C’est une assertion tout à fait commune le fait qu’en 1989 les conditions de Roumanie ont été spéciales et que le transfert du pouvoir a été réalisé d’une autre manière que dans les autres pays de “l’ancien camp socialiste”. “Le régime Ceauşescu” a excellé par son “nationalisme” promu et par l’entretien “du culte de la personnalité” d’une ampleur sans égal dans l’espace européen. L’explication du phénomène réside dans le fait que le leader communiste a détenu le pouvoir, le contrôle des médias, de la police répressive pour une longue période de temps.
En 1965, sous prétexte de “développer la démocratie”, Ceauşescu a remplacé l’ancien Bureau Politique par le Comité Politique Executif (le CPEX), organisme dont la structure était élargie (79 membres) et dont les prérogatifs du pouvoir étaient, en réalité, formels. En 1967, après avoir pris le pouvoir depuis deux ans, Ceauşescu avait renoncé au principe de la séparation du pouvoir de parti et d’état afin de prendre la fonction de président du Conseil d’Etat. En 1974, le leader du parti unique s’est autoproclammé président de la Roumanie. Il était le commandant suprême de l’armée et le dirigeant des organisations collectives et de masse à la fois. Pendant l’étape de l’apogée du pouvoir, il a recouru à “une dictature de clan”, les fonctions les plus importantes étant accomplies par Ceauşescu, par sa femme, par d’autres membres de la famille et par un nombre restreint de collaborateurs fidèles.
Pendant la dernière période du régime, les mécanismes du pouvoir fonctionnaient de sorte qu’il n’y avait aucune autre alternative de gouvernement. Ainsi, le principe de “la rotation des cadres” suivant lequel les activistes de rang supérieur étaient remplacés très vite d’un ressort à l’autre, empêchait l’existence d’une relation plus étroite, capable de se cristalliser dans une forme d’opposition. Après les célèbres déclarations contre l’invasion de la Tchécoslovaquie (1968) qui ont assuré à Ceauşescu un grand prestige international, sous prétexte d’empêcher le changement du leader par les soviétiques, on a decidé que les élections du président soient faites par les membres du parti. Ultérieurement, avant les derniers congrès, à la séance de chaque organisation de parti, l’un des points sur “l’ordre du jour” était “l’approbation de la candidature” du camarade Ceauşescu en fonction de secrétaire général du PCR. Par conséquence, les délégués au congrès devenaient de simples messagers du mandat de quatre millions de membres de parti qui - à l’unanimité – avaient approuve la réélection de Ceauşescu en tant que leader suprême. Ainsi, son remplacement de la direction du parti et implicitement du pays était devenu impossible à réaliser et il parraissait que son pouvoir êut reçu le caractère d’étérnité.
La conséquence était que dans le processus d’écroulement des régimes communistes d’Europe, pour que l’équipe conductrice soit changée, en Roumanie en 1989, “on a mis en scène une révolution typique”. (Karnooh, 2000)
Dans les analyses dont le sujet repose sur la révolution de Roumanie, “la seule révolutionsanglante” par rapport à celle de “vélours” des autres états communistes d’Europe, on peut signaler les particularités du transfert du pouvoir:
1. La Roumanie est le seul pays où ait eu lieu un renversement violent et sanglant du régime au cours duquel 1104 gens sont morts et 3352 ont été blessés.
2. On a recours à la violence non seulement avant la fuite du dictateur de Bucarest, mais aussi après cette fuite. Le but de cette action était de créer l’impression de légitimité dans la prise du pouvoir par la nouvelle équipe gouvernementale et en même temps d’assurer, de garantir ce pouvoir par la voie des changements institutionnels et des remplacements des élites.
3. La Roumanie est le seul pays communiste où le chef du parti et de l’état ait été executé à la suite d’un procès représentant une rémanence des procès staliniens; la Roumanie est le seul pays où les prérogatifs du pouvoir aient été absolus; la fonction du chef de parti et d’état était doublée de celle de commandant suprême de l’armée.
4. Ce n’est qu’à la suite d’un renversement de la dictature idéologique nationale-communiste que les communistes réformistes ont conquis le pouvoir.
