DOSSIER : POLITIQUE DE SANTE
Alain Jean est médecin généraliste à Vitry sur Seine. Gériatre et praticien hospitalier au sein du Groupe hospitalier Broca La Rochefoucauld La Collégiale à Paris, il y est responsable de l’Unité de Soins de Longue durée. Animateur d’un groupe de travail sur la douleur (groupe qui a établi une échelle d’hétéroévaluation de la douleur chez le vieillard qui ne communique pas : l’échelle ECPA), ces travaux ont donné lieu à publication dans la revue américaine Pain 2007 Dec 15, 133(1-3) 87-98 A scale to measure pain in non-verbally communicating older patients : the EPCA-2 Study of its psychometric properties. Morello R1, Jean A, Alix M, Sellin-Peres D, Fermanian J. Il est co-auteur de La douleur des femmes et des hommes âgés collection Age, santé aux éditions Masson, La vieillesse n’est pas une maladie Editions Albin Michel (2015), Co-auteur de La vieillesse, un autre regard pour une autre relation aux Editions Eres (2018).
SOMMAIRE
1. L’idéologie dominante qui est celle du déni du processus de vieillissement
2. L’abandon de la clinique
3. Une conséquence de l’abandon de la clinique : la confusion entre constats anatomo-pathologiques et clinique pour désigner la maladie
4. Des prévisions catastrophistes sur une épidémie annoncée de « Maladie d’Alzheimer » sont, d’une part, injustifiées, mais d’autre part pourquoi sont-elles émises ?
5. Et les médicaments ?
Manifestement le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » est porté de façon excessive. Cela résulte d’au moins deux causes :
1. L’idéologie dominante qui est celle du déni du processus de vieillissement
Selon cette idéologie, soit vous « bienvieillissez »1 c’est-à-dire que vous ne vieillissez pas, soit vous êtes malade. C’est une manière de faire fi du processus de vieillissement qui inclut souvent un déclin cognitif. Cette idéologie envahit par exemple le domaine de la publicité et du marketing. Il n’est qu’à regarder les publicités pour certaine eau minérale, certaines lunettes de soleil ou un moteur de recherche spécialisé dans le voyage. Sont-ce des vieux qui nous sont présentés ? Eu égard à leur état civil, probablement oui, si l’on considère leur barbe ou leurs cheveux gris. Pour le reste, dynamiques, en couple, chevauchant allégrement une grosse moto Harley Davidson. Bref éternellement jeunes !
Au vieillissement « biologique », peut se surajouter un « retrait du monde » qui est une modalité possible du remaniement psychique inhérent à l’avancée dans le grand âge. Les médecins qui ont une expérience clinique avec les vieilles personnes savent bien qu’il est des événements traumatiques qui précipitent le vieillard non pas tant vers un déclin cognitif accéléré (même si cela est possible ou concomitant, ou même favorisant) que vers un « retrait du monde ». « Retrait du monde » qui se manifeste par un mutisme, un refus de communiquer, un refus de se laver, de s’alimenter… Et les causes de ce « retrait du monde » sont nombreuses et augmentent avec les années : perte du conjoint, perte d’un enfant (même sexagénaire ou plus âgé), perte des amis – lorsqu’on parvient à un âge très avancé, il y a plus d’amis au cimetière que de vivants –, angoisse devant sa propre mort qui se rapproche un peu plus chaque jour et peut survenir n’importe quand. Perception aussi de ce que le monde n’est guère accueillant aux vieillards. Quelle place sociale ont-ils, en effet, une fois parvenus au seuil de la retraite hormis celle de consommateurs pour les plus fortunés d’entre eux ? Exclus du tissu social, il est légitime que le vieillard se pose la question du sens qu’a sa vie désormais. D’autant que sa liberté se rétrécit comme peau de chagrin. Il n’est qu’à voir comment la sexualité des vieillards en EHPAD est l’objet de surveillance, répression et réprobation. Donc, soit le vieillard se retire du monde, soit on le pousse à se retirer du monde (ipso facto puisqu’il est mis hors-jeu), soit les deux phénomènes s’intriquent.
