N°4 / La science est-elle en crise ? Décembre 2003

La violence institutionnelle. Une expérience roumaine dans les années du totalitarisme stalinien : la rééducation

Adrian Neculau

Résumé

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Plusieurs observations et événements m’ont conduit à aborder le phénomène annoncé dans le titre.

J’ai essayé, plusieurs fois, de discuter avec certaines personnes qui ont connu personnellement le régime de détenu politique, en sollicitant leur aide pour déchiffrer l’impact de la pression physique et psychique sur la personnalité humaine. Dans la majorité des cas, j’ai essuyé un refus. Lorsque j’ai eu l’occasion d’écouter certaines histoires, on m’a interdit de les utiliser ou enregistrer. La plupart de ceux qui ont subi des violences infinies et humiliations ont déclaré la difficulté (même l’impossibilité) de se remémorer les souffrances supportées. L’un de ceux qui a été en réclusion  un peu plus d’une année, m’a déclaré sa crainte illimitée de la vengeance des anciens tortionnaires, aujourd’hui des retraités respectables. Après plusieurs essais, j’ai renoncé.

Les uns ont surmonté cette barrière psychologique et ont écrit leurs douloureux souvenirs. J’ai trouvé une riche littérature qui apporte des témoignages terribles sur le régime des prisons politiques, des camps de travail dans presque tous les pays communistes, mais spécialement en URSS et en Roumanie. Certains documents - témoignages ont constitué la base d’informations que j’ai soumise à l’analyse.

J’ai constaté que le “phénomène” (dans toutes ses caractéristiques : pression psychique, violence physique, terreur) n’a pas préoccupé les psychologues, mais seulement les historiens et les écrivains. Ce n’est que par hasard que j’ai rencontré dans un manuel de psychologie pour les débutants (Lifton, 1988) une description des méthodes de “reformation de la pensée”, pratiquées par le régime communiste  chinois, avec des méthodes comme le contrôle de la communication humaine, la manipulation mystique, l’impératif de la pureté, le culte de l’aveu, l’enrichissement du langage avec des sens nouveaux, la priorité de l’idéologie sur la personne, l’élimination de ceux qui font partie de la catégorie du non - peuple (”non-people”).

Le seul psychologue roumain qui a relaté son expérience de détenu politique est, à ma connaissance, Nicolae Margineanu. Les autres que j’ai rencontrés et analysés avec précaution (Traian Herseni, Constantin Bontila, Constantin Zahirnic) ont refusé tout dialogue sur ce thème. Le livre de Nicolae Margineanu, Amphithéâtres et prisons (1991), publié après sa mort, m’a profondément ému et m’a beaucoup stimulé pour essayer d’approfondir le phénomène. Il a été récemment republié, dans une version complète, sous le titre Aveux sur un siècle tourmenté (Maison d’édition de la Fondation Culturelle Roumaine, 2002).

J’ai tâché plusieurs fois d’expliquer les mécanismes psychologiques à l’aide desquels on a obtenu un comportement obéissant et conformiste de la part d’un segment important de la population, de dévoiler les techniques du conditionnement social, la manière selon laquelle on peut obtenir une réaction contrôlée de la part de l’acteur social. Un inventaire réalisé après ces premières investigations m’a indiqué les modalités suivantes d’implémentation : alimenter avec des informations sélectionnées, dirigées, même imposées ; situer l’individu dans des contextes modelés par les gardiens de la conscience ; grouper des individus dans des structures construites artificiellement et fortement contrôlées ; entraîner ceux-ci dans des actions collectives, à buts communs, imposées de l’extérieur (Neculau: 1991, 1992, 1998, 1999, 2000, 2001).

En 1998, j’ai fait la première lecture psychosociologique de « l’expérience » de Pitesti, par laquelle on a provoqué le changement de la structure intérieure de la personnalité, avec des méthodes violentes et par la terreur, jusqu’à la démolition des piliers de celle-ci et la transformation des sujets en robots obéissants. La méthode a donné des résultats, tout individu relâché de la prison devenait incapable de s’opposer, de garder son individualité et son indépendance de penser. Ceux qui ont questionné les survivants ont constaté que seulement peu d’entre eux ont résisté.

J’ai aussi été stimulé dans cette démarche par la constatation que le phénomène est totalement ignoré par la littérature spécialisée de chez nous. Les psychosociologues abordent d’habitude (à peu d’exceptions) des phénomènes non situés, rompus d’un contexte spécifique, ils découvrent des lois du comportement social valables n’importe où et n’importe quand, mais ils ignorent souvent la réalité immédiate. A quelques exceptions  près, au sein du Laboratoire de psychologie sociale de l’Université de Iasi (et quelques livres publiés par des collègues) les chercheurs ne sont pas intéressés par ce sujet.  On enregistre une véritable émulation dans la publication des “synthèses” de la littérature occidentale, dans un passé récent, encore accessible par l’existence de témoins, un passé qui pourrait conduire aux explications sur ce qui se déroule maintenant, n’intéresse pas. Et d’autant moins que  ces phénomènes sont terrifiants comme celui dont nous nous occupons ici.

Quelques repères théoriques

Nous essaierons d’évoquer quelques théories qui peuvent nous servir dans la compréhension des mécanismes du changement de la personnalité et de ses repères.

Nous énoncerons, d’abord, l’idée connue conformément à laquelle la personne et les groupes sociaux s’articulent au milieu et agissent en fonction de leurs représentations sociales. Nous devrons invoquer plusieurs recherches et élaborations théoriques qui puissent peuvent illustrer cette option. Sous l’influence de l’interactionnisme et du situationnisme, de la théorie constructiviste ou de l’Ecole de Chicago (l’Ecole de l’anthropologie culturelle) une nouvelle perspective dans l’approche de la personnalité est née : la consistance de celle-ci, sa spécificité est sont le résultat des relations interpersonnelles où l’individu est placé, de son milieu social et culturel et des activités dans lesquelles il est impliqué.

La conception constructiviste (Hampson, 1982, 1984) sur la formation de la personnalité vient avec son apport spécifique : la personnalité est une “construction” sociale, son essence pouvant être identifiée dans le cadre du déploiement de l’interaction, du processus social qui a lieu entre les individus. Cette “construction” unique qui est la personnalité s’appuie sur trois clefs de voûte : le comportement que l’Acteur social, en tant qu’individu biologique distinct, apporte sur la scène sociale ; les significations qu’il attache à ce comportement ; les acceptions, les sens que les autres attribuent à son offre comportementale. Mais, si la personnalité est une “construction” formée de la contribution de trois perspectives, il résulte que les Acteurs sociaux projettent, dans leurs évaluations des autres, leurs convictions sur la participation sociale de chaque individu, ignorant souvent la réalité. Les évaluations de plusieurs acteurs sociaux sont le résultat “des convictions” formées dans un certain contexte social, des “théories” avec lesquelles ils avaient été alimentées et non des informations concrètes qui proviennent de la réalité immédiate.

La théorie du développement social de l’intelligence (Doise, Mugny 1981, 1998; Mugny, 1991), même si élaborée dans un autre type de milieu social, peut nous offrir des clefs pour la compréhension du développement cognitif dans les conditions sociales et politiques caractérisées par une pression psychologique sur l’individu. Par essence, conformément à cette théorie, l’évolution cognitive de l’enfant et sa maturation ultérieure ne peuvent pas être dissociées du milieu social (l’école, contexte social) ; les structures cognitives de l’individu se développent non seulement par maturation et exercice individuel comme le croyait Piaget, mais aussi – ou spécialement – par l’interaction sociale et la transmission des styles cognitifs promus dans un certain contexte social.

Dans le manuel genevois de psychologie sociale expérimentale, on trouve la phrase suivante : “Notre réponse (dans le débat de ceux qui soutiennent la nature sociale de l’intelligence et ceux qui la réduisent aux caractéristiques individuelles)… part du postulat que l’interaction sociale est un lieu privilégié du développement cognitif.”

L’interaction joue ici un rôle causal (que Mugny nomme causalité en spirale) : chaque interaction permet l’élaboration de nouveaux instruments cognitifs et ceux-ci stimulent la participation à d’autres types d’interaction  plus élaborés, en favorisant une nouvelle restructuration cognitive, en conformité avec le style interactionnel encouragé. De cette manière, tout changement cognitif incorpore aussi des caractéristiques du contexte social où les interactions ont lieu, le processus entier est marqué socialement par la spécificité des situations où un conflit cognitif entre les anciennes et les nouvelles structures mentales se produit.

Les cognitions humaines possèdent donc une caractéristique spécifique : elles naissent et se développent dans le contexte social et culturel qui assure l’insertion sociale de l’individu, toute modification inclue aussi la situation du champ social et la configuration des événements qui les a générés. L’univers cognitif humain traduit les résultats du traitement auquel le sujet social a été soumis ; son intégration dans les événements présente des propriétés qui se maintiennent dans la mémoire individuelle avec la signification qu’ils ont eu au moment où elles ont été incorporées (Monteil, 1993). Le développement des structures cognitives ne peut ignorer, alors, les pratiques sociales fréquemment utilisées, les types d’interactions sociales, l’appartenance catégorielle, les normes et les valeurs mises en évidence dans le processus d’apprentissage social. Développés dans des conditions dramatiques, d’opposition, de pression, de confrontation ou de conflit, les processus d’apprentissage social sont marqués par les caractéristiques du champ social.

