturité politique :“ Je ne comprenais pas bien les discussions des théses, je ne voyais pas leurs différences, mais quand même, je faisais attention à toutes les discussions. Je n’ai jamais pris la parole dans les plénières de ce congrès, mais je parlais à tout le monde ; j’ai connu beaucoup de monde. Je me sentais chez moi. Le dernier jour, chaque état présent a réuni son assemblée plenière pour désigner les répresentants à la direction nationale. A ce moment là j’ai découvert que je faisais partie d’une tendance politique identifiée avec l’église. Jusqu’à ce moment là je ne savais pas que je faisais partie d’une tendance, mais ils m’ont identifiée comme “l’église”.Les autres courants politiques qui participaient voulaient chacun avoir place à la direction nationale et tous discutaient entre eux. Quelle n’a été ma surprise quand ils ont indiqué mon nom comme representante des ruraux! Il est vrai que, en tant que femme et leader syndical, j’étais au premier rang , mon travail était connu des gens, mais il y avait d’autres leaders qui voulaient être choisis, qui disputaient cette place, comme par exemple un professeur syndicaliste  qui criait toute le temps contre mon nom, et qui était furieux de ne pas être désigné. Cet aspect aussi m’a semblé bizarre, parce que personne ne m’a demandé si je voulais ou pas.Ils discutaient sur mon nom, je n’ai pas dit un mot et ils m’ont désignée. Comme à Montes Claros je me sentais fascinée, absolument engagée dans le processus, une partie du groupe. Et en plus je me suis sentie très fière d’avoir été choisie, très heureuse, même sans savoir quel serait mon rôle à la direction nationale de la CUT”.

Au niveau local, la conséquence de sa participation au congrès a été une tentative de la part du président de l’expulser du syndicat au cours d’une assemblée de la catégorie, avec la connivence de la FETAEMG . Cette tentative a échoué grâce au travail que Cïda a fait dans les communautés pour renforcer leurs soutiens et regagner des aliés pour la participation du syndicat à la CUT.

Le fait de devenir membre de la direction nationale a donné une nouvelle dimension à son action politique, lui a conféré une légitimité encore plus forte qui s’est traduite dans l’appui massif qu’elle a reçu des bases du syndicat contre le président Quoique elle fût le vrai leader de sa région, dans la hierarchie du syndicat elle restait secrétaire. Mais maintenant elle était, officiellement et légitimement la représentante nationale des travailleurs ruraux, dans une organisation syndicale elle aussi légitime et représentative.

Le président renonce et prétextant une irrégularité dans le statut, le ministère du travail fait une intervention “blanche ”au syndicat, ce qui signifie une suspension des droits politiques et un blocage de la recette syndicale. Mais si officiellement le syndicat était hors d’action, Cïda et les autres membres de la direction continuent à travailler et surtout entreprennent une action systématique pour “libérer” le syndicat. Dans cette lutte, les institutions officielles (FETAEMG et CONTAG) restent absents du processus jusqu’à la fin, au moment de la réussite de Cïda et de ses compagnons. A ce moment la FETAEMG participe aux négociations avec la représentation du ministère du travail pour définir une direction provisoire et finalement Cïda est nommée présidente du syndicat des travailleurs ruraux de Unaï.

Parallèlement à ce processus, son action militante continuait, soit à travers l’élaboration des stratégies syndicales et  des actions concrètes contre la violence en milieu rural (organisation d’ actes publics, de campagne de dénonciation, coordination des occupations d’espaces gouvernementaux et de terres improductives) soit à travers la participation aux délibérations et à la conception de plans de lutte de la CUT nationale et régionale dans l’état de Minas Gerais. (elle a aussi participé à la création de cette réprésentation régionale.)

Ce temps là réprésente l’apogée du pouvoir de Cïda. Elle était reconnue dans tout le mouvement syndical brésilien comme un leader incontesté, elle faisait partie de l’élite syndicale, elle appartenait au groupe de ceux qui étaient au sommet. Les médias la projetaient à l’avant de la scène, les courants politiques essayaient de la séduire et sa base augmentait de plus en plus.

Mais pourtant cette croissance en tant que leader et le pouvoir qui en découlait menaçaient les propriétaires terriens et leurs institutions qui, à leur tour renforçaient les tentatives d’intimidation dirigées à travers des lettres anonymes soit contre Cïda elle même, soit contre sa famille. Des menaces etaient colportées oralement et divulguées dans les médias locaux, disant qu’elle devait être abattue, qu’elle devrait mourir pour que la paix renaisse dans le municipe.

“Quant à moi, j’ai vécu toutes ces menaces comme je vivais les autres choses qui m’arrivaient : sans les enregistrer, sans réflechir. Je sentais que ces menaces étaient naturelles car le syndicat s’agrandissait, notre travail était divulgué, j’étais fréquemment dans les médias, alors, cela faisait partie du jeu. Et je n’imaginais guère que quelqu’un allait me tuer. Jusqu’au jour où quelques “posseiros”arrivent au syndicat et annoncent que des “jagunços” sont en train de détruire leurs maisons et leurs plantations. Comme toujours c’est moi qui étais au syndicat, alors j’ai appelé un photographe et un taxi et nous y sommes allés. Là bas les “jagunços” nous ont pris, ils voulaient nous tuer tous les trois.J’ai réussi à les convaincre de nous libérer et nous retournons en ville terrorisés. Nous sommes allés à la police qui n’a rien fait, chez le juge qui a dit n’avoir pas de preuves pour faire quoi que ce soit. Désormais je savais qu’ils pourraient me tuer”.

Malgré la peur qui s’installe dans sa vie, Cïda ne s’est pas arrêtée de travailler ; cependant sachant qu’elle était mortelle, elle avait toujours quelqu’un pour la protéger. Le syndicat et la CUT faisaient des campagnes de dénonciations, les médias s’ y engageient.