Or, selon cette idéologie, un quelconque déclin cognitif chez un vieillard ne peut relever du seul vieillissement ou d’un « retrait du monde », mais relève obligatoirement d’un processus pathologique organique. En l’occurrence de la maladie d’Alzheimer.
2. L’abandon de la clinique
Le diagnostic ne repose plus sur un entretien avec le vieillard adressé à la consultation spécialisée ni sur un examen clinique. Il résulte de la passation de tests dits d’évaluation où le vieillard est placé en situation d’infériorité et d’absence de dialogue (bien sûr le dialogue peut exister mais dans ce cas il excède la procédure évaluative elle-même qui peut très bien s’en passer). On ne les examine plus, on leur fait passer des évaluations au moyen de tests standardisés, on scrute leur IRM cérébral à la recherche d’une hypotrophie ou atrophie de l’hippocampe. Mais ce n’est pas parce qu’on présente une hypotrophie de l’hippocampe qu’on est malade.
Aujourd’hui, on a oublié le primat de la clinique.
Lorsque j’étais jeune gériatre, à la fin des années 80, je procédais comme tous mes collègues : j’effectuais des « évaluations » sommaires des fonctions mnésiques des vieilles personnes qui m’étaient confiées. Un jour, je m’adresse à un vieux Monsieur et l’interpelle en ces termes : « Monsieur, pouvez-vous me dire qui est le Président de La République ? Celui-ci me répond fort à propos (mais je n’ai compris que plus tard que c’était fort à propos) « Ecoute, mon p’tit gars, j’en sais rien et puis je m’en fous ! »
Pourquoi était ce fort à propos ? Ce vieil homme me signifiait en un raccourci saisissant que je l’importunais. Je l’importunais précisément sur un point : il ne m’avait rien demandé et moi, du haut de mon âge qui était environ le tiers du sien, je me mettais en position d’être l’examinateur de ce monsieur, je le mettais donc en position d’infériorité et sinon d’accusé, du moins d’examiné. Au sens de l’étudiant qui passe un examen. Les rôles étaient pour le moins inversés.
On voit par-là que faire passer une batterie de test d’évaluation des fonctions mnésiques à une vieille personne la met, ipso facto, dans une position inférieure intenable.
Je discutais très récemment avec un collègue neurologue autour de ces mêmes questions et il me faisait remarquer, à juste titre, qu’on n’a pas besoin de toutes ces échelles pour faire le diagnostic de maladie d’Alzheimer. Il suffit de parler avec celui chez qui on suspecte cette affection et avec son entourage.
Le principe même d’évaluation systématique des fonctions intellectuelles et mnésiques des vieilles personnes est critiquable. Car il procède d’une façon de faire qui est le déni de la clinique :
Le médecin a en tête, lorsqu’il reçoit le patient, une idée préalable ou préconçue. L’« évaluer », ce n’est pas l’examiner, car on ne laisse aucune « porte ouverte » au patient. L’entretien est cadenassé. Laisser une ou des « portes ouvertes » permettrait, éventuellement, au malade d’évoquer son histoire (ses angoisses tout spécialement son angoisse de mort, ses deuils, ses peines, le sens qu’a sa vie et l’amoindrissement de sa liberté, son désintérêt pour le monde ou vice versa ou les deux). Dans cette modalité, on entrevoit l’individu qu’on a en face de soi, justement non pas comme un individu, mais comme un élément (interchangeable) d’une cohorte ou d’un ensemble qu’on pourrait nommer E =ensemble des vieillards potentiellement en déclin cognitif =ensemble de tous les vieillards (en réalité). On pourrait le dire un peu autrement : une « consultation » qui n’est qu’évaluation est un simulacre de consultation, de surcroit à sens unique : c’est le point de vue du médecin qui prévaut. Davantage même que prévaloir, il occupe toute la place.
Or, le point qui consiste à autoriser le patient qu’on a en face de soi à se constituer ou non comme sujet (même si cette constitution comme sujet est minimale) est fondamental. Sinon, comment envisager que s’instaure entre le patient et le médecin à qui on l’a adressé une relation médecin-malade de qualité ?
