N°19 / L'inconscient collectif Août 2011

La conscience écologique citoyenne : de la sensibilisation à la participation des actions écophiles

Lamia Abdmouleh

Résumé

L’objectif de cette recherche consiste à appréhender le comportement des individus en analysant leur conduite face à des problèmes relatifs à l’environnement en se basant sur des variables sociodémographiques et psycho graphiques (styles de vie). Il ressort de cette étude, une certaine conscience collective de l’importance de l’environnement et une nette sensibilité écologique des dangers qui le menacent. Ce qui a amené les citoyens à s’approprier leur environnement et agir comme des consommateurs responsables en participant à plusieurs actions visant à le réhabiliter. Force est d’admettre que la protection de la nature et de l’environnement devient une norme sociale qui s’infiltre dans la vie quotidienne des gens.

The object of this research consists in understanding the people’s behavior vis-à-vis the problems related to the environment by using socio demographic and psycho graphic variables (life style). This study demonstrates a certain collective conscience of the importance of the environment and a clear ecological sensibility of the danger threatening it. This is manifested through the citizens tendencies to be closer to their environment and more concerned about and to act as responsible consumers by participating in several ecological actions. Obviously, the problem of nature and the environment has become a social norm which has infiltrated in people’s daily life.

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Introduction

La protection de l'environnement et la référence à l'écologie sont considérées, dans les pays développés, depuis longtemps, comme des tendances socioculturelles fortes et durables. Elles ont un effet non négligeable sur les modes de production des entreprises, le mode de vie et le comportement des consommateurs. Le programme des Nations pour l’environnement (PNUE) appelle une participation urgente des consommateurs à la protection de l’environnement et au traitement des questions écologiques (rapport PNUE 1999). Il prône pour une consommation durable (sustainable consumption) et non pas une consommation matérielle. Cette notion a été définie comme ‘’ les activités reliées à la recherche, l’utilisation et la mise au rebut de tous les biens ou services qui répondent aux besoins basiques et apportent une meilleure qualité de vie, tout en minimisant l’utilisation des ressources naturelles, de matériaux toxiques et l’émission de déchets et polluants durant le cycle de vie, de façon à ne pas compromettre les besoins de la nature ainsi que des générations présentes et futures’’1. L’appel à la consommation durable renaît au sein du courant de recherche macromarketing suite à plusieurs travaux de recherche qui ont voulu appréhender et expliquer les écarts existant entre la préoccupation environnementale et les comportements de protection (Wieneret descher, 1991 ; McCarthy et SChrum,1994 ; Grunert-Beckmann et Knnudsen,1996 ; Gierl et Stumpp,1999)

En Tunisie, la volonté politique du gouvernement s'inscrit dans la problématique environnementaliste à travers différents engagements. Ainsi, cette volonté se manifeste en accordant un intérêt considérable à la composante écologique, en mobilisant les ressources humaines, financières et techniques pour défendre cette cause, en sensibilisant le public pour l'inciter à prendre en charge son environnement, en créant des institutions tels que le Ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire, le centre de technologie appropriée, l'Agence Nationale de Protection de l'Environnement et en participant aussi aux programmes des Nations Unies pour le développement durable. Cette conscience politique des problèmes environnementaux trouve encore plus sa légitimité lorsque la Tunisie a signé les accords de l'O.M.C. Ainsi la majorité des pays membres tiennent compte des variables écologiques dans leurs politiques de production et imposent de ce fait des normes écologiques aux pays qui désirent exporter leurs produits. Ajoutons à cela que le marché tunisien va être envahi par les produits importés dont une grande partie est des produits écologiques qui portent le label vert. Ces derniers vont entrer en rude concurrence avec les
produits tunisiens, ce qui va amener les consommateurs dans une situation de choix difficile.

1 - Où en est alors le consommateur tunisien par rapport à cette question ?

2 - Existe -t- il une sensibilité environnementale de sa part ?

L’objectif principal de cette recherche consiste à analyser le comportement des individus à travers l’explication de leur conduite face à des problèmes relatifs à l’environnement.

Dans le cadre de cette investigation, nous avons voulu étudier les aspects suivants :

- Le degré d’impact des campagnes de sensibilisation environnementale télévisées sur le comportement des personnes interviewées ;

- la disposition de ces dernières à contribuer à des actions de protection de l'environnement et de la nature

- et enfin leur conduite face à la consommation des ressources naturelles (cas de l'eau).

