N°6 / numéro 6 - Janvier 2005

L’analyse longitudinale des représentations sociales de l’état et de la démocratie en Italie.

Ida Galli, Roberto Fasanelli

Résumé

Mots-clés

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Introduction

A la suite de « la chute du mur de Berlin », l’ intérêt des historiens, des politologues et des sociologues envers l’histoire récente de notre Etat, s’est amplifié. Les grands changements qui se sont vérifiés en Italie ont poussé les citoyens à repenser leur appartenance de groupe, qu’elle soit politique, sociale ou religieuse, à travers des processus d’auto-identification et d’identification à de nouveaux groupes et catégories sociales.

Nous savons qu’un groupe social fait face à une transformation, perçue en elle-même comme une menace, en se construisant des théories naïves sur celle-ci, en ancrant la transformation à des catégories connues, en l’ontologisant en une forme concrète, rassurante, en la reconduisant a des institutions symboliques, en d’autres termes en se la représentant. (Moscovici, 1992)

Le but de la recherche était de connaître la représentation sociale de l’Etat italien et de la Démocratie au moment de la transition de la Première à la seconde République.

La recherche

L ‘étude, de caractère longitudinal, a commencé en 1994 à l’occasion des élections qui, pour le sens commun, ont marqué le passage de la Première à la Seconde République, elle s’est poursuivie en 1996, à l’occasion des élections qui ont déterminé la victoire de l' « Ulivo » et elle s’est conclue en 1999, en une période de « relative stagnation » politique et institutionnelle. Cette étude se proposait, par ailleurs, d’atteindre deux objectifs différents :

  1. solliciter une réflexion critique de la part de ceux qui, spécialistes des sciences politiques et sociales ou politiciens tout court, voudraient connaître et comprendre la pensée du sens commun pour “ refonder ”, sur cette base, n’importe quelle action, quelque soit son type, qui ne soit pas purement démagogique, dans la perspective d’un “ social réellement à la mesure de l’homme ” ;

  2. utiliser les résultats obtenus à travers une étude empirique nouvelle et significative afin de mieux comprendre les mécanismes responsables de l’évolution d’une représentation sociale en général et en particulier les modalités cognitives et affectives avec lesquelles les nouvelles générations se rapportent à l’Etat et à la Démocratie.

Avant de décrire l’objectif de la recherche, il n’est pas inutile de donner quelques références sur l’évolution de la situation politique italienne pendant la période de cette étude.

Le passage de la Première à la Seconde République : la chronique

La période qui va de 1989 à « Tangentopoli » représente un moment crucial dans l’histoire de la République italienne. Avec la chute du mur de Berlin et la désagrégation du monolithique pouvoir soviétique qui s’en suit, le plus important parti communiste d’Occident, le Parti Communiste Italien qui avait légitimé l’existence d’un bloc d’opposition unitaire, qui avait à sa tête la Démocratie Chrétienne, s’est effondré . En d’autres termes, passée la grande peur – induite par ces forces politiques qui s’auto définissaient comme démocratiques – de retrouver « les tanks russes sur nos places », tout le système des partis italiens a explosé révélant le profond ébranlement de leurs propres fondations. En effet, lors de la décade précédente, en 1989,

il s’était formé au centre de la société italienne et sans distinction de lieu (de Milan à Rome en passant par Palerme et Venise) un espace institutionnel et social comparable à une « grande bulle d’air en expansion continuelle », entièrement envahie par la politique, dont la surface empiétait tant sur la classe gouvernementale, aussi bien romaine que périphérique, que sur les clientèles extrêmement diffuses : dans le monde des entreprises, de l’intermédiation financière, des professions libérales, des services, de l’administration publique. A l’intérieur de celle-ci, on agissait dans des conditions que nous pourrions définir de « légalité suspendue » et de confusion patrimoniale programmée : une absence complète de droit, mais surtout la suppression de toute distinction entre fonds publics strictement parlant, gains obtenus à travers le marché mais en utilisant des facilités de paiement illicites, fonds des partis (déclarés et non) et richesses d’origine. (Schiavone, A., 1998, p.54)

S’il est vrai que dès sa naissance la démocratie italienne a été une ‘démocratie des partis’, ainsi que le souligne l’historiographie sur le sujet, avec l’effondrement des partis est-il permis d’envisager également l’écroulement de la démocratie italienne ?

Quelque soit la réponse, on ne peut nier que la crise du système démocratique italien ait provoqué une crise dans tout le système social italien. « La crise italienne est une crise de croissance, la première crise de maturité du pays » (Calise, M., 1994, pp. 147-149).

La période historique dans laquelle s’est développée notre recherche (1994-1999), nous semble prendre pour origine le 18 avril 1993, date à laquelle on votait en Italie l’introduction du système électoral majoritaire. Les votes favorables l’ont emporté. Au même moment la profonde crise qui avait pour origine « tangentopoli » a provoqué un véritable tremblement de terre dans le système des partis italiens.

En décembre 1993, l’entrepreneur Silvio Berlusconi, propriétaire de trois chaînes télévisées, de la majorité des actions d’une importante société d’édition nationale, d’un patrimoine immobilier considérable et d’une société de football, entrait en politique ou mieux, selon ses propres mots ‘entrait en lice’ à la tête d’un mouvement dénommé « Forza Italia ».

Les élections de juin 1994 ont constitué un premier grand test pour le système majoritaire. Les forces de centre-droit l’ont emporté. Ainsi naissait le Gouvernement Berlusconi. Ces élections ont marqué un important tournant dans la tradition électorale italienne. On assistait, en effet, à trois grandes transformations: la première relative à l’offre politique, la seconde relative à la réponse des citoyens et la troisième touchant au système électoral. Tous les principaux partis qui avaient existés jusqu’aux années 80 avaient disparu de la scène politique ou bien avaient radicalement changé de physionomie. Les électeurs étaient amenés à « bien réfléchir » leur vote car, avec l’introduction du système majoritaire, s’accroissait leur sens des responsabilités quant à leur capacité d’octroyer la victoire à leur propre coalition. Du point de vue de la consolidation de l’élite politique, ces élections doivent être considérées, selon Verzichelli (1997), comme étant le point de départ de la transition de la Première à la Seconde République et non le point d’arrivée.