Au niveau de la politologie et du journalisme, l’analyse du passé récent s’arrête ici. Mais dans des termes psychologiques, les causes de la situation décrite pourraient être expliquées par les caractéristiques du groupe de décision, le Présidium CPEX du C.C. du P.C.R.. La structure suprême de décision et la direction de type oligarchique instituées par Ceauşescu expliquent au niveau du rapport de décision la réalité politique et les événements passés en décembre 1989. Lorsqu’on compare la situation de Roumanie aux mouvements réformateurs des pays voisins, d’une part, et les prérogatifs officiels du CPEX d’autre part, la première conclusion est celle d’un échec du groupe de décision. Le phénomène pourrait être expliqué par “l’effet groupthink” selon la théorie de I. Janis (1977). Conformément à cette théorie – conçue à la suite d’une étude des relations à l’intérieur du groupe de décision et de l’efficacité des décisions adoptées – toutes les décisions politiques qui ont représenté un fiasco dans la politique américaine après la deuxième guerre mondiale, ont été marquées par “l’effet groupthink”, groupe qui se caractérise par une séquence typique des faits décrits dans le schéma suivant:
Les antécédents 1. Un niveau élevé de cohésion du groupe de décision. 2. L isolation du groupe par des influences externes 3. Un leader puissant, autoritaire. 4. L’absence des normes / des procédures afin d’examiner les positions “pour” ou “contre” pour des actions alternatives. 5. Le stress élevé induit par les menacements externes et la faible espérance de trouver une meilleure solution que celle favorisée par le leader. |
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Le fort désir de consensus (unité totale d’opinions) |
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Les symptômes de “l’effet groupthink” 1. L’illusion d’invulnérabilité. 2. La conviction dans la moralité inhérente du propre groupe. 3. Les raisonnements collectives 4. La perception stéréotype du groupe adverse (l’incarnation du mal) 5. L’autocensure des douts ou des opinions contraires (différentes). 6. L’illusion de l’unanimité. 7. La pression directe sur les disidents. 8. La désignation tacite “des gardiens” idéologiques. |
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Les conséquences 1. L’inventaire incomplet des alternatives. 2. L’analyse incomplète des objectifs du groupe. 3. L’échec de la réévaluation des risques des éléctions préférées. 4. L’échec de la réévaluation des alternatives préférées. 5. La recherche précaire des informations pertinentes (par des experts) 6. Les distorsions sélectives dans la transformation de l’information. 7. L’échec dans le développement des plans adaptés aux circonstances. |
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La probabilité réduite d’un résultat de succès |
Le modèle “groupthink” adopté d’après I. Janis et L. Mann (1977)
Pour sa validité en Roumanie, on retient les informations provenues des sténogrammes publiés à l’occasion du procès de 24 membres du Présidium CPEX ( 1991) et les mémoires historiques écrites par “les spectateurs engagés” (ex: les membres CPEX, D. Popescu et P. Niculescu-Mizil, l’ancien chef de la Chancellerie du C.C., S. Curticeanu et l’ancien chef de la section de presse du C.C, C. Mitca). Conformément à ces sources, les antécédents de l’effet traduit en théorie réside dans les attributions du groupe de décision et dans les relations de travail établies par le couple Ceauşescu qui monopolisait la décision et en même temps dans le principe de “la rotation des cadres” par lequel le dictateur et sa femme attribuaient de différentes responsabilités à un même subordonné dans un intervale très court de temps.
Les caractéristiques de l’adoption des décisions par CPEX ont été généralisées à tous les niveaux de décisions subordonnés (les comités départementals de parti par lesquels la liaison avec Ceauşescu était maintenue à l’aide des téléconférences de chaque semaine, locaux, communaux et des organisations de base). Le principe de l’unanimité imposé dans la vie politique roumaine après l’instauration du culte de la personnalité, les procédures de sélection et de promotion des activistes de parti, l’adoption des décisions d’élection du leader dans le congrès du parti par les délégués qui apportaient les mandats des organisations politiques territoriales de réconfirmation du dirigeant, représentent de fortes tendances de l’aspiration du consensus au niveau décisionnel et de la société. Ce fait peut aussi représenter l’explication du fait qu’en Roumanie les mécontentements individuels n’ont pas réussi à se regrouper autour d’un noyau unificateur. On peut aussi affirmer que c’est une situation presque similaire à celle de la Bulgarie (où pourtant on remarque une tentative réformatrice) parce que l’église est restée en totalité asservie au pouvoir. Les mécontentements des Roumains ont été exprimés par ce qu’on a appelé ultérieurement “la sincérité de cuisine” (Iakovlev, 1999).
