N°13 / Le charisme du chef Juillet 2008

La figure du chef charismatique à l’intérieur du monde du travail et, plus spécifiquement encore, dans celui des entreprises privées

Éric Roussel

Résumé

Cette communication vise à appréhender la figure du chef charismatique à l’intérieur du monde du travail et, plus spécifiquement encore, dans celui des entreprises privées. Les modes et méthodes managériales évoluent, avec elles se métamorphosent les figures du pouvoir. Pourtant, on commettrait probablement une erreur à considérer que ces figures détiennent, sur un mode essentialiste, des propriétés spécifiques. En fait, si une autorité parvient à s’exercer à travers elles, c’est aussi parce que quelques conditions sont réunies qui en facilitent la mise en œuvre et l’accomplissement. Cette communication cherche à en dresser la liste. Par là, elle tente de comprendre à quoi l’on peut attribuer le succès d’une figure chez qui l’intuition, la sensibilité, le tact… et le charisme ont pris le pas sur une autorité décrétée et déléguée.

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Plan de l'article

Introduction

Prendre pour objet la figure du chef charismatique revient à se pencher sur une manifestation particulière de la mise en scène du pouvoir. Le théâtre de cette manifestation nous le planterons dans le monde du travail, à l’intérieur des grandes entreprises privées. Dans ces lieux, l’expression du pouvoir peut revêtir plusieurs formes, c’est sur l’une d’entre elles que nous nous arrêterons, le porteur de charisme. Il ne s’agira donc pas pour nous d’escompter embrasser toutes les formes possibles de l’expression du pouvoir, mais bien plutôt de circonscrire celles-ci à un lieu, et, à l’intérieur de ce lieu, de focaliser notre attention sur un des visages à travers lequel s’accomplit l’exercice de l’autorité. Ce visage porte des noms variés. Tantôt on parlera de lui en terme de coach ou de leader, tantôt c’est au titre de manager qu’il répondra. Dans le monde de l’entreprise, ces termes ne sont pas systématiquement suivis de l’adjonction charismatique, ce complément étant synonyme d’une propriété spécifique, d’un attribut particulier, d’un pouvoir peu courant. Mais ici, nos propos porteront exclusivement sur les managers, leaders, ou coachs pour autant qu’on les considère doués de charisme.

Le succès, bien réel, remporté par cette figure, nous invite à nous poser la question de savoir ce qui marche quand ça marche. Quels mécanismes causatifs peut-on avancer pour tenter d’expliquer le succès de cette manifestation particulière du pouvoir ? Nous entendons le mot succès dans son sens wébérien, soit comme la chance de trouver des personnes disposées à obéir. Si donc le pouvoir du manager charismatique a quelque influence, c’est aussi que certains sont prêts à le suivre. Mais comment expliquer ce pouvoir d’influence ? Voilà la question à laquelle nous essaierons d’apporter des éléments de réponse. Chercher à expliquer les raisons de ce succès nous conduira à porter notre attention sur certains axes de recherche qui se sont penchés de près sur le sujet. Notre but n’est pas d’en dresser un panorama complet, mais, plus modestement, de nous servir de certains d’entre eux afin de poser les jalons de notre propre façon d’aborder cette question. Deux grands types d’explication seront retenus, certains reposent sur des paradigmes essentialistes, d’autres se débattent dans le cadre de la triangulation œdipienne. Cherchant, pour les premières, à définir les qualités intrinsèques du leader qui pourraient en expliquer le succès et, pour les secondes, voyant dans celui-ci un substitut symbolique du père, elles oublient, dans un cas, que l’exercice du pouvoir ne peut se passer de ceux auprès de qui il s’accomplit, et, dans l’autre, négligent la force des contraintes sociales qui, de toutes parts (craintes du chômage, par exemple), conditionnent, guident et triturent les bonnes raisons qu’on a d’obéir… et peut-être même, de le vouloir. Relevant tour à tour ces points aveugles, nous nous proposerons alors de décrire les conditions qui ont entouré l’arrivée de cette nouvelle figure, et focaliserons ensuite notre attention sur celles de sa réception. L’apparition de cette figure et l’accueil qui lui est fait ne relèvent pas du hasard, pas plus que l’une et l’autre ne portent la marque de volontés isolées soucieuses de son succès. Pourtant quelque chose fonctionne ! Par le miracle croisé de circonstances plurielles, la figure du manager charismatique est apparue et exerce son influence dans le monde du travail. Remplaçante paradigmatique du cadre héritier d’une autorité déléguée, elle joue un rôle de première importance dans le développement de l’esprit du capitalisme. Le moteur de ce développement est animé par une tendance contraire. Cherchant à libérer les flux du désir, il se voit aussi contraint de les refréner. C’est au confluent de ces mouvements que nous interpréterons l’essor et le succès de la figure du manager charismatique.

I. Positions et prise de position

Mais commençons par un regard analytique porté sur quelques définitions essentielles. C’est à partir de ces définitions que nous interrogerons deux courants de pensées qui ont cherché à comprendre le succès du leader dans les organisations et ailleurs. Un regard critique porté sur chacun de ces courants nous donnera l’occasion de planter les grandes lignes de notre démarche.

I.1. Définitions

Nous partirons d’une définition classique de la sociologie, celle que Max Weber donne du charisme dans Économie et société. « Nous appellerons charisme la qualité extraordinaire (à l'origine déterminée de façon magique tant chez les prophètes et les sages, thérapeutes et juristes, que chez les chefs des peuples chasseurs et les héros guerriers) d'un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels ; ou encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme un exemple, et en conséquence considéré comme un « chef » [Führer].1 ». Cette définition du charisme s’inscrit dans une sociologie de la domination. Chez Weber, la domination signifie « la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre [Befehl] de contenu déterminé.2 » Cette chance repose sur des types particuliers de légitimé. Ici, la légitimité de la domination revêt « un caractère charismatique, [reposant] sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d'une personne, ou encore [émanant] d'ordres révélés ou émis par celle-ci (domination charismatique).3 » La soumission n’est ni posée, ni imposée, elle résulte d’une forme de reconnaissance ; « ce qui importe seulement, c’est de savoir comment la considèrent effectivement ceux qui sont dominés charismatiquement, les adeptes [Anhänger]. (…) La reconnaissance par ceux qui sont dominés (…) décide de la validité du charisme.4 » Le pouvoir est conçu comme le reflet d’une acceptation qui passe par une forme de reconnaissance. Sans reconnaissance – ici, dans les qualités extraordinaires d’un individu, le « porteur de charisme » –, par ceux qui en deviendront les adeptes, pas de domination possible. Manifestation particulière de l’expression du pouvoir, ce type d’autorité s’exerce en prenant appui sur la reconnaissance par les uns de la possession de qualités extraordinaires chez l’autre (le porteur du charisme), et se caractérise en conséquence, de fait, « par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne. »

Cette définition comporte plusieurs avantages heuristiques. Si elle peut sembler au premier regard de type essentialiste, « un personnage qui est », Weber met immédiatement l’accent sur un point important : « bien entendu, conceptuellement, il est tout à fait indifférent de savoir comment la qualité en question devrait être jugée correctement sur le plan « objectif »5 ». La « qualité extraordinaire » n’est pas mesurable, identifiable objectivement, elle n’est pas validée par une quelconque certification. Ce n’est pas là-dessus que repose sa légitimité, au moins dans un premier temps… Pourtant, le porteur de charisme sera nécessairement contraint d’administrer les preuves de sa valeur, sous peine de perdre la confiance que ses admirateurs lui auront octroyée. Par là, nous voulons attirer l’attention sur le fait que la définition que donne Weber du charisme ne fait pas l’économie du regard de l’autre. La légitimité repose sur et dépend de la capacité d’un individu à reconnaître chez un autre la possession de qualités extraordinaires, et de voir dans certains de ses actes une manifestation de celles-ci. Mais Weber ne s’arrête pas non plus à une définition univoque qui ferait que l’existence même du charisme dépende exclusivement de celui qui le regarde ; comme on l’a dit, le porteur désigné doit en effet apporter les preuves de ses qualités. Le charisme wébérien fonctionne donc dans l’interaction, dans le cadre de relations interpersonnelles structurées par des passages obligés, ceux de la reconnaissance, auxquels viennent s’adjoindre ceux des manifestations des preuves de la grâce. Il s’agit donc bien d’un type de relation particulier entre individus qui ne présuppose pas l’existence d’un espace spécifique d’organisation pour s’exprimer, et qui ne s’appuie pas non plus sur la possession d’un titre. Pour ces raisons, comme on le verra plus loin, la définition wébérienne de la domination charismatique nous semble adaptée aux espaces actuels de l’organisation du travail à l’intérieur desquels navigue la figure du manager charismatique. De ce point de vue, Robert Dahl ne s’écarte pas de ce type de définition lorsqu’il définit le pouvoir comme une relation d’influence interindividuelle : « A exerce un pouvoir sur B dans la mesure où il obtient de B une action que ce dernier n’aurait pas effectué autrement6 ».