I Méthodologie de Travail

Pour répondre aux questions posées nous avons utilisé l'approche socioculturelle de styles de vie qui sert à décrire et analyser en profondeur le pourquoi du comportement de l'individu en enrichissant ainsi, l'information apportée par les variables sociodémographiques. Devant l'inexistence d'un modèle qui assure l'exhaustivité totale, nous avons adopté l'approche générale descriptive A.I.0 (attitudes, intérêts, opinions) de WELLS et TIGERT2 qui est la plus connue en matière de styles de vie.

Avant d’expliquer cette approche, il faudrait mieux définir la notion de style de vie telle qu’elle a été développée par les sciences humaines et en marketing.

Le style de vie est un concept fort riche, possédant plusieurs facettes, il a intéressé non seulement les chercheurs dans les sciences humaines mais aussi les hommes de marketing. Cependant nous pouvons dire que les définitions avancées dans le cadre des recherches faites dans ce domaine se différencient parfois les unes des autres sur quelques éléments et parfois elles se complètent et ceci faute d’un consensus général et d’un cadre conceptuel accepté par tous les chercheurs. Il ressort en fait de toutes ces recherches un but commun à savoir  la compréhension de la dynamique d’adaptation du consommateur avec son environnement socioculturel et ceci au-delà des variables sociodémographiques et économiques.

En ce qui concerne la filiation du concept style de vie, il s’est avéré que ce dernier a pris son origine de plusieurs disciplines telles que la psychologie, la sociologie, la psychologie sociale et l’anthropologie. Ainsi le style de vie est la résultante de plusieurs forces telles que la personnalité, les groupes, les valeurs et la culture qui ont un effet primordial dans la compréhension des sensibilités et des différences comportementales dans plusieurs cas d’études.

Les variables utilisées dans ce genre de recherches se rapportent à des variables traitées dans tout modèle d’attitudes en marketing. Il existe en fait deux sortes de variables. Les premières sont relatives à la composante cognitive de l’attitude, nous trouvons les opinions, les perceptions et les attentes à l’égard de divers sujets concernant l’interviewé lui même et l’environnement en général : ce sont les variables explicatives. Les deuxièmes décrivent les composantes affectives et conatives de l’individu, sous forme de préférences et de comportement envers l’environnement en général et envers les produits et les marques d’une manière spécifique : ce sont les variables expliquées.

Mais la question que nous nous posons à présent, c’est comment mesurer et expliquer quantitativement le style de vie d’un individu ou d’un groupe d’individus ?

Plusieurs approches ont essayé d’élucider le concept style de vie que se soit pour donner lieu à des profils nationaux ou à des modèles de comportement face à un produit ou à une gamme de produits spécifiques. Nous utilisons dans le cadre de cette recherche l’approche par les activités, intérêts, opinions (A.I.O).Cette approche est développée par WIND et GREEN3 aux Etats Unis à la fin des années 70. Elle considère le style de vie comme l’étude des conditions d’existence et de la manière d’être et ceci en termes d’attitudes et d’activités des individus qui sont exprimées sous forme d’intérêts et d’opinions. Cette approche est considérée plus exhaustive que les autres vu qu’elle couvre les différents aspects de la vie de tous les jours : le travail, les courses, les loisirs, les médias suivis, les interactions avec l’environnement économique, politique et social (relations avec les parents, les amis, les enfants, la famille... ).

Ainsi WIND et GREEN pensent pouvoir dégager le style de vie d’un individu en décrivant ‘’ses valeurs propres telles qu’elles apparaissent au travers de ses activités, ses intérêts et ses attitudes face aux loisirs, au travail et à la consommation d’une part, en les rapprochant de la perception que se fait cet individu de son moi dans un cadre social tenant compte d’un comportement global ainsi que d’une classe de produits spécifiques et des marques qui la composent d’autre part ’’

Pour répondre aux questions posées, nous avons intégré deux catégories de variables : d'abord les variables styles de vie incluant les activités, les centres d'intérêts, les attitudes et les opinions de l'individu envers plusieurs questions sur la vie en général et envers l'environnement d'une façon spécifique. Ensuite, les variables sociodémographiques qui seront utilisées pour mieux décrire et expliquer le profil de l'interviewé.