L’idée de conflit socio-cognitif, en tant que règle d’or du développement de l’intelligence humaine, promu par l’école de Genève, contient donc une conséquence qui peut se manifester dans certaines conditions. Le conflit socio-cognitif, considéré comme une condition du progrès individuel, promouvant le changement par interaction, la déstructuration et la tension entre les participants, en vue d’acquérir un nouvel équilibre, peut éclairer – dans certaines conditions – l’idéologie du contexte social ; le processus peut être marqué par les options de ceux qui dirigent le processus d’apprentissage. L’approche tripolaire que cette théorie propose (Sujet – Autrui – Objet) inclue le champ de l’action, la situation concrète, le cadre social - idéologique où le processus a lieu. Ceux-ci peuvent s’insérer dans les structures cognitives du sujet en le marquant d’une manière consistante. D’ailleurs l’inspirateur de cette théorie, reconnu comme mentor par ceux de Genève, le psychologue soviétique Vigotski a dit explicitement : « les processus cognitifs ne fonctionnent pas dans un vide social, et la forme dans laquelle ils s’expriment n’est pas indépendante des influences socio-culturelles ». Les facteurs sociaux, à leur tour, ne peuvent pas être analysés sans référence aux processus cognitifs des individus du champ social. Les structures cognitives sont donc un produit de la genèse sociale, historique - culturelle, transmise par l’intermédiaire des signes et du langage.

On ne peut pas ignorer l’apport du marxisme dans la compréhension de l’essence humaine et du développement de la personnalité. Le modèle marxiste vient avec la thèse connue de la compréhension de l’essence humaine comme résultant de l’ensemble des relations sociales. Le matérialisme historique impose l’idée de la priorité du facteur social - historique sur l’individu. Le social est “transplanté” en l’individu, celui-ci n’est pas lui-même générateur de personnalité mais seulement le porteur de l’essence “née” dans un certain cadre socio – culturel (P. Popescu – Neveanu, 1978). On comprend donc que le mode d’organisation de la personnalité, l’orientation et la structuration de ses schémas mentaux est subordonnée “à l’évolution historique, c’est–à–dire à la spécificité de classe ou de groupe, à l’époque et à la société”. La personnalité s’affirme donc dans un certain contexte socio-politique et non dans un mode général et abstrait. De là, l'idée que “l’ordre social”, le mode d’organisation et fonctionnement de la société se “répercutent” sur la vie des individus.

Quelle est la conclusion ?

L’évolution de la personnalité et sa transformation sociale ne peuvent être conçues que quand elles sont rapportées à un contexte spécifique, à une situation donnée, aux activités dans lesquelles l’individu est impliqué.

Pour la démonstration actuelle, la plus productive serait peut-être la théorie psychosociologique conformément à laquelle les représentations sociales sont des produits du contexte social ou, selon Moscovici (1961), “des aspects du milieu social”. Les représentations de la réalité orientent les interprétations et les actions de l’individu, stimulent sa “production” intellectuelle et mobilisent l’énergie de l’acteur social, inspirent son désir d’action. Mais plus que cela, elles ré-assemblent la réalité, proposent des stratégies de traitement de l’information, en facilitant l’accès à un certain type de connaissance, celle fournie par la dimension idéologique du social. Toute option individuelle, bien qu’elle porte l’empreinte de la subjectivité, de l’implication affective de l’individu, bien qu’elle ait sa logique interne, a aussi une investiture institutionnelle, elle ne peut pas s’éloigner beaucoup du contexte idéologique, organisationnel, socio-culturel de la réalité qui fournit des informations. Pour décrire la manière selon  laquelle la représentation sociale s’inspire des caractéristiques du contexte social, W. Doise fait appel à la théorie du champ social, proposée par P. Bourdieu, qui lie la représentation sociale au lieu de l’acteur social dans un champ de relations hiérarchiques et d’oppositions valorisantes.

Les “agents” du champ distribuent des signes de reconnaissance, valident les contributions, établissent des rapports internes et des normes de fonctionnement. On institue de cette manière “des règles du jeu”, on produit des biens symboliques destinés au public large, des critères d’évaluation des produits. Le champ produit un certain type de discours, et celui-ci a des “effets pratiques” sur les acteurs sociaux impliqués.

Pour résumer : la signification des représentations sociales est alimentée du contexte principalement par la nature des conditions qui élaborent le discours et qui facilitent la formulation de certaines idées, la découverte de certaines théories. Le discours est toujours situé en temps et espace et suppose des rapports concrets, des modèles interactionnels et de conduite.

Les représentations formées dans un certain contexte contribueront décisivement – affirme Doise – aux “processus de formation des conduites et d’orientation de la communication sociale”, formeront des pratiques sociales nouvelles qui s’inscriront dans d’autres types de rapports collectifs concrets. Nous pourrions formuler, en partant de cette constatation une loi : celui qui possède le contexte, qui le contrôle peut “commander” la formation des représentations sociales (Neculau, 2000), peut diriger les élaborations cognitives individuelles et collectives, orienter les interactions des acteurs sociaux et, leurs comportements.

Le contexte, qu’il soit socio-global, idéologique, ou bien immédiat, concret, situationnel (Abric, Guimelli, 1998) prend la forme d’une certaine réalité sociale et historique qui “enveloppe” l’individu dans une toile de repères, sans alternatives, en le forçant à analyser  certaines informations (les seules fournies par le contexte) et à former certaines images, croyances, représentations. S’il alimente ses représentations dans un contexte donné, imposé, l’individu (le groupe, la collectivité) va acquérir  certaines significations et interprétations des phénomènes sociaux et construire  certains modèles de relation dans ou spécifique au contexte. Le contexte global (historique et idéologique) induit des normes de conduite, marque les situations et les rapports entre les individus, détermine des tableaux d’évaluation, mobilise et/ou polarise les acteurs sociaux. Enfin, il produit une certaine “logique sociale” qui oriente l’activité cognitive de l’individu, le familiarise avec le “normal”, l’aide à rationaliser l’information du milieu, en la subordonnant à la conception de base et lui conseille de rejeter l’inconnu, “l’anormal”, l’exceptionnel ?, l’attitude ou la conduite qui contrevient à la représentation sociale dominante, délivrée par le contexte.

Vous comprendrez que toute cette démonstration, bien qu’elle soit inspirée par la littérature portant sur la construction des représentations sociales ne peut être retrouvée dans les ouvrages des collègues de l’Europe de l’Ouest. Ils n’ont pas élaboré une théorie de la formation des représentations sociales dans les conditions de contrôle et contrainte alors qu’ils avaient l’exemple du fascisme (en dehors de quelques rares auteurs). Nous considérons que les références que S. Moscovici, W. Doise, Denise Jodelet,  Ivana Markova, M.L. Rouquette, J.C. Abric et Ch. Guimelli font sur le rôle du contexte dans la formation des représentations sociales peuvent servir dans l’analyse que nous avons l’intention d’entreprendre.

La terreur politique en tant que modèle culturel

J’ai essayé plusieurs fois de prouver, en utilisant des modèles d’analyse d’inspiration psychosociologique, qu’un certain type de contexte socio-politique, “modelé” au nom d’une idéologie, conformément à un programme élaboré par un groupe dominant (groupe de pouvoir), donne aux “bénéficiaires” une expérience sociale et de connaissance “dirigée”, utile à la consolidation du pouvoir du groupe respectif. Tout est dans une formule “éducative”, contrôlée par les gardiens de la pensée bien coordonnés, avec comme effet la formation de certaines représentations sociales balisées par des règles rigides, des tableaux d’orientations, des répertoires de normes. L’individu formé dans des conditions pareilles n’a comme  solution que “l’adaptation” aux “demandes”. Il n’a plus un discours normal, il cherche “la formule juste”, comme écrit Markova, il ne communique plus en développant des stratégies de survivance.

Dans un texte publié en 1991, j’ai essayé d’identifier les mécanismes qui ont rendu possible la réalisation d’un programme d’annihilation de la pensée indépendante : la création de certains modèles organisationnels rigides, dirigés, de véritables appareils destinés au contrôle total de l’individu, des générateurs de crainte, en stimulant le comportement bureaucratique, la ritualisation et la délation. Si le contexte est “construit” pour contrôler l’individu et le groupe dans ses articulations importantes, alors ceux-ci agiront selon le schéma cognitif auquel ils ont été habitué. Si on “précode” la réalité, si on délivre “des guides d’action”, on peut déterminer certaines anticipations et suppositions (Flament, 1995). Par le contrôle du système de formation (des contenus, des méthodes didactiques, du style interactionnel), par exemple, on peut obtenir des séries d’individus modelés selon la forme désirée.

Le modèle d’éducation susmentionné avait comme objectif “la formation” de l’individu moyen, du “travailleur” disposé à s’intégrer dans un programme lui donnant des instruments qui lui permettaient de s’adapter au système ? sans problèmes. Mais que faire avec ceux qui, par leur formation initiale ou l’accès à une connaissance alternative, résistaient à un processus d’éducation pour tous ? Comment pouvaient-ils être obligés d’accepter les nouveaux standards culturels ?

Pour les individus considérés irrécupérables par des méthodes “normales” on a trouvé d’autres moyens pour détruire leur résistance au changement : la déchéance des droits civiques, la prison, la provocation de la peur par l’organisation de la terreur selon le modèle soviétique.