À ce stade, nous voudrions attirer l’attention sur deux facettes d’un questionnement qui vise à étirer les conséquences des apports wébériens. Fort de ce qu’on vient de rappeler, on peut avancer que le porteur de charisme n’est pas tenu de croire qu’il est doté des qualités extraordinaires que lui reconnaissent les autres, pas plus que la reconnaissance de ces dites qualités, par ceux que Weber appelle les dominés, ne les enjoint mécaniquement à l’obéissance7. D’un côté, donc, on peut considérer que les adeptes voient en un individu un personnage doté de qualités extraordinaires, qu’ils tombent sous son influence, mais que celui-ci n’admette pas nécessairement l’idée qu’il puisse avoir du charisme, et donc, qu’il n’accepte pas non plus l’idée qu’il puisse exercer une influence particulière sur d’autres individus. D’un autre côté, on peut aussi considérer ne pas tomber sous l’emprise, ou l’influence, de celui en qui on reconnaît pourtant des qualités extraordinaires. La conscience par le porteur de charisme des effets qu’il exerce et celle de leur acceptation par ceux qu’il côtoie reste l’une et l’autre indifférentes à l’axiomatique wébérienne.8

Revenons à présent sur les avantages heuristiques d’une telle définition. À deux reprises, nous avons fait allusion au caractère passager de l’état de grâce. Les manifestations des qualités extraordinaires d’un individu, porteur potentiel de charisme, doivent non seulement éclater aux yeux des adeptes, tel un événement fondateur, mais elles doivent aussi se renouveler sans quoi le dit porteur risquerait de perdre progressivement de sa crédibilité. « Elle [la domination charismatique] n'est légitime que dans la mesure où (et aussi longtemps que) « vaut » le charisme personnel en vertu de sa confirmation ; celui-ci ne trouve reconnaissance, n'est « utilisable » auprès de l'homme de confiance, du disciple, du partisan que pour le temps qu'il est assuré de durer. » En fait, on peut considérer que ce complément de précision découle des caractéristiques d’une définition qui refuse de se laisser enfermer dans une approche essentialiste et qui insiste sur la dimension interactive de la dite domination. On tient là un effet inattendu des précisions apportées par Weber, qui tient cette fois aux conséquences prévisibles sur le porteur du charisme de l’exercice de sa domination. Ne faisant pas du charisme une qualité à jamais acquise, celui qui endosse – ou à qui l’on fait endosser – ce rôle se voit aussi condamné à administrer dans la durée les preuves de sa valeur. Ce travail d’entretien, tout le monde n’est pas à même de le fournir avec des chances égales de succès. C’est là un point qu’il faut garder à l’esprit quand on se penchera sur les conditions qui facilitent l’exercice de la domination charismatique dans le monde du travail.

I.2. Ancrage et prise de distance

Après avoir effectué ces rappels, et soucieux d’en dégager l’intérêt heuristique, nous voudrions à présent aborder deux types particuliers d’interprétation qui ont cherché à expliquer, chacune à leur façon, le succès du porteur de charisme. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les recherches effectuées dans le champ de la psychologie sociale, dans un second, nous nous tournerons du côté de la psychanalyse.

Rentrons donc à présent, bien que de façon extrêmement sommaire, dans une description des principaux apports de la psychologie sociale sur les thématiques qui nous intéressent, et commençons, encore et toujours, par quelques points de définition. Afin de parvenir à ses fins, d’entraîner avec lui ses adeptes dans une direction particulière, le leader utilise son « charisme, son exemplarité, influençant ainsi le système de valeurs et les affects de ses compatriotes.9 » Il s’agit donc bien d’exercer sur autrui un pouvoir d’influence. On dira que le manager charismatique se définit par son leadership, soit, par sa capacité à a-mener les individus dans une direction précise. Mais reste à expliquer les raisons de son succès. Très schématiquement, on pourrait dire que les études menées en psychologie au cours de la première moitié du XXe ont cherché à identifier les traits caractéristiques à partir desquels il aurait été possible de définir le leader (c’est ce type d’approche que nous qualifions d’essentialiste). Or, les tableaux idéaux qu’elles en ont dressés, s’ils n’ont pas fait l’objet d’un consensus entre les chercheurs, ne résistent pas non plus à la diversité des figures du leader qui ont jalonné l’histoire. Malgré ces distorsions, Christine Roland-lévy note un certain nombre de points spécifiques qui émergent de ces recherches. Le leader se dégage du groupe par un ensemble de traits qui lui sont propres (traits qui varient d’un groupe à l’autre). Mais il se distingue aussi par des capacités particulières : il doit être capable d’exemplarité, de donner aux autres membres du groupe une vision (une direction, un objectif pour l’avenir), mais aussi être en mesure de la transmettre. Pourtant, de ces traits et aptitudes particuliers, on ne peut dégager un idéal universel du leader10. Il convient donc de porter ailleurs le regard qui envisage de définir le leadership et d’en expliquer le succès. Ainsi, se détournant pour partie d’une perspective essentialiste, des recherches seront menées qui viseront non plus à déterminer les qualités intrinsèques au leader, mais à en spécifier les comportements. L’accent sera alors mis sur l’attention portée au groupe par le leader, mais aussi sur sa capacité à organiser l’activité de production. Du coup, on voit aussi qu’on glisse d’une focalisation d’intérêt pour les qualités intrinsèques, aux comportements, et des comportements aux réactions des membres du groupe, même si celles-ci sont considérées comme des réactions en réponse aux attitudes spécifiques du leader ; ainsi se pose, encore et toujours, cette question de savoir ce qui marche quand ça marche… Ce glissement prendra un tournant significatif dans l’approche contingente. « [Cette approche] montre que le style n’est pas bon en soi. Il est par contre adapté ou non au contexte. L’approche contingente aura pour objectif de repérer les facteurs de contexte qui accompagnent l’efficacité de tel ou tel style.11 » Le succès du leader est donc ici pensé dans une interdépendance étroite avec le contexte à l’intérieur duquel il est à l’œuvre. Soucieux de mettre en avant les grands thèmes et axes de recherche portant sur le leadership, Claude Louche signale aussi que ces contextes sont eux-mêmes divisés en deux dimensions : « la situation puis les subordonnés ». Dans le premier cas, on peut concevoir le succès du leader à l’intersection de ses comportements et de leurs contextes de réception, dans le second, les chances de succès se nouent, entre ces mêmes comportements, que l’on croise, cette fois, à la « maturité » technique et psychologique des subordonnés, ce qui revient à retomber dans une approche essentialiste, pour les autres cette fois. Par conséquent, le pouvoir du leader tient aussi à sa capacité à s’adapter à chaque situation, et à l’intérieur de celles-ci, à chaque individu avec qui il entretient une relation. Les recherches récentes sur le leadership mettront l’accent sur l’importance des relations interpersonnelles (modèle de l’échange), ainsi que sur les capacités du leader à dévoiler et mobiliser les potentiels de chacun de ses collaborateurs pris individuellement.

Ayant effectué ce rappel des grandes orientations des recherches en psychologie sociale12 qui visent à comprendre l’efficacité du leadership, tâchons à présent d’en montrer les zones d’ombre. Il ne s’agit pas de nier l’intérêt de leurs apports, loin de là, mais seulement de montrer à quelles critiques on peut les soumettre, ce qui nous permettra, en prenant appui sur ces dernières, de faire émerger notre point d’ancrage théorique. Certaines de ces orientations, les plus anciennes notamment, ont pour toile de fond paradigmatique la croyance dans l’existence d’une nature humaine13 dont on pourrait découvrir les principes et les lois de fonctionnement. Il serait alors envisageable de peindre à grands traits le tableau des qualités et des caractéristiques personnelles nécessaires au leader. De plus, nombre de ces orientations ont une représentation binaire de l’homme, qui les pousse à distribuer de façon inégalitaire l’activisme et la passivité, les leaders héritant du premier, les subordonnés, de la seconde. Rares sont celles qui prennent acte de l’importance du groupe et des pressions qu’il exerce sur chacun, et qui structurent pourtant pour partie l’acceptation de l’autorité. Du reste, quand elles focalisent leur attention sur les relations interpersonnelles, ces recherches tendent à réduire la compréhension des rapports d’influence au cadre strict de la scène à l’intérieur de laquelle ils se jouent, oubliant que les rapports de force dont héritent les acteurs proviennent – aussi – des contraintes qui traversent la société dans son ensemble14. Plus généralement, on dira que ces orientations de recherche décontextualisent – en les extirpant de la géographie du lieu où elles s’exercent – et déshistoricisent le regard qu’elles portent sur les raisons qui pourraient expliquer le succès réel du leadership.

Jetons à présent un œil, tout aussi rapide, sur quelques-uns des apports de la psychanalyse sur ce sujet. D’une certaine façon, on pourrait avancer que la psychanalyse prend le problème de l’efficacité du leadership en sens inverse ; ici, ce qui est privilégié, outre l’interaction entre un leader potentiel et un adepte (non moins potentiel), est plutôt le type particulier de relation qui s’établit du second en direction du premier. En fait, l’accent est ici mis sur les mécanismes inconscients sur la base desquels s’établit ce type de relation, d’attachement. Sigmund Freud dans « Psychologie collective et analyse du moi » se penche sur la nature des rapports qui lient les individus à l’intérieur de formations conventionnelles (qu’il appelle aussi permanentes). Ces foules conventionnelles sont des « foules dont la cohésion est maintenue par une contrainte extérieure qui s'oppose en même temps aux modifications de leur structure.15 » Si Freud prend pour paradigmatiques les exemples de l’Église et de l’armée, on pourrait aussi, par analogie, considérer que les salariés d’une entreprise puissent être assimilés à ce type de foule du fait qu’ils sont maintenus dans un espace donné par un ensemble de contraintes extérieures. Et l’on pourrait poursuivre l’analogie en posant que, comme c’est le cas pour l’Église et l’armée, mais bien que sous des modalités différentes dans le cas de l’entreprise, on ne peut entrer ni sortir librement de ce type d’organisation. Mais qu’est-ce qui fait la spécificité du lien qui unit les membres de ces « foules psychologiques » ? On connaît la réponse de Freud à cette question, elle tient dans la relation particulière qui s’établit entre chacun de ses membres et le meneur : « Le meneur de la foule incarne toujours le père primitif tant redouté, la foule veut toujours être dominée par une puissance illimitée, elle est au plus haut degré avide d'autorité ou, pour nous servir de l'expression de M. Le Bon, elle a soif de soumission. Le père primitif est l'idéal de la foule qui domine l'individu, après avoir pris la place de l'idéal du moi.16 » Le moi du membre de la foule est animé du désir de devenir ce que l’autre est, et représente à ses yeux, ici, le meneur. Ainsi, l’affirmation autonome de soi, de ses actes et de ses pensées, est abandonnée, et tombe alors sous l’influence et la subordination du meneur, de celui auquel on s’identifie17 alors qu’on l’idéalise. Cette forme de dépossession de soi n’est pas sans rappeler la notion d’aliénation. L’aliénation étant ici comprise comme le processus au terme duquel un individu se dépossède de lui-même par le jeu du désir mimétique. Ici, être aliéné, c’est bien être aliéné à quelque chose. Ce quelque chose, un meneur idéalisé, par exemple, exerce une attraction telle qu’il parvient, à force d’être désiré, par se substituer au sujet désirant18. Du coup, on peut aussi considérer l’idée selon laquelle cette forme particulière d’abandon de soi s’accompagne d’une forme de résignation, et peut-être même de refoulement. Des recherches plus récentes s’attardent à décrire les types de structure organisationnelle et de personnalité qui seraient susceptibles, dans les entreprises, de canaliser les énergies et de mobiliser les foules19. Eugène Enriquez compte parmi ces contributeurs… nous reviendrons plus tard sur le contenu de ses propos.