Ce que nous notons ici c’est que, parallelement à la stratègie de protection de la vie, de la défense et de l’intégrité physique de Cïda, il y avait aussi une stratègie de renforcement de son pouvoir et en conséquence du pouvoir des institutions qu’elle représentait ; le rituel de la protection, sa théâtralisation10 et sa divulgation, les mettaient toujours en évidence, malgré les effets contraires qui pouvaient s’ensuivre.

Ces faits ont eu lieu en l’année 1984. En 1985 son père est assassiné et sa mère est gravement blessée par un proprietaire terrien. Cela joue aussi un rôle fondamental sur la “scène”du pouvoir.

Comme Cïda nous le raconte : “toute la direction de la CUT est venue à Unaï, ils ont appelé leurs avocats pour faire condamner l’assassin, ils ont préparé un matériel de campagne au niveau national, ils ont divulgué l’assassinat partout et pour la première fois dans l’histoire de la lutte pour la terre au Brésil un propriétaire terrien a été au moins jugé. Ce fait a donné une très forte publicité au syndicat de Unaï, à la lutte contre la violence dans les champs. La messe du 7° jour a été un “spetacle”, il y avait beaucoup de monde et l’élite syndicale était présente. Toutes les entités politiques se sont beaucoup investies dans cet episode”

Du côté personnel Cïda nous raconte qu’elle a vécu ce fait avec un très fort sentiment de culpabilité. C’était elle qui était désignée pour mourir, pas son père, mais elle poursuit quand même son action politique et ne s’arrête pas même pour “pleurer la mort du père”, comme elle dit. Ce que nous observons c’est la difficulté de ce deuil, dans la mesure où l’action militante a caché le vide de la perte réelle du père.

Les proprietaires terriens pour leur part étaient de plus en plus forts ; ils avaient créé l’Union Democratique Rurale - UDR - une organisation très puissante, pour défendre leurs interéts, et les ménaces contre la vie de Cïda étaient à chaque fois plus sérieuses.

“Ma vie sociale était finie. Je ne pouvais plus sortir pour aller dans un bar, par exemple, où à une fête. Je n’avait plus de liberté, je me sentais en prision. L’amnisty internationale a fait deux reportages sur mon histoire ; ma photo a été publiée dans son magazine et des kilos de télégrammes de plusieurs pays sont arrivés auprès du gouvernement féderal démandant des mesures ; le syndicat a fait une campagne pour avoir des ressources pour me protéger, quelques personnes plus expérimentées en securité personnelle sont restées avec moi pendant un certain temps ; mais le fait est que ma permanence à Unaï est devenue un problème. Un autre syndicaliste a été tué, aprés mon père et si une autre mort arrivait (la mienne) nous prenions le risque de perdre cette lutte là car les gens de la campagne participent au syndicat pour vivre non pour mourir. Ils participent pour envisager dans la lutte syndicale une possibilité d’avoir une vie meilleure, un morceau de terre à cultiver et ainsi élever leurs enfants. Donc, dans la mesure où leur leader était menacé ils se sentaiennt menacés aussi et cela limitait, réduisait leur participation.”

Cïda a vécu ce processus d’une façon très ambiguë : d’un côté la peur, le sentiment d’être handicapée à cause de la limitation qu’a subie son action syndicale et l’angoisse de ne pas avoir son destin en main, mais de l’autre côte elle se sentait plus que jamais mise en évidence, “tout le monde” s’occupait de son histoire et son pouvoir en étant ainsi renforcé.

Le fait d’être le seule grand leader de la région, la seule à symboliser les idéaux des ces gens dans la lutte pour la terre rendait, à ce moment, l’organisation des travailleurs plus fragile et plus susceptible d’échouer .

En racontant la suite de son parcours Cïda nous présente une très belle analyse du phénomène de création d’un leader et de ce qui en découle :

“Toutes les tentatives pour que je reste à Unaï ont échoué. Le syndicat était profondement ménacé et ne pouvait mantenir un système de sécurité autour de moi ; les gens estimaient que je devais partir mais je ne voulais pas, j’avais encore des charges à accomplir ; je savais que le travail était de plus en plus difficile, je n’avais plus de possibilité d’action, mais il n’y avait personne pour me remplacer et je craignais que la lutte ne se restreigne. C’est un point important parce que comme je n’étais pas arrivée à pousser d’autres femmes à la vie politique, je n’étais pas non plus arrivée à pousser d’autres leaders, à reproduire des responsables afin d’avoir un groupe plus grand pouvant participer à la lutte au même niveau, pour continuer le travail et pour s’opposer aux menaces. Mais ce n’est pas un problème exclusivement mien. C’est aussi une erreur de la gauche qui investit beaucoup sur un seul leader. Quand j’ai émergé en tant que leader possible, plusieurs organisations politiques de nature différentes ont beaucoup investi sur moi. Elles m’ont appelée dans toutes leurs activités, m’ont faire apparaître dans les médias, m’ont offert une place. Les médias, à leur tour ont contribué au système en travaillant presque exclusivement avec les “étoiles”, avec ceux qui sont au sommet. Cela engendre deux sortes de problèmes : le premier est le fait de bloquer la croissance d’un groupe tout entier car la projection se fait sur un seul, et le deuxième problème est spécifique au milieu rural où les gens n’ont pas d’informations, ne sont pas alphabétisés, où ils vivent dans une situation de misère, un énorme déficit social. Alors, tous ces éléments contribuent à ce que les associés du syndicat envisagent ce leader comme un sauveur, comme celui qui va résoudre leur problème. Cela crée aussi une distance entre le leader et les gens de la base, le leader occupe la place d’un dieu, de quelqu’un de particulier. Moi aussi je contribuais à ce processus dans la mesure où je me sentais indispensable. Je centralisait les actions, les informations. Et aussi la vanité. Cela existe vraiment, l’orgueil d’être reconnue, d’être valorisée. J’éprouvais tellement de plaisir à diriger une assemblée, une foule. C’était une satisfation à lequelle je ne pouvais renoncer facilement. Je me sentais si heureuse d’organiser et de conduire des cortèjes à Brasilia pour présenter des revendications, organiser des occupations, d’être le au premier rang dans les actions publiques, dans les meetings. La satisfaction d’être la plus aimée, d’être reconnue et recherchée par tous et partout, et d’avoir la confiance des gens c’est quelque chose d’extraordinaire. Mais il s’agit d’une analyse que je fais à posteriori car à l’époque, comme tous les autres leaders syndicaux, j’ai nié cet aspect de vanité. Je ne l’admettais pas, je croyais accomplir mon rôle de syndicaliste avec sérieux et dévoiement. Jusqu’à aujourd’hui la vanité est une question délicate dans le milieu syndical.”

