L’auteur s’appuie sur les travaux d’un psychanalyste chilien, Ignacio Matte- Blanco, auteur de « The unconscious as infinite sets. An essay in bi-logic. »
Il analyse les éléments de propagande du quotidien, Le Mercurio, couvrant toute la période 54-94. Ce premier ouvrage couvre le gouvernement d’Allende.
Matte Blanco s’appuie sur le concept de psychanalyse de Freud : inconscient/conscient. Il est l’auteur de deux ouvrages :
The unconscious as infinite sets. An essay in bi-logic.Duckworth London 1975
Thinking, feeling and being, Routledge, London 1988
Le conscient est le siège de la logique et de la rationalité, l’inconscient, celui de l’illogisme et de l’irrationalité.
Selon Matte Blanco, c’est de l’interaction, (observée par Freud), entre les deux que dépendent les manifestations mentales. M .B. appelle logique scientifique soit la logique bi-valente (conception duale du vrai et du faux) soit la logique aristotélicienne.
Pour Matte Blanco la logique scientifique est une réaction contre l’anxiété produite par l’insécurité et la dépendance (intrafamiliale). De même, plus tard, sorti de la famille, dans un contexte de développement de la personnalité, de survivance économique, cette logique scientifique lui sera très utile. Dans le contexte occidental où la logique aristotélicienne prédomine, du fait de la part monopolistique attribuée au rationnel, cet aspect est peu, voire pas valorisé. Malheureusement pour les chercheurs, cette prédominance escamote une grande partie des fondements humains, notamment l’affectivité. Matte Blanco. va donc expliquer cette dualité en termes de généralisation et de symétrie.
Partant de la théorie freudienne, il avance les idées suivantes :
1- L’inconscient accepte les contradictions (une personne peut être vue vivante et morte à la fois, notamment dans les rêves)
2- Les contenus mentaux peuvent se superposer et s’interchanger comme s’ils étaient identiques. (une personne peut apparaître en rêve sous les traits d’une autre)
3- Les contenus mentaux peuvent se condenser au point d’apparaître uniques. (On peut identifier un jardin botanique avec des personnes portant des noms de fleurs ou de plantes, ou encore avec une recherche scientifique sur la botanique)
4- Absence de temps. Cette idée rejoint celle de Freud relative à l’intemporalité. Dans l’inconscient profond, les contenus ne varient pas au rythme du temps. On peut se référer à un personnage de l’enfance comme on le sentait à l’époque. Cette idée nous rappelle la madeleine de Proust.
5- Remplacement de la réalité externe par l’idée imaginée. (Une personne que l’on imagine dangereuse en rêve, peut se transformer en un être que l’on croit effectivement dangereux dans la réalité.)
A partir de cette première approche, M.B. définit deux notions : la généralisation et la symétrie :
La généralisation. « Le système inconscient traite d’une chose individuelle comme si elle avait été membre ou élément d’un ensemble contenant d’autres éléments. Il traite de cet ensemble comme un élément d’une classe plus générale et de cette classe ainsi obtenue comme d’un élément qui en fait partie. »
Ceci peut se percevoir dans le conscient dans une perspective logique. Mais la généralisation obtenue est alors plus symétrique et ordonnée.
Dans l’inconscient, c’est le contraire, de plus avec un processus d’identification accéléré, instantané. (Une personne peut à elle seule représenter le groupe auquel elle appartient. Le processus de généralisation dans l’inconscient atteint des niveaux plus ou moins élevés en fonction du contexte et de l’impact émotionnel.
Ainsi une personne assimilée à un ensemble auquel elle appartient, peut, si elle est perçue dangereuse, et si l’impact émotionnel intervient, transmettre à tout le groupe sa propre caractéristique. En clair, si une personne est communiste et si elle est dangereuse, c’est tout le groupe communiste qui peut être considéré comme dangereux.
Le logicien irlandais Ross-Skelton affirme que ce principe relève en fait di principe prédicatif de aristotélès, reconnu par Calvin Hall. Mais Duran n’explicite pas davantage ce dé bat.