On peut trouver l’analyse de ce modèle actionnel chez Hannah Arendt : le totalitarisme au pouvoir, pour obtenir la “domination totale”, organise, dans sa phase initiale, “la terreur extrêmement sanglante”, avec le but explicite “de vaincre l’opposant et de rendre impossible toute opposition ultérieure”. La stabilité du régime totalitaire dépend de l’isolation des opposants, de “leur soustraction d au  monde des autres, au  monde des vivants en général”.

L’instauration du gouvernement Groza, le 6 mars 1945, a eu pour  conséquence la subordination totale des institutions de l’État vis-à-vis du nouveau régime politique, fait qui a conduit, comme l’exprime l’historien anglais Dennis Deletant, à l’instauration du régime totalitaire. On a éliminé les principaux partis d’opposition et on a imposé le modèle du parti unique, on a éloigné les anciens magistrats, les remplaçant par des adeptes fanatiques sans une formation juridique minimale, on a commencé les arrestations, les adversaires politiques ont été taxés d’ “éléments périlleux” et de “saboteurs”, recommandant leur liquidation “sans pitié”, sur la foi d’un nouveau système juridique copié sur le modèle soviétique, on a imposé les normes et les pratiques staliniennes dans la vie sociale. Sorti de l’illégalité, où la lutte entre factions et l’élimination des adversaires fonctionnait comme une loi de  survie, le parti arrivé au pouvoir prolonge cette méthode dans le nouveau contexte, projetant au niveau national “un fanatisme étonnant pour néophytes et terrifiant pour ceux avisés” (Tismaneanu, 1996).

Comment le politologue américano - roumain décrit cette “psychologie communiste”, comment la nomme-t-il ?

L’intolérance, l’exclusivisme, la rigidité dans le traitement appliqué aux éventuels adversaires et “l’acharnement” contre ceux ayant d’autres attitudes spirituelles, combinés avec l’inappétence pour la communication, dus à un complexe anti-intellectuel, ressenti fortement par les activistes d’origine ouvrière (dans la vision léniniste, les intellectuels apparaissaient comme éléments indécis, fragiles, sans convictions fermes et principes solides). Il était donc normal que le statut d’intellectuel génère des suspicions, des réserves ou une haine déclarée. On appréciait au contraire le profil d’un individu attaché, loyal, discipliné. La culture politique du stalinisme roumain est donc construite sur des caractéristiques comme “l’autoritarisme, le centralisme exacerbé, la vénération des instances dirigeantes et la persécution des militants, peu nombreux, à esprit critique, les factions, la rigidité doctrinaire et le refus des débats théoriques, l’intolérance, l’exclusivisme, la loyauté illimitée vis-à-vis du centre mondial du communisme et la déconsidération des traditions nationales”. Un tableau socio-politique très complexe, génére des conséquences dévastatrices au plan psycho-sociologique, pour les individus et les groupes. Aurora Liiceanu (2003) observait avec pertinence : « le régime de type soviétique dans l’espace roumain s’est “consacré” en utilisant deux moyens psychologiques, dans une succession bien pensée : la terreur et l’obéissance ». La première étape est caractérisée par la terreur et a eu comme conséquence l’instauration de la peur comme mode de vie, la deuxième étape a été la consolidation des “résultats” obtenus, c’est-à-dire la soumission généralisée, avec ses conséquences, la passivité et l’isolation mentale.

Il y a beaucoup de témoignages sur la manière dont a commencé et s’est déployée la terreur qui a induit à un sentiment de crainte généralisée parmi toute la population, après l’instauration du régime communiste.

Nous ferons appel au témoignage d’une personne marquée définitivement par les événements dans lesquels  elle a été impliquée, il s’agit de la femme d’un ancien détenu politique : “L’année 1947 a signifié, pour mon mari, ce qu’elle a signifié pour beaucoup de jeunes de cette époque–là. Premièrement cela a signifié la destruction de leurs vies : la vie personnelle, la vie intellectuelle, parce que 1947 a été l’année où l’on a instauré le régime communiste et où l’on a commencé les arrestations en masse, avec le but de démontrer par la force que le communisme est sur les barricades et peut être imposé” (voir Neculau, 2001). La première “étape” a commencé le 5 mai 1947 avec l’arrestation de tous ceux qui étaient considérés comme suspects ou du moins hostiles au nouveau régime. Parmi eux,  beaucoup d’étudiants (le mari de notre témoin était étudiant en droit en première année). “On a commencé au Nord de la Moldavie, et on a entassé 600 –700 personnes dans un train de la terreur, du désastre et de la misère et on les a  menés à Gherla. C’était la première fois qu’à Gherla apparaissaient  des détenus politiques”.

De là, les plus “dangereux” ont été transféré à Aiud, où ils ont été pris par “le célèbre Mares, directeur adjoint de la prison, un personnage cynique et un sadique” qui a introduit la bastonnade comme règle de punition. (J’ai trouvé Mares dans le Dictionnaire de Doina Jela : “Un individu presque analphabète, avec des comportements inégaux et contradictoires, alcoolique. Presque normal quand il n’était pas ivre ; quand il buvait, il devenait terrifiant, même bestial. Il recevait des  pots-de-vin des familles des détenus, auxquelles il promettait d’améliorer le traitement”).

A Aiud, nous informe l’interviewée, les détenus connaissent la célèbre zarca, un régime d’isolation totale : “ils ont été nourris avec du tourteau et du potage aigre de piments forts et de légumes saumurées dans ces conditions, en deux mois mon mari était arrivé au poids de 48 kg, s’évanouissant plusieurs fois à cause de la faim”. Avant sa deuxième arrestation, bien qu’en “liberté”, comme tous les anciens condamnés, le mari de notre témoin “était considéré hors la loi”, il vivait comme un “fugitif, il a habité chez des parents éloignés, des amis”, changeant souvent de domicile. En plus, “toute la famille a souffert; et je n’avais moi-même plus de droits”. Cette dernière phrase résume l’ensemble de cette biographie marquée par la peur en continue.

Faisons appel à un autre témoignage, du professeur de psychologie de l’Université de Cluj, Nicolae Margineanu, ancien boursier Rockefeller et homme avec des convictions de gauche, qui a été en prison 16 années et 2 mois.

Plusieurs paragraphes de ses mémoires, publiées après sa mort, nous dévoilent le “programme” de soumission par faim, froid et bastonnades des détenus.

En voici quelques extraits :

“Leurs obsessions (des jeunes, de 20 à 25 ans), mais aussi des vieux, étaient celles de la nourriture, pour calmer un peu leur faim sauvage. Parfois nous avions une telle faim de loup que l’on pouvait entendre nos tripes des chambres voisines. Enfin nous avons commencé à ronger le paillasson. Plus tard, quand nous étions plus nombreux dans la cellule, la conversation de tout ce qui tenait à la nourriture était interdite, pour ne pas nous chagriner en vain en augmentant notre souffrance”.

Nous trouvons aussi une description exacte sur la famine de la prison dans les souvenirs de l’historien Constantin Giurescu : “Malheureusement, pendant trois ans et deux mois du 8 mai 1950 au 3 juillet 1953, le gruau a été la nourriture dominante dans la prison, avec des périodes comme entre le 20 décembre 1950 et le 5 janvier 1951, quand nous l’avons reçu continuellement à midi et le soir. Le déjeuner est toujours du gruau bouilli ; le soir toujours du gruau, mais plus rarement de la “soupe de gruau”, en réalité une sorte d’eau de vaisselle. …

A partir même du troisième jour de la détention à Sighet, je commence à avoir faim, une faim presque permanente et qui dans les derniers jours devient une vraie obsession. Une demi-heure après avoir terminé le déjeuner, on a faim ; la sensation s’accroît graduellement et touche son apogée à cinq heures et demi du soir, quand, d’habitude, sonnait la cloche pour le dîner. Après l’eau de vaisselle du soir, on a au moins une demi-heure de paix, on a faim dès qu’on a terminé de manger”.

Le gruau pouvait encore être considéré comme une nourriture. Mais on pouvait encore trouver pire. Voici le témoignage de l’écrivain Nicolae Balota: “Immédiatement après nous avions été emmenés de la cellule du dessous, le toit arraché par l’orage, et introduits entre les quelques 60 – 70 personnes entassées dans le souterrain, nous avons tous observé, étonnés au début, préoccupés plus tard, avec désespoir à la fin, que la louche de gruau, - plat que nous considérions, réellement, comme le plus consistent de notre vie si pitoyable et que nous recevions au moins sur quelques jours - commençait à être vide ?. Progressivement, le gruau a disparu. Au lieu du maïs moulu gros, bon,  consistant, spécialement quand les gamelles étaient remplies avec ce qui était resté au fond des tonneaux, la louche tournait invariablement le même bouillon de chou ou d’épluchures et trognons. La faim, endémique en prison, s’aggravait terriblement”.

Nicolae Balota aussi raconte comment la majorité des détenus contractaient des maladies due à la sous-alimentation changeant leur aspect physique et réduisant leur résistance psychique. 

L’histoire de Margineanu continue avec la deuxième méthode pour obtenir la soumission :

“Plus terrible que la faim a été le froid. Après 9 heures du soir, nous nous réveillions au  moment où nous bougions la main pendant notre sommeil pour nous couvrir et nous nous rendions compte, avec une infime douleur, que nous n’étions pas à la maison, que nous n’étions pas dans notre lit; que nous n’avions pas de couverture et que tous nos habits, les sous vêtements inclus étaient endossés”.