De même cette recherche a nécessité la réalisation d'une enquête par questionnaire. Etant donné que l'analyse style de vie inclut un nombre important d'items ou de variables ; donc un questionnaire relativement long et condensé, nous avons opté pour la méthode de l'enquête directe avec la personne interrogée (le face à face) qui s'est avérée la plus adéquate.
Cependant, nous avons recouru au questionnaire auto-administré, avec au départ une explication de l'objectif du questionnaire et de ses grandes lignes et l'intervention si la personne interrogée le souhaite.

L'objectif de cette recherche est d'apprécier le comportement de l'individu d'une façon générale envers l'environnement, c'est à dire les actions qu'il peut entreprendre et qui ont une relation avec l'environnement naturel. Pour répondre à cette inquiétude nous avons posé les questions suivantes :

- Les campagnes de sensibilisation environnementales et particulièrement celles faites à la télévision ont-elles un effet positif sur le comportement de l’individu ?

- Est-il prêt à participer effectivement dans des actions de protection de l'environnement, que ce soit par l'effort physique ou par le paiement d'une cotisation ?

- Enfin est-il conscient de la rareté des ressources naturelles ? Essaie -t- il dans sa consommation d'éviter le gaspillage ? Ou au contraire il est inconscient et insouciant de ces divers problèmes ?

L’enquête4 a été administrée sur un échantillon5 de 150 personnes choisies par la méthode des quotas et les résultats sont obtenus suite à diverses analyses statistiques6.

II Analyse du comportement des consommateurs

Le comportement général des interviewés à travers l'explication de leur conduite face à des problèmes d'ordre général et qui ont une relation étroite avec l'environnement fera l’objet de cette investigation. Quel est alors le degré d'impact des campagnes de sensibilisation environnementale télévisées sur le comportement des citoyens ? 

Est-ce que ces derniers sont disposés à contribuer à des actions de protection de l'environnement et de la nature ?

et enfin comment se comportent-ils face à la consommation des ressources naturelles (cas de l'eau) ?

I. L'effet des campagnes de sensibilisation sur le comportement des citoyens

Avant d'analyser cette question, il est important de rappeler que les différentes instances qui s'occupent de l'environnement en Tunisie (Ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire "MEAT", l'Agence Nationale de Protection de l'Environnement "ANPE") ne cessent de montrer leur mobilisation autour des actions de sensibilisation et d'éducation environnementales.

Sensibiliser les citoyens, les inciter à s'approprier et prendre en charge leur environnement montrent bien la volonté politique du gouvernement tunisien de suivre le train de l'écologie. Pour atteindre leurs objectifs, le MEAT et l'ANPE en collaboration, ont entamé un grand nombre d'actions de sensibilisation qui englobent à la fois les productions audiovisuelles (les spots publicitaires, les émissions sur l'environnement, les clips), les productions écrites (affiches, dépliants, brochures, banderoles, documents scolaires, autocollants ...) et les manifestations de sensibilisation (la journée mondiale de l'environnement "5 juin", la journée nationale de propreté et de protection de l'environnement "11 juin", la fête de l'arbre, la campagne main bleue "plages propres"...).

Ces actions ont elles eu un impact sur les conduites du public tunisien ? Et Comment se manifestent ces dernières ?

Nous analyserons, en premier lieu le mécanisme d'imprégnation comportementale et ses manifestations et en deuxième lieu les raisons d'absence d'impact des campagnes sur le comportement des individus.

II. L'impact positif des campagnes de sensibilisation sur le comportement écologiques des citoyens

Comment le public perçoit le degré d'impact des campagnes de sensibilisation sur son comportement quotidien et sur ses conduites envers l'environnement ?

Plus que les deux tiers de notre échantillon (soit 70 %) affirment que globalement les campagnes de sensibilisation ont eu un effet positif sur leur attitude et leur comportement. A cet égard, nous avons remarqué que dans l'ensemble 80 % des individus sont des amateurs de la télévision et la considèrent comme leur média publicitaire le plus favorisé.
Donc à priori ce sont des individus qui ont eu plus de chance d'avoir regardé les actions de sensibilisation à travers les spots publicitaires, les clips et les émissions sur l'environnement, surtout que ces derniers veulent bien être informés sur le sujet de l'environnement et de la nature (75 % de cette population). Alors comment s'est effectué cet impact positif d'une part sur la psychologie des gens et d'autre part sur leurs conduites quotidiennes ?