Cette procédure d’évaluation se donne des allures de sérieux en se parant des oripeaux de la science. L’évaluation quantifie la dégradation cognitive. Elle produit un score : c’est imparable. Il n’y a plus qu’à obtempérer et le vieillard à la boucler.
Un autre défaut de cette idéologie « évaluative » qui découle, en réalité, d’une conception identique à celle du DSM2 (actuellement à sa version 5 et plus ça va pire c’est) c’est qu’elle procède à une classification et à l’inscription de la personne (je me garderai bien d’utiliser ici le mot « sujet » car on s’en situe aux antipodes) dans une case de la dite classification dont la conséquence est la prescription d’un traitement médicamenteux. On reviendra ultérieurement sur la controverse qui persiste à propos des médicaments dits « anti Alzheimer ».
Je voudrais ajouter quelques mots à propos du DSM. Que signifie cet acronyme ? Il signifie : « Diagnostic and statistical Manuel ». Sous couvert de prétention à l’objectivité, il a la volonté d’occuper toute la place dans la clinique des maladies mentales et dans son « enseignement ». A l’exclusion de toute autre approche : ainsi la psychiatrie clinique traditionnelle française et la psychanalyse sont écartées sans autre forme de procès. Actuellement, les étudiants en médecine en France se voient « enseigner » très majoritairement la clinique des maladies mentales selon le DSM.
Le DSM, c’est en réalité une émanation de la psychiatrie académique d’inspiration behavioriste, dont la proximité aux laboratoires pharmaceutiques n’est pas contestable. Il s’agit de placer le malade dans une « case » correspondant au médicament adéquat. Prenons un exemple : que dit le DSM du processus du deuil ? La première version du DSM en 1968 disait : « Pas de notion de durée de deuil », la quatrième fixait deux mois comme durée raisonnable du deuil, la dernière version DSM 5 publiée en 2013 fixe un délai de quinze jours. Précisant ainsi chaque fois davantage son caractère productiviste. Car après quinze jours et la prescription d’un antidépresseur, « allez, au boulot » !
Concernant le déclin cognitif des vieillards, vu l’ampleur du marché que cela constitue, le DSM ne pouvait que s’y intéresser. Il a inventé deux catégories, l’une étant « l’antichambre de l’autre » (ce qui n’a pas reçu l’ombre du commencement de la moindre preuve) : « Troubles neurocognitifs mineurs » et « troubles neurocognitifs majeurs ». Point n’est besoin d’être grand clerc pour immédiatement comprendre que c’est tous les vieux qu’il faut traiter.
Pour conclure sur ce point, je voudrais citer Maurice Corcos3, pédopsychiatre qui a consacré un ouvrage au DSM : « Le DSM, un dictionnaire pour psychiatres commis voyageurs, édicté par quelques évangélistes, un guide bleu religieux pour les égarés avides de normalité, dressant une typologie des paysages mentaux aussi faux que les bords de mer sur les cartes postales, installant une évaluation de la psyché éludant la fiction, l’inconscient et le fantasme, la pulsion et le sexuel. »
3. Une conséquence de l’abandon de la clinique : la confusion entre constats anatomo-pathologiques et clinique pour désigner la maladie
Est-on malade parce qu’on a un cerveau de petit poids, des lésions microscopiques à type de dégénérescence neuro-fibrillaire (lésion associée à la protéine tau phosphorylée) ou des plaques dites « séniles » (encore appelées dépôts amyloïdes associés quant à eux à la protéine peptide beta amyloïde) spécialement dans telle ou telle région du cerveau comme le cortex hippocampique ?
Ou bien est-on malade parce qu’on ne reconnaît plus les membres de sa famille, on se perd dans la rue, on n’est plus à même de mener à terme un projet très simple comme se préparer un café ?
La réponse semble évidente. Car on peut avoir un cerveau de petit poids avec des lésions comme celles qui viennent d’être décrites et avoir un fonctionnement parfait de la mémoire et de l’intelligence4.
