N°5 / numéro 5 - Juillet 2004

L’origine verbale des mythes et des explications fictives en psychologie

J. Robinson, J. Armendariz

Résumé

C’est un article non technique qui traite des différents types de pseudo-explications ou d’explications fictives du comportement traditionnellement fournis par la psychologie. L’impact que ces types d’explications a sur le développement de la psychologie en tant que science continue à être extrêmement négatif. Il n’est pas possible de comprendre le comportement et les variables dont il est fonction s’ils sont décrits d’une manière fictive. Cet article explique les origines verbales de dix mythes courants sur les causes du comportement humain.

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Nous destinons cet article aux étudiants en psychologie du monde entier, en les invitants à finir leurs études comme experts comportementalistes et non comme des magiciens.

Le rideau se lève. Un magicien se tient au centre de la scène, en costume noir et un chapeau sur la tête. Un peu plus tard, deux assistants le rejoignent sur scène : Jean et Pierre. Tandis que le magicien va sur la gauche, nous sommes choqués de voir Jean frapper Pierre en pleine figure.

Le magicien nous dit : - Vous venez d’observer une action, un comportement. Nous utilisons le mot frapper pour le nommer. Ainsi nous disons que Jean a frappé Pierre. Comme nous le savons tous, une action est décrite par un verbe. Frapper, donner des coups de pieds, des coups de poings, sont des verbes qui font référence à un comportement, des actions. Il est également possible d’utiliser des verbes pour faire référence à d’autres verbes. De cette façon, et par commodité, nous pouvons donner un terme générique aux actions de frapper… en utilisant un autre verbe : agresser.

Nous sommes tous d’accord et le magicien continue en résumant ce que nous venons de voir : - Ainsi, vous voyez qu’agresser est un verbe, pas un nom, et qu’il fait référence à d’autres verbes qui font référence au comportement. Ainsi, si je vous demande qu’a fait Jean ? vous répondrez probablement : « Il a agressé Pierre » au lieu de répondre plus précisément : « il a donné un coup de poing à Pierre (en pleine figure) ». Ce faisant, vous économisez des mots. Mais si j’insistais et vous demandais comment l’a-t-il agressé, votre réponse serait alors : « à coups de poings »

- Oui- répondons-nous unanimement.

- Ainsi, quand nous disons que Jean agresse Pierre, nous pouvons faire référence à une série de comportements différents, comme donner des coups de poings, de pieds, pincer ou bousculer Pierre -conclut le magicien.

Tous les spectateurs, dont moi, applaudissent. Puis le magicien se dirige vers le milieu de la scène avec grâce.

- Pas de temps à perdre, nous continuons le spectacle. Vous êtes prêts pour le premier tour ?

Nous applaudissons pour encourager le magicien à poursuivre.

Premier tour :

- Jusqu'à présent, nous avons décrit le comportement ; maintenant, je vais vous en donner l’explication -commente le magicien en souriant.

- Ceci est reconnu par la communauté des magiciens comme un DEF, ce qui signifie : « Description et Explication Fictive ». S’il vous plait, concentrez-vous ; observez mes mains et écoutez-moi. Qu’a fait Jean quand il a donné un coup de poing à Pierre ? Est-ce que vous croyez qu’il n’a fait que lui donner un coup de poing ? Non, Jean ne lui a pas seulement donné un coup de poing mais il l’a agressé. Regardez-y de plus près, maintenant nous savons ce que Jean a fait en frappant Pierre : Jean a agressé Pierre.

Nous applaudissons tous une fois de plus. Nous découvrons avec satisfaction ce que Jean a fait.

- Frapper ce n’est pas seulement frapper, mais agresser, compris ? -demande le magicien pour voir si nous sommes d’accord avec lui.

Nous répondons tous oui sans vraiment savoir pourquoi. C’est magique ! Il nous a convaincus que la façon la plus adéquate pour décrire un comportement c’est de le désigner par un nom général qui ne fait pas référence à un comportement précis. Par conséquent, dire que Jean a agressé Pierre décrit mieux le comportement que de dire que Jean lui a donné un coup de poing.

- Mais avec ce truc, nous n’avons pas fait que décrire le comportement ; nous avons commencé à en donner une explication -ajoute le magicien. -En comprenant ce que Jean a vraiment fait à Pierre, nous commençons à expliquer pour quoi il l’a fait, c’est-à-dire, à avancer les raisons, les causes de son comportement.

Nous applaudissons une fois de plus.