Au moment où Cïda est devenue une “étoile” dans le mouvement syndical elle s’enfonce dans ses institutions et devient de moins en moins indépendante ; de même le syndicat devient moins autonome du fait qu’il est engagé dans la centrale. Leurs actions ne sont plus qu’une partie d’une stratégie globale de lutte ce qui restreint les initiatives.

Cette participation de Cïda aux hautes sphères du pouvoir la place dans le jeu plus dur des luttes entre les courants politiques. Jusqu’à ce moment là elle était indépendante et les disputes auxquelles elle participait étaient plus localisées, et ce qui comptait principalement, c’était le travail réalisé, l’appui des bases et la conviction d’être dans la bonne voie.

Dans les enjeux politiques de la centrale ce qui comptait c’était l’appartenance à un courant, la rhétorique et l’idéologie, et comme elle nous le raconte, elle n’était pas préparée à cette nouvelle situation :

“Dans la mesure où je commence à occuper des postes dans la CUT de l’état, à participer au centre du pouvoir, des instances de décision, cela me place dans l’univers des luttes des différents groupes politiques pour le pouvoir. Et je n’avais aucune théorie politique, je n’avais jamais lu Marx, Engels, Lenine, par exemple et donc je n’arrivais pas à distinguer la pensée des groupes ni leurs théses. Jusqu’à ce moment là, mon identification reposait sur l’action, sur la manière de faire. Dans la CUT mon groupe était le groupe des “igrejeiros”11 et de l’autre côté il y avait ceux que l’on disait “de gauche”, les marxistes, qui avaient des différences théoriques avec l’église. Quand la confrontation surgissait, nous, les syndicalistes ruraux, ne savions quoi dire. Nous n’avions que notre action, notre savoir-faire, pas de formation théorique.”

Son rôle de grand leader la plaçait au milieu des disputes entre les divers courants politiques qui cherchaient son adhésion. Le jeu de séduction était énorme, tous les courants lui offraient des avantages pour obtenir son affiliation. D’après ses observations, tous ces courants avaient beaucoup investi dans son processus de croissance, d’ascension dans le mouvement et aussi dans sa protection personnelle, alors, le moment était venu de payer tout cela. Même l’église comptait sur un maintien de sa présence dans ses filières. Ce processus fut pour Cïda le début de son “désenchantement” politique :

“La compétition  entre les courants pour obtenir mon adhésion était trop forte, a mon avis, et en dépit du manque de formation théorique, j’avais des intuitions très nettes sur les positions politiques adoptées par ces courants. Je suis restée cohérente avec mon histoire, avec ma conception de la lutte et j’ai récusé les avantages qu’ils m’offraient. Avec l’église aussi il y a eu une rupture parce que j’ y allais de moins en moins. Je trouvais plus intéressant aller aux réunions de la CUT et de la fédération qu’aux réunions de base. Aller prier, pour moi, n’avait plus de sens, je préferais aller preparer la lutte, organiser les gens. L’église a eu un rôle fondamental dans ma vie, mais à ce moment là j’estimais avoir d’autres où faire de la politique. Donc, la conséquence de ces ruptures avec les courants et avec l’église, c’est que j’ai été stigmatisée, combattue, par ceux qui, dans la CUT, se disaient “gauchistes”,comme traîtresse à la classe des travailleurs, “pelega”12. A partir de ce moment là toute mon ascension, toute la reconnaissance de mon travail, perd sa valeur. La lutte que je portais, mon expérience, mon histoire, enfin, commencent a être relativisés au niveau institutionnel, a ne rien signifier dans les sphères du pouvoir, dans les centres de décision. Ce qui comptait c’était les discours enflammés, plus radicaux. Ce sectarisme m’a ôté la pureté et l’enthousiasme avec lesquels je conduisais mes actions. D’emblée je me trouvais dans un lieu qui n’avait plus rien à voir avec tout ce que je croyais, tout ce que j’avais fait.”

Ce processus commence à la fin de 1985 et va s’intensifier en 1988, lorsque la situation devient insoutenable sur le plan de la sécurité et qu’elle est obligée de quitter sa ville pour protéger sa vie et aussi pour protéger la continuité du mouvement.

La Centrale Unique des Travailleurs- CUT - au niveau de l’état de Minas Gerais

A la fin de1985 a lieu l’assemblée de fondation de la CUT deMinas Gerais (RODRIGUES,1993). Cïda est élue par la direction comme représentante des travailleurs ruraux de l’état. Ainsi, à ce moment là elle est, en tant que dirigeante syndicale de Unaï, la représentante nationale et régionale des travailleurs ruraux.