Il s’agit en effet d’une sorte d'éveil de la conscience et d’une formation d'une sensibilité envers l'environnement. A ce titre, les individus perçoivent de plus en plus les dangers qui pèsent sur leur environnement, et se sentent plus impliqués à la cause environnementale pourvu qu’ils vivent dans un environnement sain. Ainsi ils justifient cette implication à l'égard de l'environnement par leur prise de conscience du phénomène de la pollution, en la considérant comme le problème le plus important de l'époque (66 % de la population), et des méfaits de l'urbanisation tels que le bruit, la pollution atmosphérique, les déchets ménagers, la saleté des plages ...etc. (83 %), problèmes largement traités par les campagnes et spécialement à travers les spots télévisés. Nous dégageons ainsi l'effet qu'ont eu ces campagnes sur le mental et l'affect des individus, ce qui traduit une nouvelle mentalité
caractérisée par une sensibilité à l'égard de l'environnement qui les pousse à se porter garant pour sa protection (79 %).

L'apparition de cette nouvelle dimension psychologique chez le public tunisien a eu un effet sur ses conduites envers l'environnement. La transgression de l’environnement est devenue par conséquent, synonyme de violence qui entraine souvent une conscience non tranquille et un sentiment de culpabilité trop fort.

De ce fait, l'aspect environnemental est intégré non seulement dans l'univers cognitif, psychologique et subjectif des individus mais aussi dans la réalité sociale. Force est d'admettre que la protection de la nature et de l'environnement devient une norme sociale qui s'infiltre dans la vie quotidienne des gens et une valeur qui motive des actions et sanctionne d'autres. Par conséquent si l'individu n'adhère pas à cette valeur, un sentiment de frustration et de culpabilité peut être créé chez lui et engendrera par la suite une tension insoutenable qui le
pousse à changer son comportement vis à vis de l'environnement (phénomène de dissonance cognitive). Désormais la protection de l'environnement fait partie de la conscience collective. Respecter ou agresser l'environnement sont des faits qui ont des conséquences morales sur l'individu ; ce qui fait naître chez lui le sentiment de responsabilité envers son environnement. Ainsi chaque individu veut se sentir membre de la société et donc faisant partie d’une cause humaine commune à savoir la protection de l’environnement. D’où l’émergence d’une nouvelle notion à savoir celle de ‘’l’éco-citoyen’’ qui veut dire un citoyen averti et responsable en vers son environnement.

Enfin, nous avons étudié les caractéristiques socio- démographiques des individus affirmant l'existence d'un effet positif des campagnes de sensibilisation sur leur comportement. Ainsi nous avons remarqué que cette catégorie contient principalement des jeunes (76 % de l'ensemble des jeunes). Ces derniers, cible-principale des actions de sensibilisation, spécialement à travers les spots publicitaires télévisés se trouvent plus interpellés pour s'approprier la cause environnementale. En fait, tout en percevant les dangers qui guettent leur environnement, ils s'intéressent à toute information qui peut participer à leur formation et leur encadrement pour agir à bon escient. Nous avons dégagé de même, que ce sont surtout
les exploitants agricoles (77 %) vu leur contact avec la nature, et les ouvriers (76 %) travaillant particulièrement dans le secteur industriel ou chimique, qui s'intéressent aux actions de sensibilisation et qui affirment leur impact sur leur conduite. Ainsi leur niveau d'instruction relativement bas les pousse à enrichir leur information dans le domaine écologique, et leur sensibilité environnementale les amène à adopter un comportement positif vis à vis de l'environnement.

III. L'absence d'impact

Sur l'ensemble de l'échantillon enquêté, 30 % estiment que les campagnes de sensibilisation environnementale n'ont pas eu d'effet sur leur conduite envers l'environnement. Cette attitude est adoptée par des individus ayant des caractéristiques sociodémographiques différentes :

- Les premiers sont principalement des individus âgés (53 %) qui ne s'intéressent pas à toute action de sensibilisation. Ce désintérêt à l'environnement est dû au fait que leur niveau d'instruction est assez limité et aussi au fait qu'ils adoptent depuis longtemps un comportement bien spécifique et stéréotypé qu'ils sont incapables de modifier.

