N°7 / Musiques et politique Juillet 2005

Etude de la transformation de représentations sociales en réseau (idéologie, droits de l’homme et institution)

Aline Valence, Nicolas Roussiau

Résumé

Mots-clés

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I. Introduction

Les représentations sociales en réseau

Depuis le début de ses développements, la théorie des représentations sociales (Moscovici, 1961) a majoritairement donné lieu à des analyses axées sur deux aspects des représentations : sur la description de leur contenu (aspects organisationnels) d’une part, sur l’étude de leur fonctionnement (aspects structuro-dynamiques) d’autre part. Jusqu’à présent, ces perspectives d’étude ont fait apparaître la représentation comme une totalité organisée ayant un fonctionnement autonome. Cela étant acquis, nous nous devons de dépasser les limites, forcément arbitraires, d’une représentation donnée (Roussiau et Bonardi, 2001). Pour la pensée sociale nous ne sommes pas face à une simple juxtaposition de représentations spécifiques et différenciées ; la dynamique de celle-ci relève bien au contraire de combinaisons complexes entre symboles, images, valeurs qui font la trame de la vie sociale (Doise, 1992).

Nous envisagerons dans ce présent travail une approche globalisante des représentations sociales qui propose, pour rendre le concept théorique plus dynamique, de regarder celles-ci en terme de réseau. Une représentation sociale n’étant jamais isolée, nous devons partir, pour la comprendre et l’expliquer, d’une autre représentation qui l’a fait naître (Palmonari et Doise, 1986). Déjà, les tous premiers travaux de Moscovici (1961) sur la psychanalyse révélaient comment la représentation sociale d’un objet pouvait le déborder de toute part, pour aller se fixer à de multiples autres objets. Ainsi, dans ce travail, Moscovici a montré que la représentation de la psychanalyse était constituée de la présence, soit d’autres représentations, celles de la société, de l’homme, de la femme, de la sexualité, etc., soit de composants idéologiques, politiques ou religieux.

Cela nous mène à considérer que dans un champ social donné, il est possible d’observer des champs sémantiques qui relient les diverses représentations de ce champ social suggérant alors un fonctionnent transversal entre ces représentations. Cette idée d’interconnexions, ou de résonances sémantiques entre représentations sociales n’est cependant expérimentée que dans quelques rares travaux (Di Giacomo, 1980 ; Bonardi, De Piccoli, Larue et Soubial, 1994 ; Brandin et Choulot, 1994 ; Larrue, Bonardi et Roussiau, 2000 ; Milland, 2001) ou encore, évoquée dans certaines définitions telles que l’idéologie (Deconchy, 1989) ou les thêmata (Moscovici et Vignaux, 1994). Notre recherche s’inscrit dans les perspectives ouvertes de ces travaux.

Nous soulignerons ici, que l’existence supposée de ces liens amorce de nouvelles réflexions sur les cadres théoriques et méthodologiques sollicités dans les travaux sur les représentations sociales ; c’est bien toute la complexité, toute la socialité de la pensée représentative qui est ré-interrogée dans l’analyse. Nous devons donc nous poser la question des modalités de coexistence de plusieurs représentations sociales ? Savoir ce qui médiatise et régule cet agencement ? Connaître la ou les dynamiques qui régissent leurs interrelations ? Finalement, se poser la question des modalités de découpage du réel.

Nous n’avons pas l’ambition de répondre à toutes ces questions ; notre propos sera donc d’abord de considérer et d’expérimenter - de manière descriptive et non démonstrative - l’articulation de plusieurs représentations dans cette optique de fonctionnement en réseau. Nous avons alors choisi de cadrer notre recherche dans la perspective théorique du Noyau Central (Abric, 1976 ; 1984) pour tester la validité de cette approche. Nous tenterons alors d’appréhender ce qui, de la représentation des trois objets présentés à l’étude, est partagé (ou non), et de quelle manière il l’est (ou ne l’est pas) au sein d’une population donnée.

La théorie du Noyau

A la suite d’Abric, les travaux de Flament (1987), Guimelli et Rouquette (1992) ou encore Moliner (1989 ; 1995) ont été de grands apports, tant au niveau théorique, méthodologique qu’empirique, pour la théorie du noyau ; ils ont participé à en faire un des modèles les plus achevé et cohérent des représentations sociales. 

