Dans un temps où les poètes sont presque disparus, la figure de René Char se détache de la pénombre pour pénétrer dans la lumière d’un soleil couchant.
La publication d’un dictionnaire sur un auteur est très rare. L’énorme volume jaune (presque 700 pages) sur René Char ressemble à un office cérémonial. Mais apporte un nombre incommensurable de données et de lieux qui ont fabriqué non seulement la vie et l’imaginaire du poète, mais son siècle. Et sa légende. Il est composé de ses amitiés littéraires, et de ses prises de position artistiques et politiques. C’est une bonne mise en perspective d’un poète célèbre, mais presque méconnu du grand lectorat. L’avantage d’un dictionnaire est d’offrir des informations à la curiosité de tous ceux qui veulent les approfondir et mettre en relation les faits et les sentiments qui marquent l’homme et l’œuvre.
La place de Char, trop souvent réduite à celle d’un solitaire, gagne ici en extension et en profondeur. L’éclairage aide à situer son rôle dans la Résistance, sa participation à de nombreuses revues littéraires, son lien avec le mouvement surréaliste et ses échanges avec les peintres. Tout ce monde-là se met à tourbillonner pour ouvrir tous les angles d’approche sur le rayonnement du poète et de son œuvre en France et ailleurs.
Chose étonnante, le seul bémol à reprocher à l’ouvrage est le manque d’une biographie. C’est pourquoi je rappelle quelques éléments qui peuvent être approfondis grâce au dictionnaire.
Parmi les dizaines d’entrées proposées par ce dictionnaire, quelques-unes nous semblent, bien subjectivement, élargir la lecture du poète. En premier lieu les notes à propos des ouvrages de Char. Et celles sur les contacts avec des intellectuels, peintres et autres artistes. Les poètes devenus des amis. Les thèmes philosophiques de l’œuvre : l’alchimie, les aphorismes. Les membres de la famille Char. Le surréalisme et les surréalistes (Breton, Éluard, Artaud, Tzara...). Les écrivains qui ont influencé Char. Les interventions dans la presse, le bestiaire qui a une grande place dans ses poèmes, les philosophes présocratiques (Héraclite, Empédocle et Homère). La Résistance et ses compagnons. Les peintres (Braque, Courbet, Corot, Picasso, Kandinsky, Dali). Ses entretiens dans la presse. Les éditeurs. Les philosophes (H. Arendt, Heidegger). Les femmes de Char. Les traductions (anglais, finnois, japonais, portugais).
Étonnamment, ce dictionnaire n’inclut pas une biographie exhaustive du poète. Voila pourquoi nous rappelons quelques jalons.
Note biographique de René Char
René Char, alias capitaine Alexandre pendant la Résistance, est né le 14 juin 1907 à L'Isle-sur-la-Sorgue et mort à Paris le 19 février 1988.
René Char se lie vers 1921 avec Louis Curel, cantonnier, admirateur de la Commune de Paris et membre du Parti communiste qu'il dépeindra sous le nom d'Auguste Abondance dans Le Soleil des eaux, D’un physique de colosse (1,92 m) et impulsif, passionné de sport, il décide en 1923 de quitter le lycée. Le jeune poète fait en 1924 un voyage en Tunisie. Il lit Plutarque, François Villon, Racine, les romantiques allemands, Alfred de Vigny, Gérard de Nerval et Charles Baudelaire, mais aussi Rimbaud, Mallarmé et Lautréamont. En 1927, il accomplit son service militaire dans l'artillerie à Nîmes, affecté à la bibliothèque des officiers. Il écrit alors une première critique, d'un roman d'André de Richaud, pour la revue parisienne Le Rouge et le Noir à laquelle il collabore jusqu'en 1929. Il publie également dans d’autres revues un texte sur la ville d'Uzès dans La Cigale uzégeoise et un poème Le Feu d'Aix-en-Provence.
Au début de l'année 1929, René Char fonde, à l'Isle-sur-la-Sorgue, la revue Méridiens qui connaîtra trois numéros de mai à décembre. Dans le deuxième, il publie une lettre inédite sur la mort de Sade, et une nouvelle largement autobiographique, Acquis par la conscience. En septembre, il envoie un exemplaire de son second recueil, Arsenal, publié en août à Nîmes, à Paul Éluard qui vient lui rendre visite à l'automne à L’Isle-sur-la-Sorgue où il passe trois semaines. À la fin novembre, René Char arrive à Paris, rencontre Louis Aragon, André Breton, René Crevel et leurs amis, adhère au groupe surréaliste au moment où Desnos, Prévert et Queneau le quittent, et publie en décembre Profession de foi du sujet dans le douzième numéro de La Révolution surréaliste. La relation de Char et des surréalistes est intense. Durant quatre ans, il va collaborer aux activités du mouvement, dont il est en 1931 et 1932 le trésorier.
Le 14 février 1930 au bar « Maldoror », lors d'une bagarre, il est blessé d'un coup de couteau. Il partage alors avec Éluard une vie bohème et libre. Tandis qu'il lit les philosophes présocratiques et les grands alchimistes, il publie Le Tombeau des secrets, douze photographies dont un collage de Breton et d'Éluard, légendées par des poèmes. En juillet 1930, Char et Éluard fondent la revue Le Surréalisme au service de la révolution.