- Les deuxièmes sont des individus dont le niveau d'instruction est très élevé (33 %) et exerçant des professions libérales (37.5 %). Ces derniers avancent plusieurs arguments pour expliquer leur position quant à l'absence d'effets des campagnes de sensibilisation sur leur conduite. En effet, certains pensent que les actions de sensibilisation manquent de régularité
ce qui entrave leur mémorisation et leur ancrage dans la mémoire collective. Parfois même ces actions sont complètement ignorées, ce qui engendre un manque d'information dans le domaine environnemental. D'autres individus pensent que les actions de sensibilisation ne reflètent pas l'état réel de l'environnement en Tunisie. En fait, le manque de synchronie entre ces actions et l'infrastructure existante rend sans effet ces dernières et décourage par conséquent les gens à respecter leur environnement.

Par exemple, l’inexistence de décharges publiques dans les quartiers ou leur placement à une grande distance du lieu de résidence est devenue est bonne raison pour nuire à l’environnement.

Enfin il est à noter qu'il existe quelques personnes qui, bien qu'elles adoptent un comportement pro-environnemental considèrent que les actions de sensibilisation particulièrement celles faites à la télévision sont très superficielles et du coup ne leur apportent pas de nouvelles informations par rapport à celles acquises, ou carrément se déclarent assez cultivées et éduquées pour ne pas avoir besoin des actions de sensibilisation. Elles essaient en fait d'exprimer leur supériorité par rapport au profane "inconscient" pour afficher leur appartenance à l'élite qui respecte l'environnement bien avant ces campagnes de sensibilisation.

III. La prédisposition des individus à la participation dans des actions de protection de l'environnement

L'acquisition d'un nouveau sens pro-environnemental, l'éveil et le développement d'une conscience et d'une sensibilité écologique, nous amène à examiner de plus prêt comment se manifeste la responsabilité des individus et leur disposition à prendre en charge leur environnement. A ce propos, nous avons constaté que la majorité des interviewés affirment être disposés à participer dans des actions de protection et de réhabilitation de l'environnement. Ainsi 82 % des interviewés sont globalement d'accord sur cet engagement. Ils expriment en fait leur volonté à soutenir la cause environnementale que ce soit en participant à des actions dans ce domaine (contribuer à la protection des plages, propreté du quartier, implantations d'arbres ...) ou en payant une cotisation et ainsi réhabiliter la cause
environnementale pour participer à l'amélioration du cadre de vie et réduire surtout l'effet de la pollution.

Cet élan populaire qui résulte certainement d'une conscience collective de l'importance de l'environnement dans la vie quotidienne et des dangers qui le menacent, montre bien à quel point les gens sont prêts à s'approprier leur environnement et le prendre en charge. Cette
prédisposition à la participation à des actions de protection de la nature s'affirme de plus en plus lorsque les individus imbriquent l'environnement dans leur cadre de vie culturel. En effet ces derniers considèrent de telles actions comme faisant partie intégrante des devoirs religieux. En effet, Dieu a crée la nature et à placer l’homme dans un environnement sain. C’est pour cette raison il doit le protéger et le garder sain et sauf pour que les futures générations profitent de bonnes conditions de vie à leur tour.

Ce potentiel social et cet engagement volontaire de la part de la population envers l'environnement doivent être bien encadrés et consolidés. D'où l'intérêt et le rôle des instances gouvernementales et non gouvernementales, éducatives ou extra-éducatives (clubs d'environnement, associations de protection de la nature et de l'environnement ; scouts...) à encadrer ces volontaires et valoriser leur engagement. Ainsi, ces instances, à travers des séminaires, des discussions, des sorties sur terrain ... peuvent mieux former ces volontaires dans le domaine de l'environnement et légitimer ainsi leur engagement écologique ; ce qui peut participer à enraciner de telles tendances dans la vie quotidienne des tunisiens.

Cette implication nette de ces individus vis à vis de l'environnement doit certainement sous tendre des valeurs, des attitudes et des opinions bien spécifiques. Pour cela nous avons croisé la variable relative à la disposition des individus à la participation à des actions visant
la réhabilitation de l'environnement avec des variables styles de vie.(voir tableau n° 1 en annexe ).