Le second principe avancé par Matta Blanco est celui de la symétrie.
Selon lui l’inconscient peut rendre asymétriques deux relations symétriques.
Une relation d’égalité est, dans la logique aristotélicienne, symétrique.
Si a=b, ceci veut dire que b=a
La relation d’inégalité est asymétrique.
a>b, signifie que b<a.
Selon M.B., pour l’inconscient, toutes les relations asymétriques peuvent être rendues symétriques.
Si a est la mère de b, b peut être perçue comme la mère de a
A partir de là, diverses conséquences peuvent être tirées :
1- Quand s’applique le principe de symétrie, il ne peut y avoir de succession.
Si l’espace temps y suit l’espace temps x. Par le principe de symétrie, on peut affirmer que l’espace temps x suit l’espace temps y. C’est de cette manière que peut s’expliquer l’absence de temporalité vue par Freud.
2- Avec le principe de symétrie, la partie d’un tout devient le tout. Chaque élément d’un tout est identique à l’autre et identique au tout. Disparaissent alors les contradictions.
Dans la réalité consciente, il serait contradictoire de dire que le mur est à la fois rouge et non rouge. Dans l’inconscient, chaque partie de couleur différente devient de couleur identique. Le rouge devient vert, le vert bleu et ainsi de suite.
Ainsi l’inconscient tient une autre logique que le conscient.
Matte Blanco développe alors quatre concepts, selon la nature et le niveau de localisation :
-bi-logique
-symétrisation
-niveau de profondeur bi-logique
-structure bi-logique.
Nous avons donc, en tant qu’êtres humains dotés d’un conscient et d’un inconscient, trois logiques à notre disposition :
-la logique classique de type aristotélicien,
-la logique symétrique,
-la bi-logique qui regroupe les deux premières.
On peut donc avancer l’idée que notre fonctionnement est bi-logique et que dans toute manifestation mentale, sont toujours présents, à un degré plus ou moins grand, les 2 systèmes de logiques.
Il est intéressant d’analyser tant l’idéologie que la propagande, par rapport à cette approche.
L’idéologie, en faisant appel au rationnel et à l’irrationnel, aux mythes, aux images, aux idées et aux concepts, s’inscrit parfaitement dans une telle analyse.
Althusser développa l’idée d’une logique propre à l’idéologie. Elle comporte une logique de type aristotélicien, en référence aux idées et aux concepts. Mais elle obéit également à l’illogisme ou plutôt à celle développée par M.B.
Duran avance alors une autre définition :
« L’idéologie est un système bi-logique de représentations (images, mythes, idées et concepts) doté d’une existence historique et avec une fonction spécifique dans une société déterminée. Dans un tel système de représentations, l’idéologie se distingue de la science parce que en elle, la fonction pratico-sociale est plus importante que la fonction théorique et de connaissances. »
La logique propre de l’idéologie peut donc se déterminer selon les principes de généralisation et de symétrie.
On parlera alors de :
ALASSI, pour alternance symétrie/asymétrie, combinaison alternée des deux logiques.
SIMASSI, pour simultanéité symétrie/asymétrie, les deux logiques apparaissent en même temps,
Constitutive et stratifiée, cette combinaison est réalisée lorsque l’individu, se laissant pénétrer par des observations allant au-delà du premier niveau (sensoriel), peut effectuer de l’objet qu’il voit deux perceptions simultanées, l’une consciente, l’autre inconsciente. La stratification va alors dépendre des zones affectées.
L’auteur distingue 5 zones :
- Première zone : Objets conscients et bien délimités. Il y a alors deux niveaux :
le conscient : zone de la conception ou de la perception concrète d’un objet, d’une idée ou d’une personne. Ce niveau se caractérise par son asymétrie.
Toujours dans le conscient, mais interprétation des relations entre les personnages, les choses ou les idées.
- Deuxième zone. Celle des émotions plus ou moins conscientes. Il s’agit de la perception des émotions au premier degré (ça me plaît ou ça ne me plaît pas) . Niveau asymétrique.