Deuxième tour :

Le magicien annonce avec cérémonie : -Ce deuxième truc est connu sous le nom de « nominalisation » ou « le tour du nom », -et d’un coup de baguette magique il transforme le verbe agresser (qui était apparu dans le premier tour) en un nom : agression, qu’il sort de son chapeau. Par conséquent, nous croyons tous que quelque chose qui fait référence au nom agression doit exister, sans remarquer qu’agression n’est qu’un mot que le magicien a tiré d’un autre nom, c’est un nom qui correspond au verbe.

Ainsi, quand nous observons le comportement violent de Jean envers Pierre nous pourrions dire : « Jean a de l’agressivité » à la place de : « Jean agresse ». Donc, un mot que le magicien a fait apparaître a crée quelque chose dans Jean, quelque chose qui avant le tour n’existait pas. Jean ne fait pas que frapper Pierre ; maintenant il a de l’agressivité.

Le magicien ne dit rien pendant quelques secondes. Nous attendons tous patiemment. Il s’avance sur le devant de la scène et se tourne vers Pierre en nous demandant : -Que pensez-vous que Pierre ressent quand Jean le frappe ? Ressent-il les coups ou l’agressivité ?

« L’agressivité » est la réponse du public.

- Exactement, très bien, il ressent l’agressivité, il se sent agressé. Maintenant nous savons tous clairement que ce que Pierre ressent quand Jean le frappe ce ne sont ni les coups, ni la douleur, mais bien l’agressivité. L’agressivité fait partie de l’acte et du ressenti -fait remarquer le magicien.

Ensuite il annonce le troisième tour.

Troisième tour :

- Voici le tour numéro trois ; et, même s’il est vraiment simple, je demande toute votre attention. Vous pouvez voir qu’à l’intérieur de mon chapeau il y a l’agressivité de Jean. Maintenant, grâce à ma baguette magique je vais transformer « avoir de l’agressivité » en « être agressif ».

Le magicien profère quelques mots et transforme « avoir de l’agressivité » en « être agressif ». -Comme vous pouvez le constater, Jean n’a pas que de l’agressivité, mais il est agressif -dit le magicien en nous montrant l’intérieur de son chapeau. Et, oubliant qu’AVOIR et ÊTRE sont deux choses différentes, nous l’applaudissons tous pour son habileté à nous éblouir.

Quatrième tour :

- Nous allons appeler ce tour « gérondisation ». Il est aussi simple que le précédant mais je le présente rarement. Aujourd’hui néanmoins, et de façon tout à fait exceptionnelle, je vais vous le présenter avec fierté pour vous remercier de votre gentillesse et de vos applaudissements -dit le magicien. Et avec ses formules magiques il transforme « avoir de l’agressivité » en « être agressif » puis en « agressant».

- Que fait Jean quand il frappe Pierre ? –demande-t-il aux spectateurs.

« Il se comporte en l’agressant » -répond le public.

- Parfait ! Il est admirable de voir combien vous êtes attentifs et comme vous apprenez bien -dit le magicien en réajustant le col amidonné de sa chemise blanche et en plaçant sa baguette magique sous le bras.

Nous rions tous.

Cinquième tour :

- Le tour auquel je vais vous demander de participer, je l’ai moi-même appelé « adverbialisation ». C’est moi qui l’ai crée -dit le magicien avec fierté et assurance. Ensuite, il prend son chapeau et le frotte contre sa baguette magique. Il transforme l’adjectif « agressif » en une expression adverbiale « agressivement ».

Le magicien demande : -Jean n’a-t-il fait que frapper Pierre avec ses poings ou l’a-t-il frappé agressivement?

Nous répondons : « agressivement »

Et le magicien de s’exclamer en levant son chapeau : -Votre réponse est tout à fait correcte !

Sixième tour :

- Ce tour s’appelle « adjectivisation », nous informe le magicien ; et d’un coup de baguette magique il transforme le nom « agressivité » en un adjectif : « agressif ». Son tour est aussi merveilleux que rapide. Il utilise l’adjectif qu’il avait fait apparaître dans ce tour pour décrire Jean au lieu de son acte ou son comportement.

Nous pensions que le sixième tour était déjà fini mais le magicien annonce : -Observez maintenant attentivement ; pour compléter ce tour je vais exécuter un petit tour connu : je vais transformer « agressif » en « agresseur ». Et, immédiatement, il transforme l’adjectif « agressif » en un nom : « agresseur ». A la fin de ce tour en deux parties, les spectateurs disent : -Jean est agressif, Jean est un agresseur » au lieu de dire que le comportement de Jean est agressif.

Septième tour :

Nous sommes impressionnés par le magicien (par sa présence, par son élégance, par la qualité de sa prestation…) Avec un grand professionnalisme, le magicien annonce le tour suivant.

