N°12 / Discours et propagande Janvier 2008

Débat : immigration, culture et politique

Benjamin Matalon, Olivier Vaubourg

Résumé

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Le premier des textes présentés ici, de Benjamin Matalon, a paru dans un bulletin militant. Olivier Vaubourg y a réagi. Le dialogue se poursuit ici.

Quelques remarques pessimistes sur l’intégration des immigres

Des contacts entre cultures différentes se sont probablement toujours produits, même si on a souvent la mémoire mythique d’une époque révolue ou on pouvait vivre « entre soi ». Quelques uns de ces contacts se sont bien passés, mais souvent ils ont été à l’origine de conflits plus ou moins violents, de discriminations, de persécutions. Les causes en sont multiples : sociologiques, psychologiques, économiques, et d’autres encore, souvent plusieurs à la fois. La religion, les coutumes, la « culture », pour prendre un terme très général, jouent évidemment leur rôle.

En caricaturant à peine, nous avons en France, d’une part une majorité de Français dits « de souche » qui se considèrent comme la population normale, légitime, du pays et qui imaginent une France d’autrefois parfaitement homogène, et d’autre part des immigrés plus ou moins récents de diverses provenances, ayant conservé plus ou moins de traits de leur culture d’origine. La politique de principe à leur égard a toujours été l’intégration : on demande aux nouveaux arrivants, et plus encore à leurs enfants, d’adopter la culture et les usages français, de se fondre dans la population française. La réussite de cette politique a été très inégale, il semblerait qu’elle fonctionne de moins en moins bien.

Avec le recul du temps, on peut estimer que les immigrés arrivés approximativement avant 1960 se sont bien intégrés, quoi qu’on ait pu affirmer à l’époque, et même si certains ont conservé une forte cohésion, ce qui montre qu’une fusion totale n’est pas indispensable. N’idéalisation toutefois pas le passé. Les immigrants n’ont pas en général été particulièrement bien accueillis. Le slogan « La France aux Français ! » a toujours eu beaucoup d’écho, et on dénonçait volontiers les « métèques ». Néanmoins, plusieurs facteurs ont facilité leur intégration. J’en mentionnerai trois, qui se trouvent ne plus agir.

Premièrement, l’attitude des immigrés eux-mêmes. Même si la plupart d’entre eux venaient pour des raisons économiques, ils avaient souvent une image très favorable de la France et estimaient que sa culture méritait qu’ils se l’approprient. Il ne semble que ce soit moins le cas des immigrés plus récents.

Deuxièmement, deux organisations, outre l’école et peut-être l’armée, ont œuvré, probablement sans le vouloir clairement, à leur intégration : l’Église catholique et le Parti Communiste. En prenant en main les nouveaux arrivants, en les encadrant, ils ont évité l’anomie qui menace les déracinés et les ont fait participer à la vie française aux côtés de Français de souche. Ils n’ont pas été remplacés.

Troisièmement, l’emploi, qui permettait l’intégration dans une communauté de travail assez stable. Le chômage, la généralisation du travail précaire ont détruit ce type de communauté.

Lorsque cette intégration ne se fait pas, ou est lente, la cohabitation de plusieurs cultures différentes pose des problèmes aussi bien à la majorité qu’aux minorités.

Les membres de la majorité estiment en général que c’est aux autres à s’adapter : eux ont la légitimité, ils n’ont rien à changer de leurs usages. Ils peuvent différer quant aux exigences à poser aux minorités, mais n’envisagent pas qu’eux-mêmes puissent évoluer à leur contact. Ce sont les autres qui posent des problèmes, et ceux-ci peuvent être nombreux et inquiétants.

Constater que les minorités ont d’autres croyances, d’autres normes et d’autres modes de vie peut être très inquiétant et déstabilisant. Si on peut vivre autrement, cela veut dire que mes propres croyances, mes normes et mon mode de vie ne vont pas de soi, qu’on peut en envisager d’autres, que les efforts qu’il m’arrive de faire pour me conformer sont peut-être inutiles. Donc ce que je suis n’est ni évident, ni certain, ni fixé une fois pour toutes. C’est donc une menace pour mon identité. Une manière de retrouver mes certitudes pourra être alors de dénigrer l’autre : il est différent, certes, mais c’est parce qu’il est ignorant, arriéré, sauvage ou barbare. Ma manière de vivre est meilleure, plus évoluée. L’autre est inférieur, il ne peut donc pas perturber mon identité, il ne me menace que comme la barbarie peut menacer la civilisation. Il faut que je me défende contre lui, pas que je l’imite ou l’envie.