Nous voudrions conclure cette partie en précisant que nous ne rejetons pas le type d’explication apporté par la psychanalyse au succès du leader. Ce que nous refusons, c’est la réduction de l’explication de l’abandon de soi « au profit » d’un autre au cadre fermé de la relation de triangulation œdipienne20. Nous voulons en fait laisser la porte ouverte à la dense prolifération des sources du désir. Cette critique qui ne fait que s’inscrire dans celle que produisent Gilles Deleuze et Félix Guattari dansCapitalisme et schizophrénie21rejette l’idée selon laquelle l’idéalisation et l’identification ne seraient que la reproduction, le prolongement, et donc la reviviscence d’une attitude qui se serait déjà manifestée dans cette relation de triangulation. Loin donc de réfuter l’idée d’une reproduction, nous chercherons à désigner certaines des conditions matérielles d’existence qui, dans le monde du travail mais aussi en dehors, favorisent le déclenchement de ces processus d’identification qui ne comptent pas pour peu dans le succès du porteur de charisme.

II. Des recompositions plurielles

Notre ambition qui est aussi notre ancrage théorique tient dans la phrase suivante : « Tel est donc le but de la schizo-analyse : analyser la nature spécifique des investissements libidinaux de l’économique et du politique ; et par là montrer comment le désir peut être déterminé à désirer sa propre répression dans le sujet qui désire.22 » Il s’agira pour nous de rapatrier23 cette ambition de pensée afin de chercher à expliquer à quoi l’on peut attribuer les chances de succès de la figure du leader charismatique dans l’entreprise. Mais comment caractériser brièvement les liens entre capitalisme et désir tels que les perçoivent les auteurs sur lesquels nous nous appuyons ? Dans leur conception, le capitalisme se transforme en libérant les flux de désir (les auteurs parlent aussi de déterritorialisation, ou de décodage), mais à mesure qu’il avance, il est animé par une tendance inverse qui le pousse à les refréner, les contenir à nouveau (ils parlent alors de surcodage ou d’apparition de nouvelles axiomatiques). On pourrait évoquer ici une grammaire généralisée de la reconstruction des flux décodés24. Les contradictions systémiques naissent à l’intersection de ces deux tendances, et les hommes s’en font les porteurs, les dépositaires25. Ainsi, l’histoire du capitalisme est-elle traversée et ponctuée par des tentatives d’adaptation aux effets et conséquences des changements qu’il produit ; « le capitalisme, conformément au mouvement par lequel il contrarie sa propre tendance, ne cesse d’approcher du mur, et de reculer le mur en même temps.26 »

Voilà ce qu’il faut avoir à l’esprit quand on interroge les motifs du succès du leader. Nous n’avons ni les capacités ni les prétentions d’entreprendre une « théorie généralisée des flux », notre ambition, nécessairement incomplète, est plus modeste27. Nous chercherons à comprendre – sans prétendre à l’exhaustivité, mais en pointant des dimensions – comment et par quelles conjonctions de coordination s’effectue la captation des flux décodés, déterritorialisés, et soumis à une nouvelle axiomatique. Il s’agira de décrire des re-compositions. Ces processus de déterritorialisation recodification, nous allons essayer de les décrypter dans plusieurs registres. Nous commencerons par nous intéresser aux conditions qui ont entouré l’arrivée de la figure du manager charismatique dans l’entreprise. Ensuite, nous porterons notre attention sur quelques conséquences qui découlent de la fin des grands récits. Nous essaierons ensuite de comprendre les effets des transformations récentes de l’organisation du rapport de l’homme au travail sur le lien social dans les entreprises. Puis nous nous pencherons sur les nouveaux types de certification, et montrerons en quoi certains d’entre eux attestent d’une forme de retour à une naturalisation d’un type particulier de dispositions.

II.1. Le contexte d’arrivée de la figure du manager charismatique

La recherche de l’organisation rationnelle des hommes, le souci d’orienter leurs activités dans une direction souhaitée, et l’exercice du contrôle de celles-ci, traversent de part en part l’esprit du capitalisme. Pourtant, ce faisceau d’intentions n’est pas propre au capitalisme28. Mais si l’on visse ce pouvoir disciplinaire29 à la recherche d’une accumulation illimitée du capital par les voies de l’exploitation des produits du travail (produits par ceux qui mettent en œuvre les outils de production au bénéfice de ceux qui les détiennent) et des possibilités d’échange, on se rapproche d’une définition partagée de ce système à l’incohérence mouvante. Cet assemblage complexe, il faut le faire tenir, et les figures d’autorité qui s’y déploieront y contribueront pour beaucoup. À travers elles se diffuse et s’accomplit l’exercice du pouvoir. Ces figures se métamorphosent au confluent de variables hétérogènes : structures de l’organisation de la production, seuil d’acceptabilité de l’autorité, disposition à se sentir autorisé à l’exercer, etc. L’espace taylorien de la production semble avoir été propice à l’acceptation partagée, mais néanmoins combattue, d’une autorité sévissant dans la verticalité, la distance, parfois de façon autoritaire, et tirant sa légitimité de la délégation. Cette verticalité du pouvoir dans l’espace taylorien s’inscrivait en fait dans une relation de triangulation. Au sommet de cette architecture, la règle, le contrat, la Loi, et, aux deux points de la base du triangle, le porteur de l’autorité et celui qui se trouvait placé sous ses ordres. Ainsi, bien que différentes, les positions de l’encadrant et de celui qu’il encadrait pouvaient être comparées du fait que l’un et l’autre se trouvaient traversés par une norme transcendante.

Mais, les espaces de la production se sont transformés, et les raisons d’accepter l’exercice de ce type d’autorité ont elles aussi connu des bouleversements. Le monde de l’entreprise n’échappe pas aux vents sociétaux qui, autour de la fin des années soixante, ont porté des souhaits d’autogestion, de responsabilisation, d’autonomie, de liberté, de refus des rapports d’autorité et de verticalité, de toutes formes de subordination, refus de commander mais aussi de l’être… Du coup, les visages de l’autorité ont connu des métamorphoses. C’est dans ce contexte de recomposition des figures de l’autorité que le manager charismatique a fait son apparition dans le monde du travail. Des auteurs comme Luc Boltanski et Ève Chiapello ont, dans Le nouvel esprit du capitalisme, analysé de près les variations des mots (principalement recueillis dans la littérature managériale) qui ont accompagné ces mutations30. Les résultats de leurs analyses sont éloquents ! Dans la littérature managériale des années quatre-vingt-dix, toute référence au conflit, à la lutte – des classes –, tout énoncé pouvant évoquer ou même suggérer la persistance de rapports de pouvoir sont évacués. Tout se passe comme si, par un tour de passe-passe sémantique, les rapports de pouvoir ayant disparu, les valeurs étaient alors devenues communes, les fins poursuivies identiques, l'opposition capital / travail obsolète, les antagonismes inexistants, les ambivalences évanouies parce qu'innommables. L'appellation cadre et, avec elle, son cortège de connotations évoquant le pouvoir et l'autorité sont boutés hors du champ lexical de la littérature managériale. Son remplaçant paradigmatique s'incarne dans un manager, animateur d'équipes, de cellules de projets, expert dans le maniement des hommes, sachant naviguer dans le malström de la complexité d'environnements incertains. La force de la relation hiérarchique se transmue, dans la proximité, en souplesse et persuasion. Le manager qui séduit par son charisme se fait opérateur de mobilisation des subjectivités et de l'enthousiasme de chacun, dénicheurs de compétences31. L’architecture symbolique transcendante de la relation de triangulation dans l’espace taylorien se décompose et laisse place à des relations interindividuelles soustraites à ce qui les dépasse.