- Il se nomme « explication fictive circulaire n°1 ». S’il vous plaît, toute votre attention. Si on nous demandait : « pourquoi est ce que Jean frappe Pierre ? » nous répondrions : « parce qu’il a de l’agressivité ». Et si on nous demandait : « pourquoi dîtes-vous qu’il a de l’agressivité ? » nous répondrions : « parce qu’il frappe Pierre »

Je me retourne vers mon voisin et il est aussi perplexe que les autres spectateurs.

- Est-ce que vous êtes d’accord ? -demande le magicien en souriant.

« Oui « est la réponse générale.

A la fin du tour, nous croyons que nous expliquons le comportement de Jean en faisant référence à des mots crées par le magicien et dérivés du verbe originel : frapper. Nous sommes mystifiés par son grand pouvoir d’explication.

Huitième tour :

Le magicien annonce d’une voix forte : -Le tour de magie suivant s’appelle : « explication fictive circulaire n°2 ». Si on nous demandait : « pourquoi Jean frappe-t-il Pierre ? » nous répondrions : « parce qu’il est agressif ». Et si on nous demandait : « pourquoi dîtes-vous qu’il est agressif ? » nous répondrions : « parce qu’il frappe Pierre ».

Quelques secondes s’écoulent et le magicien, en posant un regard mystérieux sur le public, demande : « êtes-vous d’accord ?

« Oui » répondons-nous.

A la fin du tour, le magicien nous a fait croire que nous expliquons le comportement de Jean en faisant référence à un mot (adjectif) qu’il a crée dans le sixième tour.

Neuvième tour :

Nous attendons dans la crainte. Le magicien, affichant de la confiance et une extrême satisfaction, nous présente le tour suivant.

- Ce tour se nomme : « explication fictive circulaire n°3 ». Si on nous demandait : « pourquoi Jean est-il agressif ? » nous répondrions : « parce qu’il a de l’agressivité ». Et si on nous demandait : « pourquoi a-t-il de l’agressivité ? » nous répondrions : « parce qu’il est agressif ».

A cette occasion, le magicien ne nous demande pas si oui ou non nous sommes d’accord. Il est évident que nous le sommes ; comment pourrions-nous ne pas être d’accord avec quelque chose d’aussi claire, d’aussi évidente ?

Ainsi, grâce à ce tour, le magicien nous a montré comment expliquer l’existence de deux apparitions magiques (agressif et agressivité) qui font référence à la première pour expliquer la seconde et à la seconde pour expliquer la première.

Dixième tour :

- Je vais maintenant vous présenter mon dernier tour. Il apparaît simple mais, en fait, il est extrêmement compliqué ; c’est pourquoi je l’ai gardé pour la fin. Soyez attentifs.

- Tout ce qui vous a été présenté jusqu'à présent a dû se produire à un moment donné, quelque part, et doit donc exister, se trouver quelque part. Il faut bien que « l’agression », « l’agressivité » se trouvent quelque part, quelque part d’où elles surgissent. Comment pourrait-il en être autrement ? –nous demande-t-il.

- Je vais donc maintenant vous montrer, Mesdames et Messieurs, Ladies & Gentlemen, l’endroit où s’est produit tout ce qui est arrivé pendant la représentation. Je vais vous révéler les mystérieuses origines du comportement –proclame le magicien avec une voix forte et pénétrante.

Pour la première fois, on entend une musique de fond (je n’arrive pas à identifier la mélodie, mais c’est de la musique classique. Peut être Beethoven, ou Mozart. Le magicien prononce alors solennellement les paroles magiques et apparaît : l’Esprit.

- Voici l’Esprit ! Il explique tout car Il contient tout -s’exclame-t-il en levant les bras et en regardant le ciel.

Soudain, je commence à avoir la chair de poule. C’est, sans conteste, le meilleur tour. Nous applaudissons tous bien fort.

Maintenant, nous connaissons la vérité. Dans l’Esprit réside « l’agressivité » qui est la cause de l’acte de Jean. En d’autres termes, l’Esprit de Jean le rend « agressif », et lui fait frapper Pierre. Parce que Jean a de « l’agressivité » dans son Esprit, c’est un « agresseur ». C’est aussi simple que ça !

A cet instant, un spectateur intervient. Il se lève et crie : -Jean frappe Pierre parce qu’il le veut, il le fait parce qu’il en a envie. 

Le magicien, en le regardant fixement et en le montrant du doigt, dit : -Faire référence à un sentiment comme étant la cause de votre comportement sans expliquer pourquoi ce sentiment existe, est un tour de magie usé jusqu’à la corde ; c’est pourquoi je ne l’ai pas inclus dans mon répertoire.