Cette approche théorique considère une représentation sociale comme un ensemble organisé et structuré d’informations, de croyances, d’opinions et d’attitudes qui constituent un système sociocognitif particulier composé de deux sous-systèmes en interaction : un système central et un système périphérique (Abric, 2003). Ces deux systèmes sont caractérisés par un rôle spécifique, mais sont complémentaires l’un de l’autre. Pour ce qui est du système central, considéré comme la base fondamentale de la représentation, il va exprimer le système de valeurs et les conditions socio-historiques d’existence du collectif ; il est ainsi marqué par le système de norme de l’environnement auquel il se réfère. Le système périphérique lui, n'est pas normatif mais fonctionnel. Il permet d'ancrer la représentation dans la réalité du moment mais est ainsi plus sensible et déterminé par le contexte immédiat. On considère alors que le système périphérique constitue l'interface entre la réalité concrète et le système central, permettant de la sorte l’intégration de l’histoire propre du sujet : il rend concret la dimension normative du système central.

Cette approche structurale insiste sur les aspects consensuels des éléments incontournables du noyau central et ne tient alors pour distinctes deux représentations si, et seulement si, il est possible de constater une différence de composition des noyaux centraux (Moliner, 1996). Partant de là, repérer et identifier le système central d’une représentation servira à comprendre ce qui constitue le « cœur », le fondement social de cette représentation et donc à comprendre son fonctionnement et sa dynamique dans une perspective de mise en évidence des cognitions partagées d’une population donnée par rapport à un objet.

La transformation des représentations.

L’autre apport du courant structural amène une réflexion sur l’évolution des représentations sociales. Nous positionnant, pour cette recherche, dans une démarche d’analyse diachronique, la question de la transformation des représentations apparaît fondamentale. Nous cherchons effectivement à comparer, au sein d’une même population, l’état de plusieurs représentations à deux moments distincts dans le temps. Nous nous posons donc bien la question de savoir si l’articulation initialement supposée entre plusieurs représentations, va transparaître dans une situation d’induction au changement.

Le thème de la transformation des représentations sociales fait justement l’objet d’un modèle théorique (Flament, 1994). Celui-ci suggère de poser cette question à deux niveaux : sur la représentation sociale elle-même et sur les facteurs de transformation. Autrement dit, il s’agit d’étudier par où et sous l’effet de quoi les représentations se transforment.

Concernant les aspects structuraux, relativement à leurs caractéristiques, nous savons que la périphérie est plus susceptible de transformation que la centralité. Le système périphérique, par les variations qu’il admet, sert justement à adapter la représentation à la situation du moment « en maintenant la signification centrale et l’intégration de l’information nouvelle sans faire apparaître un trop gros bouleversement » (Abric, 1994, p. 76). Ce processus de défense mis en place par la périphérie suggère qu’une représentation ne se transforme pas facilement ; cela valant tant pour une atteinte portée en direction d’éléments centraux que périphériques. Cependant, devant un conflit cognitif, si le système central maintient son équilibre, il n’est pas impossible d’observer des modifications d’un moindre degré à l’intérieur de la représentation : évolution représentationnelle ne veut pas obligatoirement dire déstructuration sémantique de la représentation. Même si ces évolutions sont à voir comme les déclinaisons d’une transformation véritable – par exemple on peut voir des éléments périphériques se suractiver ou inversement – elles nous renseignent également sur la dynamique de fonctionnement des représentations. Elles n’en sont, par conséquent, pas moins importantes pour l’analyse.

L’impact différencié portant sur les éléments représentationnels fait l’objet de la seconde interrogation visant les facteurs de transformation. Comme le précisent Roussiau et Bonardi (2001), les recherches explicitement rattachées à l’origine des évolutions représentationnelles utilisent la plupart du temps des variables indépendantes invoquées telles que les pratiques sociales ou l’idéologie. Les travaux réalisés sous cette perspective montrent alors des représentations différenciées lorsque ces variables sont expérimentées. En ce qui nous concerne, nous nous pencherons plus particulièrement sur les pratiques sociales comme facteurs déterminants des représentations sociales. Nous considérons en effet celles-ci comme levier de changement tout à fait privilégié notamment lorsqu’elles se portent en direction du système central de la représentation (Bonardi et Roussiau, 2000). De l’avis de Abric, citant Amério (1991), si les représentations sociales sont déterminées par des normes, valeurs, idéologies ou autres, elles le sont aussi par l’ensemble des conduites des acteurs sociaux car « l’action est un attribut nécessaire du sujet connaissant […] un instrument concret pour faire et une dimension qui participe constamment à l’élaboration des cognitions » (p. III).