A partir de la naissance du Gouvernement Berlusconi en mai 1994 jusqu’à ce qu’en avril 1996, date à laquelle Romano Prodi, premier ministre désigné par la coalition de centre-gauche, l’ » Ulivo », sortie vainqueur des urnes, prête serment, vingt-quatre mois se sont écoulés. Ils sont caractérisés par des vicissitudes politiques, riches d’épisodes de grande portée. Les évènements de ces deux années montrent, de toute évidence, les difficultés liées au processus de transition.

A partir de la phase de déstructuration des années 1992-1993 et surtout après les élections de 1994, la partitocratie italienne semblait orientée vers le bipolarisme. Mais le déroulement des événements en Italie durant la période du Gouvernement Berlusconi balaya cette illusion. Tandis que l’année 1994 avait représenté la possibilité d’un changement radical par rapport à l’histoire électorale italienne passée, l’année 1996 faisait apparaître des éléments inédits, bien que étroitement attachés à la tradition.

Grâce aux réformes économiques entreprises par le gouvernement Prodi, l’Italie a été incluse dans les 11 pays appelés à faire partie de la zone Euro à partir du 1 janvier 1999. En avril – suite au vote au Parlement au sujet de l’intervention militaire en Albanie, bouleversée par la guerre civile – sont nés les futurs contrastes entre le Gouvernement et « Rifondazione Comunista ». En juillet, au Sénat, le débat sur la tenue du gouvernement, avec le discours de Romano Prodi est amorcé. Le 21 juillet le Sénat, et ensuite, le 22 la Chambre, votèrent la confiance au Gouvernement. En septembre, le gouvernement approuvait la loi de finances, à propos de laquelle, en octobre, le Comité politique du « Partito della Rifondazione Comunista », décidait de voter contre. Les jours qui suivirent virent la scission du courant de « Cossutta » et en conséquence la rupture du groupe parlementaire de « Rifondazione Comunista », qui représentait l’extrême gauche de l’ » Ulivo ». Ces Contrastes ont déterminé la rapide conclusion de la première expérience italienne d’un gouvernement de centre-gauche. En effet, le 9 octobre 1998, avec un vote au résultat incertain jusqu’à la dernière minute et avec un résultat surprise de 313 non et 312 oui, la Chambre des Députés refusa la confiance au Gouvernement Prodi. Le 16 octobre, après une série de consultations, le Président de la République chargea le secrétaire des Démocrates de Gauche, Massimo D’Alema, de former un gouvernement politique. Après quelques jours de négociations frénétiques avec les partis, le Gouvernement d’Alema obtint la confiance à la Chambre le 23 octobre et au Sénat le 27 octobre. Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, un ex-communiste s’installait au Palais Chigi et rendait encore plus manifeste le déclin du parti de masse « et son homologation aux lois rigides de la personnalisation » (Calise, M., 2000, p. 100). Parallèlement, le centre-gauche poursuivait son propre chemin vers la conclusion de la législature.

Le projet de recherche

La recherche qui a pour objectif d’analyser l’évolution des représentations sociales de l’Etat italien et de la Démocratie, s’est articulée en trois différentes études.

La première, pour laquelle les données ont été recueillies un mois avant et un mois après les élections politiques de 1994, se composait de deux différentes sections. La première section prévoyait deux phases : l’une basée sur le modèle ’avant/après’ dans le but d’analyser transversalement le phénomène ; l’autre consistant en une petite enquête satellite, mise au point dans le but d’analyser longitudinalement les représentations sociales dont nous nous occupons. Cette première section de l’enquête a été précédée par une pré enquête conduite sur un petit groupe d’étudiants universitaires (N=20) à partir d’ un entretien semi directif. Sur la base des réponses obtenues, on a mis au point une courte série de questions, pour sonder en profondeur les représentations sociales de l’Etat italien et de la Démocratie de 794 étudiants de l’Université des Etudes de Naples « Federico II » et de 151 étudiants du Lycée Scientifique d’Etat « Copernico » de Naples1. La deuxième section de cette étude a utilisé une méthodologie de type quantitatif, comportant l’emploi de deux techniques de relevée des données :

  • les Evaluations pairées, utiles pour connaître le champ sémantique et la structure interne des représentations sociales de l’Etat italien et de la Démocratie

  • et le Différentiateur sémantique, apte à relever l’attitude des sujets par rapport aux objets analysés.

Pour la construction des deux outils d’enquête indiqués ci-dessus, on s’est servi d’un échantillon différent composé de 246 étudiants universitaires. L’enquête s’est faite sur ces mêmes 794 étudiants universitaires et 151 lycéens qui avaient participé à la première section de cette étude.

La seconde étude, dont les données ont été recueillies un mois avant et un mois après les élections politiques de 1996, comprenait elle aussi deux différentes sections. La première, toujours basée sur le modèle ‘avant/après’, prévoyait la même série de questions utilisées dans la première étude proposées à un échantillon de 303 étudiants de l’Université des Etudes de Naples « Federico II » et de 83 des 151 lycéens impliqués dans la première étude. La deuxième section, comme dans le cas de la première étude, a utilisé une méthodologie de type quantitatif. Les outils de relevé des données ont été les mêmes que dans le cas de la seconde section de la première étude.

La troisième étude, dont les données ont été relevées durant le mois d’avril 1999 – une période caractérisée par un apparent calme politique – comprenait de nouveau deux sections. La première, contrairement aux deux enquêtes précédentes, a proposé en une seule solution toujours la même série de questions utilisées les années précédentes. L’échantillon était composé de 502 étudiants de l’Université des Etudes de Naples « Federico II » et de 44 parmi les 83 lycéens impliqués dans la deuxième étude. La deuxième section de cette étude a utilisé, ainsi que précédemment, une méthodologie de type quantitatif. Les outils pour obtenir les données ont été les mêmes que dans la deuxième section de la première et seconde étude.