Quand elle est obligée de quitter Unaï, la solution qui se présente comme la plus viable est son installation à Belo Horizonte.

Alors, appuyée par une tendance moins radicale appelée “articulation syndicale”, majoritaire à cette période là, Cïda a un poste dans l’exécutif13 de la CUT de Minas, ce qui lui permet de survivre. C’est un processus très difficile, qui la place dans une grave crise existentielle qu’elle nous raconte dans la suite :

“ En ce temps là j’étais en pleine crise, je me sentais exilée, complètement seule et sans référence, sans identité. Tout s’était passé très vite dans ma vie : le parcours de la communauté au syndicat et à la CUT je l’avais fait sans aucune réflexion. Des pas trop rapides, sans aucune élaboration ni personnelle ni de groupe. J’ai été projetée de ma ville au niveau national sans même y penser. Simplement les choses m’arrivaient et je les avalais tout entières. J’étais tellement engagé dans ce processus politique que c’était comme si je n’existais que pour la lutte, sans me rendre compte que, au plan personnel aussi, les choses évoluaient. Mon processus socio-culturelfaisait partie de l’ensemble. J’ai vécu des changements culturels très forts d’un seul coup : dans la communauté j’avais quelques valeurs qui n’étaient pas les mêmes que celles des gens de la ville, qui à leur tour étaient differentes de celles de la direction nationale de la CUT et même du groupe de dirigeants de la CUT de l’état de Minas, syndicalistes urbains, et masculins, à Belo Horizonte ;  ce qui signifiait pour moi un autre monde. Ces gens avaient une autre “tête”, une autre référence culturelle, alors que j’étais une paysanne ; mes valeurs de base étaient paysannes, ce qui était ordinaire et naturel pour les gens de la ville ne l’était pas pour moi. Alors, je suis devenu une couche de gelatina, sans consistance du point de vue des reférences culturelles, sociales, familiales. Ainsi, tout comme dans la vie politique, dans ma vie personnelle tout s’est développé en même temps, très rapidement, sans étapes, sans réflexion, sans élaboration”.

Ce moment là a été une période de profonde souffrance dans la vie de Cïda. En même temps qu’elle prenait conscience du conflit entre ses valeurs héritées et les valeurs acquises pendant son parcours vers le sommet du mouvement syndical, autrement dit, son “déplacement”(GAULEJAC,1991) vers le haut, elle vivait également la douleur liée à un “déplacement” vers le bas qui dejà s’annonçait :  la perte de son rôle de premier plan et la necessité d’être appuyée par un courant pour avoir une place dans l’executif de la CUT à Belo Horizonte.

La souffrance vécue au cours de ce deuxième type de déplacement est intimement liée à la souffrance d’avoir perdu ses bases et au sentiment de perte d’identité qui en résulte . Jusqu’au moment où elle quitte sa ville, elle est connue dans tout le pays comme “Cïda de Unaï”, le nom de la ville étant le symbole de la lutte qu’elle menait, des bases qu’elle possédait. En quittant sa ville elle ne se sent plus légitime, elle tombe dans un processus de manque de confiance et de détresse. Elle se sent abandonnée par ses bases. A Belo Horizonte elle est devenue “Cïda da CUT”.

A côté de ces conflits personnels, Cïda affrontait aussi une forte campagne de démoralisation de la part de ses adversaires politiques, y compris quelques uns qui appartenaient au mouvement de l’église. Ils l’accusaient d’avoir abandonné ses bases, d’avoir fait du syndicat un tremplin pour ses intérêts personnels, de’ s’être embourgeoisée.

Pour ceux là, le fait d’aller occuper un poste dans l’exécutif signifiait une ascension personnelle et sociale ; ils ne mentionnaient pas les menaces qui pesaient sur elle si elle restait à Unaï. Pourtant, dans certains cas, et dans certaines conditions, cette ascension peut se produire (nous y reviendrons plus loins), mais pour Cïda cela a représenté une chute car elle n’a pas trouvé de stratégies lui permettant de survivre dans les disputes de courant, d’affronter les accusations de ses adversaires.

Ici nous pensons à la résonance de ces accusations dans le sentiment de culpabilité vécu par Cïda, soit par rapport à la mort de son père, soit par rapport à l’abandon de ses base.

Il nous semble qu’il existe deux processus distincts mais nous estimons qu’ils sont de la même nature et qu’ils sont vécus par Cïda, dans sa subjectivité, simultanément ce qui la rend plus vulnérable aux attaques de l’extèrieur :

Le premier c’est la confrontation avec le vide de la mort de son père, refoulée jusqu’à ce moment, mais qui emerge quand elle se retrouve privée de la réference de la lutte à Unaï.

Le déuxième c’est l’utilisation d’une défense projective qui se traduit dans le sentiment d’avoir été abandonnée par ses bases, ce qui, dans un processus imaginaire, la rend orpheline. Donc,  à ce moment là, elle va mener ce double deuil , celui du père et celui des bases, et cela va engendrer une forte soufrance psychique :  

“J’étais sans identité.Tout le monde disait que je n’avais plus de base, tout le mond me questionnait, je n’avais pas d’amis, je ne savais pas ce que je faisais, ce que je devais faire, je ne valorisais guère mon travail, je n’avais plus d’enthousiasme ni de confiance en moi. J’avais peur de discuter et de dire des bêtises, j’estimais que je n’avais plus rien à dire, que je ne pouvais contribuer en quoi’que ce soit. Petit à petit mon action s’affaiblissait et je me sentais mourir. Il y avait aussi le fait que je devais être appuyée par un courant pour garder mon poste dans la CUT. Cela signifiait demander une faveur, être maintenue par une institution qui se defiait de mon parcours. Mais je n’avais pas d’autres moyens pour vivre, je n’avais pas de métier. Tout cela m’a causé une forte dépression et j’ai perdu la croyance aux actions collectives de la gauche. Je me sentais un déchet, sans référence, sans identité, sans enthousiasme et surtout profondément triste de ne pas arriver à trouver une place où mon histoire comptait, je ne  voulais pas figurer dans une dispute pour un poste, dans une lutte aveugle pour le pouvoir. Mais je ne me voyais pas d’autres perpectives, alors, je suis restée, enfoncée dans ce conflit mais sans arriver à m’en sortir”.