La troisième méthode “pédagogique” était la bastonnade: “Le comportement des gardiens était très dur”, se souvient Nicolae Margineanu. “Dans les corridors quand nous sortions pour nous promener, ils nous jetaient des bâtons, tout comme après le bétail, pour frapper nos jambes. Les dimanches, d’autre part, le directeur Maromete qui avec Goiciu du pénitencier de Gherla a battu plusieurs détenus à mort –  venait avec ses bourreaux, sélectionnés parmi les gardiens les plus cruels, et ils nous battaient  avec les manches du balai, pour s’amuser. La seule défense que nous avions était de rapprocher les mains du corps pour qu’elles ne soient pas rompues, comme malheureusement, cela pouvait se passer”. (J’ai trouvé de nombreuses informations sur ces deux personnages évoqués dans le livre de Doina Jela : Maromete était un individu avec une intelligence limitée, sadique, d’une cruauté extraordinaire, auteur de plusieurs crimes, et Goiciu était aussi un fameux bourreau, une brute sadique, un tueur de plusieurs détenus).

Faisons appel à deux autres témoignages : l’historien Deletant détient de sa parenté avec la Roumanie des histoires aussi terrifiantes de  traitement auxquels les détenus ont été soumis : ils étaient punis pour toute exception aux règles avec l’interdiction de parler pendant les activités. “Ceux qui transgressaient le règlement étaient fouettés et obligés de rester dans la position ‘du cheval’, les gardiens montaient sur leurs dos, ou bien ils étaient envoyés au cachot,  dans le ‘noir’, une cellule sans fenêtres. Ceux qui étaient punis de cette manière étaient enfermés seulement en chemise et culotte ou complètement nus”. Constantin Giurescu, à son tour, décrivant l’un des gardiens, se souvient : “Ils n’hésitaient pas à frapper les détenus : il est l’un de quatre gardiens qui m’ont battu pendant la nuit quand j’étais seul dans la cellule 21. J’ai entendu dire qu’il avait aussi battu les autres”. Voici le traitement auquel a été soumis l’un des détenus, qui ne s’était pas relevé quand  est entré dans la cellule, le gardien tout-puissant : “pour le punir l’individu l’a forcé à rester accroupi pendant une demi-heure, les mains tendues, sans pouvoir s’appuyer une seconde sur le lit. Cette position que nous appelions ‘l’outarde’, devenait après quelques minutes fatigante, et après un quart d’heure vraiment  une torture”. Le collègue de cellule de Giurescu est devenu rapidement “congestionné et il avait mal à la tête; il souffrait d’arthrite, d’athérosclérose, il pouvait faire une crise”

Dans un livre de mémoires de la prison, Florin Constantin Pavlovici, nous décrit d’autres modalités d’éducation par la bastonnade, utilisées à Jilava. La rentrée de la courte promenade à l’air libre faisait l’objet  d’un “cérémonial” distrayant pour les surveillants. « Ceux-ci utilisaient leur puissance physique et les bâtons sans pitié. Ils s’élançaient vers nous, nous injuriaient, poussaient des cris, sifflaient, riaient aux éclats, frappaient au hasard, et les prisonniers en tant que réponse à l’assaut se retiraient, se tassaient, se heurtaient, se bousculaient et couraient en essayant d’arriver les premiers à la cellule salvatrice. Ceux qui étaient les derniers, les vieux d’habitude, étaient battus sans pitié. Par crainte des bastonnades, mais aussi par impossibilité, quelques octogénaires ont commencé à refuser la promenade … Le  plaisir semblable était pour eux de faire courir le malchanceux d’un bout à l’autre du corridor et d’entrer en compétition, c’est-à-dire à celui qui réussirait à appliquer le plus de coups ». Plus tard, dans une colonie de travail du delta, on avait institué ce que dans le langage formel des procès verbaux on appelait la bastonnade organisée. « Nous entrions d’une manière organisée, un par un. Comme chez le docteur. Chaque séance durait longtemps, très longtemps pour nos nerfs sous tension, nous étions obéissants, sans manifester aucune impatience. On pouvait voir de loin que les tortionnaires travaillaient sérieusement. L’un des collègues de l’auteur observait : “ J’ai fait la queue à la cantine des étudiants, j’ai fait la queue aux billets de théâtre, au cinéma, à l’opéra, mais je n’ai pas cru qu’il serait possible de faire la queue pour la bastonnade”.

Qu’est-ce qu’il se passait après cette longue attente ? “Quand c’était mon tour je restais dans la chambre pleine de spectateurs – soldats et gradés ensemble – et je me suis soumis au rituel comme en transe. Au dixième coup, je n’ai plus résisté. J’ai poussé un cri…“.

Ces témoignages sont importants parce que les auteurs, des scientifiques ou des écrivains, bien que marqués par l’humiliation et les émotions qui les avaient accompagnés, gardent intacte leur capacité de recul et d’objectivité, étant habitués aux histoires précises.

La compétence de participant/observateur du psychologue de Cluj nous étonne, il offre des diagnostics pertinents et des descriptions très objectives, même si  lui-même a été soumis à “l’expérience” : “Deux bourreaux ont lié mes mains et mes jambes, m’ont fait introduire mes genoux entre mes mains et entre mes genoux et mes mains ils ont introduit un bâton. Ils m’ont soulevé, en mettant le bâton sur deux piliers. Ainsi le corps était en l’air, ma tête en bas et les jambes en haut. Le chef de l’arrestation a commencé par me frapper le dos avec un bâton de caoutchouc à l’intérieur duquel il y avait un fil de fer tressé. Dans l’état d’émotion dans lequel je me trouvais, je n’ai pas senti une douleur très grande”. Une description froide avec du recul, d’expérimentaliste. Nous avons ici  énuméré tous les moyens par lesquels quelqu’un peut être vaincu : l’humiliation, l’abaissement jusqu’à la perte de l’estime de soi, la provocation de la douleur atroce qui annihile le jugement, l’enlèvement de la dignité humaine.

Frant Tandara, le tortionnaire qui s’est confessé, résumait cyniquement sa philosophie de la vie qui provoquait ses souffrances, inspirée par son option idéologique : j’étais, dit- il, “incorrigible contre la bourgeoisie”, à tel point que “je les aurais tous tué”. Voilà la mise en pratique : “Si j’avais quelque chose contre quelqu’un, je le battais à mort”. Auprès a bastonnade “pure” on utilisait aussi d’autres techniques perfectionnées : la bastonnade avec un crayon sur les testicules, le broyage  des doigts dans le vantail de la porte, l’étranglement, l’asphyxie, le coup sur la nuque, capable de provoquer la mort, l’électrocution à la plante des pieds, la bastonnade avec “des petits sacs de sable” ou des draps humides, jusqu’à ce que les poumons de l’individu se décollent et qu’il crache du sang…

Nous faisons appel encore une fois au récit  de l’historien, concernant l’attitude de l’un des gardiens, Cioplan. Un jour, l’un des détenus, exaspéré par la souffrance, lui a dit : “Il vaudrait mieux que vous nous fusilliez”. Cinique, Cioplan répond : “Nous, les communistes, nous ne tuons pas, nous avons nos méthodes qui te donne l’envie de te cogner   la tête contre les murs”, voici le commentaire de C. Giurescu : “En ce qui concerne Sighet, sa parole a été confirmée : ils n’ont exécuté personne ; les prisonniers se sont suicidés à cause du désespoir, ils sont morts à cause des maladies, privés de soins médicaux ou ils sont devenus fous. Je crois qu’il n’y a pas dans tout le pays une autre prison qui puisse donner un pourcentage aussi grand de morts, de suicidés et de fous”.

J’ai extrait, d’un grand nombre de livres et d’articles publiés dans des revues, seulement quelques exemples pour illustrer l’idée que le système de terreur était organisé pour annihiler toute résistance, soit par l’élimination physique soit par l’annulation de toute possibilité de résistance psychique. Jamais plus tard, après l’époque stalinienne, lorsque les méthodes d’extermination physique ont été quelque peu abandonnées, le système de pression n’a pas été abandonné. Voici le témoignage d’un romancier allemand, Eginald Schlattner, qui a été en prison en Roumanie et qui ensuite a eu une carrière littéraire en Allemagne (traduit récemment en roumain). Il a été arrêté pour un “délit de chevalier”, c’est-à-dire “l’omission de dénonciation”. C’est ainsi qu’il évoquait l’atmosphère “des enquêtes pendant la nuit” : “sans te brutaliser, te battre, comme à l’époque stalinienne”. C’était un interrogatoire croisé : trois individus te demandaient et suggéraient certaines idées sans prononcer aucun nom. Tu étais ainsi forcé de dévoiler certaines choses qui ne s’étaient pas passées. A la fin d’une nuit pareille, j’étais convaincu que j’avais fait ces choses. A peine dans la cellule je me rendais compte que j’avais dit quelque chose complètement différent de la réalité. C’étaient des méthodes de terreur psychique (s.n.). C’est ici que je vois le drame. Quand mon frère a été arrêté six mois après, ils lui ont montré : un procès-verbal, en disant “voilà, ton frère t’a mouchardé”.

Bien sûr, toutes ces méthodes de pression avaient un but précis : la destruction de la capacité de résistance physique et psychique de ceux qui étaient soumis au traitement, le changement de la structure intérieure de leur personnalité par l’élimination des repères de celle-ci, spécialement par l’annihilation de la confiance dans les valeurs collectives, dans la solidarité de groupe.

