N°3 / numéro 3 - Avril 2003

Particularités du post-communisme en Roumanie

Lavinia Betea

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L’année 1989- “annus mirabilis”, comme il est souvent appelé- reste le point de repère des démarches ayant pour thème l’histoire récente des sociétés ex-communistes. Quelles que soient les disciplines socio-humaines qui les encadrent, celles-ci sont compliquées par l’absence d’hypothèses explicatives, antérieures au fait historique. Les changements au niveau du mental individuel et collectif sont difficiles à estimer, pour de diverses raisons. Les modifications survenues dans la configuration de la personnalité de l’individu, dont une grande partie de la vie a été soumise au programme de formation de “l’homme nouveau” ne comportent pas de termes de comparaison. En même temps, le fait de se rapporter, de la perspective psychologique individuelle et sociale, à la situation précédant l’instauration des régimes communistes n’est pas opérationnel.
Comme les autres pays des Balkans, la Roumanie se caractérise par l’absence des traditions démocratiques.
Le système politique roumain de la période d’entre les deux guerres, basé sur le suffrage censitaire, est designé comme une “démocratie mimée” (Doggan, 1999). Les conditions sociales, économiques et culturelles n’étaient pas à mêmes de favoriser la culture civique et politique de l’électorat. En plan politique, la Roumanie se situait, comme tous les autres pays du sud-est de l”Europe, dans la phase de constitution de la nation après l’écroulement des grands empires où ils avaient été incorporés. Le besoin de consolider leur identité nationale constituait le dénominateur commun de ces pays. C’est ainsi que, entre les deux guerres- le bolchévisme et le fascisme- l’option des élites roumaines et d’une partie de la population sera l’extrêmisme de droite, répresenté par “le mouvement légionnaire”. L’interdiction du “pluripartisme” par la loi électorale de mai 1939 a été succedée par le “régime des démocraties populaires´(1944-1948), étape dans laquelle on a imposé le régime communiste, par des techniques de manipulation spécifiques.
Il faut y ajouter que dans la Roumanie communiste, le “régime Ceausescu” (1965-1989) a excellé par le “nationalisme” promu, par l’empechement et l’anéantissement de toute forme de résistance r travers le contrôle exercité par la police politique sur les citoyens et la censure sur l’information avec laquelle ceux-ci pouvaient venir en contact. C’est ainsi que, dans le processus d’écroulement des régimes communistes en éurope, afin de changer l’équipe au pouvoir, en Roumanie “on a mis en sccne une révolution typique” en 1989 (Karnoouth, 2000).
Dans les analyses concernant la révolution de Roumanie, la seule “révolution sanglante” par rapport r la “révolution de velours” des autres états communistes d’Europe”, il faut signaler les particularités suivantes du transfert du pouvoir :
En Roumanie seulement il y a eu lieu un renversement sanglant du régime, pendant lequel (22-25 décembre 1989) 1104 hommes sont morts et 3352 ont été blessés.
On a fait recours r la violence non seulement avant la fuite du couple Ceausescu de Bucarest, mais encore plus aprcs cela. Le but de cette action était de créer l’apparence de legitimité dans la prise du pouvoir par la nouvelle équipe dirigeante et d’assurer ce pouvoir par les changements institutionnels et des élites de premier rang.
En Roumanie seulement, le chef du parti et de l’état a été executé aprcs un proccs représentant une rémanence des proccs staliniens.
A peine aprcs le renversement de la dictature ayant une teinte idéologique national-communiste, en Roumanie les communistes réformistes ont pris le pouvoir.
“La competence” du nouveau groupe décisionnel est remarcable par l’organisation du Front du Salut National (FSN)- formation qui assume la direction du pays. Pendant 3 jours (le 22-25 décembre 1989), sur le fond des manipulations appelées “l’affaire des terrotistes”, celui-ci se substitue aux organization du parti communiste à tous les niveaux du politique dans tout le pays. Dans une première étape, les nouveaux dirigeants veulent se légitimer en tant qu’agents du changement, en maintenant leurs positions au sommet de la hiérarchie par des mesures populistes. Leurs attentes ont été satisfaites par l’électorat qui a crédité FSN aux élections du mois de mai 1990 de 87, 5% des suffrages. Son leader Ion Iliescu- en compétition finale pour le fauteuil présidentiel avec les représentants, récemment revenus de l’exil, des deux “partis historiques qui renaissent” (Le Parti National Liberal et Le Parti National Paysan Chrétien et Démocrate)- est paru comme le facteur de déclenchement des effets positifs de l’époque.