C’est ce que décrit très bien David Snowdon dans l’étude des Nonnes, avec le cas d’une religieuse décédée à 101 ans, Sœur Mary, qui l’a beaucoup intrigué.
« C’était une femme remarquable qui a obtenu des scores élevés aux tests cognitifs, et ce jusqu’à sa mort qui est survenue à l’âge de 101 ans. Ce qui est d’autant plus étonnant, c’est qu’elle a maintenu un haut score cognitif bien qu’elle ait présenté en abondance des lésions de dégénérescence neurofibrillaire et des dépôts amyloïdes, lésions classiques de la Maladie d’Alzheimer ». En effet, Sœur Mary, présentait dans son cortex hippocampique, zone stratégique du cerveau, 57 lésions de dégénérescence neurofibrillaire et 179 dépôts amyloïdes. Son cerveau pesait 870 grammes, la moitié du poids d’un cerveau dit « normal ».
Le fait qu’il y ait une hésitation sur ce qui prévaut : l’observation sous microscope des lésions histopathologiques ou bien la clinique indique bien que le primat de la clinique a été relégué à l’arrière-plan.
Dans un rapport sur la « maladie d’Alzheimer » publié début 2019, l’INSERM indique qu’« examiné après leur décès le cerveau des patients atteints de maladie d’Alzheimer présente deux types de lésions de dégénérescence neurofibrillaire et des dépôts amyloïdes » (comme décrit plus haut).
Le rapport souligne que les malades présentent ces lésions mais que la présence de ces lésions ne signifie pas automatiquement que celui qui en est porteur soit atteint de maladie d’Alzheimer.
Pourquoi, dans ce rapport de l’INSERM, laisse-t-on sous-entendre que ces lésions seraient spécifiques de la maladie d’Alzheimer alors que la présence de ce type de lésions dans le cerveau d’un vieillard n’a pas pour corrélat obligé la présence de la maladie d’Alzheimer chez cette même personne ? Il n’y a donc pas réciprocité entre le tableau clinique et les lésions observées dans le cerveau. En ne mettant pas l’accent sur ce point capital, l’INSERM entretient le doute et le flou.
4. Des prévisions catastrophistes sur une épidémie annoncée de « Maladie d’Alzheimer » sont, d’une part, injustifiées, mais d’autre part pourquoi sont-elles émises ?
On lit partout qu’en l’an 2050, il y aura tant de millions de personnes atteintes de « maladie d’Alzheimer » à travers le monde. L’argument principal en est que la part de la population âgée de plus de 75 ans, ou de plus de 80 ans ou même davantage ne cessant de croître le nombre de personnes malades ne peut qu’augmenter. Or c’est faux.
En 2016, les suites d’une prestigieuse étude épidémiologique menée aux USA, dite « étude de Framingham », sont publiées5 : elles mettent en évidence la baisse de l’incidence6 de la « maladie d’Alzheimer ».
L’étude Paquid7 dans ses développements récents semble aller dans le même sens. Elle montre que la progression quantitative du nombre de cas de « maladies d’Alzheimer » sur des périodes de dix ans, par exemple, n’épouse pas l’augmentation du nombre et du pourcentage de vieilles personnes dans la société mais qu’elle commence à connaître une inflexion.
Quelles hypothèses peut-on émettre pour rendre compte de ce fléchissement ? Deux hypothèses s’imposent : en premier lieu, l’augmentation générale du niveau socio-éducatif. La deuxième hypothèse est plus controversée : celle d’une meilleure prise en charge du risque cardio-vasculaire. Quoi qu’il en soit, plusieurs études s’accordent sur le point de la baisse de l’incidence.
Alors, pourquoi ce battage alarmiste porteur de l’idée d’une catastrophe annoncée ? Quand on s’appuie avec obstination sur des arguments faux, c’est qu’on a une idée en tête. Il n’est pas impossible que le discours qui prédit une quasi apocalypse « Alzheimer » vise à préparer dans l’opinion publique l’idée que les soins accordés aux vieillards, et à juste titre, au nom de la Solidarité nationale constituent un poids financier tellement considérable qu’il ne doit plus incomber à la Communauté nationale.