Les pratiques sociales sont généralement transposées en laboratoire via la théorie de l’engagement (Kiesler, 1971). Ce paradigme suggère d’obtenir de la part d’une personne la réalisation d’un acte qui prélude à un changement cognitif et/ou comportemental (Joule & Beauvois, 1998) ; la finalité étant de faire agir la personne selon un facteur de réalisation interne. Nous ajouterons que les situations expérimentales nécessaires à l’obtention des ces effets s’inscrivent dans le paradigme de la soumission librement consentie (id.).

L’étude de la dynamique représentationnelle réalisée sous cet angle est particulièrement pertinente lorsqu’elle se cadre dans la perspective théorique du noyau central. L’idée est donc d’envisager que des actes engageant l’individu par rapport aux opinions qui composent sa représentation « ont été substitués, comme moteurs du changement représentationnel, aux pratiques sociales réelles » (Roussiau et Bonardi, 2001, p. 212). Ce protocole traduit la transposition de la réalité (les pratiques sociales) au laboratoire (actes engageants).

Pour ce qui concerne notre étude, nous tiendrons alors pour vraisemblable que d’une situation d’induction au changement portée sur une représentation d’un univers social donné, découlent des effets socio-cognitifs portant sur d’autres représentations constitutives de cet univers social.

Hypothèses

Des divers aspects théoriques retenus, découlent les hypothèses générales suivantes :

H1- De par la place qu’occupent les trois objets soumis à l’étude dans la réalité sociale, nous nous attendons à observer des combinaisons sémantiques entre les trois représentations qui en découlent.

H2- Relativement à l’impact de l’acte engageant, ne ciblant qu’une seule des trois représentations, on prévoit des modifications sur cette représentation.

H3- Dans la perspective d’un fonctionnement transversal, la transformation représentationnelle obtenue devrait se répercuter sur les deux autres représentations connexes.

Opérationnellement, l’évolution des représentations est mesurée dans le temps à l’aide d’un plan expérimental composé de deux phases d’analyse représentationnelle : un premier « test » (temps T1), puis quatre semaines plus tard un second test, ou « post-test » (temps T2) juste après la manipulation expérimentale.

Comme nous l’avons évoqué, la complexité structurale d’une représentation autorise des prédictions différenciées en fonction de la nature des éléments représentationnels (Bonardi et Roussiau, 2000). Ces derniers faisant l’objet de nos variables dépendantes, nous supposons que les éléments du système périphérique bougent d’avantage que ceux du système central ; ces évolutions ressortiront alors de l’analyse comparative du « test » et du « post-test » qui sera axée tant sur le niveau intra-représentationnel que inter-représentationnel.

II. Déroulement de la recherche

Les objets de représentation

L’analyse représentationnelle a porté sur les trois objets suivants : les droits de l’Homme, la démocratie et les institutions. Appartenant à l’univers socio-politique, nous considérons que ces trois objets sont potentiellement connexes et peuvent constituer un univers représentationnel singulier ; il s’agit là d’objets largement idéologiques chargés de significations symboliques, historiques et culturelles. De l’avis de Doise (2001), les droits de l’Homme illustrent en effet, en leurs points les plus forts, les contrats sociaux qui guident les interactions humaines. Pour notre société, ces interactions s’inscrivent dans un système de pouvoir démocratique. Dès lors, les organes institutionnels tiennent lieu d’instances médiatrices et régulatrices de ces systèmes d’interaction.

Méthode

En ce qui concerne le recueil des données relatives au contenu des représentations, nous avons choisi la méthode associative, et en particulier l’association libre parmi les modalités proposées par celle-ci. Cette technique permet d’explorer les significations spontanées face à l’objet de représentation ; elle est alors particulièrement adaptée à la mise en évidence de catégories cognitives sur le plan de leur organisation et de leur systématisation par les sujets (Abric, 1994). L’intérêt de cette technique se trouve enfin également dans sa capacité à pointer « les mécanismes d’approbation sociale » (Amerio et De Piccoli, 1990, p. 389).

Pour notre recherche figuraient alors sur le questionnaire soumis aux échantillons les trois mots inducteurs des trois objets de représentation (le questionnaire fut construit de manière contrebalancé). Les sujets ont ainsi répondu aux questions suivantes : 1) Que vous vient-il à l’esprit lorsque l’on évoque les termes de « droits de l’Homme » ? ; 2) […] de « démocratie » ? ; 3) […] d’ « institutions » ? Pour chacune de ces trois questions, il leur était demandé de donner entre trois et cinq mots, et parmi ceux-ci de souligner les deux mots qu’ils estimaient être les plus importants.