Une  anthropologue, Mary Douglas (2002), qui a étudié les groupes de petites dimensions, nous expliquait : la survivance et les changements des groupes latents sont le résultat de l’interdépendance complexe et des changements réciproques multiples.

L’individu raisonnable est caché dans une suite de relations et d’obligations, sans alternative (ou s’il y a une alternative, le choix de celle-ci conduit à la destruction de l’échafaudage), le refus de la collaboration étant pénalisé par l’application de certaines sanctions. Il ne s’agit pas ici de coopération ou de confiance parce qu’il n’y a pas possibilité de choix, la seule option est celle de la soumission. Ceux soumis à la pression sont des “facteurs passifs” qui agiront à la suite de contraintes, sans leur offrir la possibilité du jugement personnel ou d’initiative.

Les changements ont lieu à cause d’une “irrésistible force coercitive venue de quelque part de l’extérieur”.

Comment se passent les changements entre groupes dans le cas abordé ici ?

Le groupe de détenus est soumis à une formidable pression par le groupe de surveillants. On agit simultanément sur chaque individu et sur le groupe comme un tout. Quand les individus cèdent un par un, le groupe change ses repères, il renonce graduellement à la suite de valeurs, en pouvant arriver jusqu’à l’abandon total des traits qui le définissent.

On ne connaît pas les chiffres exacts du nombre de détenus politiques en Roumanie. Il semble que seulement dans la décennie 1948 – 1958 plus de 100.000 personnes aient été arrêtées. Deletant croit que ce chiffre est modeste. Récemment il a estimé que dans les colonies de travail organisées pour la “rééducation par le travail des éléments hostiles à la R.P.R.”(que veut dire RPR ?), environ 180.000 personnes étaient détenues dans les années ’50, parmi lesquelles seulement 40.000 se trouvaient au Canal. Dej a reconnu lui-même qu’on avait arrêté 80.000 paysans qui ne voulaient pas s’inscrire dans le projet ?collectif. On ajoute également à ces chiffres les victimes des déportations en masse de ceux qui  étaient considérés des personnes peu sûres pour le régime : des anciens officiers, des juges, des avocats, des industriels, des agriculteurs qui détenaient plus de 10 hectares de terrain. Le chiffre de 300.000, avancé pour cette période par certaines sources, ne semble pas irréel.

Dans le livre de mémoires de la prison de Pavlovici, on avance un chiffre hallucinant : 2.000.000 de personnes auraient souffert pour des raisons politiques : mises en détention, soumises à des enquêtes, condamnées, internées en colonies de travail ou cliniques de psychiatrie, déportées. “ Parmie celles-ci, croit- il, environ 300.000 sont mortes en cellules ou dans des camps d’extermination” (p.74). Pensons alors que chaque détenu avait une famille - parents, épouse, enfants.

Nous pouvons multiplier ce chiffre au moins par trois – quatre fois. Il y avait aussi les voisins, les collègues, les amis. “L’exemple” avait un effet multiplicateur. La peur régnait sur la plupart de la population.

J’ai abordé ce sujet – la peur – au cours d’un dialogue avec Serge Moscovici. Bien sûr, nous nous rapportions à un autre contexte, à la période de la terreur légionnaire, mais ses conclusions s’appliquent à toute situation similaire comme celle à laquelle nous nous référons. “La peur, nous disait le psychologue français, signifie quelque chose qui vient de ton intérieur. C’est  pour quelque temps comme si tu avais accumulé des choses menaçantes, agressives etc., mais la peur tu la ressens même en l’absence de ce qui l’a générée”. Elle comprend l’organisme, individuel ou social, déterminant une modification de la conduite normale. “Il existe quelque chose de pathologique dans la peur : elle provient d’une somme de menaces, d’effrois, d’humiliations et de mots – n’oublions pas les mots, parce qu’ils pèsent beaucoup dans le déclenchement de la peur … Soumis à ce cumul de termes constitutifs de la peur, on arrive à faire n’importe quoi pour l’éviter, pour s’en débarrasser… La situation ne change pas d’une manière essentielle si, en dépassant l’individuel, nous passons au niveau de la collectivité, parce que la peur fonctionne d’une manière contagieuse, comme une maladie qui se ‘contracte’, se transmet avec rapidité de l’individu contaminé à ceux encore saints”.

La peur généralisée, multipliée, transmise par différents canaux de communication n’affectait pas seulement ceux considérés comme opposants au régime. Elle possédait aussi les adeptes, ceux qui se sont “orientés” à temps. L’un de nos interlocuteurs, qui a fait carrière pendant le régime communiste en arrivant  au statut de chef du personnel dans une entreprise, bien qu’il ait eu une bonne situation matérielle dans l’ancien régime (“…j’ai perdu du terrain, une maison…”), dit : “J’avais toujours peur de marcher de travers …  de faire une sottise ; de mal parler des communistes … et de ne plus être le lendemain à la maison”. Et il expliquait : “A l’époque des communistes, comment dire, il y avait des gens qui sont  allés en prison injustement, c’est-à-dire, si avant les communistes j’avais quelque chose contre toi parce que tu étais riche, maintenant c’est à mon tour… je mentais et je disais que, voilà, X a été légionnaire, a été …, il y a eu des cas où quelqu’un qui avait quelque chose contre une personne et où celle-ci  est allé en prison injustement”.

Cette peur généralisée ne pouvait pas être uniquement obtenue par l’organisation d’un climat de violence institutionnalisée, par une violence d’état. Il y avait aussi une base idéologique de cette stratégie délivrée par Lénine : “La caractéristique nécessaire, une condition sine qua non de la dictature du prolétariat, est constituée par la répression violente des exploiteurs en tant que classe et, par conséquent, la violation de la démocratie pure, c’est -à- dire de l’égalité et de la liberté vis-à-vis de cette classe”. La recommandation de Lénine était “la lutte acharnée, sanglante”,  “la violence” contre “les forces et les traditions de l’ancienne société”.

La spécificité du régime communiste de Roumanie, constatait récemment un historien qui a étudié le phénomène, a été “un type social de violence d’Etat”, une violence qui s’est manifestée “sans pitié” contre tout homme qui était considéré comme opposant au régime, “toujours au nom du bien commun”. Marius Oprea illustrait cette affirmation par une phrase d’un discours de l’ancien ministre de l’intérieur des années 1948-1952, Teohari Georgescu, qui croyait que la dictature du prolétariat signifiait “la violence illimitée contre la bourgeoisie pour détruire sa résistance”. Dans l’Avant-propos au livre mentionné, il justifiait son titre  par l’idée de la généralisation de la répression, de l’aspect quotidien de la brutalité, de l’épouvante de la population par la violence administrée par l’état. Le syntagme proposé par Hannah Arendt – “la banalité du mal” – semble s’accorder avec la réalité décrite par l’historien roumain. “Le mal” était devenu une caractéristique “banale”, courante, un mode d’existence pour la majorité de la population. Un trait essentiel du contexte social et “culturel”. “Le mal avait imprégné l’univers quotidien, s’était banalisé”, inoculant la peur maladive contre toute résistance, construisant la représentation sociale d’une force implacable, d’un “pouvoir maléfique vraiment surnaturel”.

Les répressions violentes de tous les actes de résistance ou le simple refus étaient ainsi reçus comme réactions “normales”, anesthésiant toute attitude critique, tout comportement de recul.

Des prisons et des camps de travail, la peur “est arrivée dans la rue et est entrée dans les maisons”, elle est devenue un fait quotidien, un comportement de défense normal. Cette normalité signifie la répression intérieure de toute réaction d’opposition, la soumission inconsciente, aveugle en face de la force brutale, l’obéissance en tout geste. Au début, extérieur, déterminé par la peur des représailles, ce comportement est devenu peu a peu,  une caractéristique de la personnalité pour la majorité de la population.

A la fin de ce paragraphe nous reprenons le titre proposé : la terreur comme “modèle culturel”. Un régime de terreur enveloppe chaque individu (ainsi que les groupes) dans un réseau de contraintes cognitives, le détermine à (auto) censurer les jugements et les attitudes, le force à éliminer de son style cognitif toute option qui puisse provoquer la répression. Une fois fixés, ces modèles comportementaux n’ont plus besoin d’autres  renforcements.

L’expérience Pitesti

“Le phénomène Pitesti”, le nom sous lequel sont décrites les horreurs qui se sont passées dans la prison de Pitesti à partir de 1949, n’est pas né sans raison. Le terrain a été “préparé” par l’institutionnalisation de certaines relations de contrôle total sur les détenus, en utilisant les moyens décrits dans le paragraphe antérieur. Pitesti a été le “laboratoire” où l’on a appliqué dans une formule concentrée toutes les méthodes invoquées ci-dessus.

Il y a maintenant, de la dite “expérience de Pitesti”, de nombreux documents et témoignages, mais pendant longtemps on a gardé un secret total sur les faits qui s’y sont passés. Même les anciens détenus, qui sont passés par plusieurs prisons, n’ont  appris que par hasard, par vagues allusions, ces événements. Les enquêtes  entreprises, quelques années après la fin de cette terrible expérience sur des sujets humains, en 1952, présentent des faits et comportements qui n’ont jamais été rencontrés,  même pas sous les régimes les plus répressifs. Nous nous référons aux régimes connus, “familiers” pour nous. Si nous les comparons avec certaines méthodes utilisées au Cambodge ou en Amérique du Sud, alors Pitesti pâlit. (Cesereanu, 2001).