Il faut préciser qu’il y avait deux sortes de motivations dans le choix de recueillir les données un mois avant et un mois après les élections, dans les deux premières études. En premier lieu, on a estimé que la période immédiatement précédente et immédiatement successive aux élections coïncidait avec le moment de plus forte concentration des échanges et des interactions entre les individus à propos de nos objets d’étude, ainsi que de leurs dimensions. En deuxième lieu, il était intéressant de savoir si, et dans quelle mesure, les résultats des élections auraient influencé la structuration des trames des représentations des interviewés.

L’échantillon

L’échantillon utilisé pour la recherche, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, était composé d’étudiants universitaires et de lycéens, au total 2143 sujets ainsi subdivisés.

Composition de l’Echantillon

Tab. 1

Image1

Selon Moscovici (1998) et Abric (1998), le choix des sujets pour l’étude d’une représentation sociale doit se faire en tenant compte, entre autres, aussi bien du fait qu’ils partagent un code d’interprétation commun de l’objet d’analyse, que de la possibilité que l’objet d’analyse soit susceptible d’interactions symboliques et linguistiques. C’est pour cette raison donc et pour éviter les risques liés à une variabilité excessive des positions individuelles que nous avons choisi de regrouper les sujets interviewés en groupes homogènes, à partir de deux variables considérées discriminantes : l’orientation politique et la faculté de provenance. La première nous permettait en effet d’assumer que les sujets partageaient une même weltanschauung ; la seconde nous permettait d’imaginer que ces mêmes sujets, à partir du moment où ils partageaient un même lieu physique, pouvaient interagir plus facilement entre eux. Pour cette raison nous avons exclu de l’analyse des données de nombreux questionnaires et en conséquence l’échantillon impliqué dans la recherche en a été réduit, comme nous pouvons l’observer dans les tableaux suivants :

Tab. 2

Image2

Sur la base des nombreuses études empiriques qui insistent sur l’importance d’utiliser des échantillons les plus homogènes possibles dans l’étude des représentations sociales, on s’est efforcé de créer les conditions – dans la construction des outils de relevé des données – qui consentent une série d’agrégations (sous échantillon) capables de neutraliser d’éventuels « excès » de variance. Dans ce but, à la fin des questionnaires mis au point pour cette enquête, une série d’informations était demandée, de façon extrêmement détaillée, qui permettait de connaître: l’orientation politique et religieuse des interviewés, leur niveau d’emploi et d’instruction ainsi que celui de leurs parents. Pour le relevé des données relatives à la représentation sociale de l’Etat italien on a ainsi obtenu les regroupements suivants :

  • sous échantillon des sujets de la Faculté de Lettres et Philosophie d’orientation politique de centre-gauche (sous échantillon A)

  • sous échantillon des sujets de la Faculté d’Ingénieurs d’orientation politique de centre- droit (sous échantillon B)

  • sous échantillon des sujets du Lycée Scientifique (sous échantillon C)

Pour le relevé des données relatives à la représentation sociale de la Démocratie, on a obtenu les regroupements suivants2 :

  • sous échantillon des sujets de la Faculté de Lettres et Philosophie d’orientation politique de centre-gauche (sous échantillon D)

  • sous échantillon des sujets de la Faculté d’Ingénieurs d’orientation politique de centre-droit (sous échantillon E).

Outils et techniques de relevé et analyse des données

Pour étudier l’évolution des représentations sociales de l’Etat italien et de la Démocratie, nous avons choisi d’utiliser une démarche mixte quantitative/qualitative. La démarche multi méthodes, en effet, à travers une étude comparative des composantes champ et attitude, permet, mieux qu’aucune autre, la reconstruction fidèle de la trame primitive d’une représentation sociale.

Quant au relevé des données, deux différents questionnaires semi structurés ont été construits, présentant chacun une grille de relevé des données relatives aux variables structurelles, utiles pour opérer les regroupements dont il a été question précédemment. On passait ensuite à une épreuve d’Evaluations pairées, dans le but de déterminer le champ sémantique des représentations sociales de l’Etat italien et de la Démocratie et un Différentiateur sémantique, construit ad hoc, qui permettait de localiser l’orientation cognitive et affective des sujets par rapport aux objets de la représentation. Au terme de chaque questionnaire, on proposait une série de questions ouvertes, afin de connaître les images, les prototypes et les stéréotypes des individus par rapport aux objets de l’étude, mais aussi leurs opinions et attentes sur l’évolution de l’Etat et de la Démocratie dans notre pays.

Les outils ainsi construits ont été appliqués au cours des différentes années à 3 échantillons distinct d’étudiants universitaires de même qu’à 3 échantillons de lycéens (devenus à leur tour universitaires) ainsi que le synthétise le tableau 1 au poste “ relevé des données ”.

Les données relevées à travers les Evaluations pairées ont fait l’objet d’une Cluster Analysis, celles relevées à travers le Différentiateur sémantique ont été traitées par une Analyse statistique monovarié, enfin une analyse du contenu de type Berelson a été réservée aux données provenant de la série de questions ouvertes.

Il est bien évident que nous ne pouvons rendre compte ici de toutes les données obtenues à travers chacune de ces techniques.. Nous nous limiterons donc à présenter une synthèse des résultats en espérant parvenir à rendre la richesse et la complexité des phénomènes examinés.