Il s'agit en fait d'individus ouverts à la culture qui aiment bien assister à des spectacles culturels quand ils ont du temps libre et fréquentent beaucoup plus les points de vente spécialisés que les autres canaux de distribution.

Ils s'occupent plus de leur travail que de leur foyer et accordent plus d'intérêt et d'attention à l'affichage en tant que média publicitaire. Nous pouvons les considérer comme des individus plutôt modernes, car ils sont favorables au fait que la femme participe dans la prise de décisions familiales. Ces derniers aiment se différencier des autres ou plutôt se mettre en valeur par rapport à leur entourage.

Ayant un penchant vers la nature tout en profitant de toute occasion pour visiter des parcs naturels, ils utilisent des plantes vertes pour décorer leur maison et cherchent à recevoir le maximum d'information sur le sujet de la nature et de l'environnement.

Quant à leur sensibilité environnementale, nous pouvons affirmer que ces individus sont très conscients de la cause environnementale. Ils considèrent en fait que la pollution est le plus grand problème de l'époque en le comparant avec d'autres problèmes tel que le chômage. C'est pourquoi d'ailleurs ils sont pour l'interdiction de l'accès des voitures au centre ville. Ils ont une vision globale et holiste de l'environnement, en considérant que la dégradation de ce dernier est un problème planétaire ; c'est pourquoi ils déclarent que le problème de la couche d'ozone les inquiète plus que les problèmes quotidiens d'urbanisation.

En ce qui concerne le profil sociodémographique de cette population, nous avons dégagé à travers le test de khi-deux effectué entre les différentes variables démographiques et la variable de comportement en question (voir tableau n° 2 en annexe) que cette dernière dépend significativement des variables suivantes : l'âge, le niveau d'instruction ,l'état civil, le revenu mensuel par couple et la catégorie socioprofessionnelle.

En effet, ce sont surtout les jeunes et avec une proportion moindre les adultes qui expriment leur disposition pour participer à des actions de protection de l'environnement. Par rapport aux âgés, ces derniers jouissent d'un potentiel physique qui leur permet de participer à de telles actions.

De même les individus les plus instruits spécialement ceux qui ont un niveau universitaire ou secondaire se sentent plus intéressés à la coopération en vue de protéger leur environnement que ceux qui ont un niveau d'instruction relativement bas. Donc à priori les plus instruits sont les plus informés des problèmes écologiques et par la même ils sont plus conscients de leur danger sur la nature et sur le cadre de vie.

De plus ce sont principalement les célibataires, pour des raisons de disponibilité, qui se présentent comme volontaires pour protéger leur environnement.

Aussi les individus très aisés, dont le revenu mensuel par couple dépasse 1200 D sont plus disposés que les autres couches sociales à participer à la protection de l'environnement que ce soit par l'effort ou le paiement d'une cotisation. Ces derniers ont les moyens et le temps pour
penser à l'amélioration de leur cadre de vie y compris de leur environnement soit par conviction ou pour des raisons de snobisme.

La non disposition des individus appartenant aux couches les plus défavorisées (dont le revenu mensuel par couple est de moins 200D), à participer à de telles actions peut être expliquée par le fait que ces derniers vivent dans des conditions précaires et par conséquent les problèmes écologiques sont classés parmi leurs dernières priorités.

Enfin, nous avons remarqué que l'appartenance à une catégorie socio- professionnelle bien déterminée a une influence significative sur la disposition des individus à la participation à des actions de protection de l'environnement. Il s'agit particulièrement des commerçants, des
individus exerçant une profession libérale et avec une proportion moins importante des cadres moyens et des cadres supérieurs qui expriment une volonté pour participer à la protection de leur environnement.

L’implication de l’individu vis-à-vis de son environnement le pousse entre autres à devenir de plus en plus responsable et à adopter des comportements écologiques comme la préservation des ressources naturelles et la consommation de l’eau n’est qu’un exemple.

IV. Le comportement face à la consommation des ressources naturelles

Dans ce cadre, nous avons voulu examiner le degré de conscience des individus du problème de la rareté des ressources naturelles. Nous avons retenu l'exemple de la consommation de l'eau comme étant une pratique quotidienne.