« D'un modèle hiérarchique, on est passé à un modèle plus transversal, qu'on peut appeler en réseau, qu'on peut appeler moléculaire qui mène à ce que vous ne pouvez plus vous référer à une autorité, à un titre pour diriger, parce que vous n'avez plus ce lien hiérarchique, vous n'êtes plus le "chef qui commande", vous êtes un manager, un cadre expert, vous avez deux ou trois personnes avec vous, vous n'êtes plus dans un mode de direction, mais de management – d'ailleurs on ne parle plus de direction, diriger, commander, on n'entend plus jamais ça, on parle de manager ou de coacher –, mais on est dans un management par l'influence, c'est-à-dire que pour arriver à faire travailler des gens que vous allez agréger à votre projet, il faut que vous alliez les convaincre, les motiver, les animer, puis après il faut contrôler que les choses avancent mais sans être trop "contrôlant" parce que ces gens-là, s'ils veulent vous envoyer balader, ils vous envoient balader.32 » (Directeur d’un cabinet de conseil en recrutements)

Ne pouvant plus se prévaloir d'une position hiérarchique, ni employer des termes qui pourraient évoquer le pouvoir, étant amenés à faire travailler ensemble des collaborateurs dans des projets communs, mais aussi, mis en demeure d'évaluer ces mêmes collaborateurs, les managers sont amenés à déployer des qualités personnelles afin d’assurer le succès de leur autorité. Ces qualités sont plurielles, charisme, intuition, sensibilité, imagination, audace, leadership, etc. Ce sont aussi, comme par reflet et nécessité, les nouvelles bonnes raisons, ou motifs que l’on a de leur obéir. La domination rationnelle est abandonnée aux incertitudes de la domination charismatique. Les figures de l’autorité ne disparaissent pas ! Elles se parent d’une nouvelle axiomatique. Les nouveaux mots qui les habillent ferment la porte à des comportements, mais autorisent l’expression de propensions endormies. Ce surcodage du désir empêche, étouffe, mais aussi permet et libère. Quelque chose perdure ! Peut-être n’assistons-nous qu’à une simple mutation des termes d'une tautologie autoréférentielle qui a déjà fait ses preuves – on obéit plus au chef parce que c'est le chef, mais au manager parce qu'il a du charisme –, mais pas à un changement des principes et raisonnements sur lesquels elle repose…

II.2. La fin des grands récits

 « Ensemble tous les rêves s'éteignent : cités de Dieu, cités socialistes, cités nationalistes, toutes ces belles constructions mentales sont presque simultanément dévastées par l'évolution des sociétés européennes. La dissolution des métaphysiques religieuses et sociales, qui représentaient des efforts de l'esprit pour échapper au monde réel, révèle sur le fond une réconciliation des hommes avec le monde. La renonciation au référent futur est une validation du présent. L'acceptation de la société, de la vie telle qu'elle est, tue logiquement les au-delà religieux, socialistes et nationalistes.33 »

S’attarder durant quelques lignes sur la fin des grands récits de légitimation peut sembler a priori superfétatoire. Mais nous pensons au contraire qu’il en va tout autrement, qu’il y a là un passage obligé. Ce passage se justifie du fait de l’importance de leur pouvoir. Contenant, canalisant et orientant les idées et les actes, ils entraîneront dans leur chute les comportements et croyances dans d’autres directions, jouant ainsi sur les facultés qui permettent de désigner, de reconnaître, et, par là, d’accepter, ou pas, les nouvelles figures du pouvoir. Si ce qui marque la postmodernité est « l’incrédulité à l’égard des métarécits », se pose alors la question de savoir sur quoi établir les principes de légitimité des sciences, mais aussi, et plus largement, de tout ce qui fonde et fait autorité. C’est là un des enseignements de Jean-François Lyotard34. En traitant du « déclin de la puissance unificatrice et légitimante des grands récits de la spéculation et de l’émancipation35 », Lyotard interroge aussi de fait les raisons que les individus ont d’être ensemble. Cette interrogation concerne notre sujet de différentes façons, elle le questionne sous différents angles. En fait, et comme on va le voir, ces bouleversements touchent dans le même mouvement autant le singulier que le pluriel.

Commençons par le plus intime, le singulier. Il pourrait sembler, à première vue, que la dissolution de ces ordres symboliques transcendants soit en mesure de propulser l’homme postmoderne au plus près d’un des mots forts des Lumières, celui qu’Emmanuel Kant prononça dans un texte fameux Sapere Aude36. Pourtant, à y regarder de près, il en va tout autrement. Par l’injonction qui lui est faite de trouver en lui-même, dans un retour réflexif, les principes de son autofondation et ceux de ses orientions de vie, l’homme postmoderne est plongé dans une quête en solitaire de l’autonomie. En fait, ce type d’injonction dépose en chacun les termes d’un impossible absolu, sous couvert de liberté individuelle le sujet critique kantien patine dans une quête qui tourne en rond, il vacille. « L’Autre, c’est l’instance par quoi s’établit, pour le sujet, une antériorité fondatrice à partir de laquelle un ordre temporel est rendu possible. C’est de même un « là », une extériorité grâce à laquelle peut se fonder un « ici », une intériorité. Pour que je sois ici, il faut en somme que l’Autre soit là.37 » Point d’autonomie sans transcendance, tel est le coup de boomerang dont la post-modernité se fait l’écho !

Mais si, comme le dit Alain Ehrenberg, « nous sommes devenus de purs individus au sens où aucune loi morale ni aucune tradition ne nous indiquent du dehors qui nous devons être et comment nous devons nous conduire38 », il ne s’ensuit pas que l’absence de transcendance ait laissé place au vide ; l’injonction à l’autodétermination s’accompagne en fait de tout une grammaire du désir. Les mots d’ordre fleurissent qui convoquent chacun à l’autonomie, à la responsabilité, l’épanouissement, la jouissance, la performance… librement consentis. Mais comment s’y prendre, dans quelles limites et dans quelles directions ? Ainsi, si l’effondrement des métarécits – ce que Slavoj Zizek désigne par un « processus de dissolution de toutes les autorités traditionnelles » – a eu pour conséquence de convoquer chacun, dans la réflexivité, à devenir l’auteur du récit de sa vie, l’enjoignant à se transformer dans son extériorité et son intimité, il a aussi eu pour effet d’amener le plus grand nombre face à des interrogations imprévues. « Il n’y a pas de nature ou de tradition, pas plus que d’ordre symbolique essentiel – ce que Jacques Lacan appelle le « grand Autre » – garantissant les sujets d’un fondement solide. De ce fait, même nos impulsions les plus secrètes, des orientations sexuelles à l’appartenance ethnique, sont de plus en plus vécues comme relevant d’un choix prétendument libre.39 » Mais à quels saints se vouer là où manquent les repères ? « Et la question se pose aux victimes novices : mourir pour des idées, c’est bien beau, mais lesquelles ?40 » Face à cette absence d’aiguillage, la question se pose, souvent de façon cruelle et toujours psychologiquement coûteuse, des moyens dont chacun dispose pour parvenir à se poser comme le créateur de soi-même41. D’autant que l’anéantissement des constructions mentales qui avaient pu unir, mais aussi opposer les hommes dans des projets communs à visée et ambition sociétales, semble accoucher d'une somme d'individus atomisés, repliés sur eux-mêmes et sur l'instant présent42. L’effort n’en sera donc que plus important. Mais là ou s’évanouissent points de repères, guides et références, le monde du travail diffuse ses mots, et de nombreuses formations au management livreront en pâture à ceux qui les suivent autant de « manières d'agir, de penser et de sentir43 » qui viendront combler les béances ouvertes par ces préoccupassions imprévues. Dans ce contexte, il y a fort à parier que des relations interindividuelles entre manager et managé apparaissent comme le point culminant d’une relation de confiance, hautement valorisées, elles seront aussi investies d’une forte charge émotionnelle.

Tournons-nous à présent du côté du pluriel, de l’en-commun. L’espace mental de représentations partagées ne s’est pas vidé dans cet effondrement des grands récits, d’autres pièces discursives sont venues le combler, ou, pour le moins, tentent de l’habiter. À ce titre, la production d’une sphère de savoir (on pense en particulier ici à l’omniprésence des discours gestionnaires et économistes) se fixant à elle-même ses propres règles d’administration de la preuve, a d’une certaine façon empêché les individus de penser et de poser en commun des interrogations sur ce qui pouvait et devait faire société. Abandonné au savoir efficient, ces préoccupassions privent les individus d’une réflexion sur l’être-ensemble en privatisant l’accès au savoir légitime. Ce hold-up des facultés de jugement prépare avantageusement tout un chacun à l’idée de la nécessité d’une adaptation à un ordre des choses, inévitable, indiscutable. Cet ordre des choses, cet idéal par soustraction, a un contenu. Il a aussi des porte-paroles qui, dans le monde du travail, et ailleurs, s’évertuent à diffuser les grandes lignes de ses principes, et les managers, qu’ils soient charismatiques ou pas, jouent un rôle important dans cette diffusion. Le noyau dur de ce nouveau type de croyance comporte un ensemble de traits caractéristiques majeurs : une forme de primauté accordée à la logique de la rationalité économique, une représentation de l'économique détachée et surplombant le social, l'assurance que la poursuite des intérêts particuliers profite à l'intérêt général, le sentiment que l'accumulation du profit témoigne et atteste de la preuve de la valeur de l'individu (raisonnement lui-même fondé sur l'idée que la volonté d'enrichissement est inhérente à la nature humaine), etc. Mis ensemble, ces traits désignent des motifs d'acceptation des enjeux du jeu qui justifient qu'on s'y investisse44. En ce sens, on voit que les individus ne se trouvent pas démunis de raisons de s’investir, pris qu’ils sont dans cette évaporation des grands récits. Contemporaine de cet évanouissement, la déterritorialisation des flux du désir s’accompagne de l’apparition de nouveaux récits qui contribuent à guider à leur tour les comportements possibles et souhaitables.

« Enquêteur : Pour vous, la modernité, ça signifie quoi ? Cadre (Responsable administratif et financier, 44 ans) : La modernité, c’est d’accepter que nous sommes dans un échiquier mondial et que l’Europe est une excellente… (…) – Quand j’ai commencé à vous demander de définir ce que pour vous était la modernité, vous avez commencé à dire : «l’Europe est une excellente…» et puis, vous vous êtes arrêté là… – Oui, c’est ça que je voulais dire : l’Europe est un vecteur de modernité. – Et donc, pour vous, une définition que vous donneriez à cette modernité c’est… ? – C’est accepter… Je pense que les réalités économiques s’imposent et que la modernité c’est de les regarder en face.45 »

À cette acceptation résignée comme règle de la réalité, il faudrait rétorquer, avec Dany-Robert Dufour, que : « ce qu’on appelle « marché » ne vaut nullement comme nouvel Autre, dans la mesure où il est loin de prendre en charge la question de l’origine, de l’autofondation. C’est là où se repère la limite fondamentale de l’économie de marché dans sa prétention à prendre en charge l’ensemble du lien personnel et du lien social.46 » Ainsi, en décloisonnant les possibles, le délitement des grands récits de légitimation conduit l’homme postmoderne au sentiment diffus que la liberté dont il échoit le contraint à la soumission consentante47.