Les résultats

Analyse comparative des données relatives à la représentation sociale de l’Etat italien

Dans l’ensemble, les résultats obtenus avant et après les élections de 1994 mettent en évidence, parmi les étudiants en lettres de centre-gauche, une vision de l’Etat italien dominée par le chaos, la désorganisation et la corruption. D’un coté, on perçoit clairement l’influence que les évènements des années qui précèdent ce moment, tels que l’effondrement des partis de masse, « tangentopoli » et « mani pulite », ont exercée sur la structuration interne du champ de la représentation. De l’autre, on peut tranquillement soutenir que la victoire d’une coalition opposée a la leur, a été vécue, par les jeunes de gauche, comme un élément de continuité, plutôt que de rupture avec le passé. Et ce, malgré une campagne électorale, en vue des élections de 1994, tapageuse et martelant, entièrement axée sur le changement, sur la nouveauté et sur la possibilité d’une transformation totale du panorama politique et institutionnel du Pays. C’est justement pendant cette période que, pour la première fois, on a commencé à parler de « passage de la Première à la Seconde République ». Il en va de même pour les étudiants de droite qui, avant les élections, semblent partager une idée de l’Etat italien globalement négative et totalement dominée par le chaos. Après les élections, toutefois, ces mêmes individus, tout en conservant une vision de l’Etat non positive, ne considèrent plus celui-ci comme synonyme du chaos, probablement parce qu’ils attribuent à la coalition de centre-droit victorieuse, à laquelle ils s’identifient, la capacité de le réduire.

De manière particulière, parmi les éléments du champ sémantique la conception de la démocratie est vue comme quelque chose d’absolument séparé de l’Etat. En effet, aussi bien avant qu’après les élections de 1994, tous, au-delà de leur orientation politique, continuent de l’évaluer sémantiquement différente par rapport à la réalité politique et institutionnelle dans laquelle ils vivent et dans laquelle l’idée de démocratie devrait se matérialiser. La même tendance se retrouve au niveau des attitudes que les jeunes de gauche et de droite manifestent à cette phase de la recherche. Ils jugent, en effet, négativement l’état italien et tous les concepts qui lui sont associés exception faite pour la démocratie pour laquelle l’évaluation est neutre.

Même au travers de l’analyse des données provenant des réponses fournies aux questions ouvertes du questionnaire, il apparaît évident qu’il n’existe guère de différences marquées entre l’idée de l’Etat italien restituée par les sujets de gauche et de droite. En outre, ni les uns ni les autres ne semblent en aucune façon influencés par les résultats électoraux. Au delà de leur orientation politique, les jeunes ayant pris part à l’enquête ont défini l’Etat italien comme une institution gérée par des hommes corrompus, dont le seul intérêt semble être celui du gain personnel. Parallèlement à l’idée de corruption, qui imprègne toute la représentation, nous retrouvons celle de l’Etat, vu comme quelque chose d’absolument chaotique, et à tel titre, désorganisé et inefficace. Les sujets impliqués dans cette étude considèrent donc l’Etat italien comme la dégénération d’un état démocratique, dans lequel il n’y a pas de place pour la politique au vrai sens du terme c’est-à-dire science du gouvernement et de l’administration. Une perception aussi négative a, bien entendu, influencé les attentes futures de nos étudiants de vivre dans un Etat meilleur. Un pourcentage très élevé de ces jeunes, au-delà de leur orientation politique, pense que la situation de notre pays ne peut qu’empirer. Comme conséquence de leur perception de l’Etat, ils construisent un modèle idéal d’Etat, basé justement sur l’absence totale de corruption, mais aussi sur une plus grande efficacité dans l’organisation et la garantie du respect des lois. Si le noyau central de ce modèle ne subit pas l’influence de l’orientation politique des interviewés, il n’en va pas de même pour les éléments marginaux. En effet, tandis que pour les jeunes de gauche l’Etat idéal devrait aussi être démocratique, libre, tolérant et multiracial, pour ceux de droite, il devrait aussi être fort et prévoir moins d’impôts. L’unique exception à la tendance indiquée ci-dessus concerne les données sur le sentiment d’appartenance exprimé par les jeunes par rapport à l’Etat. Malgré une perception absolument négative aussi bien avant qu’après les élections, la majorité absolue a déclaré se sentir partie intégrante de l’Etat italien, être politiquement et moralement consciente de cette appartenance et en être fière.

La donnée la plus intéressante qui ressort de la comparaison des résultats obtenus en 1996 par les étudiants de gauche concerne le noyau de concepts appartenant au champ de la représentation qui comprend l’Etat italien. Comme on l’a vu, avant les élections, les éléments qui le composaient renvoyaient à une idée de l’Etat plutôt négative. Après les élections, avec la victoire du gouvernement de l’Ulivo, c’est-à-dire celui plus proche de leur orientation politique, cette idée d’Etat semble se remodeler dans un sens plus “ aseptique ” et malgré tout moins négatif.

L’inverse se produit avec les étudiants de droite, lesquels, avant les élections restituent une idée de l’Etat italien absolument identique à celle post-électorale de leurs collègues de gauche. Au contraire, après les élections, quand c’est l’adversaire politique qui a gagné, l’Etat italien est indiqué comme le lieu de la partitocratie et du chômage exactement comme c’était le cas, avant les élections, pour les interviewés de gauche. Par conséquent, selon les lois les plus classiques de la catégorisation sociale, quant c’est « nous » qui gouvernons, notre représentation de l’Etat se construit autour d’un agglomérat de concepts positifs. Si ce sont les « autres » qui gouvernent, l’Etat s’identifie avec ses « pires maux ».

Les données relatives à l’attitude des interviewés par rapport à l’Etat et son champ sémantique semblent, au contraire, ne pas subir l’influence des résultats électoraux, confirmant ainsi l’attitude absolument négative par rapport à l’objet de l’analyse relevé dans l’étude effectuée en 1994. Cette fois encore, la démocratie représente l’élément le plus ambigu du champ représentationnel de l’Etat, déterminant des évaluations moins polarisées de caractère positif ou négatif.

Les résultats de l’analyse du contenu conduite sur les réponses avant et après les élections qui se sont conclues par la victoire du centre-gauche montrent, pour chacun des sous échantillons, des différences d’un certain intérêt. En effet, si avant les élections l’Etat italien était considéré surtout comme quelque chose de chaotique et désorganisé, quelque chose de corrompu et de malhonnête, jusqu’à représenter une véritable dégénération de la démocratie, après les élections, les jeunes de gauche et d’une façon surprenante ceux de droite également, préfèrent définir l’Etat italien au travers d’énoncés de type descriptif plutôt que d’utiliser les jugements négatifs qui avaient caractérisées les expressions verbales de la période préélectorale.