Je suis restée encore 2 ans dans la centrale, en dépit du sentiment de stagnation que je sentais. Au plan personnel je cherchais une façon de vivre plus agréable, j’avais des amis, je sortais me promener, je me sentais libre ; c’est à ce moment là je suis tombée enceinte.

La grossesse a été un processus d’aprentissage, de transition, de récupération d’une qualité de vie que j’avais perdue depuis long temps. A travers la grossesse j’ai découvert une autre dimension de la vie et surtout je me suis rapprochée de ma famille. L’espace politique, à son tour, se fermait de plus en plus pour moi. A côté d’un changement du rapport de forces dans la centrale où “l’articulation syndicale ”a perdu sa place de courant majoritaire, ma grossesse signifie, pour les gens de la centrale, que je me retire des luttes. Mon nom n’a pas été évoqué pour le mandat suivant ni au niveau de l’état ni au niveau national. Je ne l’ai pas demandé, on ne m’a pas désignée non plus. Cependant j’estime que la grossesse est venue à un bon moment, parce que je me sentais sans forces pour me soumettre à toutes les avalidations lors de chaque congrès, être continuellement questionnée sur ma légitimité, ne plus être respectée mais tolérée, parce qu’ils étaient responsables de ma survie. Alors, comme je n’avais pas été désignée pour l’exécutif lors du congrès suivant, j’ai pris mon congé de maternité et je m’en suis allée”.

Le Parti des Travailleurs

En fevrier 1992, à la fin de son congé de maternité, Cïda est invitée par un ami, lui aussi dirigeant syndical rural, à le remplacer au secretariat agricole du Parti des Travailleurs parce qu’ il allait participer à la direction de la CONTAG à Brasilia. Elle avait déjà des liens avec le PT, elle avait même disputé une élection de vice maire à Unaï pour donner une représentativité au parti à son commencement. Elle se sentait “petista” de cœur, aussi accepte-t-elle et elle s’engage dans le travail du parti. Comme les secrétariats étaient des postes élus aux congrès du parti, elle entre d’abord comme assesseur de secrétariat.

Au début, elle avait l’impression que le parti était plus avancé que la centrale dans la formulation de propositions plus concrètes. Elle a travaillé avec enthousiasme pendant la première année, elle a élaboré un projet de travail qui a reçu beaucoup d’éloges dans toutes les instances, mais au bout de quelques temps elle s’est rendu compte que : “la politique agricole du PT était presque une fiction. Il avait un discours bien articulé mais il n’ y avait pas de pratique nette du parti incorporant la question agricole.”

Le “désenchantement” revient, elle ne voit pas le sens de son appartenance mais elle reste quand même et au congrès suivant, elle est élue secrétaire agricole, appuyée par le courant “articulation”.

Ce congrès a été très agité, il y avait beaucoup de divergences entre les courants internes du parti mais en tant que courant majoritaire dans le parti, l’articulation a gardé les postes principaux de la direction et les secrétariats.

A ce moment là Cïda vif l’expérience que cette courant est en train de mener : la rupture avec la logique des tendances politiques dans le parti. En tant que majorité, l’articulation essayait de construire une nouvelle hégémonie visant au rassemblement des courants idéologiquement plus proches. Mais l’expérience n’a pas été suffisante et en  conséquence, l’articulation perd de l’influence, les divisions s’aproffondisent. Voilà son l’analyse :

“ Pour que cette tentative réussisse il aurait fallu construire une culture différente, pas simplement un décret. Comme cette nouvelle culture n’a pas été créée, les gens n’arrivaient pas à avancer, alors, on s’est rendu dans les discussions sans références. Nous n’avions plus de discours sur les sujets en débat, donc la question agricole est restée confuse. Et moi, encore une fois, j’étais prise dans les disputes internes, dans un parti fragmenté. Je me sentais à nouveau perdue, je n’avais pas encore une matrice théorique sur laquelle m’appuyer dans les discussions, je n’arrivais pas à marquer ma position”.

Dans le parti Cïda connaît encore des sentiments de frustration et d’angoisse car elle ne trouve pas d’espace où réaliser un travail qu’elle considère comme compatible avec son expérience et son histoire. Elle n’arrive pas non plus à se sentir légitime en tant qu’autorité exécutive du parti dans l’état de Minas mais devient quand même, “Cïda do PT”.

Alors que la structure du parti et les différences internes ne permettaient pas une action plus effective, Cïda a quand même essayé d’y implanter une nouvelle vision sur les questions agricoles ; elle a construit des projets innovateurs dans ce domaine et a collaboré d’une manière décisive à l’élaboration des plans de gouvernement du parti. Sans s’en rendre compte, elle a réussi à réaliser un travail reconnu et valorisé par tous, malgré son sentiment de frustration causé par les limites à son action. Nous estimons qu’en ce temps là, Cïda vivait, toujours sans s’en rendre compte, le passage d’une position exclusivement militante à une position plus professionnelle.   

Cette expérience dans le PT, associée à son histoire, la mène à occuper un poste à la mairie de Belo Horizonte, au poste de “chef de cabinet” du secrétariat à l’approvisionnement de la mairie administrée par le parti des travailleurs.