La menace peut être plus précise, plus personnelle : Mes enfants ne risquent-ils pas d’être influencés par eux, voire d’épouser un ou une de ces autres ? Si ça arrive, mes petits-enfants ne me ressembleront peut-être pas, je ne me perpétuerai donc pas en eux. Il faut absolument mettre des barrières, éviter des contacts au cours desquels mon identité, notre identité de Français, risquerait de se dissoudre.

Parmi les obstacles à la coexistence de groupes différents, il n’y a pas seulement les différences évidentes comme la religion ou l’attitude à l’égard des femmes. Des différences qui se manifestent lors des interactions quotidiennes, comme les règles de savoir-vivre et de politesse, ou les rythmes de vie, peuvent jouer un rôle capital dans des conflits et donner l’impression de se trouver devant des étrangers inassimilables.

Les mêmes problèmes se posent aux membres des minorités. Eux aussi sont confrontés, sans pouvoir l’ignorer, à une autre culture, qu’ils ne comprennent souvent pas. Des usages qui pour eux vont de soi sont regardés avec étonnement, voire avec hostilité par les autochtones, quand ils ne sont pas interdits, comme l’excision ou les crimes d’honneur, que pourtant ils pratiquent depuis toujours. Ils se sentent rejetés, malgré les appels à l’intégration. L’environnement leur envoie ainsi des signes contradictoires : on ne veut pas de vous / devenez comme nous.

La mixité sociale, tellement prônée mais rarement réalisée, est supposée faciliter les contacts et donc la connaissance réciproque, facilitant ainsi l’intégration. Malgré les bonnes intentions, elle peut être ressentie comme une menace et, des deux côtés d’ailleurs, plus comme une promiscuité imposée que comme une source d’échanges enrichissants. Surtout, ne croyons pas que la culture occidentale soit tellement belle qu’on a nécessairement envie de l’adopter dès qu’on la connaît. Les terroristes qui ont commis des attentats ces dernières années la connaissaient, et la haïssaient. Néanmoins, les associations qui s’efforcent de regrouper des Français et des immigrés de diverses origines, ou des adeptes de différentes religions peuvent faire, et effectivement font, un travail utile.

Les nouveaux arrivants préfèrent en général vivre près de ceux qui parlent leur langue, de commerces où ils trouveront leur nourriture habituelle, de lieux de culte où pratiquer leur religion, et où ils ne seront pas regardés avec curiosité ou méfiance. A l’école, leurs enfants reçoivent un enseignement parfois contraire à leurs croyances ou à leurs valeurs, qui confirme leur conviction d’être dans un environnement hostile. Ils peuvent craindre que la réussite scolaire ou professionnelle de leurs enfants, bien que souhaitée, ne les éloigne d’eux, de leur religion, de leurs coutumes et de leur morale, et qu’en s’intégrant, en s’assimilant, ils leur deviennent étrangers. A la limite, les discriminations dont ils sont victimes les désespèrent, mais aussi les rassurent, en mettant des obstacles à cette dispersion redoutée et donc en renforçant les liens intra-communautaires. Cette constante ambivalence peut rendre leurs comportements contradictoires et incompréhensibles pour la majorité. 

Alors, que faire ? Des deux côtés, les exhortations verbales à l’intégration ne peuvent toucher que peu de personnes et ne susciter que des adhésions superficielles. Lutter contre toutes les discriminations, bien sûr. Ce n’est ni suffisant ni facile, mais au moins le problème est-il à peu près bien cerné. Ne pas crier au communautarisme lorsqu’un groupe cherche à maintenir son existence, sa culture. Suffisamment d’études ont montré que ce n’est pas en se coupant de son origine qu’on s’intègre : on se trouve plutôt en situation d’anomie, de pertes de repères.

Reste à résoudre un problème central : quelles sont les différences qui sont compatibles avec la vie ensemble ? Peut-être une solution viendra-t-elle de ceux qui sont capables d’appartenir aux deux cultures, de s’intégrer sans couper les liens avec leur communauté d’origine. Il y en a, bien que souvent vus avec méfiance des deux côtés.

Ces problèmes ne se résoudront que par des tâtonnements, par essais et erreurs. Certaines actions ne toucheront que peu de monde, mais ne sont pas négligeables. On ne résoudra pas tous ces problèmes d’un coup, par une solution-miracle, ne méprisons pas et mettons en œuvre, lorsqu’on en a l’idée, des actions aux conséquences limitées et partielles. Ca prendra du temps, peut-être trop pour éviter une explosion. Mais « il n’y a pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » (je ne sais pas qui a dit ça, mais il avait raison, au moins quand l’optimisme manque). Les enjeux sont suffisamment importants.