II.3. De quelques métamorphoses du lien social

Depuis la fin des Trente Glorieuses48, mais plus encore, à partir du début des années quatre-vingt-dix, le lien social a connu de profondes mutations dans les entreprises. Ne pouvant réduire la nature de ce lien aux pressions dont il est l’objet, dans le monde du travail, on ne peut pas non plus, à l’inverse, l’en dissocier. La course à l’adaptation dans laquelle sont engagées les entreprises va les amener à réorganiser l’acte de travail, mais aussi le circuit de la production. Modifiant les structures d’organisation, on passera, pour le dire vite, d’une lutte des classes à une lutte des places. Ces transformations plurielles auront un impact sur le type de contrôle qui s’exerce entre les salariés. Nous verrons alors que ces mutations ne sont pas sans effets sur la capacité des individus à construire des distances à l’égard des formes prises par les figures de l’autorité qui accompagnent ces changements.

Pour répondre dans les plus brefs délais aux évolutions de la demande dans un monde exacerbé par la concurrence, les entreprises ont modifié l’organisation de leur production. Cette recherche d’adaptation a donné naissance à un ensemble de procédures : gestion à flux tendus, qualité totale, etc. Elle s’est aussi accompagnée d’une modification de la structure de l’organisation. Les espaces tayloriens, stratifiés et hiérarchisés, ont progressivement été supplantés par des structures dites en râteau, ou en porte-manteaux qui se caractérisent principalement par une diminution des niveaux hiérarchiques et la mise en place d’équipes ou cellules de projet… l’entreprise s’organise en réseau. Précisons tout de suite que ce ne sont là que des tendances et que l’écart est encore important entre les souhaits des producteurs de littérature managériale et gestionnaire, et les réalités des entreprises49. Mais, ces transformations sont pourtant bien réelles, de même que le sont leurs effets. Ainsi, en modifiant les canaux relationnels, l’ensemble des distances (physiques, symboliques et affectives) qui liait mais aussi séparait les salariés dans les espaces antérieurs, a été appelé à se transformer. Ces transformations rationnelles et relationnelles se sont vues, dans leur ensemble, doublées par un affinement et une mutation des techniques de contrôle. Contemporaines des modifications touchant à l'espace des positions, et rendues possibles par la diffusion de l'informatique, ces techniques disciplinaires se sont progressivement intégrées au circuit de la production, faisant de chacun l'objet d'un contrôle pour autrui, mais parfois aussi, pour lui-même. Se sont ainsi développés : contrôle à distances des performances, suivi d'activités, mise en réseau des agendas, etc. par ces touches successives, l'informatique permet non seulement d'accroître la disponibilité de chacun, il maximise aussi l'exercice de la surveillance par une mise à disposition de son temps pour autrui dans une "transparence univoque"50. Il n’est donc pas aberrant d’avancer que ces innovations organisationnelles ont eu pour effet de renverser l’exercice du pouvoir. Mais elles ont aussi eu pour conséquence de modifier la grammaire des relations sociales. L’éloignement et le refus de relations inscrites dans un rapport de verticalité (s’épanouissant lui-même dans le cadre institué d’une relation de triangulation) se traduiront par une recherche d’horizontalité ; on passera alors du vous-vous au je-tu et, par là, de la reconnaissance mutuelle à l’indifférenciation.

La nécessité d’adapter les hommes aux transformations des modes de production a trouvé dans une recherche tous azimuts d'une individualisation de la relation salariale un puissant levier. Cette individualisation prend des formes variées. Elle touche la négociation du contrat, les modalités du calcul des rémunérations, la durée et le temps de travail, la libération des horaires, la fixation d’objectifs, le système de récompense, les chemins des carrières, etc. Cette liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut, mais elle va nous permettre de comprendre en quoi cette individualisation affecte le lien social en entreprise. Cumulées, ces mesures détiennent un pouvoir démultiplicateur de situations de travail possible. Si on étire à l’extrême leurs effets, on peut considérer que les salariés ne vont plus avoir en commun que de se retrouver dans une situation à chaque fois particulière, singulière. On voit par là combien les mesures qui abondent dans ce sens nourrissent – mais elles peuvent aussi en être l’effet – l’effondrement des métas récits, décodant ainsi la grammaire des pratiques, modifiant le code des conduites de l’être-ensemble51. Ainsi, les liens entre l'« identité du je » et l'« identité du nous52 » vont se distendre, parfois se rompre, mais aussi se maintenir en se recomposant. Si le soi se retrouve réduit à une peau de chagrin, il n’est pourtant pas isolé. Délié, désaffilié, atomisé, l’individu se trouve aussi dans l’obligation de travailler en permanence avec les autres, que ceux-ci soient physiquement absents (mais rendus proches par le développement des nouvelles technologies de la communication) ou présents (dans le cadre de cellules de projets, par exemple).

Pourtant, il est une autre spécificité du monde du travail qui ne facilite pas la consolidation du lien social dans l’entreprise. D’un côté, un mot d’ordre est lancé, la concurrence. Il ne souffre pas la critique, et se présente aux yeux de tous comme l’indépassable horizon d’une guerre économique. Mais cette guerre est à plusieurs niveaux. Elle s’instaure entre filiales, opposant les entreprises entre elles, quand ce ne sont pas les pays que, parfois, elles représentent. Mais l’esprit de concurrence se diffuse aussi à l’intérieur même de l’entreprise, poussant les équipes les unes contre les autres, et, à un niveau encore inférieur, mettant en compétition les individus pour l'obtention d'une mission, d'un poste ou la réalisation d'un projet… avec, en toile de fond, le risque constant de ne pas être à la hauteur. Or, d’un autre côté, si l’on peut dire, se répand avec la même force de conviction un discours qui convie les salariés à travailler ensemble, dans la coopération, pour le bien de l’entreprise. À cet égard, la culture d'entreprise se présente comme un ciment – explicite pour une collaboration souhaitée – pouvant servir de rempart face aux attaques venues de l'extérieur. La contradiction n’est pas mince, qui atteste d’une volonté de surcoder ce que l’ouverture à la mondialisation des échanges aura permis de déterritorialiser. Outre que cette injonction paradoxale risque de semer le trouble dans les esprits, elle ne facilite pas non plus l’apparition d’un lien cohésif entre les salariés. Peut-on encore parler de « communauté affective53 » là où règne la singularité de condition et où se construit une atmosphère de travail mêlant coopération et concurrence ? D’ailleurs, cet attachement réciproque, dont nous parlait Freud, qui puiserait sa force de l’existence d’un lien cimentant la relation des salariés à leur chef, a peu de chance de se produire dès lors que les situations de travail vécues par chacun s’atomisent. Que dire de la nature de ce lien lorsque les situations sont éclatées ? N’y a-t-il pas autant de liens que de relations à chaque fois particulières entre une situation de travail donnée et un manager s’efforçant de s’y adapter ? Si l’on peut envisager que dans un espace stratifié et hiérarchisé de l’organisation du travail le type particulier de rapport qui s’établissait entre le chef et les membres du groupe ait pour partie été façonnée par l’identité de classe, on voit aussi que dans les situations actuelles marquées par l’éclatement de condition, cette forme d’attachement a peu de chances de se produire. Ce qui ne signifie pas évanescence de l’attachement, mais plutôt détournement de la charge affective et, par là, réorientation des effets de l’identification. Dans le cadre de relations interpersonnelles entre un salarié et un manager, l’attachement de l’un à l’autre risque d’être d’autant plus fort que la disparition du groupe des pairs (de référence et faisant référence) fait du salarié le seul juge d’appréciation du type de management qu’il reçoit. Mais, il convient de nuancer tout de suite le pouvoir de cette liberté d'appréciation individuelle. En fait, de nombreux éléments convergent, qui poussent à la conformité. L'atomisation, d’une part, dont on a dit qu’elle n’avait pas fait disparaître le contrôle, mais en avait changé la nature, faisant de chacun pris isolément le potentiel maillon d’une vaste toile de persuasion. Les espaces ouverts de travail (open space) facilitent à n’en point douter l’exercice de ce contrôle diffus. Dans de tels espaces de transparence, les écarts à la norme sont visibles et “sanctionnables“ dans l'instant, les mises à l'écart immédiates, l'adhésion facilitée. Mais il est un autre élément dont on ne perçoit pas toujours la force de contrainte tant il est présent : la crainte de perdre son emploi. Cette crainte toute légitime est à la source de nombreux refoulements et maximise la croyance dans la nécessité de la conformité et de l’adhésion, qu’elles soient feintes, peu importe.

II.4. Recomposition du rapport à la valeur

Détenteur de qualités extraordinaires, le manager charismatique, n’échappe pas à la nécessité d’administrer les preuves de sa valeur, de les renouveler afin d’entretenir la disposition à croire de ses adeptes. Une reconnaissance institutionnelle de ses qualités satisferait-elle à ces exigences, détiendrait-elle ce pouvoir de ne plus le soumettre à cette obligation ? Il peut paraître a priori saugrenu de poursuivre l’objectif de vouloir valider des qualités extraordinaires par une quelconque certification. En effet, si, dans une perspective essentialiste, le mystère de leur attribution se résout dans celui des origines, on se demande à quelles exigences, à quelles nécessités répond le besoin de cette certification ; qu’évaluerait-on au juste dans l’évaluation ? Une nouvelle fois se trouve posée la question de savoir en quoi croient les individus qui sont disposés à croire au pouvoir du porteur de charisme. Le fondement de leurs dispositions favorables à l’égard de ce type de manager puise-t-il en la croyance en l’existence de qualités intrinsèquement possédées, et/ou s’accommode-t-il d’une qualification qui fige la mesure temporelle de la valeur ? On va voir que le glissement de la qualification à la consécration d’aptitudes particulières s’inscrit dans les processus de déterritorialisation-surcodage qui nous occupent et dont l’importance est significative si l’on veut comprendre le succès du manager charismatique.