Alain Minc, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et expert économique auto proclamé, avance ses pions dans cette direction.
Je le cite : « Nous avons 4 sujets de dérapage : les retraites, le déficit de l’Etat (…) les collectivités locales (…) et puis il y a un 4ème problème dont on ne parle jamais c’est l’effet du vieillissement sur les hausses des dépenses d’assurance maladie et la façon dont on va le financer. »
« Je vais vous l’illustrer à travers un exemple qui me fascine. Moi, j’ai un père qui a 102 ans. Il a été hospitalisé 15 jours en service de pointe. Il en est sorti. La collectivité française a dépensé 100 000 euros pour soigner un homme de 102 ans. C’est un luxe immense, extraordinaire. Pour lui donner quelques mois, ou j’espère, quelques années de vie. Je trouve aberrant que quand le bénéficiaire a un patrimoine ou quand ses ayant-droits ont des moyens, que l’Etat m’ait fait ce cadeau à l’œil. Et donc je pense qu’il va bien falloir s’interroger sur le fait de savoir comment on récupère les dépenses médicales sur les très vieux en mettant à contribution ou leur patrimoine quand ils en ont un ou le patrimoine de leurs ayant-droits. »
Bref, payer cent mille €, pour un vieux qui va vivre à peine quelques mois, ce n’est pas rentable, c’est même du gâchis. J’espère que le papa de Monsieur Minc n’est pas au courant, sinon il lui est permis d’avoir de sérieux doutes sur l’amour filial du fiston. Plus sérieusement, voilà un coin que Mr Minc enfonce dans le principe, selon moi intangible, de la Solidarité nationale. Cela ouvre la porte à toutes les dérives d’exclusion : après les vieux, à qui le tour ?
5. Et les médicaments ?
Les traitements médicamenteux de la « maladie d’Alzheimer » sont inefficaces. En même temps que leur existence est indispensable. Car que deviendrait une maladie qui n’aurait pas les médicaments pour en venir à bout ? L’existence de ces médicaments, même inefficaces, conforte le statut de maladie à la « maladie d’Alzheimer ». C’est pourquoi ses partisans sont si acharnés à les défendre. L’inefficacité des médicaments « anti Alzheimer » est connue depuis longtemps. En conséquence, on a du mal à comprendre l’énorme temps de latence qui s’est déroulé entre l’établissement de cette inefficacité et le moment (justifié) du déremboursement. Certains osent défendre leur opposition au déremboursement par l’argument spécieux selon lequel « il ne faut pas désespérer les familles et entourages ». Propos qui en dit long sur leur conception du soin.
Ou encore dans une synthèse produite par l’Inserm en Janvier 2019 : « ces médicaments souffrent d’un handicap à l’origine de leur récent déremboursement (lequel fait encore débat) : leur bénéfice n’est pas flagrant pour le patient et son entourage. En effet, ils n’améliorent pas l’état du malade : en général, ils ralentissent sa dégradation ou, au mieux, ils le stabilisent. Face à cela, certains effets secondaires désagréables, et le simple fait de prescrire une pilule supplémentaire à des personnes âgées souvent sous traitement pour d’autres pathologies, peuvent faire reculer les proches et certains soignants. Des études à grande échelle prouvent pourtant sans conteste que l’arrêt de ces traitements diminue la durée de vie autonome de ces patients : se dégradant plus vite, ils entrent plus tôt en institution. Autrement dit, ces médicaments apportent un bénéfice social et individuel bien réel même s’il est difficile à percevoir immédiatement pour l’entourage du malade. Même s’ils ne sont plus remboursés, ces médicaments restent abordables. » et « La recherche s’oriente vers un traitement très précoce, avant les symptômes de la maladie pour éviter qu’elle ne se déclare, les lésions précédant de plusieurs années les symptômes ».