Benjamin Matalon

Culture vs. politique

J’aimerais réagir à l’article stimulant de Benjamin Matalon: « Quelques remarques pessimistes sur l’intégration des immigrés ». En accord avec quelques uns de ces arguments, je souhaiterai toutefois discuter de la nature même de son approche en m’excusant par avance du fait que j’ai nécessairement dû en grossir les traits.

Il faut effectivement souligner la tension paradoxale qui existe dans les représentations sociales de l’immigration. Dans un premier temps sommé de « s’intégrer », nombre de discours du sens commun, politiques ou institutionnels, rappellent aux immigrés qu’ils seront toujours très loin de cette intégration : « vous ne faites pas assez d’efforts pour vous intégrer, mais c’est en réalité normal car au fond vous êtes irréductiblement différents ». Ces discours sont effectivement puissants et participent malheureusement de la construction des identités et de la représentation sociale du rapport à « l’autre ». Cependant opter pour une approche culturaliste, si elle permet d’appréhender les discours sur les cultures, me semble en revanche surestimer l’homogénéité des dites « cultures » du pays d’origine et du pays d’arrivée.       Pour au final offrir, d’une part, une vue aveugle à la dimension proprement politique de la question et, d’autre part, une vue anthropologique bien plus pessimiste que les faits ne nous permettent de l’être. Mais voyons cela en quelques points.

« Culture » et « intégration » : deux faces de la même pièce de fausse monnaie

En terme d’immigration, il faut se poser la question suivante : de quelle population parle-t-on ? En effet, le risque est toujours très grand de trop homogénéiser et de trop généraliser quelques traits culturels par ailleurs très difficiles à définir. Un exemple, quelle similarité culturelle entre les deux français suivants : Monique, chômeuse de chez Danone, 50 ans, vivant dans un petit village du Pas-de-Calais, mère de deux enfants, ne votant plus PS, issue de parents ouvriers communistes, exerçant des petits boulots au noir pour s’en sortir, et Frank consultant parisien célibataire de 30 ans votant UMP, diplômé d’une Grande École, issu d’une famille de banquiers allemands, passionné d’œnologie ?.. Spyons vigilents ! les cultures sont des animaux mythiques. Tout le monde sait ce qu’ils sont, certains prétendent même en avoir vus, mais au final personne ne peut en donner une définition précise et efficace1.

La diversité est au cœur même de la culture, elle en est même le principe vivant2. Mais notre propos n’est évidemment pas de balayer d’un revers de la main l’idée de culture associée à tel ou tel groupe d’individus. Je suis bien évidemment conscient de l’histoire et de la sédimentation des mœurs et des coutumes. Il s’agit de pointer du doigt l’engrenage logique dans lequel nous entraîne l’approche culturaliste. Parler des rapports entre immigrés et nationaux en terme de « cultures » pose d’emblée l’existence de blocs qu’on suppose homogènes et distincts dotés d’une essence propre, avec entre les deux comme tête de pont improbable « l’intégration ». De là, les processus sociaux produits par l’immigration sont lus comme le choc de ces essences et « l’intégration » en est a posteriori l’indice de compatibilité. Si l’intégration ne se passe pas alors on en déduit l’incompatibilité. Mais quelle est la réalité de cette « intégration » ? Parle-t-on d'un rapport de valeurs, domaine ontologiquement polémique ? Et si certains immigrés expriment des propos « anti-français » comment doit-on considérer les valeurs antidémocratiques et antirépublicaines de Jean Marie Le Pen arrivé au second tour de la dernière élection présidentielle. Le lepénisme est-il compatible avec la France ? Les lepénistes sont-ils intégrés ? Pourquoi ne font-ils pas plus d’efforts pour comprendre les biens faits de la gestion démocratique et libérale de notre nation ? Quand on parle de « compatibilité », de la compatibilité de qui avec qui parle-t-on ? Un athée libre penseur et un catholique extrémiste sont-ils « compatibles » ? Mon voisin et moi sommes-nous réellement compatibles ? Où parle-t-on des conditions de vie ? Car là est bel et bien le problème majeur de l’approche culturaliste, elle met de côté les contextes historiques des immigrations, à savoir les conditions de migrations, les caractéristiques des systèmes juridiques, le traitement politique de la question et, sûrement le plus important, les conditions économiques des immigrés. Et s’il y a problèmes, et problèmes il y a, ce sont ces aspects en tant que leviers dont doit se saisir le traitement politique de l’immigration. L’approche culturaliste est tendanciellement apolitique. Face à l'essence mythique et indéterminée de la culture, la politique ne peut rien. Elle ne peut rien non plus contre des tendances anthropologiques déterminant les degrés de compatibilité. Et de cette incapacité ne peut qu'émerger inquiétude et pessimisme.. Juste une remarque illustrative à ce propos pour conclure ce point et ne pas être trop long : le fait de vivre une fois en France au sein de sa communauté d’origine n’est pas seulement le fruit d’une attirance identitaire et anthropologique du même pour le même, c’est aussi et surtout opter pour une situation susceptible d’offrir plus de soutiens sociales et économiques toujours les bienvenus quand il faut recommencer sa vie de zéro…