 « C'est homme-là avait un regard très pénétrant »

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« Responsable sécurité incendie (39 ans) : En fait, on vous fait comprendre, sans vraiment vous le dire que, si vous voulez grimper des échelons, le coaching est un passage obligé, il faut avoir été coaché individuellement pour prétendre monter. Moi, mon chef, il est coaché, et quand je le vois dans son bureau, j'ai l'impression qu'il boit littéralement les paroles de son coach. Mais, c'est réservé à des gens très diplômés. Les coachs viennent pour fournir l'acquisition de nouvelles compétences. Le chef dont je vous parle, il avait déjà eu affaire à un coach, il était déjà devenu super manager de cadres, seulement, il y a encore une étape à franchir, donc, il a affaire à un coach, donc, ça porte sur l'élocution, sur la gestuelle, la façon de se comporter, de se tenir droit, je pense que le coach – que je voyais dans son bureau – devait lui parler de respiration, d'élocution. Avoir un coach personnel, c'est une condition de l'évolution, enfin, c'est ce qui m'a été dit, mais je pense que c'est vrai, et c'est réservé aux gens qui ont des diplômes rutilants, qui sont cotés. Les diplômes non cotés n'ouvrent pas la porte à toutes ces choses-là. À moins d'être soi-même particulièrement brillant mais, dans ces grandes boîtes-là, il faut vraiment être brillant pour qu'on vous voie dans la masse. (…) Le coach c'est le guide spirituel, technique, un peu tout ça. Ce coach-là, à qui j'ai serré la main, à qui j'ai dit bonjour courtoisement une fois le matin, et puis… moi, tout petit dans la cour des grands, je suis passé très très vite pour rejoindre mon bureau, c'est homme-là avait un regard très pénétrant, un regard bleu acier, un truc… ! en plus, il avait un charisme personnel, en plus d'un savoir éventuel, donc, quand il parle c'est le maître qui s'exprime, et donc, « je54 vais essayer de coller à ses attentes. » Derrière la glace, je me disais, que le mec qui parle il a un impact.55 »

L’arrivée du manager charismatique surfe sur un mouvement d’affaissement relatif de la croyance dans les effets du diplôme. Dans le monde de l’entreprise, cette perte de croyance se traduit notamment par une crispation d’intérêt sur le « pratico-pratique » (par opposition à la théorie supposée déconnectée du réel) et l’importance considérable accordée à l’expérience acquise sur le tas, le terrain. Mais prenons garde de succomber aux charmes du discours de l’efficience, et conservons à l’esprit que la structure et le volume du capital culturel (sous la forme paradigmatique de son institutionnalisation, le diplôme) comptent encore pour beaucoup dans l’attribution des places et des parcours professionnels. Cela dit, et puisqu’ils ne peuvent plus se prévaloir d’une autorité déléguée qui rappellerait par trop leur position dans l’entreprise, les managers se voient contraint de faire montre de qualités personnelles peu communes56. « Le PDG de Saint-Gobain, Michel Beffa, ancien X-Mines, dont l'entreprise est partenaire d'HEC, déclarait lors d'un entretien avec des enseignants de l'Ecole :  (…) « d'où vient l'autorité ? Elle ne vient plus du savoir, elle vient de la personnalité du charisme, de la capacité à faire adhérer les hommes à des idées, et surtout à la capacité de les faire travailler ensemble, c'est fondamental57 ».

Chez certains, ces qualités personnelles extraordinaires passent pour des dispositions naturelles. Pour d’autres, elles s’acquièrent dans la pratique, l’expérience. D’autres encore prétendent qu’il est possible de modeler ce que la nature a déposé et qui, peut-être, sommeille en chacun à l’état de disposition latente. Pourtant, d’un bout à l’autre de ces positions extrêmes, un paradoxe se dissimule : à quoi peut bien servir de tenter d’instrumentaliser ces aptitudes peu communes quand on les possède ou quand on ne les possède pas ? S'il ne sert à rien d'essayer de les produire quand on les possède déjà, il est tout aussi vain d'essayer de les instrumentaliser quand on ne les détient pas58.

Cette confusion est entretenue par la littérature managériale qui n’hésite pas à mobiliser les neurosciences pour naturaliser les principes d’une nouvelle forme de domination. À ce titre, l'article d'Henri Mintzberg59 parut en 1976 atteste d’une vulgarisation souvent déformante des apports de la neurobiologie dans le management. « Les meilleures performances, en matière de stratégie, semblent se trouver chez les personnes qui sont par nature des droitiers cérébraux, et qui utilisent un processus de prise de décision dit "intégré", c'est-à-dire mettant en jeu de façon équilibrée les deux hémisphères de leur cerveau.60 » Le vieux serpent de mer de ce couple fort structurant entre l’inné et l’acquis reprend donc des couleurs et du service. Des couleurs d’abord ! En fait, pour que la domination charismatique puisse asseoir son pouvoir, et par là, en assurer le succès, il faut aussi que les individus croient en l'existence (présence ou défaut) de qualités naturelles et extraordinaires pour les autres et/ou pour eux-mêmes. Cette pensée relève de ce que Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans Les héritiers ont appelé l'« idéologie du don », idéologie qui renvoie à la croyance dans la possession d'aptitudes naturelles attribuées à la bonté du hasard de la génétique. Ce type de croyance connaît à l’heure actuelle un succès grandissant. Les controverses suscitées par le débat organisé par la revue Philosophie Magazine entre le candidat Nicolas Sarkozy et le philosophe Michel Onfray en témoignent61. Du service ensuite, car la littérature managériale travaille à diffuser encore davantage l’idée selon laquelle une distribution naturellement inégalitaire des aptitudes serait à l’origine des principes de distribution des positions dans l’entreprise. Ainsi, la croyance dans la naturalisation de la compétence contribue-t-elle à poser un des fondements de la domination légitime dans le monde du travail. En fait, ce qui s'enclenche, et n’a de cesse de s’enclencher, ressemble à une course-poursuite, ou plutôt, un chassé-croisé entre une naturalisation de l'instrument et une instrumentalisation de la nature, jusqu'à ce que l'instrumentalisation l'emporte, toujours momentanément, traduisant ainsi un effet d'épuisement, de routinisation du charisme62. Mais du coup, les principes de légitimité se déplacent, et trouvent à nouveau où s’établir dans la croyance en la force du rituel qui certifie l’acquisition de compétences. Notons que les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à délivrer des attestations qui valident le comportement exemplaire de cardes à certaines formations au management… nouvelle axiomatique sur fond de décodage. On tient là une autre modalité d’une reterritorialisation qui, sur fond d’affaissement de la croyance dans la valeur d’un diplôme sanctionnant acquis, apprentissage et mérite, revigore en fait, sur d’autres bases, les principes à la source de cet affaissement. Ce re-placement des fondements de la légitimité épargne aussi pour partie le manager d’attester dans la durée des preuves de sa valeur.

Mais les salariés ont-ils beaucoup d’autres choix que de croire aux – nouveaux – principes de cette domination qui cache son vrai visage ? La croyance comporte ici au moins deux facettes, un volet explicatif, rassurant, et une nécessité. « Si le manager charismatique a ce que je n’ai pas, je ne pourrais pas devenir ce qu’il est ». Ce type de raisonnement tautologique alimente alors un principe de justification qui permet d’accepter l’apparente impossibilité de gravir des échelons supplémentaires dans les hiérarchies d’entreprise. D’un autre côté, il faut comprendre l’importance qu’ont les propositions de formation au management dans les parcours professionnels. Signe d’une élection possible mais non définitive, elles placent l’élu soucieux de faire carrière dans l’obligation de ne pas remettre en cause la structure et les mécanismes qui pourraient lui permettre d’accéder à des positions convoitées. Il y a là une nécessité qui pousse à l’adhésion et à la conformité, d’où résultent la valeur.

Conclusion

Nous avançons donc que le succès de cette figure du manager charismatique porte l’empreinte du surcodage, de la recodification des flux du désir. Ainsi, notre mode d’appréhension de cette réalité complexe ne nous conduit-il pas à rejeter les types d’explication avancés par la psychologie sociale et la psychanalyse. Notre approche permettrait plutôt d’alimenter leurs circuits théoriques afin d’en accroître le rendement heuristique. En effet, réinsérer le processus d’identification-projection dans l’ordre de la captation du désir ouvre d’autres portes à l’explication.

L’effritement des systèmes de triangulation (grands récits, Lois, normes, espaces d’organisation du travail, dispositifs de certification de la valeur) qui ont pu, un temps, contenir et canaliser attitudes et comportements de ceux qu’ils traversaient et qui s’y trouvaient insérés, s’est vu redoublé de l’apparition de principes de surcodages qui donnent lieu à des formes nouvelles de captation du désir. Mais, ces recodifications plurielles ne permettent plus aux individus de se penser dans la coopération ou la confrontation sur fond d’appartenance à un cadre institué de relations structurées. Laissant place à des relations interpersonnelles à l’intérieur desquelles l’injonction est faite à chacun de se comporter en acteur autonome et autodéterminé, l’individu devient aussi le dépositaire de ces délitements pluriels qui risquent de semer en lui confusion et désorganisation, alors qu’il se doit de faire face aux nouveaux visages qu’offre l’autorité. Par là, nous voulons aussi signifier que le manager charismatique pourrait bien remporter quelque succès au confluent du désir mimétique et de la séduction narcissique. En effet, l’identification par projection offre un débouché socialement acceptable aux désirs latents et contenus qui n’avaient pas trouvé de voies d’expression légitimes. D’un côté, l’importance que j’accorde au manager est proportionnelle à la distance qui nous sépare, plus elle sera grande, plus augmentera le pouvoir que je lui attribue ; s’il a ce que je n’ai pas, je ne pourrai pas devenir ce qu’il est… mais je pourrais tâcher de lui ressembler. Mais qu’il daigne réduire cette distance, et me voilà rassuré, momentanément, sur le sentiment que je peux avoir de ma valeur. Il y a là un encouragement qui m’impose d’être digne de son attention. D’un autre côté, le manager porteur de charisme peut aussi m’offrir la possibilité de devenir ce que je pense qu’il parvient à être et qui peut-être est en moi. Ici, la séduction qui opère tient à la jouissance que peut procurer en moi celui qui me révèle en parvenant à débusquer cette part d’inattendu et d’inavouable qui sommeille au creux de mon être. Ce sentiment d’être révélé par autrui me place d’emblée sous sa dépendance. Comment ne pas succomber au charme de celui qui, investi de tous les désirs, me laisse à penser que je suis digne de lui et qui, dans certains cas, peut me révéler à moi-même tel un éblouissement ? Dans ces deux cas de figure, la relation interindividuelle qui s’établit entre le manager et celui qu’il côtoie permet, au premier, de faire l’économie des preuves de sa valeur et, au second, évite de développer une pensée critique, ou même analytique, face aux recommandations de celui auquel il se soumet. Le plaisir mystifié que l’autre provoque en soi tétanise la pensée de ceux qui, séduits, éblouis, ou hypnotisés, tombent sous, ou se laissent bercer par l’emprise du manager charismatique. Mais, le fondement de cette séduction reste, lui aussi, hors d’atteinte de la conscience. Par là même, on peut concevoir que ce que le manager utilise en l’autre pour parvenir à ses fins ne soit que le symptôme d’un processus de refoulement. Cette captation du symptôme névrotique par le manager prive ainsi littéralement l’individu d’une compréhension de lui-même. C’est en ce sens que l’on peut voir dans le refoulement le bras armé de la répression63. Mais alors, ces mécanismes de domination qui masquent les principes sur lesquels ils se fondent et occultent les motifs personnels que l’on a de se laisser conduire, porter, ou diriger, risquent aussi de laisser le champ ouvert à toutes les conduites possibles.