- Troisième zone : symétrisation de la classe. Il s’agit alors d’une symétrie plus grande : les éléments d’une classe finissent par s’identifier chaque fois plus entre eux. L’élément s’identifie à la classe et intègre les critères de cette classe. Principe de l’atemporalité.
- Quatrième zone : symétrisation des classes plus grandes. Union des classes qui en font des groupes symétriques plus grands, plus larges. Par exemple, l’homme s’identifie à la femme. La réalité psychique s’identifie avec la réalité effective. Rencontre de contradictions.
- Cinquième zone : pour l’auteur, les zones se font de plus en plus profondes au sein de l’inconscient. Du haut vers le bas, la symétrisation se fait plus grande et la pensée, au sens rationnel, fondée sur des relations asymétriques se fait plus difficile.
On s’aperçoit alors que l’idéologie peut se percevoir au moins dans les quatre premières zones, du plus rationnel au plus irrationnel.
Duran procède alors à une catégorisation des idéologies et établit leur relation avec chacune de ces zones :
Selon lui, l’idéologie de type autoritaire (hors marxisme),, de type fasciste, plonge ses racines jusqu’au niveau de la troisième zone.
L’idéologie de type libéral-démocrate capitaliste montre une tendance au principe asymétrique nette. Elle se situe donc en première lecture en première zone, premier niveau. Mais dans la pratique, cette idéologie développant des critères du type autoritaire (le système néo-libéral, la prédominance monopolistique du marché, érigé au rang de doctrine), crée une classe dominante. Elle touche alors la troisième zone. Par exemple, le marché libre est dominateur et s’impose au consommateur. Le marché n’est donc plus libre.
L’idéologie de type libéral-démocrate, « humaniste » s’inscrit davantage dans le second niveau de la première zone. Mais son intégration obligée dans le système capitaliste le rend dépendant de son monopole. De fait cette idéologie va s’inscrire elle aussi dans la troisième zone et dans la seconde.
En revanche le système marxiste couvre les cinq zones. Ceci s’explique par sa volonté de se substituer à toutes les structures existantes (politique, sociale, économique, religieuse, philosophique et culturelle). Cette idéologie se caractérise par son caractère paradoxal : haut degré de justice sociale (principe d’égalité donc de symétrie), contrebalancé par son caractère totalitaire (inégalité de fait et asymétrique)
Ainsi si l’idéologie s’entend comme un système bi-logique, la propagande se conçoit comme un système de persuasion idéologique. La propagande est donc elle aussi de nature bi-logique et a pour finalité de convertir les masses.
Cette approche psychanalytique de l’idéologie et de la propagande est très intéressante du point de vue de son analyse et de son impact sur les mentalités. En revanche, dans notre cas où nous avons étudié la propagande soviétique à travers l’image, nous ne pouvons pas retenir le fait que les propagandistes soviétiques se sont appuyés sur cette méthode. En effet, durant plus de quarante ans, ils ont récusé l’approche psychanalytique (Freud était considéré comme un charlatan et la notion d’inconscient n’était pas reconnue) et ont fondé leurs méthodes sur le pavlovisme et, plus tard, ses dérivés comme le behaviorisme ou le comportementalisme. Mais on ne peut nier que l’approche psychanalytique nous offre une méthode d’analyse pertinente.
En ce qui concerne la propagande moderne menée au sein des démocraties et en particulier aux Etats-Unis, cette méthode fut sans aucun doute retenue, même si l’analyse de l’auteur ne date que de la moitié des années 70. Elle pourrait donc être utilisée pour toute la propagande récente, relevant des années postérieures à cette période. D’ailleurs l’étude de Claudio Duran appliquée à la période antérieure au coup d’état de la junte militaire chilienne en 1973 est très parlante et nous éclaire de façon fulgurante tant sur les techniques supposées que les effets observés dans l’opinion. L’auteur n’a travaillé que sur l’écrit, mais il est clair que cette méthode sera très adaptée à une étude de l’image.