Incompatibilité culturelle à travers les âges

Par son côté essentialiste, l’approche culturaliste anthropologise le problème et en fait également un processus atemporel. Nous ne savons pas grand chose des rencontres entre tribus des premiers âges de la vie de l’humanité. Et, malheureusement, on ne peut se fier aux aventures de Rahan-le-bien-pensant à ce sujet. Mais rien ne nous dit que les hostilités, que l’on imagine engendrée par la peur de l’inconnu et la différence, évoquées par Benjamin, ne peuvent laisser place à la curiosité et aux complémentarités. Ce que nous savons par contre c’est que l’histoire des civilisations est également faite et pour de larges parts d’échange et de flux migratoires.

Les immigrés récents ont-ils une moins grande opinion de la France et de sa culture ?

A dire vrai, j’en doute. Il n’y a qu’à écouter les reproches que des immigrés font à l’égard des politiques françaises en matière d’immigration et de droit de l’homme pour comprendre qu’ils se font en général une haute opinion de l’idéal politique républicain. Ils se sont appropriés ses valeurs et c’est au nom même de cet idéal qu’ils en viennent à critiquer la France. Il est d’ailleurs à noter qu’on retrouvera également le même type de rapport entre l’idéal promu et la réalité décevante dans un bon nombre de paroles de chansons de rap3.

Le rapport à la France, à ses valeurs et à sa « culture », ne relève dès lors pas tant du degré de compatibilité des dites « cultures » mais du contexte politique. Dans ce cas, peu importe  la « culture » d’origine, c’est l’orientation idéologique qui l’emporte. Et cela me rappelle Ernest Renan pour qui la nation se définissait, non sur des origines géographiques et/ou culturelles des individus mais à partir de leur acte volontaire d’appartenance… (Notons au passage l'ironie anthropologique de cette définition, cet acte volontaire est d’autant plus efficace qu’il mobilise la croyance en une « culture » commune, qui bien que mythique joue le rôle d’élément catalyseur et de référence).

Encourager la multi-appartenance !

Oui. Mille et une fois oui. Le grand psychologue Jean Piaget  affirmait que la liberté était directement proportionnelle au nombre de groupes sociaux différents auxquels appartenaient les individus. Relativiser les valeurs et les normes d’un groupe par celles d’un autre, et ainsi de suite, permet de prendre de la distance avec l’apparente naturalité des pratiques et des représentations de son groupe d’origine, et ainsi d’être mieux à même de les appréhender, de les critiques et de les apprécier.

Les réticences à cette multi-appartenance s’observent effectivement ici et là à l’occasion par exemple des mariages mixtes. De Roméo Montaigu et Juliette Capulet, l’histoire de l’humanité est traversée par ces histoires poignantes d’amours interdits. Néanmoins, aux vues des données récentes publiées par l’INSEE concernant les mariages mixtes on se doit de remettre en question les impressions pessimistes que nous pourrions avoir ou entendre sur ce sujet. Les couples mixtes, à savoir un couple formé d’une personne immigrée et d’une personne non immigrée, constituent près de 53 % des mariages comprenant au moins un immigré, contre près de 43% de couples d’immigrés de la même origine. On observe donc que plus de la moitié des immigrés mariés se marient à un français. De plus, les mariages mixtes augmentent depuis 1997 et représentaient en 2005 un mariage sur cinq ( réf. INSEE, Les immigrés en France - Édition 2005). Ils sembleraient que les différences au moins sur ce point se montrent  plutôt « compatibles »… De quoi, sans nier tous les importants problèmes liés à l’immigration, nourrir quelque optimisme.