Les différences entre les jeunes de gauche et de droite deviennent plus palpables dès lors qu’on approfondit leurs attentes sur le futur de l’Italie. Avant les élections, en effet, les sujets de gauche étaient plus pessimistes que ceux de droite. Au contraire, avec l’affirmation de la coalition plus proche de leur position politique, les étudiants de gauche deviennent optimistes, estimant que l’Etat italien sera moins confus, moins fasciste et plus ouvert, mais aussi plus efficace et plus attentif aux problèmes des jeunes. Au contraire, les jeunes de droite, reviennent sur leur optimisme prudent, retenant que dans un futur proche l’Etat italien ne pourra qu’être identique à lui-même.

A partir des désirs exprimés par les interviewés des deux sous échantillons, à propos de comment ils voudraient que soit l’Etat italien, on peut retracer les éléments constitutifs essentiels de l’image idéale qu’ils se font de l’Etat. Encore une fois, indépendamment du credo politique et de la coalition au Gouvernement, le manque de corruption et le « garantisme » recouvrent un rôle extrêmement important. Toutefois, c’est le besoin d’efficacité et d’organisation qui domine le panorama des désirs des jeunes dans cette phase de la recherche.

Enfin, en 1996 également, le sentiment d’appartenance à leur Pays apparaît détaché de la perception extrêmement négative que ces jeunes ont de l’Etat italien, ainsi que des attentes particulièrement « roses » pour le futur.

Quand aux résultats obtenus en 1999, les jeunes de gauche comme ceux de droite, renvoient une image de l’Etat tout à fait superposable à celle élaborée tout de suite après les élections de 1996, qui avaient vu la victoire de la coalition de centre-gauche. Par conséquent à trois ans de ce vote et avec un gouvernement semblablement orienté, les étudiants, bien que différents de ceux interviewés en 1996, jugent de la même façon l’Etat italien. D’une manière plus détachée et réifiée, ceux politiquement plus proches du Gouvernement en charge, d’une manière plus négative, en mettant en évidence les pires aspects, ceux d’orientation politique opposée.

En outre, les résultats au différentiel sémantique montrent encore une fois que l’attitude des jeunes de la recherche envers l’Etat italien est décidément négative, tandis que celle manifestée envers la démocratie se confirme comme étant neutre.

En 1999, les opinions sur l’Etat italien renvoyées par les interviewés de gauche et de droite semblent en partie inspirées par ce que nous avons défini une « politologie naïve », comme si, en période non sujette au ferment qui précède des élections, l’émotivité était en partie dominée par la rationalité. Ainsi, les jeunes de l’enquête, plutôt que de privilégier les jugements négatifs, utilisent des définitions livresques pour exprimer leur propre idée de l’Etat italien.

Dans la même période, les attentes des étudiants de gauche semblent être moins polarisées dans un sens négatif, tandis que leurs collègues d’orientation politique opposée, pour la première fois, par rapport aux résultats précédents, manifestent un léger pessimisme.

Le désir d’un Etat idéal gravite encore une fois autour des thèmes de l’efficacité et de l’absence de corruption, aussi bien pour les jeunes de gauche que pour ceux de droite lesquels, en 1999 également, ont en commun un fort sentiment d’appartenance à leur pays.

Analyse comparative des données relatives à la représentation sociale de la Démocratie

En comparant les résultats obtenus avant et après les élections de 1994, on peut avancer quelques considérations générales sur la conception de la démocratie des étudiants de droite et de gauche.

Commençons par ces derniers. Une lecture comparative des données indique clairement une plus grande cohésion entre les éléments constitutifs du champ de la représentation sociale en période préélectorale. La distance entre les éléments centraux et périphériques du champ, résultant des relevés effectués à la suite du vote, peut s’expliquer par le succès de la coalition de centre-droit, de signe contraire à l’orientation politique des interpellés. Ainsi lorsque c’est l’ « ennemi » qui gagne, en démocratie le peuple n’est plus souverain et le respect de l’autre, la solidarité et la justice perdent leur centralité. Les étudiants d’orientation politique de droite possèdent pour leur part un champ représentationnel de la Démocratie beaucoup plus compact. En effet, suite à la victoire de leur formation politique, la situation relevée confirme non seulement les résultats préélectoraux, mais semble même indiquer l’existence d’une plus grande proximité sémantique entre tous les éléments du champ.

Une donnée intéressante nous vient de la position du concept de pouvoir par rapport à tous les autres. Le pouvoir, en effet, semble n’avoir aucun rapport ni avec l’orientation politique des interviewés ni avec les résultats électoraux, et s’oppose sans équivoque et constamment à la démocratie. Ce résultat n’est pas surprenant au vu des résultats de nombreuses recherches sur la représentation sociale du pouvoir (Galli 1994, Galli, Nigro 1986 ; 1992 ; Nigro & Galli 1989). Ces études ont toujours mis en évidence l’absence de toute relation entre le pouvoir et la démocratie, on ne trouve en effet jamais de références directes à l’idée de démocratie, ni a aucune de ses sous dimensions, tant à l’intérieur du champ sémantique du pouvoir que des définitions qu’en ont donné les différentes échantillons d’interviewés.

Il ressort, d’une façon aussi évidente que préoccupante, de l’analyse des données de type qualitatif recueillies avant et après les élections, que l’image, qu’une grande partie des jeunes, qui ont pris part à l’étude, ont de la démocratie est fortement ancrée au concept d’utopie. En d’autres termes, pour les étudiants de gauche comme de droite, la démocratie est quelque chose qui n’existe pas et qui probablement n’existera jamais.

Tous les interviewés, néanmoins, ne partagent pas une opinion aussi nihiliste. Un bon nombre d’étudiants propose en effet sa propre idée de démocratie à partir de la racine étymologique du terme et met au centre de sa conception le demos.