1  M. Weber, Économie et société 1. Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, 1971, p. 320.

2  M. Weber, Économie et société 1. Idem., p. 95.

3  M. Weber, Économie et société 1., Idem., p. 289.

4  M. Weber, Économie et société 1., Idem., p. 321.

5  M. Weber, Économie et société 1., Idem., p. 320-321.

6  Robert Dahl, Qui gouverne ?, Paris, Armand Colin, 1971. À la question de savoir qui gouverne, R. Dahl répond de la façon suivante : « ni la masse ni les leaders, mais les deux ensemble ; les leaders pourvoient au désir des masses et, en retour, utilisent la force que leur procurent la loyauté et l'obéissance pour affaiblir et même annihiler toute opposition à leur loi ».

7  En effet, dans l’absolu, on peut imaginer pouvoir reconnaître des qualités exceptionnelles à quelqu’un sans pour cela se sentir enclin à lui obéir. Mais comment savoir alors si ce que nous faisons n’a pas subi (n’est pas pour partie le produit de) son influence ? Une nouvelle fois, se trouve posée la question de savoir ce qui marche là où s’exerce un pouvoir d’influence.

8  Pour rappel, Weber parle de représentation et non de conscience d’un ordre légitime. « L’activité, et tout particulièrement l’activité sociale, et plus spécialement encore une relation sociale, peut s’orienter, du côté de ceux qui y participent, d’après la représentation de l’existence d’un ordre légitime [legitime Ordnung]. La chance que les choses se passent réellement ainsi, nous l’appelons « validité » [Geltung] de l’ordre en question. » M. Weber, Économie et société 1., op. cit., p. 64.

9  C. Roland-Lévy, « Management et comportements humains », in C. Bonardi, N. Gregori, J.-Y. Menard, et N. Roussiau (sous la dir.), Psychologie sociale appliquée. Emploi, travail, ressources humaines, Paris, In Press, 2004, p. 98.

10  A. Jago, Leadership : perspectives in thory and research. Management Sciences. 28. 1982, pp. 315-336.

11  C. Louche, Psychologie sociale des organisations, Paris, Armand Colin, 2002, p. 104.

12  Pour un résumé de ces orientations, on pourra se reporter à C. Louche, « Le leadership dans les organisations ou « autopsie d’une perspective », in C. Bonardi, N. Gregori, J.-Y. Menard, et N. Roussiau (sous la dir.), Psychologie sociale appliquée. Emploi, travail, ressources humaines, op. cit., p. 115-129.

13  Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron parlent d'« essentialisme implicitement enfermé dans l'idéologie charismatique ». P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 109.

14  « Contre toutes les formes de l’illusion occasionnaliste qui incline à rapporter directement les pratiques à des propriétés inscrites dans la situation, il faut rappeler que les relations « interpersonnelles » ne sont jamais qu’en apparence des relations de personne à personne et que la vérité de l’interaction ne réside jamais tout entière dans l’interaction. » P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Les Editions de Minuit, 1980, p. 98.

15  S. Freud, « Psychologie collective et analyse du moi » in Essais de psychanalyse, Paris, Éditions Payot, 1968, p. 30. Nous faisons ici référence à la version numérique de ce document mise en ligne sur le site : http://classiques.uqac.ca. Notons que les mots de charisme et de leader ne sont jamais employés par l’auteur.

16  S. Freud, « Psychologie collective et analyse du moi », Idem., p. 61.

17  Par identification, on entend le « processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. » J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Quadrige / PUF, 1967, p. 187. On voit par là les affinités qui existent entre cette notion d’identification et le processus de contagion des propriétés connu des anthropologues et historiens. La contagion des propriétés est un principe d'une pensée magique qui considère que, par le seul contact (physique ou imaginaire) de la chose approchée, les propriétés qu'on attribue à celle-ci finissent par faire corps avec celui qui la côtoie. Cette définition succincte reprend, dans un condensé schématique, ce que J.-G. Frazer nomme La magiesympathique. Voir J.-G. Frazer, Le rameau d'or, Vol. 1. Le roi magicien dans la société primitive, Paris, Robert Laffont, 1981, 1004 p. La pensée magique, telle qu'elle s'exprime à travers certains rites traditionnels, s'articule selon lui autour de deux principes. Un principe d'identité, où l'on considère que ce qui se ressemble partage la même essence ; ici, la partie recèle toutes les propriétés et vertus du tout dans une continuité d'essence. Le second principe, principe de contagion, considère que, par lecontact, les choses se transmettent leurs propriétés les unes aux autres.

18  Cette définition sommaire de l’aliénation reprend à son compte deux lignages sémantiques, d’un côté la branche hégéliano-marxiste, de l’autre la ramification lacanienne. Pour la première de ces branches, nous prenons appui sur le travail de synthèse effectué par Paul Ricœur : « Et l’on peut dire que l’homme lui-même est fait autre par identification à cet idéal, par projection de soi dans l’autre. » P. Ricœur, « Aliénation », Encyclopédie Universalis, V 1, Version 2006. L’extension de la notion d’aliénation est contemporaine de la multiplication des sphères dans lesquelles circulent les figures de l’autre qui agissent alors comme autant de lieux où peut s’exercer « le soupçon que l’homme conçoit à l’égard de sa propre condition, soupçon d’être dépouillé de quelque chose qui lui appartient au profit d’un autre, soupçon que, par ce vol ou ce viol, il devient un autre que ce qu’il veut être ou doit être. » P. Ricœur, « Aliénation », Idem. Maria-Cristina Poli a résumé la seconde ramification de la façon suivante : « Le sujet « s’aliène à lui-même » dans la construction d’une image fictionnelle : le moi ; il s’agit d’une espèce d’« hypothèque » du sujet, découlant de la rencontre avec le désir de l’Autre. » M. C. Poli, Le concept d’aliénation en psychanalyse, Figures de la Psychanalyse 2005- 2 (no 12)| ISSN 1290-3493 | ISSN numérique : en cours | ISBN : 2-7492-0413-5 | page 45 à 68.

19  [La structure charismatique] met en action chez chacun les forces inconnues et immaîtrisables du ça dans leurs aspects les plus irrationnels et les plus violents, l’énergie psychique primaire et celle que le refoulement a construit au service du désir de toute-puissance (moi idéal) et de la cause incarnée ou fétichisée à défendre (idéal du moi. » E. Enriquez, Les jeux du pouvoir et du désir dans l’entreprise, Paris, Desclée de Brouwer, 1997, p. 39.

20  « Déjà la forme suivante de la société humaine, le clan totémique, repose sur cette transformation qui, à son tour, forme la base de tous les devoirs sociaux. La force irrésistible de la famille, comme formation collective naturelle, vient précisément de cette croyance, justifiée par les faits, en un amour égal du père pour tous ses enfants. » S. Freud, « Psychologie collective et analyse du moi », op. cit., p. 59.

21  G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie. L’anti-œdipe, Paris, Les Éditions de Minuit, 1973, 494 p.

22  G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie. Idem., p. 124-125. Quelques pages plus tôt, les auteurs définissaient le projet de la schizo-analyse de la façon suivante : « elle se propose de montrer l’existence d’un investissement libidinal inconscient de la production sociale historique, distinct des investissement conscients qui existent avec lui. » G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie, Idem, p. 117.

23  C’est à dessein qu’on emploie ce terme qui atteste d’une volonté de dépasser des clivages et de renouer des intentions théoriques. Ce projet s’inscrit dans une volonté tardive de Pierre Bourdieu qui, à l’intérieur d’un avant propos dialogué avec Jacques Maître, se proposait d’analyser les intrications entre institutions et désirs . « C’est ce double travail du désir sur les institutions et des institutions sur le désir, que devrait prendre pour objet une socioanalyse dépassant réellement l’opposition ente la psychanalyse et la sociologie. » J. Maître, L’autobiographie d’un paranoïaque, Paris, Économica, 1994, p. XIX.

24  « Le système de coordination-conjonction dans la machine capitaliste civilisée, correspondant au décodage des flux. Déterritorialisation, axiomatique et re-territorialisation, tels sont les trois éléments de surface de la représentation de désir dans le socius moderne. » G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie, Idem, p. 312.

25  On retrouverait une idée semblable chez des auteurs tels que Herbert Marcuse, dans L'homme unidimensionnel, et, plus proches de nous Luc Boltanski et Ève Chiapello, dans Le nouvel esprit du capitalisme, ou encore, et bien évidemment, avant eux, Karl Marx.