Les principaux événements se sont déroulés à Pitesti, en 1949, mais aussi peu  avant à Gherla et à Suceava, où l’on a préparé la stratégie. Un participant – victime de Pitesti nous a informé, récemment, que le “phénomène Pitesti s’est aussi étendu, dans des formes spécifiques, à d’ autres prisons comme Tirgu Ocna, Ocnele Mari, Targusor, Baia Sprie, Aiud, mais à cause d’un plus petit nombre de ‘rééduqués’ l’application des techniques de torture, et grâce au courage des détenus, qui dans quelques prisons (Tirgu Ocna), se sont opposés ouvertement, le phénomène n’a pas pris les formes apocalyptiques de Pitesti et de Gherla” (Boldur – Latescu, 2002). Ceux qui ont été interrogés, concernant leur statut de victime, nient souvent les faits, tellement grande a été la peur inoculée. Les éditeurs d’un livre de “documents de la rééducation” de Pitesti et de Gherla croient que “l’action est unique au monde, tant par la brutalité des méthodes utilisées que par leur étendue”.

Il semblerait que l’initiative ait appartenu à un groupe de légionnaires, mais qu’aux actes, comme le prouvent des témoignages récents, aient aussi participé des détenus appartenant à d’autres partis et mouvements ou même des personnes qui n’avaient pas  d'appartenance politique (Popescu, 2002). On pourrait dire qu’on a recruté (ou ils se sont offerts) ceux qui avaient dans leur système de personnalité une composante agressive plus prononcée. La plupart des participants présentaient, dans leur structure, des traits pathologiques visibles.

N. Ionita, sujet soumis à cette macabre expérience, médecin de profession croit avoir dépisté chez ses anciens tortionnaires quelques traits spécifiques : la surestimation de ses propres qualités, l’hypertrophie pathologique de sa propre personne, le délire paranoïaque, le désordre mental, le jugement confus. Il a observé peu à peu chez ceux qui ont assumé le rôle d’éduquer les autres, un processus de dissociation de la personne, “la destruction de l’unité et de l’intégrité” de la personnalité, “le manque de cohésion et de synchronisation des processus psychiques fondamentaux”. Lorsqu’ils entraient en “mission”, observait le docteur Ionita, “chacun devenait un autre”. Ils n’appartenaient plus à eux-mêmes, ils n’avaient plus d’histoires individuelles, ils renonçaient à leur passé et convictions. Ils vivaient dans un état continu de tension, ils se faisaient gloire de l’affichage de “l’agressivité gratuite”, ils avaient “un plaisir instinctif” à provoquer de la souffrance. Ils se présentaient avec une double personnalité.

Voici deux exemples : quoique intelligent et doué d’une puissante volonté, Eugen Turcanu, tortionnaire - chef, avait, conformément aux témoignages d’un ancien détenu, “une obstination de dément”, il n’était pas effrayé par le sang et la mort, il était sentimental et sadique, mais aussi obsédé par la correction des relations quotidiennes. Probablement il avait été jadis torturé.

Dan Deaca, célèbre pour “le coup diaca” au foie, assumait avec fierté “le caractère de criminel” et se vantait qu’il s’était entraîné pour  garder son sang froid en coupant les queues des chats.

 Rappelons  les faits : tout a commencé dans le pénitencier de Suceava, en 1948, quand la direction de l’institution a expérimenté une stratégie de “rééducation” sur un groupe de détenus étudiants, anciens légionnaires. La méthode utilisée ? La lecture en commun de certaines brochures de propagande et de discussions de groupe sur les faits lus en suivant le changement de la conception idéologique de ceux impliqués. Une méthode a été élaborée à la même époque aux Etats-Unis, à la  suite des recherches de formation psychosociale par des discussions de groupe, par Kurt Lewin et ses collaborateurs. Le groupe de formation (Training group) inventé par Lewin et ses variantes ultérieures comme le groupe de rencontre d’orientation Rogérienne, devient un chemin démocratique d’intervention sur la personnalité, par décisions du groupe et l’influence interpersonnelle (De Visscher, Neculau, 2001). Nous ne savons pas si quelqu’un a apporté cette méthode en Roumanie une année après l’expérience de Bethel, probablement qu’il y a eu une “intuition pédagogique” locale. Mais l’un des participants, Eugen Turcanu, se déclara insatisfait de l’efficacité de cette méthode pédagogique trop lente et proposa aux autorités de lui apporter des améliorations, en vue de “rompre avec le passé” d’une manière définitive.

Les autorités prirent en considération sa demande, l’encouragère et lui conseillère de changer le procédé. Au  printemps  1949, le groupe de “rééduqués” de Suceava fut transféré à Pitesti et une nouvelle étape commença. Les détenus furent répartis en cellules conformément au plan de Turcanu, de telle manière que les participants – complices, comme dans toutes les expériences psychosociologiques, puissent prendre à un certain moment la direction du groupe, en fonction de nouvelles variables manipulées par les leaders de l’expérience. Les participants naïfs à l’expérience (= les détenus non informés du but final) furent d’abord soumis aux menaces verbales où on leur fit appliquer de petites corrections  à leurs nouveaux collègues de cellule, pour les convaincre de renoncer à leurs anciennes conceptions “réactionnaires”. L’étonnement de ceux soumis à cette expérience n’a pas été des moindres : “La première réaction des détenus, au déclenchement des violences, raconte un ancien participant,  sujet à l’expérience, a été la surprise et l’incertitude. Ils étaient habitués  aux tortures de la Sécurité mais ils n’arrivaient pas à comprendre comment il était possible que leurs frères de souffrance les battent et les torturent avec  sadisme. Cette réaction a été aussi le premier élément qui a diminué le pouvoir de résistance de ceux soumis à la rééducation” (Boldur – Latescu, 2002).

Puis, dans la nuit de Noël 1949 dans la “chambre 4 Hôpital” une cellule  comptant  environ 100 personnes, après l’appel adressé à ceux qui avaient résistés jusque là, on est passé aux méthodes plus radicales. On a commencé par une bastonnade généralisée, appliquée à ceux qui ne voulaient pas renoncer, par “les rééduqués”, avec des bâtons et des « goberges ». Parce que le résultat semblait, à un certain moment, incertain, les gardiens entrèrent dans les cellules et massacrèrent, pendant quelques heures, ceux qui s’opposaient à la rééducation. Ceci a été le début.

La suite : des bastonnades systématiques, des tortures plus ingénieuses les unes que les autres, appliquées par le groupe Turcanu, avec l’approbation et l’assistance de l’autorité, à ceux qui résistaient encore. On demandait des témoignages complets et “sincères”, la renonciation aux convictions antérieures et la désapprobation des valeurs et symboles qui constituaient des repères à la résistance. Dans le groupe de pression furent aussi cooptés des adeptes appartenant à d’autres options idéologiques et on  a soumis aux processus d’adaptation tous ceux qui ne manifestaient pas d’une manière convaincante le désir de changement radical. Bien sûr, les tortionnaires passaient eux-mêmes par l’opération de rééducation.

Les méthodes de conviction ? La bastonnade, la soumission à d’inimaginables souffrances physiques et psychiques, des punitions inhumaines, la délation, l’isolement.

Le résultat ? L’obtention d’un climat de méfiance et de suspicion, la destruction totale, “la modification de l’intérieur” de telle manière que ceux soumis à l’expérience étaient, après, très  difficiles à reconnaître. Plusieurs de ceux entraînés comme sujets dans cette expérience ont été tués, les uns sont restés invalides, tous ont été mutilés psychiquement pour toujours. Certains de ceux qui ont été impliqués à Pitesti ont exprimé l’opinion selon laquelle aucun participant n’est sorti inchangé de ce processus de modification contrôlée de son organisation interne.

Voici l’opinion d’un analyste du phénomène : “Tous sont devenus à la fin, peu importe combien de temps ils  ont résisté, de simples éléments dociles que les inspirateurs utiliseront immédiatement conformément à un plan bien établi. Il n’y avait pas d’exceptions. Seuls ceux qui ont eu la chance de mourir pendant les tortures ont pu rester intacts” (Bacu, p. 66). Une telle peur s’installait entre les détenus au point que la plupart n’ont jamais pu s’en tirer.

Le but n’était pas la liquidation physique (il y avait d’autres moyens), mais le changement de la structure de la personnalité par la destruction des repères, de ses ancrages : des croyances religieuses, des valeurs familiales, de la confiance aux amis.

Le docteur Ionita résumait ainsi le message transmis : “Il fallait que je renonce à ma propre identité, que je renie ma famille et l’accuse des crimes les plus terribles et faits incroyables, que  je reconnaisse que l’école et l’église ont perverti mon âme, que la société, où j’avais été élevé et formé, est pourrie et que par conséquent, elle doit mourir, que je me débarrasse de ma croyance ancestrale, que j’attaque mes amis et collègues…”

Le caractère spécifique de cette expérience  - qu’on pourrait nommer psychosociologique – était celui de suivre une procédure très élaborée, en détruisant peu à peu les piliers de soutènement intérieur de la personnalité en vue de transformer des sujets en  robots obéissants. Les méthodes utilisées étaient la torture et “la suggestion”, dans cet ordre.