Un pessimisme larvé sous-tend également les positions des étudiants interviewés à propos de l’existence de la démocratie en Italie. Comme on l’a vu, quand les jeunes sont invités à s’exprimer sur l’existence réelle de la démocratie dans notre Pays et non pas sur le concept en absolu, ils manifestent un scepticisme diffus. La plupart d’entre eux, en effet, a soutenu que l’Italie n’était pas un état démocratique. Tout ceci nous amène à nous interroger au moins sur deux aspects, le premier concerne l’ » ignorance sémantique », le second l ‘ » ignorance historique » que les éléments de notre échantillon manifestent à propos de la démocratie. Conformément aux positions exprimées à propos de la réalité actuelle, les attentes des jeunes sur le futur semblent être inspirées par une vision fortement négative.

En comparant les résultats à ceux de 1996, on constate l’absence de différences dans les champs représentationnels des interviewés de droite et de gauche imputable aux résultats des élections. Les sujets des deux sous échantillons semblent donc avoir une représentation sociale de la Démocratie structurée, stable et indépendante de la coalition politique au Gouvernement.

En particulier, l’analyse de la structure interne des champs sémantiques de la Démocratie met en évidence, pour les deux sous échantillons, l’existence de deux dimensions distinctes du concept. La première, que nous définirons plus proprement « sociale » et la seconde plutôt comme « juridique ». Ainsi les éléments de gauche considèrent la démocratie liée davantage à sa dimension sociale tandis que ceux de droite la voient plus proche de sa dimension juridique. Du reste, les référents idéologiques de chacune des tendances politiques auxquelles nos étudiants déclarent appartenir, ont toujours privilégié d’un coté les thèmes de l’égalité et de la solidarité et de l’autre ceux du respect et des droits.

L’idée de Démocratie que restituent les individus qui ont pris part à l’étude de 1996 semble être fortement ancrée à l’univers de valeurs que le concept même sous-entend. Au delà de l’orientation politique, les jeunes définissent la démocratie comme le lieu, le topos, de la reconnaissance des droits de l’autre, du respect de la liberté et de la diversité. Par conséquent, contrairement à ce qui se passait en 1994, peu de définitions se réfèrent à la démocratie comme quelque chose d’inexistant et d’utopique. Dans cette phase de la recherche on observe aussi de nombreuses références au rôle joué par le peuple dans la dynamique démocratique qui, pour nos interviewés, occupe alternativement la position de détenteur du pouvoir ou de gouvernant.

Quant à la perception de l’existence d’une vraie démocratie en Italie, on enregistre également, dans la période examinée, un phénomène qui s’était déjà manifesté dans la phase précédente de la recherche. Paradoxalement, dans la période qui suit les élections, ceux qui déclarent une orientation politique proche de celle des vainqueurs deviennent plus pessimistes par rapport à la période préélectorale. Tout ceci pourrait être imputable au mécanisme imparfait de notre système majoritaire qui, au terme des élections, n’étant jamais en mesure de produire une véritable majorité, repropose les modalités et les jeux de rôles caractéristiques de la vie politique de la Première république, limités au simple décompte de votes et de sièges parlementaires.

Malgré le pessimisme qui imprègne la perception de la réalité de nos interviewés, leurs attentes sont encore décidemment positives, même si le fait d’être gouvernés par une coalition opposée aux propres idées politiques pose, bien entendu, des problèmes.

Les étudiants interviewés en 1999 structurent également leur champ représentationnel de la démocratie à partir de deux dimensions sémantiques fondamentales : la dimension « sociale » la dimension « juridique ».

Comme dans les études précédentes, les étudiants de gauche considèrent centraux les aspects de la vie démocratique davantage corrélés aux idéaux d’égalité et de solidarité, tandis que ceux de droite assimilent principalement la démocratie à l’idée de justice.

Avec cohérence, l’image que les jeunes de droite et de gauche restituent de la démocratie, semble encore une fois structurée autour d’un noyau de valeurs qui se réfère aux sentiments d’égalité, de respect des autres et de liberté. D’une façon encore plus marquée qu’en 1996 et nettement en opposition par rapport à 1994, l’identification de la démocratie avec l’utopie occupe une position hiérarchique toujours plus périphérique dans les représentations. De même dans cette dernière phase de l’étude, les références à la centralité du peuple occupent une position importante à l’intérieur des images et des stéréotypes que les interviewés restituent de la démocratie.

Le passage des référents idéaux aux référents réels de la démocratie se produit toujours au détriment de ces derniers, comme cela a souvent été le cas dans notre recherche. En d’autres termes, quand ils sont appelés à s’exprimer non pas sur la démocratie d’une manière abstraite, mais sur son existence réelle dans notre Pays, les interviewés montrent tout leur pessimisme. En 1999 aussi, la plupart des étudiants universitaires ayant pris part à l’enquête soutenaient que la démocratie dans notre Pays n’existe pas. Malgré tout, cette vision négative de la réalité ambiante ne semble pas toucher aux perspectives futures de la démocratie en Italie. Comme dans les phases précédentes de la recherche, à nouveau ici indépendamment de leur appartenance politique, les sujets espèrent que des formes plus démocratiques de gouvernement pourront exister à court terme.

Les résultats de la recherche relatifs à la composante attitude de la représentation sociale de la démocratie qui apparaît tout à fait ambivalente méritent qu’on s’y arrête particulièrement. Comme le rappelle Jonas, Broemer et Diehl (2000), la définition d’attitude comporte implicitement une considération unidimensionnelle. En d’autres termes, les objets attitudinaux peuvent être considérés positifs, négatifs ou neutres, mais pas simultanément positifs et négatifs. Cette conception ne concerne pas d’une façon adéquate le cas ou un même objet peut à la fois plaire et ne pas plaire, comme dans le cas d’un individu qui d’un coté aime l’exercice physique, parce qu’il le retient salutaire et de l’autre ne l’aime pas, parce qu’il le considère comme une perte de temps. De nombreux chercheurs ont classé cette espèce d’inconsistance d’évaluation comme « ambivalence attitudinale » (Kaplan, 1972 ; Thomson, Zanna et Griffin 1995 ; Maio, Bell et Esses, 1996 ; Priester et Petty, 1996). Jonas et ses collaborateurs définissent l ‘ » ambivalence attitudinale » comme l’existence simultanée de croyances ou émotions positives et négatives par rapport à un même objet et en proposent trois types différents. Le premier, défini « ambivalence cognitive », consiste à avoir des croyances par rapport à un objet attitudinal associées à une évaluation inconsistante. Par exemple quand une personne croit qu’un individu est intelligent (croyance positive) mais pas très fiable (croyance négative). Le second, défini « ambivalence affective » se vérifie quand un individu nourrit en même temps des émotions positives et négatives, comme l’amour/haine de freudienne mémoire. Le troisième, défini « ambivalence affectivo-cognitive » se manifeste quand des éléments affectifs positifs se combinent avec des aspects cognitifs négatifs et vice versa. Par exemple quand une personne aime un certain aliment mais sait que ce même aliment contient trop de calories.