Alors comment les individus se comportent- ils face à cette ressource, est ce qu'ils l'utilisent sans aucune rationalité ou au contraire, ils essaient de réduire la consommation pour éviter le gaspillage ?

Quels sont les motifs de cette rationalité au niveau de la consommation de l'eau ? S'agit- il d'une pure conviction que l'eau est une source naturelle précieuse et par conséquent l'homme ne doit pas la gaspiller ? Ou tout simplement agit-on ainsi pour des raisons purement
économiques et budgétaires ?

Un examen global des résultats montre que 75 % des individus qui rationalisent leur consommation d'eau, veulent réduire au maximum le montant de la facture, alors que 60 %" des interviewés réduisent leur consommation d'eau parce qu'ils sont convaincus que l'eau est une source naturelle précieuse. A première vue, nous remarquons que les tunisiens privilégient les raisons de coûts sur les raisons écologiques lorsqu'ils adoptent un comportement rationnel quant à la consommation de l'eau. Mais essayons d'étudier les caractéristiques sociodémographiques et socio- culturelles de chacun de ces deux groupes.

Les individus qui réduisent leur consommation en eau pour des raisons économiques sont généralement des hommes retraités (100 %) dont le niveau d'instruction ne dépasse pas les études primaires (87.5 %) et dont le revenu mensuel par couple est de moins de deux cents dinars (84 %). A travers ce profil sociodémographique nous saisissons bien l'importance que
ces individus accordent à l'argent. Ils essaient en fait de rationaliser leur revenu en l'utilisant à bon escient et en évitant toute sorte de gaspillage. D'ailleurs ces individus accordent beaucoup d'importance au facteur prix lors de leurs achats et même lorsqu'il y a une réduction de prix d'un produit donné, ils n'augmentent pas leur consommation : c'est le profil des gens très économes et utilitaires. Ces derniers ne sont pas assez conscients des problèmes de l'environnement ; ils sous estiment en fait, les dangers qui peuvent le menacer. C'est pourquoi ils ont une vision très rétrécie de l'environnement qui se limite seulement aux problèmes d'urbanisation. Ainsi ils ne se posent pas des problèmes quant aux dangers qui menacent l'environnement et ne se soucient guère de son avenir.

Paradoxalement les individus qui réduisent la consommation d'eau parce qu'ils la considèrent comme étant une source précieuse, sont particulièrement des jeunes, ayant un niveau d'instruction secondaire ou universitaire, travaillant comme commerçant ou cadre moyen et dont le revenu mensuel par couple est entre 500 et 800 dinars. Ces derniers essaient souvent, dans leur vie quotidienne, de contrôler leur consommation d’eau et d'éviter le gaspillage parce qu’ils considèrent l’eau comme une ressource rare dont la consommation doit être rationalisée pour subvenir aux besoins des années futures. "Il arrive un jour, où nous ne trouvons pas de l'eau même pour boire, alors pourquoi ne pas rationaliser notre consommation dès maintenant ?", réplique un jeune cadre.

Ces individus sont considérés comme des fervents de la cause environnementale. Ils profitent de toute occasion pour vivre dans la nature et ils préfèrent une maison moins spacieuse avec un jardin au dépend d'une maison spacieuse sans jardin. De ce fait ils accordent une
grande importance à leur cadre de vie naturel. Globalement ils sont plutôt pessimistes quant à l'état futur de l'environnement et considèrent que le problème le plus important à l'état actuel est la pollution. Cette conscience des problèmes de l'environnement les pousse à le prendre en charge ; c'est pourquoi d'ailleurs ils attribuent la responsabilité de la protection de l'environnement plutôt aux citoyens dont l'un des comportements positifs est la protection des ressources naturelles.

D'autres parmi ces individus ajoutent à ces raisons, une explication fondée sur la religion. Ainsi l'eau est une valeur sacrée pour certains si bien qu'elle est la source de toute vie et par
conséquent il ne faut pas la gaspiller.

Il est fondamental pour ces derniers de bien gérer cette ressource car Dieu a délégué à l’humanité la responsabilité de sa protection et a exprimé sa désapprobation quant aux gaspilleurs. D'ailleurs, même à travers nos anciennes habitudes et traditions, le comportement irrationnel envers la consommation d'eau n'est pas toléré.