Après les supplices, on suggérait aux sujets qu’ils pourraient échapper à ce traitement ou que les souffrances pourraient être diminuées s’ils acceptaient le programme de se dévoiler.

“La torture, écrit Virgil Ierunca, lui-même ancien détenu politique, était la clef de la réussite.

Tout au long de ces phases, les confessions étaient régulièrement interrompues par les tortures. Quoi que l’on ait dit, qu’importe le nombre d’infamies que l’on pouvait inventer, Turcanu n’était jamais content. On ne pouvait pas échapper à la torture. Ce qui était seulement possible, si on s’accusait des plus grandes infamies, était de raccourcir la durée des tortures”.

Le processus entier comprenait quatre phases :

  • a)la première se nommait le fait de se « démasquer extérieurement » et se terminait par l’affirmation de la loyauté vis-à-vis des autorités, vis-à-vis du parti. Le détenu étant obligé de démasquer toutes les liaisons qu’il avait eues et qu’il n’avait pas dévoilées à l’enquête. Il semble que certains sujets affichaient une acceptation formelle, de façade, sans renoncer  à leurs convictions, fait qui n’échappait pas à ceux qui conduisaient l’expérience;

  • b)dans la deuxième phase dénommée le fait de se «  démasquer intérieurement », on sollicitait le détenu pour qu’il dénonce ceux qui l’avaient aidé a résister à l’intérieur de la prison. La délation était considérée comme un moyen important dans ce processus de changement, l’individu qui perdait le respect des autres et la confiance en soi était plus vulnérable;

  • c)le fait de se démasquer moralement en public signifiait un pas en avant vers  la dissolution de l’individualité. Le détenu devait fouler aux pieds tout ce qu’il avait de plus cher – l’épouse, la famille, les amis, la croyance (le sujet devait inventer des faits abjects, qu’il imputait à la charge de ses proches parents – parfois même des perversions sexuelles, incestes – pour être plus crédible) ;

  • d)dans la quatrième phase, l’individu devait démontrer qu’il était  rééduqué, en l’obligeant à  conduire le processus de “rééducation” de son  meilleur ami, en le soumettant à des supplices très savants. La récompense était son acceptation dans l’ODCC (Organisation des Détenus à Convictions Communistes).

La modalité pratique de fixation et de renforcement des nouvelles “convictions” était la bastonnade, la violence physique, l’obligation à des gestes de soumission inhabituels, l’humiliation exceptionnelle de celui qui était visé. Le programme commençait le matin.

Tous ceux soumis à la rééducation, étaient surveillés par des plantons, sélectionnés parmi les  rééduqués qui les obligeaient  à adopter une position rigide, des soumissions, de l’humiliation. Ceux qui tentaient de sortir de cette attitude étaient rappelés à l’ordre par des coups ; le geste du surveillant était spontané par crainte d’être observé par les autres ou par crainte que celui qu’il surveillait puisse rapporter lui-même son manque de vigilance. D’ailleurs, les positions bourreau – victime changeaient souvent, tout rééduqué pouvait recommencer le processus de perfectionnement si on considérait qu’il n’était pas suffisamment ferme dans sa conduite. L’action de manger était une autre modalité d’intervention sur les individus. On leur demandait de consommer les aliments sans cuillères avec la langue, dans des gamelles ou sur le plancher, sans avoir la permission de laver les gamelles. Les heures de sommeil étaient aussi rigoureusement contrôlées, ils devaient dormir seulement sur le dos sans avoir la permission de changer de position. Toute tentative de changer la position pendant le sommeil était sanctionnée par des coups de bâton. Exténué, celui soumis à ce traitement, attendait comme une libération le programme du matin. Un cycle qui avait comme effet l’acceptation, le renoncement, l’abandon sans condition. Ceux qui étaient considérés comme rééduqués étaient promus à des fonctions d’éducateurs ou transférés dans d’autres prisons ou camps de concentration, pour y appliquer les techniques apprises.

Nous n’insisterons pas avec d’autres exemples sur ces méthodes d’éducation, la lecture de la littérature sur cette expérience provoque chez le lecteur de la terreur et un désir irrépressible de se libérer.

Nous noterons que l’effet de ce type de traitement a été celui escompté : la démoralisation totale, la ruine intérieure, la rupture des liaisons avec les gens normaux, la modification de l’organisation socio - cognitive de la personnalité, la transformation de l’individu en une machine qui agit à la commande.

Interprétations possibles

Nous avons utilisé comme matériel documentaire, principalement des ouvrages de certains spécialistes du domaine (historiens, politologues, les analyses d’un psychologue renomme, les interprétations d’un médecin) et quelques mémoires. Du point de vue de l’illustration par les faits, ce texte présente  de sérieuses lacunes.

Les souvenirs des anciens détenus politiques sont dans leur majorité, marqués affectivement, même s’ils contiennent des informations d’une valeur importante. Pour cette raison nous avons renoncé à la plupart d’eux. Nous avons assumé ce risque pour ne pas être  accusés de “rhétorique anticommuniste” ou de “ d’être un partisan idéologique”, modalité d’annulation des approches de ce type.

Dans les prisons de Roumanie, on a soumis à divers programmes de changement dirigé de la personnalité par répression, des gens appartenant à toutes les options politiques et aux convictions extrêmement différentes, depuis les légionnaires et les fascistes jusqu’ aux socialistes et aux communistes. Ils ont aussi appartenu à toutes les ethnies: roumains, allemands, juifs, hongrois, serbes. Ils ne pouvaient pas être tous situés dans la catégorie des opposants au  nouveau régime. À l’exception de ceux qui ont adopté, comme idéologie, une attitude ferme contre le nouveau régime, ce que la plupart avait en commun je crois, était, leur capacité d’analyser de façon critique ce qui se passait, d’avoir un jugement alternatif, et un recul vis-à-vis d’une réalité, qu’ils considéraient anormale et qui leur était devenue hostile. Si les intellectuels soupçonnés et condamnés pouvaient être accusés d’oppositions doctrinaires, les paysans (roumains, allemands, serbes) où les ouvriers étaient seulement des gens qui s’étaient formés dans une certaine normalité et qui n’avaient pas appris  les mécanismes d’adaptation à une réalité qui semblait étrange et inadéquate à leur monde.

Nous pourrions interpréter les faits décrits dans les pages ci-dessus, mais spécialement les comportements des acteurs impliqués dans ces scénarios, à l’aide deux clefs :

  • a)comme une stratégie d’institution de nouvelles règles morales et d’un nouveau projet d’homme;

  • b)comme un conflit socio-cognitif, comme une “lutte interpersonnelle”: la guerre d’un groupe marginal pour acquérir des positions et des rôles sociaux, “du pouvoir cognitif” (simultanément avec la dépossession des anciens détenteurs de ces attributs).

Dans le premier cas nous avons à faire à une technique de déviation des processus de transfert et d’identification, du groupe d’appartenance jusqu’à un modèle utopique, justifié d’un point de vue idéologique – “l’homme nouveau”. Le but était la récupération de ceux supposés avoir une identité “insalubre”, des victimes d’un système explicatif défectueux et leur orientation vers l’objet d’identification désiré. En vue d’une récupération ultérieure, le processus supposait d’abord la déchéance de ceux considérés comme opposants (mais parfois de propres partisans et des innocents, comme observait Hannah Arendt) d’un statut de personnes normales d’un point de vue psychique, articulées au contexte ; cela signifiait une « dénaturation des adversaires » (à un certain moment n’importe qui pouvait devenir adversaire !), leur dégradation pour n’être plus reconnus comme partenaires diligents, comme individualités indépendantes et dignes.

Sous la tutelle d’une idéologie écrasante, en promouvant le contrôle total sur la vie des individus et les moyens d’information, on a choisi la tactique de la destruction des opposants, l’étiquetage de ceux-ci comme des sous gens (non personnes) pour justifier l’application des traitements inhabituels. Le jeu prend des formes grotesques. Les acteurs sociaux impliqués, bourreaux et victimes, par contagion et échange d’informations, perdent leurs caractéristiques essentielles de la personnalité (individualité, unicité, stabilité et leur corollaire – la totalité) et se dédoublent, se fragmentent, connaissent un processus de dépersonnalisation.

Lavinia Betea illustre la manière par laquelle se passe cette métamorphose tortionnaire / victime par quelques exemples pris dans l’histoire des procès staliniens, les cas Zinoviev, Kamenev et Buharin. Chacun a reconnu des fautes imaginaires, s’est humilié et s’est accusé, a clamé ses sentiments d’amour et attachement pour le parti, s’est rendu totalement à son bourreau, Staline. Pour être “convaincu” d’adopter cette position, pour s’identifier avec l’idéal proposé, on a utilisé des méthodes croisées, de la pression psychique jusqu’à la torture raffinée : interrogatoires de nuit, la méthode de la “conviction”, l’injure vulgaire, l’attaque par l’alternance des comportements, l’humiliation et l’intimidation, l’exploitation de l’attachement vis-à-vis des êtres chers, le dépassement des limites sensorielles, absolues, la privation   de la nourriture, d’eau, d’air et de sommeil, l’isolation totale (cachot), la bastonnade, la torture physique. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que la victime s’identifie au bourreau, le regarde comme un sauveur, et transfère à celui-ci (ou à son groupe ou à l’institution qu’il représente) ses désirs et projets – cas Belu Zilber, l’ancien illégaliste communiste, impliqué dans le procès Patrascanu.