L’attitude manifestée par les individus de notre étude, par rapport au champ sémantique de la démocratie, semble justement appartenir à cette dernière catégorie d’analyse. En effet, au-delà de l’orientation politique et de la contingence historique, tous les interviewés ont fourni une évaluation positive de l’inducteur démocratie, tandis qu’ils ont évalué d’une façon neutre ou même négative (inconsistance dans l’évaluation), son champ sémantique. En d’autres termes quand les sujets ont été invités à exprimer un jugement sur ce qu’ils avaient eux-mêmes indiqué comme un idéal, l’affectivité a orienté leur réponse et la démocratie est apparue claire, belle, juste, active et progressiste. Au contraire quand le jugement a porté sur les éléments qui ramènent la démocratie à la réalité concrète, mais où ils ne sont pas encore réalisés (la justice, les droits, l’égalité, la solidarité et ainsi di suite) la dimension cognitive a pris le dessus et a déterminé des évaluations de tendance négative.

Conclusions

Les psychologues sociaux, contrairement aux indications de Kurt Lewin (1935), ne se sont pas particulièrement intéressés à l’étude des phénomènes macro sociaux en général et du changement social en particulier, poursuivant plutôt « l’idéal » de la découverte de lois historiques et transculturelles aptes à expliquer le comportement social (Plichtova, Eros, 1997). Heureusement, au cours de ces dernières décennies, spécialement en Europe occidentale, de nouveaux paradigmes de la psychologie sociale se sont affirmés comme étant mieux en mesure de comprendre le changement social. Nous pensons au travail théorique et empirique de Henry Tajfel en Angleterre et de Serge Moscovici en France auxquels on doit l’élaboration de constructions telles les relations intergroupes, la catégorisation sociale, l’identité sociale, les représentations sociales, l’influence minoritaire, etc. Moscovici, justement, dans sa lecture en mémoire de Tajfel, tenue à Budapest durant le General Meeting de l’European Association of Experimental Social Psychology en juin 1990, attirait l’attention des psychologues sociaux sur les évènements qui étaient en train de bouleverser les pays de l’Europe centrale, qui représentaient à son avis un véritable laboratoire « à ciel ouvert ». Moscovici insistait en particulier sur la nécessité d’étudier l’effondrement des vieux mythes et des idéologies, de comprendre comment ces entités monolithiques étaient supplantées par des modalités de pensées pluralistes et de comprendre comment le consensus obligatoire était remplacé par une variété de commitments politiques.

Voulant accueillir les suggestions de Lewin et les plus récentes sollicitations de Moscovici, nous avons choisi de découvrir l’éventuelle influence que les diverses transformations politiques et institutionnelles qui se sont succédées dans notre pays, entre 1994 et 1999, ont pu exercer sur les modèles représentationnels des sujets que nous avons interviewés. En particulier, nous souhaitions connaître le poids que des variables telles que l’orientation politique, le moment historique et les résultats électoraux ont sur la structure et la transformation de ces représentations sociales. La donnée la plus éclatante concerne le fait que, bien que les deux représentations aient des champs sémantiques clairement structurés, celle de l’Etat italien semble dépendre étroitement de toutes les variables considérées tandis que celle de la démocratie semble uniquement influencée par l’orientation politique des sujets.

En ce qui concerne le champ représentationnel de l’Etat italien, à l’exception des résultats de 1994, les données obtenues montrent l’existence d’une forte corrélation entre le genre de Gouvernement en place et l’image de l’Etat restituée par les interviewés. En effet les champs sémantiques présentent des variations significatives dans leur structures internes, selon que les sujets se soient reconnus ou pas dans la coalition de gouvernement vainqueur des élections aux différents moments historiques considérés : un champ représentationnel changeant, donc, et fortement conditionné par le contexte, qui nous permet de parler d’une représentation fluctuante, tout du moins dans ses représentations périphériques. Au contraire, le noyau de cette représentation ne subit pas l’influence du contexte historique, encore moins de l’orientation politique des interviewés et s’articule autour des idées de chaos, corruption et désorganisation. Qu’il s’agisse là réellement des éléments centraux de la représentation nous est confirmé par les données sur le modèle idéal d’Etat proposé par les participants à la recherche : une image idéale, s’y construit à partir de l’absence de toute forme de corruption et de la présence d’une plus grande efficacité au niveau de l’organisation. Dans l’ensemble, l’Etat italien est considéré comme la dégénération d’une démocratie, où la politique, dans sa vraie acception de science du gouvernement et de l’administration, ne trouve pas sa place. Ce sens de négativité diffuse qui envahit toute la représentation sociale est confirmé par une attitude négative permanente par rapport à l’Etat italien et pourrait trouver une explication plausible dans la déception quand aux espoirs d’amélioration, liée au passage de la Première à la Seconde République. En effet, le « renouveau de la politique », tant proclamé, qui avait uni les propositions de solution à la crise avancées par des formations opposées, n’est resté le plus souvent qu’un mot d’ordre. En fait, l’unique changement s’est traduit par une course à la transformation des noms des partis en un ensemble d’étiquettes, empruntées aux domaines les plus divers, parmi lesquels se signalaient en premier lieu le domaine sportif et celui « botanique naturaliste ».