S’agissant de l’observation des phénomènes évolutifs susceptibles d’affecter les représentations étudiées, nous avons choisi une analyse diachronique permettant de contrôler les changements représentationnels. Les questionnaires ont donc été soumis à deux reprises ; la situation même d’induction au changement a donc été provoquée quatre semaines après la première passation des questionnaires, et précédait immédiatement la seconde passation.

Cette situation d’induction au changement s’est traduite par la présentation d’une pétition à signer (cf. annexe 1). De cette dernière émanait une certaine mise en question de la représentation cible afin d’avoir les conditions les plus propices pour un changement représentationnel (nous avons choisi de nous centrer sur la représentation des droits de l’Homme, et plus spécifiquement sur son système central). Dans le but de maximiser l’engagement des sujets dans l’acte accompli, nous avons donné à cet engagement un caractère individuel, libre et public. Par ailleurs, la pétition était issue d’une association présente dans toutes les grandes villes de France : sa représentativité était ainsi assurée. Les sujets devaient alors porter sur cette pétition leurs nom, prénom et signature, ce qui nous permettrait de suivre les sujets dans le temps.

Déroulement

La première intervention s’est réalisée sur le motif d’une étude universitaire portant sur les représentations sociales des droits de l’Homme, de la démocratie et des institutions. Nous sollicitions ainsi une population d’étudiants qui, par leur participation, permettrait de mener à bien cette recherche. Chaque sujet recevait un questionnaire d’association libre. Nous précisions que ce questionnaire n’était pas anonyme pour cause d’éventuelles recherches ultérieures, mais que l’éthique de la recherche en garantissait la confidentialité. Nous rendions également évident que nos intentions étaient extérieures à toute forme d’évaluation.

Quatre semaines plus tard, pour la phase expérimentale à proprement parlé, nous avons donné connaissance de la pétition à ces mêmes étudiants. Dans le cadre de la recherche initiale portant entre autre sur les droits de l’Homme, une association, dont était censée émaner la pétition, nous avait contacté via une enseignante de l’université qui en était membre, pour diffuser cette pétition auprès du plus grand nombre possible d’étudiants (la pétition portait entête et localisation fictives de l’association).  Nous insistions sur le fait que cette association, nommée l’A.L.E.C (Association pour la liberté d’expression citoyenne), travaillait régulièrement sur des expressions publiques de grande envergure portant sur des faits de société importants. Nous expliquions alors qu’en prévision d’une réunion portant sur les projets de réforme des droits de l’Homme, et regroupant les délégués européens des différents états membres, l’association travaillait tout particulièrement sur ce thème. Après la présentation de cette pétition et de l’association, nous précisions qu’étant en accord avec le travail et la politique de cette association, nous avions répondu de manière favorable à la demande de collaboration ; les groupes dans lesquels nous étions intervenus une première fois étaient alors une opportunité pour faire circuler cette pétition, qui par ailleurs allait l’être dans d’autres lieux.

Une fois la pétition distribuée, lue avec les étudiants puis relevée (signée ou non), sans autre commentaire, on proposait une nouvelle tâche présentée comme distincte de la première. Celle-ci était en réalité la même que celle du premier temps expérimental ; sous prétexte d’erreur dans le traitement de leurs premières productions, il nous fallait leur soumettre à nouveau le questionnaire d’association libre pour mener à bien notre recherche. Les questionnaires étaient alors distribués à nouveau puis relevés une fois remplis, et les étudiants remerciés pour leur participation.

A l’issue des interventions que nous avons effectuées lors de cours universitaires (de niveau Deug 1 et 2 ; ce qui nous a permis de nous concentrer sur des étudiants de 18 à 25 ans), nous avons retenu 76 personnes sur 95 questionnaires distribués : une dizaine d’étudiants n’ont pas signé la pétition ; les autres, pour cause d’absence, ne relevaient que d’une seule passation.

Modalité de traitement des données

En ce qui concerne la technique d’association libre, parmi les types d’analyse permettant de la traiter, nous avons choisi l’analyse prototypique développée par Vergès (1992). Il s’agit dans un premier temps de dégager l’organisation du contenu de la représentation (on détermine ainsi, les éléments organisateurs, donc centraux). Pour ce faire, il faudra tenir compte simultanément de la fréquence du mot et de son rang d’apparition au sein de la liste de mots produits par le sujet pour le mot inducteur. Il est important de rappeler que cette méthode a une valeur essentiellement descriptive et exploratoire.