Son avantage, pour occuper la position de premier rang dans la hiérarchie du pouvoir, a consté dans son habileté d’organisateur et dans sa capacité de détenir “des relations clientélistes basées sur sa propre personne” parmi les élites du temps (Gabanyi, 1999).
Ainsi, par sa biographie, Ion Iliescu représente les relations et les groupes suivants :
les répresentants et les continuateurs des communistes illégalistes de 1922-1944 (son père et sa mère adoptive avaient été illégalistes);
les anciens étudiants des facultés de Moscou (pendant 1950-1953 il avait été étudiant à l’Institut d’Energétique dans la capitale soviétique et leader des étudiants roumains de l’URSS)
l’organisation de la jeunesse communiste UTC (1957-1971- il a été premier secrétaire de l’UTC),
les activistes de premier rang du parti (février-juillet 1971, sécretaire de la propagande du CC de PCR; 1971-1974, sécretaire de la propagande du département de Timis, 1974-1979, premier secrétaire r Jassy);
les technocrates (1979-1989, directeur du Conseil National des Eaux);
les gens de culture (1984-1989, directeur de la Maison d’Edition Technique ayant le sicge r “Casa Scânteii”); dans sa qualité de dirigeant départamental ou national de la propagande, les écrivains, les gens de culture et d’art et ceux de l’enseignement lui étaient subordonnés)
“La démocratie non-représentative” du pluripartisme. La promulgation de certaines lois démocratiques en vue de la libre association a donné naissance au phénomène appelé “la démocratie non-répresentative”(Revel, 1990)
Tout comme dans l’ex-Union Sovietique, les partis parus en Roumanie- des dizaines- peuvent être groupés en cinq catégories (Thom, 1994)
des partis qui essaient de renouveler la tradition pré-bolchevique, respectivement celle d’entre les deux guerres (Le Parti Liberal, Le Parti National Paysan Chrétien et Démocrate);
des partis qui prétendent s’inspirer des modèles occidentaux (Le Parti Démocrate, Le Parti Ecologiste);
des partis qui ne sont, en réalité, que des groupements autour d’un leader plus ou moins charismatique;
des partis qui expriment l’organisation politique et les interêts de certains groupes de l’administration et de l’économie;
des partis résiduels, qui renaissent du parti communiste et/ou des services spéciaux.
Malgré la dénomination et les doctrines déclarées, les partis politiques qui dominent à présent la vie publique roumaine ressemblent peu aux partis politiques propres à la société moderne. L’identification avec un parti n’a pas les connotations connues (l’apparition de nouveaux partis se produit par la fragmentation de ceux déjà existents, dans le cadre d’un phénomène qui ressemble à la multiplication des organismes primaires par scissiparité). En général, les partis actuels sont construits non pas comme des groupements qui appuient une certaine politique, mais autour de certains leaders. Les conflits existant entre les leaders font naître d’autres partis. Mais depuis 1990, sur le plan principal de la scène politique, PDSR n’a jamais manqué- il s’agit du parti articulé en décembre 1989 (FSN) sur les structures du parti communiste.
Il faut signaler un moment significatif de l’histoire post-communiste de la Roumanie : la constitution de la Convention Démocrate de Roumanie (CDR), comme une coalition des “forces d’opposition” à PDSR. CDR et son candidat présidentiel Emil Constantinescu ont gagné les élections de 1996. La législature 1996-2000, au début de laquelle la plupart des Roumains avaient espéré qu’elle apporterait “le changement en bien”, a constitué pourtant une grande désillusion.
Les caractéristiques des élites. Les membres du gouvernement, du parlament, des staff des principaux partis post-communistes peuvent être designés par le terme “institutciki” (utilisé par la presse russe conservatrice pour les promoteurs de la “perestroika”). Ils proviennent, la plupart, des instituts et des universités- représentant “le milieu universitaire, conformiste, servile et faible” (Iakovlev, 1999), des services spéciaux et de la presse. L’éducation en vertu du principe stalinien “qui n’est pas avec nous est contre nous” est visible dans les rapports existant entre les partis adverses, dans le contenu de la presse communiste, dans le “langage eschatologique” utilisé par certains journalistes et politiciens dans les disputes avec leurs adversaires.