Si ce phénomène n’avait été le fait que des citoyens, des gens communs, il aurait pu être assimilé au phénomène de la dénomination d’une sous dimension du processus générateur de toute représentation sociale, appelé ancrage, qui permet aux individus de transférer ce qu’il y a d’étranger et de menaçant, de l’extérieur à l’intérieur des propres catégories. Malheureusement le changement de nom n’a pas été produit par la « base » électorale mais plutôt par de « myopes experts de marketing politique », et en conséquence n’a pas joué le rôle souhaité de familiariser avec la nouveauté, mais au contraire d’avoir creusé la distance et la désaffection envers ces mêmes partis.

Quant à la représentation sociale de la démocratie, nous observons que son champ sémantique semble plus dégagé, moins lié aux fréquentes variations des formations gouvernementales. Il apparaît toutefois lui aussi influencé par l’orientation politique à laquelle les sujets déclarent s’identifier. L’idée de démocratie, exprimée par les différents échantillons, se structure essentiellement autour de deux noyaux figuratifs-conceptuels : l’un, propre aux sujets de gauche, lié à la dimension de l’égalité et de la solidarité, que nous avons défini « social », l’autre, propre aux sujets de droite, lié à la dimension de la justice et des droits que nous avons défini « juridique ». Ce qui nous amène à supposer l’existence d’une représentation qui, selon une taxonomie proposée par Moscovici (1986), pourrait être classifiée comme « agonale » ou « critique », c’est-à-dire une représentation dont les éléments sont à peu près les mêmes dans toute la population mais dont la signification est déterminée par des valeurs différentes voir opposées. Néanmoins, en observant le contenu de la représentation, on retrouve un grand nombre d’éléments communs, partagés. Nous pensons en particulier à la démocratie considérée comme lieu de reconnaissance de l’autre et de ses droits, de l’acceptation de la diversité et du respect des libertés, ainsi que l’ont affirmé les sujets de notre étude. Dans leur représentation sociale de la démocratie, le peuple joue un rôle extrêmement important, redonnant à l’objet de l’analyse sa signification étymologique. Egalement significative est l’incidence des rappels à l’utopie, confirmés par la conviction exprimée qu’en Italie la démocratie n’existe pas. Une donnée particulièrement intéressante, sur le contenu de la représentation sociale de la démocratie, concerne l’absence de rappels aux institutions au travers desquelles elle s’exprime. Dans les études conduites par Moodie, Markova et autres, dont nous avons déjà longuement parlé, les pourcentages élevés de références aux institutions démocratiques et aux processus liés à la vie démocratique (vote, participation, etc.) se justifient par des pratiques sociales correspondantes, relevées dans les réalités sociales qu’ils ont analysé. La faiblesse des références aux institutions et processus démocratiques, dans le matériel recueilli, pourrait être imputés aux niveaux extrêmement bas de participation démocratique enregistrés dans notre Pays, surtout parmi les jeunes. Il convient de rappeler à ce propos que le pourcentage d’abstentions enregistré durant la session électorale de 1996 a été la plus élevé de l’histoire de la République (Caramani, 1997).

En conclusion et pour revenir à l’objectif principal de la recherche, on peut affirmer que le passage de la Première à la Seconde République n’a pas influencé, sinon d’une façon marginale, la structure et l’évolution des représentations sociales de l’Etat et de la démocratie. En effet, les deux représentations, fort complexes bien qu’indépendantes, restituent une image franchement négative de notre Pays. Ainsi, si nous partageons la position selon laquelle il existe une étroite corrélation entre représentations et pratiques sociales, nous ne sommes guère surpris par l’augmentation constante du nombre de ceux qui, jeunes ou non, participent de moins en moins à la vie politique du Pays. Et, comme on le sait, la participation est un des aspects les plus saillants de la démocratie. Cette sorte d’apathie politique s’explique aussi par la confusion croissante qui caractérise la communication politique, toujours plus occupée, d’une manière instrumentale, à capturer un consensus momentané et contingent plutôt qu’à représenter clairement les positions réelles et les convictions des formations politiques. A ce vice d’information correspond un vice d’origine. Dans l’actuel scénario politique italien une des données les plus intéressantes concerne la tension centripète croissante, avec conséquente altération de la signification même de droite et de gauche qui va jusqu’à modifier les bases sociales respectives. Ainsi les formations de Centre-droit utilisent des messages et slogans traditionnellement de gauche (plus de travail, plus de solidarité sociale, etc.), tandis que celles de Centre-gauche ont toujours plus recours à des mots d’ordre traditionnellement de droite (entreprise, économie, sécurité, etc.).

Ici s’arrête l’apport du psychologue social. Mais, comme dirait Aldo Schiavone, la partie est ouverte et le futur toujours plus incertain.

Ainsi nous souhaitons que ces pages puissent fournir du matériel de réflexion à ceux qui doivent réellement projeter un futur qui, encore une fois, ne soit pas réduit à une transition sans changement, convaincus comme nous le sommes que les idées, les messages, les représentations se diffusent à la façon des virus, en mesure d’amorcer de véritables épidémies positives de nouvelles significations et de nouveaux comportements, en vue d’un changement réel de société.

1  Les résultats relatifs aux lycéens ne sont pas ici présentés car les données de cet échantillon sont encore en cours d’élaboration

2  Les étudiants du Lycée scientifique ont participé à l’étude sur l’Etat italien mais non à celui sur la Démocratie, car au cours de la première enquête effectuée en 1994, presque 80 % des interviewés manifesta des difficultés à remplir le questionnaire sur ce thème.

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El concepto de Corrupción, sus formas de vigencia en la sociedad contemporánea

Narciso Benbenaste, Gisela Delfino

En este trabajo se define el concepto de corrupción como el uso de lo público con fines particulares. Se fundamenta por qué es crucial en la sociedad contemporánea diferenciar dos clases de corrupción, una propia del desarrollo del mercado y otra que siendo históricamente más atrasada sigue teniendo fuerte vigencia sobretodo en países de menor desarrollo relativo.Por último se hace notar cómo el concepto de corrupción adoptado se halla en línea con lo definido por Aristóteles. Sin embargo cuando se...

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