Un psychanalyste français fort connu Tobie Nathan, nous offre une clef d’interprétation de la relation entre trauma et affiliation, qu’il nomme “la technique traumatique” : un dispositif traumatisant extérieur, créé d’une manière délibérée, devient capable de provoquer une transformation radicale d’un univers psychique, de détruire le soi, de réorganiser les repères de l’individu, de modifier l’identité de la personne et de provoquer un recours à d’autres groupes de référence.

La stratégie utilisée, “la logique de la « traumatisation »’, commente une élève de Nathan, est une technique de changement planifié, qui consiste à  introduire à certaines émotions puissantes comme, l’attaque des parties vitales du corps (la tête, le sexe), l’utilisation des messages paradoxaux capables de provoquer chez l’individu de la confusion et de la désorientation.

L’effet sera la recherche d’une nouvelle enveloppe psychique, d’une nouvelle forme de “protection”, d’un nouvel objet d’affiliation (Talaban, 1999). Les mécanismes psychologiques utilisés par les tortionnaires étaient : des séances prolongées de torture individuelle et collective ; la sollicitation répétée de certaines “déclarations” orales, écrites et réécrites, en visant la négation des convictions de la victime, l’abolition de ses liaisons psychosociales ; les interprétations absurdes des informations obtenues, avaient pour but de désorienter et paralyser la victime, la création de la confusion généralisée sur l’organisation des structures psychiques et sociales. “Le laboratoire” de Pitesti a fonctionné comme un espace de dressage pour modifier la nature intérieure des sujets, comme une rampe pour la construction du prototype “d’homme nouveau”.

Irina Talaban nous offre quelques repères pour pouvoir interpréter cette mise en scène:

  • a) ce n’était pas par hasard que le groupe cible  fut l’élite, l’avenir de la nation (étudiants, élèves), ceux qui auraient pu assurer la génération future de décideurs ;

  • b) l’effet secondaire de l’action destructrice de Pitesti a signifié aussi la rupture des liaisons entre générations, des mécanismes de transmission sociale ;

  • c) parmi les objectifs prioritaires on a inscrit la destruction de la confiance dans les valeurs traditionnelles de la société roumaine, des liaisons avec les groupes d’appartenance (les modèles historiques, la famille, la religion). La finalité était la négation des repères, la rupture de la cohérence, la destruction de la confiance – conditions pour la mise en scène du nouveau projet de l’homme.

Une autre interprétation possible du phénomène Pitesti pourrait se réaliser par référence aux acquisitions récentes de la psychologie sociale cognitive.

Nous pensons à la théorie du conflit socio-cognitif et à la thèse du marquage social.

Voyons d’abord, quels sont les niveaux d’analyse d’une construction socio-cognitive. Doise (1982) identifiait quatre niveaux :

  • a) le premier est celui intra-individuel, l’individu est considéré comme un organisme indépendant qui traite l’information en utilisant les schémas cognitifs dont il dispose ;

  • b) celui interindividuel, quand la personne est obligée de se rapporter à une situation donnée, de s’engager dans des interactions, d’analyser les données en fonction des informations qu’on lui fournit par un partenaire potentiel ;

  • c) le niveau positionnel : le sujet est obligé de tenir compte de la différence de position entre son interlocuteur et lui, cette inégalité précède l’interaction et la marque, établit le statut de chaque acteur dans le scénario distribué, fixe les rôles permis dans ce réseau de relations sociales ;

  • d) le dernier est le niveau idéologique, l’interaction se déploie sur un fond de système de croyances, de représentations et normes permises, de  production culturelle et idéologique autorisée.

Dans toutes ces situations, l’individu ne peut pas juger et décider  de manière indépendante.

Même dans le premier cas, il est en réalité limité par les informations et les schémas cognitifs expérimentés dans un certain contexte. Dans les trois autres cas il dépend directement du contexte et de l’interlocuteur. En tenant compte du fait que l’interaction, dans le cas auquel on se réfère, est asymétrique, l’enseignement des nouveaux schémas se fonde sur l’invitation explicite à l’imitation et sur la tutelle exercée par “l’expérimentateur”.

Dans le second cas, on fournit au sujet des informations et des schémas admis et on suggère que ceux-ci sont la seule alternative de progrès.

Dans le troisième cas, le formateur exerce des pressions sur le sujet, en le forçant à entrer dans le rôle prescrit.

Dans la dernière situation on balise un espace de mouvement et on fournit au sujet un schéma avec les tracés permis. Après des exercices répétés, le sujet apprend la voie correcte de solution du problème, exclut les parcours incorrects et consolide un schéma général d’action,  le seul possible.

Le développement ou le changement du schéma cognitif peut être renforcé par des méthodes spécifiques. La thèse du conflit socio-cognitif a été proposée par le groupe de Genève (Doise, Mugny, Perret-Clermont, 1975) et développée plus tard par des recherches empiriques sur le processus de formation.

Pour accélérer les structures cognitives du groupe cible, on organise des situations interactionnelles spécifiques, de conflit entre les partenaires qui doivent changer leurs schémas cognitifs de base. Le conflit est conçu comme une source de changement de l’individu et du système où il évolue (voir Neculau, 1998). Le paradigme minimal consiste dans la confrontation des points de vue, dans une interaction dans laquelle l’un (ou quelques-uns) des participants manifeste un désir de changement. La démarche propose d’abord une déstructuration, une instabilité par tension socio-affective de l’ancien équilibre cognitif et puis une reconstruction par interaction avec des acteurs sociaux compétents. On crée chez les sujets visés un état d’attente combinant le désir de changement avec le besoin d’arriver à un nouvel équilibre.

La dimension sociale joue un rôle important, les sujets exposés à l’expérience sont “sensibilisés” aux espoirs des autres, ils sont motivés à s’engager dans des interactions qui suivent d’abord l’instabilité interindividuelle, pour arriver plus tard à l’instabilité intra individuelle, et enfin, par le même procédé des petits pas, à la nouvelle construction. Le processus est interactif, les sujets sont aidés, à chaque pas,  à corriger les réactions inadéquates, à tendre vers le modèle proposé. Tout dépend ici de la capacité de “l’éducateur” à inventer des situations de confrontations socio-cognitives,  à proposer des montages pédagogiques correspondants. Ce type d’enseignement, qui se base sur la force de persuasion de Alter dans la confrontation entre Sujet et Objet, bien qu’inventé pour l’usage scolaire, peut se transférer, comme on a procédé d’ailleurs, vers le monde adulte. Les partenaires entrent dans une confrontation socio-cognitive concernant la solution d’un problème. Les recherches en écoles ont prouvé que par la  confrontation on apprend mieux et que les nouvelles connaissances se consolident plus vite.

Cette perspective interactionniste, en partant des expériences cumulatives et progressives, a démontré pratiquement comment une nouvelle construction cognitive commence par une déstructuration de l’ancienne.

L’expérience Pitesti a prouvé que le paradigme est aussi valable dans le cas d’enseignement à des adultes, si on crée la situation de conflit socio-cognitif et si les éducateurs compétents assurent le développement de la démarche pratique.

Une extension du paradigme du conflit socio-cognitif est contenue dans la thèse du marquage social. Le syntagme est proposé aussi par le groupe de Genève. Ils cherchaient une explication causale à des significations et pratiques sociales dans des situations de progrès cognitif. Et ils sont arrivés à la conclusion que toute évolution cognitive par interaction est marquée par des normes, des règles et des conventions sociales, par le contexte idéologique où l’interaction a lieu. Placé dans un contexte “correct” celui qui apprend développera des stratégies cognitives adéquates, marquées par les traits de la situation, apprendra les schémas cognitifs proposés par ce contexte. Son progrès consistera dans l’internalisation graduelle des normes proposées, le milieu social le soutenant dans son effort de restructuration de sa pensée et de changement personnel.

Dans les premières pages de ce texte, nous avons évoqué la possibilité de l’appel à la théorie du développement social de l’intelligence, pour expliquer les évolutions qui ont eu lieu dans une situation d’enseignement spécifique : un montage pédagogique créé selon les schémas d’une théorie qui se développera plus tard.

Notre hypothèse a été confirmée par les faits décrits.

Nous pouvons enfin faire appel  (répétition) aux recherches récentes dans le domaine de la “sociologie de la prison”. Il semble que le milieu carcéral fonctionne comme une société qui développe une sous-culture à part. Le milieu du pénitencier se comporte comme une organisation qui propose des normes et encourage ceux visés à l’apprentissage par l’interaction avec les surveillants (Combessie, 2001). Cet espace social recommande des valeurs et un mode de vie spécifique, exigeant certaines actions et styles de communication et en interdisant  d’autres. La prison se présente comme une “institution totale” qui propose aux prisonniers un nouveau style d’adaptation sociale, s’ils veulent conserver leur santé physique et mentale.

Certaines recherches ont dégagé l’idée que l’interaction surveillant – surveillé se développe selon une logique à part, les premiers assumant le rôle de “missionnaires”, appelés à rapprocher de la réalité de la vie ceux situés hors des normes et de la logique sociale.

Le phénomène Pitesti a fonctionné comme une expérience avant la lettre, a précédé les théories et les modèles d’approche connus aujourd’hui. Il mériterait, peut-être, un intérêt plus soutenu de la part des psychologues et des pédagogues.

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