Des concepts comme “réforme”, “changement”, “démocratie”, “consensus”, “ économie de marché” constituent des accessoires doctrinaux de tout parti. Le discours électoral excelle en promesses; le politicien actuel a herité le manque de responsabilité typique de l’activiste de parti du régime précédent. Mais plus encore que pendant le régime communiste, la carrière de politicien est la voie le plus avantageuse et efficiente de posseder des biens, des privilèges et de la popularité.
En essence, le manichéisme et la logocratie sont les caractéristiques des élites actuelles.
La confusion d’institutions et de rôles. Dans la multitude des organisations et des institutions dépourvues de compétences bien définies du régime communiste, c’est le rôle dirigeant et de censeur du parti unique qui s’est distingué. La propagande a augmenté sans cesse la création de la représentation selon laquelle c’est au parti communiste (et surtout à son leader) qu’on devait la satisfaction des besoins existentiels des individus.
C’est pourquoi, au niveau du mental collectif se maintiennent à présent les confusions entre les attributions des institutions fondamentales politiques, législatives et administratives. Cela donne naissance à des disputes et à des divergences difficiles à solutionner au niveau central et local. En Roumanie, les gens attendent encore que les partis auxquels ils adhèrent résolvent leurs problèmes exitentiels individuels.
Dans le plan de la vie individuelle, on remarque le fait que le rôle de la famille stagne à la mentalité de l’ancien régime. Ainsi, les parents essaient de transférer leurs responsabilités aux institutions d’assistance sociale et éducationnelles.
L’appauvrissement de la population. L’échec des premières tentatives de transition à l’économie de marché a été peu ressenti pendant les premières cinq années suivant la chute du régime communiste. Cela s’explique par le fait que les emprunts financiers faits à l’étranger ont été utilisés non pour restructurer l’économie, mais pour subventionner des marchandises et des services de large consommation pour la population. Apres cette étape, les Roumains habitués à un certain niveau de vie sous-mediocre, mais qui leur garantissait certains droits sociaux, (le lieu de travail, la pension de retraite, le congé et la gratuité de l’éducation et de l’assistance médicale) ont ressenti le choc de la dégradation des conditions de vie.
L’appauvrissement de la population a evolué progressivement. En dix ans, le salaire moyen net, exprimé en dollars, s’est réduit à la moitié (en octobre 1990, il représentait 162 dollars; en janvier 2000 il avait diminué à 87,5). Les sondages d’opinion montrent que la privatisation est perçue comme un “stimulent pour la pauvreté” (Constantinescu, 1995) et la représentation des entrepreneurs se réalise par association avec la malhonnêteté. Des données qui utilisent “le passé et l’avenir comme indices du présent” (M. Ziolkowski, 1998), il résulte que les espoirs d’une vie meilleure des Roumains se détériorent progresivement. En 2000, 70% des Roumains appréciaient que les conditions de vie de 1989 étaient meilleures que le présent. Tout comme dans les autres états communistes, en Roumanie les gens ont commencé à associer le régime passé avec les “bons temps” (G.H. Hodos, 1996)
Le nationalisme et la xénophobie. Cela a constitué le contexte socio-politique dans lequel les dernières élections se sont deroulées (26 novembre 2000). Compromise à la suite du gouvernement précédent, CDR n’a obtenu qu’ 6% des suffrages. PDSR et son leader qui candidait pour le fauteuil présidentiel, Ion Iliescu, étaient considérés comme les favoris incontestables des élections. PDSR a obtenu finalement 43% des suffrages des électeurs. Parmi les “partis historiques”, PNL uniquement a obtenu des résultats significatifs (10%) par rapport aux élections précédentes.
L’ascension du parti “România Mare” (“La Grande Roumanie”) (PRM) et de son leader Corneliu Vadim Tudor en tant que candidat à la présidence de la Roumanie a constitué une surprise de grandes proportions. Récepté comme un parti extrêmiste- selon certaines opinions, “de droite”, selon d’autres- “de gauche”- antérieurement aux élections de 2000, aucun sondage ne créditait le parti avec la performance d’obtenir plus de 10% des suffrages. Mais il a obtenu 22% des votes de l’électorat, se montrant ainsi la principale “force de l’opposition” actuelle en Roumanie. Après le premier tour de scrutin pour la présidence, C.V.Tudor (28,4% des suffrages) était placé d’une manière surprenante très près de Ion Iliescu (36%).