Deux remarques : il n’aura pas échappé à tout lecteur attentif du paragraphe cité juste auparavant son caractère extrêmement tortueux et alambiqué. Soit un médicament est efficace, soit-il ne l’est pas. Ou dit en des termes plus médicaux : qu’en est-il, à propos de ce type de médicament, de la balance bénéfice-risque ? Or tous les articles un tant soit peu sérieux comme ceux publiés dans la revue indépendante Prescrire démontrent que cette balance bénéfices-risques est très défavorable.
Deuxième remarque concernant le « traitement très précoce ». Dans cette hypothèse, on ne traite plus un malade mais un supposé facteur de risque. A savoir les lésions anatomo-pathologiques : dégénérescence neuro-fibrillaire et dépôts amyloïdes, supposées précéder l’apparition de la maladie au stade clinique. Resterait à prouver que la présence de lésions précède la maladie. En revanche ces lésions qu’on nous présente comme spécifiques sont en réalité des manifestations histologiques du vieillissement, donc présentes chez tous les vieillards. On est en droit de se demander si c’est une agence publique qui parle (l’INSERM en l’occurrence) ou le syndicat des industries pharmaceutiques. En effet quelle aubaine ce serait de traiter tous les vieillards avec des médicaments non seulement inutiles mais présentant des effets secondaires non négligeables.
Pour ce qui concerne le « gain » en termes de retard à l’institutionnalisation resterait à déterminer quelle en est sa durée. Si l’institutionnalisation est retardée de trois mois (ce qui est approximativement ce que démontrent les « études » les plus favorables), le jeu en vaut-il la chandelle ?
Certains brandissent l’argument suivant : « Le déremboursement a rompu le lien thérapeutique ». Propos qui soutient de manière implicite que le lien thérapeutique passe de façon obligée par la prescription d’un médicament. Eh bien non, la thérapeutique ne se résume pas au médicament. Loin de là. Car les thérapeutiques non médicamenteuses ont le grand intérêt, particulièrement dans les maladies chroniques telles que le diabète de type 2, de solliciter davantage le patient et de le rendre plus actif vis-à-vis de sa maladie. Ainsi dans le diabète, observer les recommandations diététiques et avoir une activité physique soutenue, est certainement au moins aussi important que la prescription de médicaments.
A supposer que la « maladie d’Alzheimer » soit une maladie et non un effet du vieillissement cérébral ou d’un « retrait du monde » évoqué plus haut, mais en réalité peu importe, on peut entrevoir ici l’immense intérêt des thérapeutiques non médicamenteuses. Que ce soit la sollicitation cognitive, l’évocation de souvenirs, la confrontation au beau (visite de musées ou concerts de musique) : la mise en place de ce genre d’occurrence permet que se constitue un lieu social où tout un chacun peut s’impliquer et où le vieillard peut réintégrer la communauté humaine…
1 Ce néologisme est utilisé sciemment et renvoie à l’article de Michel Billé et Didier Martz sur : La tyrannie du « bienvieillir »
2 Le DSM (Diagnostic and Statistical Manuel) issu de la psychiatrie académique américaine tout ce qu’il y a de plus réactionnaire s’intéresse de près au déclin cognitif des vieux puisqu’il a instauré le déclin cognitif majeur (DCM) et le mineur (DCm) avec comme sous-entendu que le DCm est le stade qui précède le DCM
3 Maurice Corcos L’homme selon le DSM Albin Michel 2011
4 D. Snowdon Aging and Alzheimer’s disease: lessons from the Nun study The Gerontologist volume 37 N° 2 1997 p.150-156
5 Satizabal C. Beiser AS Seshadri S. Dementia over three decades in the Framingham Heart Study N Engl J Med 2016 375 (1) 93-4
6 Incidence nombre de nouveaux cas par an et Prévalence nombre total de cas.
7 L’Etude Paquid (Personnes âgées Quid ?) est une étude prospective dirigée par JF Dartigues neurologue et épidémiologiste à l’Université de Bordeaux. Elle a inclus en 1988, près de 3800 personnes âgées de plus de 65 ans. Depuis 30 ans, elle suit le devenir de cette population.