Il vit une période très proche des surréalistes : une vraie adhésion militante (voir rubrique dans le dictionnaire). Char revient régulièrement en Provence, Il séjourne à Cadaqués chez Salvador Dalí et Gala. En février 1931, Éluard lui rend à nouveau visite à l'Isle. Pendant l'été, il voyage en Espagne avec Francis Curel et rencontre à Juan-les-Pins Georgette Goldstein qu'il épouse à Paris en octobre 1932, Éluard étant l'un des témoins. Au début de 1933, Char séjourne brièvement à Berlin avec Éluard et signe en mars un tract antifasciste. Son livre le Marteau sans maître, illustré d'une gravure donnée par Kandinsky, est refusé par Gallimard.
Char se détache à partir de décembre 1934 du groupe surréaliste : « Le surréalisme est mort du sectarisme imbécile de ses adeptes », écrit-il dans une lettre à Antonin Artaud. Il retrouve en Suisse Éluard et Crevel au sanatorium de Davos. En avril, il accueille Tzara et sa femme Greta Knutson à l'Isle et les rejoint avec Éluard à Nice en septembre. Dans une lettre ouverte à Péret, il confirme le 7 décembre 1935 : « J'ai repris ma liberté voici treize mois, sans éprouver en revanche le besoin de cracher sur ce qui durant cinq ans avait été pour moi tout au monde »[Éluard et Man Ray viennent à l'Isle aider Char pour la préparation de Dépendance de l'adieu, avec un dessin de Picasso qu'Éluard lui a fait connaître. Char s'installe pour quelques semaines au village de Céreste où il se lie avec la famille Roux. En décembre, GLM édite, avec l'aide financière d'Éluard, Moulin premier à 120 exemplaires. À travers sa correspondance avec Gilbert Lely, rencontré en 1934, naît une amitié qui se renforce l'année suivante puis traversera les années de guerre. Dès février 1938, Char se lie à Christian Zervos, éditeur de ses premiers écrits sur les peintres Corot et Courbet. Cette même année il s'éprend d'une passion amoureuse, qui durera jusqu'en 1944, pour Greta Knutson, peintre d'origine suédoise de huit ans son aînée, séparée depuis l'année précédente de son mari, Tristan Tzara. Avec Greta Knutson il découvre le romantisme allemand et particulièrement Hölderlin ainsi que la philosophie de Heidegger. Sous l’influence de Beaufret, le poète rencontrera en 1955 le philosophe.
En septembre 39, Char est mobilisé à Paris. Pendant l’Occupation, René Char, sous le nom de « Capitaine Alexandre », participe, les armes à la main, à la Résistance, Il commande le Service action parachutage de la zone Durance. Son QG est installé à Céreste (Basses-Alpes).
À ce recueil capital, il convient d'adjoindre les Billets à Francis Curel, datés des années 1941 à 1948 et recueillis dans Recherche de la base et du sommet. Ces documents éclairent de l'intérieur cette expérience fondatrice que fut pour Char celle de la Résistance. Il refuse de publier durant l'Occupation, par dénonciation du nazisme et de la collaboration française, interrogations aiguës et douloureuses sur son action et ses missions, prise de distance sitôt la guerre terminée.
Enfin, c'est en octobre 1945, à Paris, que René Char et Yves Battistini se rencontrent. C’est le début d’une longue conversation amicale avec la philosophie grecque et la poésie.
L'après-guerre, Char est profondément pessimiste et ses vues très lucides sont proches de celles d'Albert Camus, dans L'Homme révolté, avec qui est lié d’une forte amitié
Le 9 juillet 1949, il divorce de Georgette Goldstein.
Malgré son refus d’une littérature engagée, René Char participe activement en 1966 aux manifestations contre l'installation des missiles à tête nucléaire sur le plateau d'Albion.
En octobre 1987, il épouse Marie-Claude de Saint-Seine, éditrice. Il meurt le 19 février 1988 d'une crise cardiaque.
Enfin, disons que sa poésie est l’expression favorite de la forme du fragment (ce que Char nomme sa parole en archipel) qui ne cherche pas l’unité, ce sont des morceaux de météores, détachés d'un ciel inconnu. Dans sa prose, les « phrases » sont des sens : d'une puissance extrême, délivrant une tendresse abrupte, abstraite et vivace. Non sans raison, Albert Camus dit qu’il tient René Char pour le plus grand poète de son temps.
Ses œuvres les plus mentionnées sont : Le Marteau sans maître (1934), Feuillets d'Hypnos (1946), Fureur et mystère (1948) et La Parole en archipel (1962). Voir les commentaires dans le dictionnaire.
Pour conclure, ce dictionnaire sans maître peut remplir une fonction de reconnaissance, et à la fois d’initiation et d’apprentissage pour tous ceux qui admirent la poésie, le poète et son oeuvre. Les contenus apportent de l’érudition à une vulgate pédante et journalistique qui s’estime philosophique avec la phrase énigmatique devenue célèbre, à force d’être si souvent citée : " Notre héritage n'est précédé d'aucun testament »