Qui est “le leader nationaliste” de Roumanie? Né en 1949, C.V. Tudor se présente, d’une manière propagandiste, comme le fils “d’une famille de travailleurs, chrétienne”. Il est diplômé de la faculté de sociologie de Bucarest et il a terminé ensuite une école d’officiers en resèrve. Pendant le régime communiste, il a excellé en tant que publiciste et poète “engagé politiquement”. En 1990, sur le fond des conflits inter-ethniques de Transylvanie et des manipulations practiquées par les officiers de l’ancienne “Securitate” C.V. Tudor a fondé le parti România Mare. Sans que l’on ait des données précises sur le nombre de ses membres, le parti semble représenté, en principal, par la revue hebdomadaire “România Mare”. Ses représentants marquants dans l’actuel parlement de Roumanie sont des anciens officiers de la Securitate, des chanteurs de musique populaires et des journalistes.
Sans avoir un programme économique ou destiné à freiner la corruptionm- celle-ci étant déclarée la cause fondamentale de la dégradation de la vie en Roumanie- la popularité de PRM semble résider dans le discours de son leader.
Ce qui le caractérise c’est l’appel aux mythes de large circulation analysés par R. Girardet (1986)- le mythe du “sauveur”, de la “cité assiégée” (les allusions continuelles à la Transylvanie), de la “conspiration”(les conspirateurs étant “les maffieux” désignés d’une maniere imprécise) et du “renouvellement de l’âge d’or” (apprécié comme étant, selon les circonstances, soit l’époque médievale, soit l’époque de “La Grande Roumanie” de 1919-1940, soit le régime communiste). Ainsi, dans l’éditorial de la revue “România Mare” du 1 décembre 2000, le pays est présenté comme se trouvant à un carrefour historique ou les Roumains doivent décider leur “entrée” (“à genoux et la main tendue ou bien le front haut”). En vue de la décision, Vadim se présente comme “le sauveur” de la nation.
Le nationalisme roumain- caractéristiques et motivations. Bien que le succès de PRM et de son leader aux dernières élections ait surpris et inquiété les milieux roumains qui adhèrent aux valeurs des démocraties traditionnelles, le phénomène n’a pas été analysé avec pertinence et la méthodologie des sciences socio-humaines.
Par conséquent, la recherche comparative “Les extrêmes droites en Europe”, nous estimons la possibilité d’obtenir des réponses avisées. L’analyse de la societé roumaine- avec ses particularités présentées antérieurement- peut contribuer, à son tour, a l’éclaircissement de certaines questions avancées par le projet proposé concernant la ré-emergence de l’extrêmisme de droite dans les pays de l’Europe, par exemple :
En quelle mesure la popularité du discours nationaliste en Roumanie représente-t-elle une rémanence des représentations sociales formées par la idéologie de droite pendant la période d’entre les deux guerres ou bien de celles dues à l’étape historique plus récente, désignée par le syntagme “le communisme national”?
Quelles notes et quelles étapes communes ont les représentations sociales du nationalisme post-communiste par rapport aux représentations sociales des “extrêmes droites” de l’Europe Occidentale?
“Le nationalisme” est-il une possible doctrine de l’histoire récente annoncée comme un temps de “la mort des idéologies”? Avec quelles motivations?

Betea, L., 2001, Psychologie politique; L’individu, leader, masse pendant le régime communiste, Iasi, Polirom
Constantinescu, N.N., 1995, Reforma si redresare economica în România, Bucuresti, Edit. Economica
Doggan, M., 1999, Sociologie politica, Bucuresti, Alternative
Gabanyi, A.U., Revolutia neterminata, 1999, Bucuresti, Edit. Fundatiei Culturale Române
Girardet, R. 1986, Mythes et mythologies politiques, Paris, Edit. Du Seuil
Iakovlev, A., Marcou, L., 1999, Ce que nous voulons faire de l’Union Europeenne, Paris, Edit du Seuil
Karnoouh, C., 2000, Comunism, postcomunism si modernitate târzie, Iasi, Polirom
Moscovici, S., 1976, La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF
Revel, J. F., 1990, La Connaissance inutile, Paris, Grasset&Fasquette
Tanase, S., Interviu cu G.H. Hodos, 1999, în revista Sfera Politicii, anul V, nr.35, pp.26-28
Thom, F., 1994, Les fins du communisme, Paris, Criterios
Ziolkowski, A. 1998, Despre pluralitatea prezentului în Psihosociologia achimbarii (coord. A. Neculau, G Ferreol), Iasi, Polirom, pp. 233-244
Le journal “România Mare”, nr. 542, an. XI, 01/12/2000.

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Actualidad e historia de la psicologia politica latinoamericana

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