Les faits racontés par l’ancien chef de la Chancellerie du C.C. précisaient les relations du noyau du pouvoir (Curticeanu, 2000). Ainsi, les membres du CPEX étaient désignés directement par le couple Ceauşescu. Leur liste lue seulement à la veille du congrès du parti (afin d’être approuvée par les participants) était devenue une surprise même pour les personnes nommées. Les rapports et les matériaux dont le débat et dont l’approbation représentaient l’attribution des membres du CPEX, étaient mis à leur disposition après l’entrée dans la salle de séance. Après un exposé synthétique des thémes, soutenu par Ceauşescu, le leader émettait des conclusions telles: “Je doute que vous ne soyez pas d’accord d’approuver…”). Le rapport devait être présenté ensuite au congrès du parti et approuvé par les membres du CPEX sans qu’ils aient connu la situation (“vous vous ennuyeriez autrement lorsque vous les écouteriez d’avance dans la salle de séance” raisonnait Ceauşescu).
Dans l’omnipotentialité de l’idéologie représentée par le leader, les informations et les influences sur les autres membres du groupe, informations parvenues de l’extérieur du pays, étaient exclues. “Le contrôle technique” de ceux impliqués dans les mécanismes décisionnels par la police politique, avait conduit – dans le déroulement des événements du décembre 1989 – à l’information des membres du CPEX transmise exclusivement par Ceauşescu. Les réunions du groupe décisionnel sont caractérisées conformement à tous les témoignages, par un stress extraordinaire. L’invocation excessive des commendements idéologiques du leader du groupe – la condition primordiale du consensus du groupe décisionnel – conduit à la situation enregistrée dans le sténogramme de la séance du CPEX du 17 décembre 1989.
Après l’information dénaturée de N.Ceauşescu sur les événements de Timişoara (“les actions ont été planifiées par l’est et par l’ouest réunis afin de détruire le socialisme”), le couple Ceauşescu s’adresse à ceux qui avaient des responsabilités au sein des forces d’ordre, imposant, en réalité, dans une manière militaire, le rapport de l’exécution des ordres donnés. Finalement, le leader du groupe décide: “Nous lutterons jusqu’au dernier et nous devons le soumettre à l’approbation parce que l’indépendance et la souveraineté sont conquises et défendues par la lutte, parce que si en 1968 nous n’avions pas agi ainsi, ils nous auraient envahis comme ils l’avaient fait en Tchécoslovaquie quand les Soviétiques et les Bulgaires étaient à la frontière”.
Les effets en avalanche qui ont suivi (le discours de Ceauşescu au balcon, soutenu dans la confusion temporelle et causale du leader sur les événements en cours, la généralisation de la révolte, l’écroulement du régime après la fuite du couple Ceauşescu) représentent l‘échec dû à “l’effet groupthink” ayant pour conséquence le manque d’une alternative gouvernementale. La situation avait à l’origine des diverses causes appelées “la télérévolution roumaine” et “l’affaire des terroristes”.
La post-évaluation des alternatives des anciens membres CPEX a supporté des dénaturations dans l’appréciation des difficultés initiales après la découverte de la décision correcte. Quelques-uns de ceux qui ont pris la décision se sont culpabilisés ultérieurement pour avoir ignoré des données essentielles, facilement à observer, culpabilité qui a généré des réactions névrotiques dépressives ou compensatoires. Ainsi, après le procés des anciens membres du CPEX, les uns sont morts ou se sont suicidés (N. Giosan, I. Totu); les autres ont écrit leurs mémoires par lesquelles ils essaient, principalement, de justifier les décisions du groupe dont ils ont fait partie (D. Popescu, P. Niculescu-Mizil, S. Curticeanu).
Curticeanu, S., Mărturia unei istorii trăite, Edit. Albatros, Bucureşti, 2000
Iakovlev, A.., Marcou, L.,Ce que nous voulons faire de l Union Sovietique, Edit. du Seuil, Paris, 1999
Janis, I., Mann, L., Decision making: A Psychological analysis of conflict, choice and commitment, New York, Free Press, 1977
Karnoouh, C., Comunism, postcomunism şi modernitate târzie, Edit. Polirom, Iaşi, 2000
Mitea, C., Jurnalul unui fost în revista Totuşi iubirea, nr. 25/ iunie 1991
Niculescu-Mizil, P., O istorie trăită, Edit. enciclopedică, Bucureşti, 1997
Popescu, D., Am fost şi cioplitor de himere, Edit. Expres, Bucureşti, 1994
Le stenogramme de la seance du Comite Politique Executif du CC du PCR du 17 decembre 1989 dans M. Bunea, Praf în ochi, Procesul celor 24-1-2, Edit. Scripta, Bucureşti, 1991