Ce poste de chef de cabinet est hargé des activités de gestion bureaucratique du secrétariat et de la gestion du  personnel (130 fonctionnaires).

“ J’ai des charges administratives, mais je ne les mènerais pas d’une façon si fructueuse si j’avais pas l’expérience que j’en ai, l’expérience de relations avec les gens, l’expérience politique, la vision du monde. Ainsi, j’arrive à faire le passage des charges administratives à la politique, aux conceptions politiques. Je sens que je mérite mon salaire, je travaille 8 heures par jour et encore plus s’il en est besoin. Evidemment je mélange un peu les choses, le travail et le militantisme, quelquefois je change même ces rôles. Mais ce que je trouve de vraiment important c’est le fait de n’être plus dependante d’une dispute pour le pouvoir pour survivre et arriver à réaliser un travail utile ;  je vois le résultat, sans avoir besoin d’être en vue. Ici je suis seulement Cïda.”

Remarques pour une analyse

Dans l’histoire de Cïda, telle que nous venons de la découvrir, il y a plusieurs aspects qui ont attiré notre attention et dont l’analyse nous semble fondamentale pour la compréhénsion du pouvoir en tant que phénomène psycho-social, inscrit dans l’ensemble des relations sociales. Comme nous n’avons pas pour le moment la prétention de faire cette analyse, nous nous limiterons à indiquer ces points qui seront repris dans um prochain travail.

En premier lieu se présente la question de genre. Le syndicalisme au Brésil est un monde tout à fait masculin. Quoiqu’ actuellement la participation des femmes au mouvement syndicale ait augmenté et que cette discussion sur leur participation prenne corps, il n’existe quand même pas un nombre significatif de femmes syndicalistes qui occupent des postes de direction executive ni même qui soient en évidence, dans n’importe quelle branche d’activité. D’après NEVES (1995) “ Tout un imaginaire politique et social a été construit, définissant l’espace politique comme essentiellement masculin. Pour les femmes, occuper des postes de direction, s’engager dans les jeux de négociations et d’alliances, diriger des assemblées, signifie, non seulement établir des pratiques dans ce sens mais aussi modifier tout un ensemble de symboles et de répresentations sur soi même14.

Cïda a été une des premières femmes à rompre cette barrière sexuelle et à occuper un rôle de premier rang dans le syndicalisme à Minas Gerais. Mais elle n’est pas arrivée à rompre cet imaginaire dominant, dans la mesure où elle aussi a été produite par lui et y était plongée. Comme elle nous l’a dit, elle ne se sentait pas une femme. Plutôt qu’un processus de négation de sa condition de femme,  nous parlerons d’une ambiguïté par rapport à ce rôle de femme au pouvoir. Pendant le récit nous pouvons percevoir quelques signes de cette ambiguïté, comme par exemple, la fait que d’un côté elle affirme ne pas se sentir une femme, avoir les cheveux courts, être sans vanité, etc, alors que de l’autre elle est allée au congrès de fondation de la CUT de mini jupe, soit, une affirmation de sa féminité.

Un autre aspect de cette question est la “fascination” de Cïda pour “la cause”, qui l’empêchait d’avoir aucune critique, aucune réflexion sur ce qu’elle vivait, sur ses actions et surtout sur sa condition féminine. Il est intéressant d’observer l’analyse qu’elle en fait maintenant :

“C’est l’autre point que je n’ai compris que quelques temps après avoir quitté Unaï et le mouvement. En tant que dirigeant syndical, je ne me pensais pas comme femme ayant une position de pouvoir, j’étais simplement un leader, la question de genre n’existait pas pour moi. Dans se sens j’ai eu une action politique que je n’ai pas menée en tant que femme. Ma participation politique ne pas poussé d’autres femmes au mouvement, n’a pas suscité la curiosité, le désir de participer aussi . Mais je crois que ce n’est pas le fait qu’une femme occupe un espace de pouvoir qui va changer la faible participation des femmes à la vie politique. Il faudrait d’abord rompre avec nos propres conditionnements. Moi-même, je n’ai jamais eu la conscience que mon insertion était une insertion féminine. Les femmes allaient aux réunions dans les communautés, mais ne sortaient pas de la cuisine ; moi, j’allais à la cuisine, je disais bon soir et c’était tout, je ne les invitais pas a venir dans la salle, cela n’existait pas dans ma tête. C’était comme une situation naturelle ; je ne me suis pas posé ces questions quand j’étais militante”.

Cïda nous dévoile un autre aspect tout aussi important pour comprendre la complexité de ces rapports femmes/pouvoir dans cet imaginaire dominant dont nous parle Neves (op.citée) :

“Il y a encore un autre élément dont je me suis aperçue ; c’est la ménace qu’une femme active réprésente pour d’autres femmes qui sont dans leur rôle traditionel de “femme au foyer”et qui ne sont pas arrivées à s’en sortir. Elles se sentent jalouses, infériorisées, elles ont peur de perdre leurs hommes, attirés par l’autre qui est plus intéressante et ne se sentent pas encouragées à sortir de cette position domestique”.

A notre avis, à ce sentiment de moindre valeur éprouvé par les femmes (ici nous nous référons surtout à celles du milieu ruraux, mais nous observons dans notre recherche ces mêmes remarques dans le milieu urbain) qui d’une certaine façon les paralyse dans leur participation politique, s’ajoute les elements objectifs de la surcharge que représente le travail hors de la maison, le travail domestique et l’éducation des enfants qui, paradoxalement, renforcent ce sentiment d’inferiorité mais aussi les empêchent de se battre contre toute une representation historique du rôle des sexes.

Ici on songe à PERROT(1988) : “Les femmes sont différentes. Elles s’affirment par d’autres paroles, d’autres gestes (...) Elles tracent un chemin qu’il faut rencontrer. Une histoire autre, une autre histoire.”