Olivier Vaubourg

Réponse de B. Matalon

 Je ne peux que partager la position d’Olivier Vaubourg critiquant une conception réifiante de la culture. Mais il faut prendre garde à ne pas pousser l’argument trop loin. À la limite on devrait s’interdire tout énoncé au pluriel…. J’ai voulu seulement montrer que certains traits culturels peuvent constituer des obstacles à l’intégration, voire à la simple coexistence, mais pas que ces obstacles existent partout et pour tous. Ils ne proviennent d’ailleurs pas, dans mon esprit, uniquement de la culture des immigrés. Celle, ou plutôt celles, du pays d’accueil jouent le même rôle, la bonne conscience en plus.

En ce qui concerne les immigrés, il me semble difficile de nier que des personnes de même origine partagent un nombre important de traits, et qu’ils peuvent tenir à en conserver certains,  la religion en particulier, avec tout ce que cela peut impliquer quand le distinction, si importante pour nous, entre le public et le privé, n’existe pas. Certes, le désir d’intégration peut exister et constituer une motivation forte, quoique inégalement présente.. Mais sa réalisation se heurte à deux obstacles : d’une part le rejet par une partie de Français, les discriminations diverses dont ils peuvent être victimes, et d’autre part la volonté de certains membres du groupe d’origine de le maintenir à tout prix. Certains surmontent ces obstacles, d’autres renoncent et souvent maximisent leur différence, d’autres encore .sont tiraillés entre des aspirations contradictoires. Mais nous connaissons tous des immigrés (il n’y a même pas besoin de se limiter à la deuxième génération) qui réussissent à appartenir à plusieurs cultures sans éprouver trop de tensions, à s’intégrer sans rompre avec leur origine. Mais ils courent le risque d’être rejetés par les plus intégristes des deux groupes.

Benjamin Matalon

Réponse

Ne nous trompons pas, la mise en garde contre les dangers inhérents aux généralisations abusives des traits culturels n’a pas pour but de nier ni l’homogénéité de certaines pratiques et représentations ni, conséquemment, l’hétérogénéité des groupes entre eux.

L’idée n’est pas tant de mettre en garde contre les risques de réifications des traits culturels que de pointer les problèmes, à mon sens importants, relatifs à l’emploi d’une approche « culturaliste » de l’immigration et des immigrants. Les difficultés quant à la mise en définition d'univers culturels compte tenu de leur hétérogénéité ne doivent évidemment pas interdire de prendre en considération la réalité des traits culturels de tel ou tel groupe social. Cependant, les traits culturels ne devraient pas être la donnée première mais seconde de l'analyse des situations d'immigration. Pensons-y, placer la culture avant la politique c'est partir battu d'avance, à la manière de ces années où l'économie placer au-dessus de tout  justifiait – par les croyances en sa nature tout aussi transcendante qu'immanente – l'incapacité du politique à intervenir efficacement sur le destin du monde. De la culture à la nature humaine la frontière est toujours très fine et le politique ne peut rien contre des forces anthropologiques trop vites érigées en loi.

A contrario placer la politique avant la culture c'est ne pas prêter le flanc aux généralisations abusives si néfastes aux discussions sur ce sujet, et c'est, surtout, préférer le concept de « socialisation » à celui d' « intégration », remplaçant ainsi une vue surplombante tendanciellement essentialiste par l'analyse des situations concrètes d'immigrations ; des situations composées de trajectoires, de pratiques, d'attentes, d'ajustements, etc.  autant de paramètres utiles et pragmatiquement utilisables par les politiques.

Enfin, quittant le théorique pour l'historique, je soulignerai que juger l'incompatibilité d'une intégration revient à se tirer une balle dans le pied car cela revient à qualifier l'autre comme irrémédiablement « différent ». Et de « différent » au « différend », il n'y a qu'un pas. Le passé est en effet traversé d'histoires où ces stigmates discriminants se sont vus réappropriés comme éléments constitutifs de l'identité des discriminés et je ne suis pas certain que les conflits des identités qui en découlent servent l'idéal républicain.

Olivier Vaubourg

1 On notera en guise d’illustration qu’il existe plus de 256 définitions du mot « culture ». On peut également penser à feu les concepts de « cultures ouvrières et bourgeoises ».

2  Et en ce sens, remarquons que le PS est sur ce point assez représentatif de la population française…

3 Ce qui n’est pas sans rappeler des paroles de chanson de rock « alternatif » des années quatre-vingt.

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