Conclusion

A travers l'étude du comportement général des individus envers l'environnement, nous avons dégagé chez la majorité une certaine conscience collective de l'importance de l'environnement et des dangers qui le menacent. Cette sensibilité écologique s'explique pour les uns par un amour pour la nature et un respect pour l'environnement, et pour les autres, par les effets des campagnes de sensibilisation organisées par les instances gouvernementales qui n'ont cessé d'éveiller chez eux le sens de la responsabilité et de développer leur implication à l'égard de la cause écologique.

L'apparition de cette nouvelle conscience écologique chez le public tunisien commence à devenir une valeur sociale qui se manifeste dans leur vie quotidienne et dans leur cadre culturel. Cette valeur exprimée par un élan populaire, incite la majorité des individus à
s'approprier leur environnement et à le prendre en charge que se soit par le paiement d'une cotisation ou par l'adoption d'actions visant à le réhabiliter.

L'une des manifestations de ces actions est la préservation des ressources naturelles dont l'eau semble la ressource la plus primordiale pour la vie humaine. Quoique la majorité des individus adopte un comportement rationnel envers la consommation de cette ressource, les
raisons diffèrent selon les gens. Pour les uns ce sont les raisons d'ordre budgétaire qui expliquent leur comportement et pour les autres il s’agit bien d'une conscience purement écologique qui oriente leur conduite.

Désormais, le marketing doit aujourd’hui évoluer vers une conception plus large qui est celle de l’optique du marketing responsable ou sociétal7. De même les stratégies d’éco- développement doivent être intégrées dans les entreprises et donner naissance finalement à des entreprises responsables car l’engagement des entreprises est un levier essentiel à la mise en œuvre du développement durable8. Plusieurs grandes entreprises comme Nike, Shell, Interface, Carrefour, Ford, Lafarge font aujourd’hui de cette démarche un facteur d’efficacité, un levier de création de valeur et une source d’innovation pour l’entreprise9.

1  Reisch L. (1998), ‘’Sustainable consumption: Three questions about a fuzzy Concept’’,C.E.C.,working paper n° 8,department of Marketing , Copenhagen Business School.

2  Wells. W-D et Tigert. D : ‘’Activites, interests and opinions’’, Journal of Advertising Research, août 1971.

3  Wind. Y et Green. P : ‘’Some conceptual measurement and analytical problems in life style research’’, rapporté par WELLS. W-D : ‘’Life style and psychographics’’, A.M.A, 1974.

4  L’enquête est réalisée sur le Grand Tunis (Tunis, Ben arous Ariana), et ceci parce que la population du grand Tunis est hétérogène et diversifiée et par conséquent elle nous offre une plus grande richesse de l’information.

5  Notre  population  renferme des  informateurs dont les caractéristiques sont les suivantes :
-âge supérieur ou égal à 20 ans pour les deux sexes
- individus actifs, retraités, ou femmes au foyer (les chômeurs et les étudiants sont écartés).

6  Pour traiter les données et analyser les résultats de notre questionnaire, plusieurs outils statistiques ont été utilisés ; tels que le tri simple, le tri croisé, l’analyse en composante principale et l’analyse factorielle des correspondances.

7  Marine Le Gall : ‘’ De la préoccupation pour l’environnement à la consommation durable’’ , in CREREG , in coloque ‘’ 2e Congrès sur les Tendances du Marketing en Europe, Janvier 2002.

8  O.R.S.E : ‘’Développement durable et entreprises, un défit pour les managers’’, AFNOR 2004.

9  Laville.E : ‘’ L’entreprise verte : le développement durable change l’entreprise pour changer le monde.

Gierl H., Stumpp S (1999), ‘’ L’influence des convictions de contrôle et des attitudes globales sur le comportement écologique du consommateur’’, Recherche et Applications en Marketing, 14, 2,71-83.

Grunet-Beckmann S.C.,Knudsen T. (1996),’’Motives for sustainableConsumerBehaviour; Internal versus External Attribution of Responsibility’’, 241-258 in Roland Lévy C. (Ed), Social and Economic Representation, InternationalAssociation for Economic Psychology and Economic 21ième annual colloquium,Paris.

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Présentation du dossier II : l’inconscient collectif

Alexandre Dorna

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