Notre deuxième remarque porte sur la dimension affective du pouvoir, suivant la voie que nous ouvre FREUD (1971) et que nous reprenons chez ENRIQUEZ (1997, 1983)et chez ANSART(1983). Il s’agit des mécanismes d’identification en cours dans les processus de pouvoir, des jeux des projections et d’introjections qui en font partie, d’intériorisation des normes, des rapports des sujets avec la loi et les institutions. C’est dans ce caractère affectif du pouvoir que nous retrouvons toute la complexité des rapports sociaux où interviennent à la fois les éléments objectifs, les éléments subjectifs et le flux des liens libidinaux . Ainsi l’intensité des sentiments, des émotions, des passions liés au pouvoir, liés à l’insertion dynamique des sujets dans le contexte social en sont l’exemple.

Dans l’histoire de Cïda quelques éléments nous donnent bien la dimension de cette “affectivité politique”(ANSART, 1983) : d’abord l’importance des processus identificatoires vécus dans sa constitution en tant que “sujet politique” ; ensuite le phénomène d’intériorisation d’un “projet parental”(GAULEJAC, 1991 ; 1983) qui est également un projet générationnel : la lutte pour la terre et enfin l’intensité des sentiments qu’elle éprouve par rapport à l’acomplissement de ce projet, le caractère de passion qui atravesse toutes ses actions, y compris les rapports institutionnels et encore les conflits qu’elle a vécu comme “déplacement”vers le haut et également vers le bas.

La troisième remarque porte sur le caractère mortifère du pouvoir. Chez ENRIQUEZ (1997) nous trouvons les éléments qui dévoilent ces aspects destructifs liés à la pulsion de mort, à la quête de la maîtrise totale, à la violence et qui rendent aussi visibles en tant que liés à ce caractère mortifère, les processus de fascination et de séduction, maintes fois liés à l’amour. Ce sont des mécanismes qui visent à enfermer les gens soit dans un ‘amour’ total et donc dans une soumission enthousiaste, sans aucune critique envers l’objet aimé, soit dans l’illusion de la construction d’un monde beau, d’une société harmonieuse, sans angoisses, dans l’illusion du bonheur de tous.

La présence de ces mécanismes mortels dans le récit de Cïda est aisément constatable, soit au le plan direct des actions destructives des propriétaires terriens, de l’assassinat de son père, des tentatives de meurtre sur sa personne, (et ici on trouve aussi la ‘violence de l’état’), soit au plan plus subtil où ses “camarades”, tentent la détruire en tant que femme au pouvoir. Le phénomène de séduction avec ses corollaires les rituels, la théâtralisation, le jeu des apparences, les discours, l’illusion, est nettement perçu dans tout le parcours de Cïda, aussi bien que le processus de fascination qu’elle a vécu au début de sa carrière à l’intérieur du pouvoir, l’enthousiasme extatique qu’elle portait à “la cause” que nous semble-t-il l’a mis hors d’elle même pendant un certain temps.

Finalement nous abordons la question de la légitimité du pouvoir, et c’est WEBER (1963) qui nous ouvre la voie : d’après lui, tous les pouvoirs cherchent à éveiller la foi en leur légitimité et en ce sens trois types de légitimité se présentent : rationnelle, traditionnelle et charismatique.

La légitimité rationnelle s’appuie sur la croyance en un système de régles établies rationnellement et en la légitimité des chefs désignés conformément à ce système impersonnel de lois.

La légitimité traditionnelle s’appuie sur les traditions, d’où vient la foi dans les chefs qui sont appelés au pouvoir en vertu d’une coutume (primogéniture, héritage, ...).

Enfin la légitimité chrismatique qui réside dans la valeur personnelle d’un homme, dans ses ‘qualités extraordinaires’ qui justifient une entière soumission à son égard.

Ici nous nous rapporterons aux types rationnel et charismatique qui, pour nous, aident à mieux appréhender la dynamique des dirigeants syndicaux.

Dans la mesure où les dirigeants syndicaux se placent dans leurs fonctions de direction nous pouvons dire qu’ils se bénéficient d’une une double légitimité : la légitimation rationnelle car ils ont été élus dans un processus formel conforme au status syndical, et la légitimation charismatique, qui se traduit par la croyance des bases en sa personne, ses propositions, et qui a rendu son élection possible.

Donc les dirigeants syndicaux sont élus par l’ensemble des travailleurs syndiqués de leur catégorie professionnelle, d’après un processus rationnellement défini, mais où leur caractère charismatique joue un rôle fondamental en ce qui concerne leurs rapports avec la masse de travailleurs qui les élisent.

Dans la mesure où ils quittent leurs syndicats pour aller occuper des postes dans l’exécutif de la centrale ou du parti, ils ne sont plus élus par ces bases, ils sont désignés dans un jeu de rapport de forces entre les courants politiques, et, par la suite leur désignation es confirmée dans les congrès par une assemblée de représentants syndicaux composée dans sa majeure partie par les dirigeants syndicaux, pas par les travailleurs.

A  ce moment là, commence le processus de leur éloignement par rapport aux bases et la perte qu’en résulte de cette légitimation charismatique. A partir de là, le maintien de leur position et leur possible ascension va dépendre plutôt des enjeux politiques et des rapports de force entre les courants que d’un appui des bases.

A notre avis c’est là, dans cette passage d’une situation de représentant de classe à une situation de représentant d’une position politique (quoique ils continuent à se dire représentants de classe) que la lutte de tous contre tous trouve sa place principale.