- Et bien -dit le spectateur -peut être que Jean frappe Pierre parce qu’il a des pensées irrationnelles et agressives ou parce qu’il se fait une drôle d’idée à propos de Pierre.

- C’est la même chose, parce que vous n’avez pas expliqué pourquoi les pensées irrationnelles ou l’idée apparaissent. Ces trucs sont beaucoup trop simples pour moi ; ça ne m’intéresse pas -répond le magicien en reculant de quelques pas avec dédain.

Un autre spectateur hurle : -Eh bien, peut être que Jean frappe Pierre simplement pour empêcher ce dernier de le frapper.

- Oui, ce tour n’a pas été présenté aujourd’hui. Il est connu sous le nom de « tautologie ». Il consiste à vous faire croire qu’un événement qui arrivera est la cause de celui qui arrive. Je promets que, si j’ai le temps, j’exécuterai ce tour dans le prochain numéro ; il sera intéressant.

Un autre spectateur fait remarquer : -Tous vos tours sont excellents, mais je pense que Jean frappe Pierre parce qu’il a un gène ou un trouble organique.

Le magicien se met à rire.

- Les trucs les plus populaires de nos jours sont, en effet, des trucs génétiques ou biologiques. Personnellement, je ne les aime pas parce qu’ils sont trop simples à présenter.

- Simples ? -s’enquiert le spectateur.

- En effet, parce que si vous ne savez pas comment expliquer un comportement, vous inventez un gène ou une cause organique ad hoc. Il n’y a là aucune difficulté.

Nous applaudissons tous. Le magicien est génial, ses réponses sont convaincantes.

Un autre spectateur déplore l’ignorance du public en criant : -Mensonges ! Jean frappe Pierre parce qu’il a un trouble mental, et rien d’autre !

Le magicien se met à rire. -Inventer un désordre mental ou psychologique c’est encore plus facile qu’inventer un désordre organique, parce que, dans ce cas, il n’y a aucun moyen de montrer qu’il existe ou pas. C’est très élémentaire.

Par cette remarque, le magicien termine sa prestation et nous l’applaudissons chaleureusement. Nous sommes tous excités et apprécions comme il se doit de voir comment le magicien a crée ce qui n’existait pas basé seulement sur le simple comportement de frapper.

Immédiatement après, les dix tours sont rejoués sans modification. Certains d’entre nous restent assis et commencent à regarder le même spectacle une fois de plus. Les tours sont intéressant mais pas assez pour qu’on les voie plus de deux fois. Nous décidons donc de partir.

En sortant, nous demandons à l’ouvreuse une explication sur ce qui se passait au théâtre. Elle nous renseigne gentiment : -C’est le même spectacle qui est représenté depuis à peu près 2000 Ans. On ment à des millions de spectateurs, et, aujourd’hui, c’est à vous qu’on a menti. C’est aussi simple que ça.

- Pensez-vous que le magicien nous a menti ? -demandai-je.

- Bien sûr ; à vous et à l’humanité toute entière. A quoi vous attendiez-vous au juste?

- Mais, est-ce intentionnellement ? -demande mon voisin avec inquiétude.

- Je n’en suis pas sure, mais le résultat est le même. Les spectateurs finissent par croire qu’il explique le comportement alors, qu’en fai,t ce n’était qu’un tour verbal.

- La vérité est que nous ne comprenons rien à ce qui se passe -disons-nous à l’ouvreuse en nous sentant gênés et confus.

- Eh bien ! Les magiciens vivent de leurs trucs et s’assurent que le public ne découvre pas leurs secrets. Ils ont tout intérêt à maintenir leur public dans la tromperie ou, tout au moins, dans l’ignorance. Aucun magicien ne souhaite que le public découvre leurs trucs. Que deviendraient les magiciens s’ils n’étaient plus capables de flouer les braves gens? 

Nous nous sentons mal, nous avons du mal à respirer. Il y a trop de gens et si peu d’air… Mon partenaire demande à l’ouvreuse la sortie. -La voici-nous dit-elle en indiquant une petite porte dans le grand théâtre. Nous la franchissons avec difficulté. Tout nous semble être un rêve ou plutôt un cauchemar.

Juste avant de sortir, nous voyons une grande affiche avec de grosses lettres en capitales noires. C’est le nom du théâtre : « Psychologie », et celui du magicien « Le Grand Psychologue ». La représentation se joue de façon continue et l’entrée est malheureusement gratuite pour les enfants et les adultes.

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A l’école des trouveurs

Georges Lerbet

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