La parution de cet ouvrage tombe à point nommé, en cette période d'élargissement de la Communauté européenne et d'élections au Parlement européen. Il part d'une situation paradoxale : l'oligarchie politique et économique qui tient les rênes du pouvoir dans de nombreux pays, et en particulier en France, issue de la génération qui, en 1968, bousculait les tabous et luttait pour la victoire du socialisme autoritaire ou autogestionnaire, nourrie de Mao, Marx, Trotski et des penseurs libertaires, s'est convertie au néolibéralisme mondialiste et puise ses références chez Adam Smith et l'école de Chicago.
Par une sorte de retour au kantisme, la politique est remplacée par la morale, d'où le succès de l'humanitaire et du droit d'ingérence, au nom de la culpabilité des nations européennes dans l'extermination des juifs et dans la mise en coupe réglée des pays colonisés. C'est également le début du règne de la pensée unique et des interdits, voire des excommunications de ceux qui pensent mal.
C'est également la mise en place, lente mais inexorable, d'une Europe marchande, fondée sur le droit à la libre concurrence sur un grand marché, zone monétaire de libre circulation des capitaux.
Les auteurs analysent les structures et le fonctionnement des organismes de pouvoir de la Communauté européenne, qui fonctionnent en fait comme une entreprise capitaliste libérale, et démontrent qu'à plus où moins long terme elles vont entraîner la disparition des Etats-nations eiuropéens et celle de la démocratie représentative. Selon le principe de subsidiarité, qui remplace le fédéralisme, la Commission européenne, ne laisse aux pouvoirs nationaux que l'exercice de prérogatives qui ne remettent pas en cause les décisions de la Commission et de la Banque centrale. Bien entendu, les peuples eux-mêmes ne sont que quantité négligeable.
Nouveaux utopistes, les anciens révolutionnaires, après avoir passé un compromis historique avec le libéralisme mondialiste, expérimentent une sorte de gouvernance mondiale ou le capitalisme d'entreprise prospère sur le dépérissement de l'Etat.
Malgré une construction un peu chaotique, cet ouvrage clair et précis ne manque pas d'intérêt pour ceux qui veulent préciser leurs connaissances et surtout creuser un peu sous les non-dits qui accompagnent cette manière d'exercer le pouvoir.
Roger BENSADOUN & Philippe JUMEL. Le Compromis historique ou la génération de 1968 au service de la mondialisation. Bruno Leprince Ed.