Dans l’histoire de Cïda, nous pouvons tout particulièrement remarquer ce passage et surtout le fait qu’elle n’a pas réussi à elaborer la perde de sa base et à se sentir quand même légitime. “Ce jeu du pouvoir pour le pouvoir je n’ai pas su le jouer, je ne veux même pas le jouer. Cela me rend nulle”.

Pour terminer il faut remarquer que, dans ce parcours politique de Cïda, ce passage du syndicat à la centrale et au parti, nous ne pouvons pas le penser en tant qu’ascention au pouvoir. Il ne s’agit là que d’une fausse évidence.

1 Il s’agit d’un procédé utilisé fréquemment au Brésil dans le milieu rural : celui qui possède la terre permet que quelqu’un d’autre la cultive en recevant une partie de la production , définie par le propriétaire. Un autre procédé est celui où les gens ne possèdent pas la terre mais y vivent depuis de nombreuses années et des générations s’y sont succédées, si bien qu’ils finissent par être considérés comme ayant la possession de la terre et sont appelés des “posseiros”.

2  Modalité de travail expliqué au dessus

3  “modernisation douloureuse”. Ce processus est accompagné d’une forte violence de la part des propriétaires de terre aidés par  l’Etat qui expulsent les agriculteurs, et prennent les terres des petits propriétaires. D’ailleurs aujourd’hui il y a encore de la violence dans le monde agricole au Brésil.

4  Il s’agit d’un programme d’alphabétisation d’adultes implanté par le gouvernement militaire.

5  Une ville moyenne au nord de l’état de Minas Gerais où existait un importante travail mené par l’église progressiste de résistance à l’exploitation et à la violence des grands propriétaires terriens.

6  La ville où le syndicat est créé - se situe à nord-est à Minas Gerais.

7  La capital du Brésil.

8  Il s’agit des hommes de main contractés par les propriétaires terriers pour expulser les paysans, pour les battre, pour les tuer, pour détruire leurs avoirs.

9  Engagé à la CUT

10  Balandier, G. Le pouvoir sur scènes , Paris, Balland, 1980.

11  Ceux qui sont liés à l’église. Il s’agit d’une façon péjorative de parler.

12  L’adjectif utilisé pour désigné des syndicalistes qui sont liés aux intérêts patronaux, qui n’ont pas une posture combative dans le mouvement - ils sont aussi appelés  syndicalistes jaunes.

13  Les postes de direction ne sont pas rémunérés, mais ceux de l’exécutif, étant donné leur caractère de dévouement exclusif, le sont. Les postes de président, de secrétaire générale, de comptable font partie naturelle de l’exécutif. Les autres membres sont choisis après tractations politiques entre les diverses tendances qui font partie de la direction, en vertu du critère de proportionnalité. Normalement l’exécutif est composé de 8 membres.

14  NEVES, Magda de Almeida Trabalho e Cidadania- as trabalhadoras de Contagem, Petropolis, Vozes, 1995, pg.251.

ANSART, P. (1983) “La Gestion des Passions Politiques“, Lausanne, L’age d’homme.     

BALANDIER, G. (1980) “Le pouvoir sur scènes“, Balland, Paris, 1980.

BRAUD, P.(1996) “L’émotion en politique“, Presses de sciences PO, Paris.

ENRIQUEZ, E. (1997a)  “Les jeux du pouvoir et du désir dans l’entreprise“, Ddesclée de       Brouwer, Paris.

ENRIQUEZ, E. (1997b) “ Institutions, pouvoirs et méconnaissance“ in Champ Psychosomatique, 9.

ENRIQUEZ, E. (1983) “De la Horde à L’Etat, essai de psychanalyse du lien social “, Gallimard, Paris.

FREUD, S. (1971) “Malaise dans la civilisation“, PUF, Paris.

GAULEJAC, V. (1991)“La Névrose de Classe“, Hommes et Groupes Editeurs, Paris.

GAULEJAC, V. (1983)“L’héritage“, in Connexions, n° 41, Paris, 1983.

NEVES, M. A. (1995)“Trabalho e Cidadania As trabalhadoras de Contagem“, Vozes,

Petrópolis.

 PAIVA, J.M. (1987)“Comunidades Eclesiais de Base“, in POMPERMAYER, M.J. Movimentos Sociais em Minas Gerais emergência e perspectivas, PROED,BH.

PERROT, Michelle (1988) As mulheres, o poder e a história in Os excluidos da história. São Paulo, Paz e Terra.

RODRIGUES, I. J. (1993) “Trabalhadores, sindicalismo e democracia : a trajetoria da CUT“, USP, São Paulo.

 SADER, E. (1998)“Quando Novos Personagens Entraram em Cena experiências e lutas dos trabalhadores da grande São Paulo 1970-1980 “, Paze Terra, São Paulo.

 SGRECIA, A. ; GADELHA, E.G. (1997) “Movimento Rural, 1970-85 “ in POMPERMAYER, M.J. Movimentos Sociais em Minas Gerais emergência e Perspectivas,  PROED, Belo Horizonte.

WEBER, M. (1963) “ Le savant et le politique“, Paris, Union Général  d’Editions.

Continuer la lecture avec l'article suivant du numéro

Les enfants pauvres et la consommation (L’emploi d’une méthodologie participative)

Salomón Magendzo, Miguel Bahamondes

Dans une recherche développée au 2002 par les auteurs de cet article, on a observé, par le moyen d’une méthode non participative, la conduite et les rituels des enfants pauvres entre neuf à onze ans dans un centre commercial. L’étude actuelle complète celui de l’année 2002, en conservant les caractéristiques socioéconomiques et d’âge des enfants, mais, en utilisant, cette fois-ci, une méthodologie participative, à savoir, des dessins et des histoires en rapport avec des visites au centre commercial, et aussi,...

Lire la suite

Du même auteur

Tous les articles

Aucune autre publication à afficher.