26  G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie, op. cit., p. 207-208.

27  Une approche englobante, soucieuse de comprendre les comportements des individus, chercherait à montrer comment la société s’y prend pour capter les désirs : désir de plaire, d’obéir, de suivre, d’être respecté, reconnu, de reconnaître en l’autre quelque chose – une disposition, une aptitude, une qualité, une caractéristique – qu’on pense ne pas avoir ou, à l’inverse, qu’on pense avoir mais qu’on ose pas mettre en avant, mais aussi désir de porter une idée, de servir une cause, une entreprise, de remplir une mission, etc. Il y a là un vaste champ programmatique, mais nous ne sommes pas en mesure de franchir le pas de l’intention à la réalisation concrète.

28  Dès le milieu du XVe, le terme ménager avait pris le sens de : « conduire, disposer, régler (quelque chose) avec soin, mesure, prudence (…) manier, diriger, administrer… avec adresse ». Vers 1560 on lui attribue le sens suivant : « Employer (un bien) avec économie, mesure, de manière à en tirer le plus de profit, à conserver ou à faire durer le plus possible ». Plus tard, vers 1665, il prendra le sens d’« employer ou traiter (un être vivant) avec le souci d’épargner ses forces ou sa vie. » Le grand Robert de la Langue Française, (2001). Deuxième édition dirigée par Alain Rey du Dictionnaire Alphabétique et Analogique de la Langue Française de Paul Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert – VUEF, p. 1341-1342.

29  « Le pouvoir disciplinaire (…) est un pouvoir qui, au lieu de soutirer et de prélever, a pour fonction majeure de « dresser », ou sans doute, de dresser pour mieux prélever et soutirer davantage. » M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 200.

30  Après avoir étudié deux corpus de textes de la littérature managériale des années soixante et quatre-vingt-dix, composés respectivement de 60 puis de 66 textes, les auteurs dresseront le portrait idéal (« êtres fictifs ») du manager de la seconde période.

31  É. Roussel, Vies de cadres. Vers un nouveau rapport au travail, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 87.

32  É. Roussel, Des cadres dans une société en mutation. Une tentative pour comprendre le rapport au travail des cadres, doctorat de sociologie, Université de Nantes, 2004, p. 528.

33 . E. Todd, L'invention de l'Europe, Paris, Editions du Seuil, 1990, p. 546.

34  J.-F., Lyotard, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 7. Mais on pourra aussi se reporter aux ouvrages de Jürgen Habermas, La technique et la science comme "idéologie", Paris, Gallimard, 1973, 211 p., du même auteur, Le discours philosophique de la modernité, Paris, Gallimard, 1985, 484 p. mais aussi à Charles taylor, Le malaise de la modernité, Paris, Cerf, 1994, 126 p.

35  J.-F., Lyotard, La condition postmoderne, Idem, p. 63.

36  E. Kant, Qu’est-ce que les lumières ?, Paris, Broché, 2006.

37  D.-R. Dufour, « Servitude de l'homme libéré », Le Monde diplomatique, Octobre 2003, N° 595, p. 3.

38  A. Ehrenberg, La fatigue d'être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, Hachette Littératures, 1998, p. 15.

39  S. Zizek, Le Spectre rôde toujours. Actualité du Manifeste du Parti Communiste, Paris, Nautilus, 2002, p. 15.

40  G. Brassens, Mourir pour des idées, Paris, Éditions musicales 57, 1982, p. 126.

41  « À notre époque, celle des démocraties libérales, tout repose, en fin de compte, sur le sujet, sur l’autonomie économique, juridique, politique et symbolique du sujet. Or c’est dans le même temps que se rencontre, à côté des expressions les plus infatuées d’être soi, la lus grande difficulté d’être soi. » D.-R. Dufour, « Les désarrois de l’individu-sujet », Le Monde diplomatique, Février 2001, N° 563, p. 16.

42  « Partout, l'effondrement des croyances collectives a isolé l'individu, le ramenant à une échelle dérisoire. » E. Todd, L'illusion économique. Essai sur la stagnation des sociétés développées, Paris, Gallimard, 1998, p. 268.

43  É. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Quadrige / P.U.F., 1987, p. 5.

44  Ce que Luc Boltanski et Ève Chiapello appellent des « ordres de justification » soit, des « cités ». Voir Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 582, mais aussi et surtout de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991, 483 p.

45  É. Roussel, Des cadres dans une société en mutation. op. cit., p. 851.

46  D.-R. Dufour, « Les désarrois de l’individu-sujet », op. cit., p. 17. Sur l’ensemble de ces questions, on pourra se reporter avantageusement à l’ouvrage, du même auteur, L’art de réduire les têtes. Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total, Paris, Denoël, 2003, 255 p.

47  Rendons hommage à Étienne de La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire, Paris, Editions Mille et une nuits, 1995, 63 p.

48  J. Fourastié, Les Trente Glorieuses. La Révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979, 288 p.

49  « En 1992, 24 % des établissements travaillent en « juste-à-temps », davantage dans l'industrie, et particulièrement dans celles des biens de consommation (56 %). 34 % ont mis en place des groupes de travail pluridisciplinaires qui rassemblent des salariés de plusieurs services autour d'un projet ; 27 % ont procédé à la suppression d'un niveau hiérarchique intermédiaire. » T. Coutrot, « Les nouveaux modes d'organisation de la production : quels effets sur l'emploi, la formation, l'organisation du travail ? », Données sociales 1996, La société française, INSEE,  p. 210-211 Ces innovations touchent inégalement les entreprises, celles de taille importante les adoptant en priorité.

50  É. Roussel, Des cadres dans une société en mutation, op. cit., p. 484.

51  « Ce qui se transmet avec les récits, c’est le groupe de règles pragmatiques qui constitue le lien social. » J.-F. Lyotard, La condition postmoderne, op. cit., p. 40.

52 . N. Élias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991, p. 241.

53  « L'attachement réciproque qui existe entre les individus composant une foule doit résulter d'une identification (…) fondée sur une communauté affective ; et nous pouvons supposer que cette communauté affective est constituée par la nature du lien qui rattache chaque individu au chef. » S. Freud, « Psychologie collective et analyse du moi », op. cit., p. 43.

54 . Ici, le cadre interrogé se met dans la peau de son chef coaché et imagine ce qu'il ressent.

55  É. Roussel, Des cadres dans une société en mutation. op. cit., p. 573.

56  « L'autorité qu'ils acquièrent sur leurs équipes est liée à la « confiance » qui leur est accordée grâce à leurs qualités de « communication » et d'« écoute » qui se manifestent dans le face-à-face avec les autres. » L. Boltanski et È. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit.  p. 122.

57  L'École des managers de demain, Paris, collectif, Économica, 1994, p. 35-36 cité G. Lazuech, « La formation des cadres et ingénieurs : entre savoirs et savoir-être. Contribution à une sociologie du processus d'internationalisation », Thèse de doctorat, Université de Nantes, 1998, p. 78.

58  On a déjà, dans une communication, essayé de faire apparaître quelle fonction pouvait emplir ce paradoxe occulté. Voir É. Roussel, « Une aisance naturelle », in Livian Yves (sous la dir.), Les Cahiers du GDR CA.D.R.E.S., Ce que font les cadres, décembre 2003, Université Jean Moulin Lyon 3, Vol 6, pp. 49-58. La littérature managériale pointe elle-même ce paradoxe, mais se contente de le désigner. À titre d'exemple, on pouvait voir dans un article de management deux attitudes opposées face à la même question : « Comment devient-on manager ? ». Les réponses sont les suivantes : « Ce qu'en pense le chef : "Pour diriger, il faut avant tout de l'autorité et du charisme. Cela ne s'invente pas. Par ailleurs, pour devenir chef, il faut avoir gravi un à un les échelons du pouvoir." Ce qu'en pense le coach : "Manager s'apprend. On ne naît pas forcément chef. La tendance actuelle, c'est d'étudier chez un individu les "contre-implications" à l'exercice du pouvoir. La fatigabilité, par exemple, la vulnérabilité, ou encore le fait d'être mal à l'aise face à un ou plusieurs interlocuteurs." »  C.-H. Haquet, « Les nouveaux chefs », Courrier cadres, n° 1384 - 16 février 2001, p. 27.

59 . H. Mintzberg, « Planifier à gauche et gérer à droite. Les responsables fonctionnels et opérationnels n'utilisent pas le même hémisphère cérébral », Extrait de la revue Harvard - L'Expansion, 1976, pp. 1-10.

60 . C. Sicard, Le manager stratège, Paris, Dunod, 1994 cité par L. Boltanski et È. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit. p. 123.

61  « Nicolas Sarkozy et Michel Onfray : Confidences entre ennemis », Philosophie magazine, N°8, Avril 2007. « On observe que les cadres français sont nuancés sur cette question [de l’inné et de l’acquis], même s'ils semblent globalement faire plus confiance aux caractères innés d'une personnalité qu'à ce qui peut être acquis. » A . Kerjean, Les nouveaux comportements dans l'entreprise, Paris, Editions d'Organisation, 2000, p. 152-153.

62  « La domination charismatique (…) est amenée, dans son essence, à changer de caractère : elle se traditionnalise ou se rationalise (se légalise), ou les deux en même temps (…). Les motifs qui y conduisent sont les suivants : (…) La conception que le charisme est une qualité transmissible par des moyens rituels d'un porteur à d'autres ou qu'il peut être engendré (originellement, de manière magique) : objectivation du charisme, en particulier du charisme de fonction [Amtscharisma]. La croyance en la légitimité ne concerne plus alors la personne, mais les qualités acquises et la vertu de l'acte rituel. » M. Weber, Économie et société 1., op. cit., pp. 326-329.

63  « Le refoulement proprement dit est un moyen au service de la répression. » G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie, Idem, p.124.

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Le recours de la méthode : images du chef dans l’oeuvre d’Alejo Carpentier

Dominique Diard

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