Le croisement du rang d’apparition des évocations avec la fréquence de ces évocations conduit à délimiter quatre zones dans lesquelles se regroupent les mots associés à l’inducteur de départ. La signification affectée à ces zones est reliée à la conception théorique du noyau central qui attribue une plus grande importance à certains groupes d’éléments qu’à d’autres. C’est pourquoi nous serons en mesure d’avancer que la « zone 1 » rassemble les éléments forts de la représentation. Comme ils appartiennent aux éléments les plus importants pour le sujet, ils relèveraient du noyau central. Dans cette zone, les mots sont fréquents avec un rang d’apparition faible. A l’opposé, la « zone 4 » abriterait les éléments de périphérie extrême ; autrement dit les éléments faibles de la représentation : les mots y sont rarement cités et en dernière position. Les deux autres zones sont également de la périphérie, cependant elles présentent une certaine ambiguïté : dans la « zone 2 », les mots sont souvent cités bien que leur rang d’apparition soit élevé et inversement pour la « zone 3 ». Ainsi, pour Vergès, ces deux zones sont à considérer comme « zones potentiellement déséquilibrantes, source de changement » (1994, p. 238), en ce sens où elles illustreraient une interaction se produisant entre le système central et le système périphérique. Néanmoins, les items de la « zone 2 » (à fréquence élevée) correspondent mieux que ceux de la « zone 3 » à une hypothèse de changement car l’élément périphérique saillant est un thème nouveau dans une représentation sociale en changement.

Notre objectif étant de dégager la dimension consensuelle des représentations étudiées  ainsi que leur évolution, nous n’avons pas eu recours à l’analyse catégorielle (cette étape vise le regroupement des termes sémantiquement proches), généralement associée à l’analyse prototypique. Dans le questionnaire d’association libre nous demandions, en revanche, aux sujets de souligner, parmi les mots produits, les deux qu’ils estimaient être les plus importants. Cela représente en fait, un indice renforçant l’analyse prototypique. Ces mots sont également appréhendés par analyse prototypique, qui précise la zone d’apparition des mots les plus fréquemment soulignés ainsi que leur fréquence d’apparition et leur rang moyen d’apparition. Finalement, le croisement de ces trois critères de fréquence d’apparition, rang d’apparition et mots sélectionnés par les sujets nous permettent bien de repérer les items organisant la représentation sociale.

Enfin, ces éléments méthodologiques croisés aux points théoriques relatifs aux transformations des représentations sociales, devaient nous faire relever, pour la construction de la pétition, un élément central d’une seule représentation, donc situé en « zone 1 » de l’analyse prototypique, renforcé par l’analyse des mots soulignés. Par ailleurs, cet élément ne devait pas se retrouver dans les zones centrales des deux autres représentations ; cela afin de pouvoir déterminer si l’impact prévu se répercuter sur elles illustre, ou non, un phénomène d’inter-dépendance.

III. Résultats

Première phase d’analyse

a. Mesure représentationnelle portant sur la centralité des trois représentations sociales

  

 RS

  ZC

Droits de l’Homme

Démocratie

Institutions

GE1

Egalité         (71 – 1,91)

Liberté         (55 – 1,92)

Respect        (48 – 2,29)

Liberté         (55 – 1,76)

Droits            (22 – 2,40)

Peuple          (18 – 2,55)

Vote             (15 – 2,46)

Organisation    (18 – 1,66)

Règles              (23 – 2,17)

Ecole                (13 – 2,07)

Politique           (14 – 2,27)

Etat (11 – 1,72)

Justice              (10 – 2,40)

Rang moyen

2,6

2,6

2,5

Mots soulignés (en Zone 1)

Egalité          (56 – 1,12)

Liberté         (36 – 1,63)

Respect        (23 – 1,91)

Liberté         (34 – 1,52)

Droits           (12 – 2,16)

Peuple            (8 – 2,50)

+ Egalité

            (20 – 2,20) en Z2

Organisation    (14 – 1,57)

Règles              (11 – 1,92)

Etat  (9 – 1,88)

Justice                (9 – 2,11)

Politique            (8 – 1,75)

Tableau 1. Analyses prototypiques du système central et des mots soulignés.

Ce premier tableau présentant le système central des trois représentations révèle les grandes lignes organisatrices de ces représentations. Nous soulignerons ainsi, les aspects suivants :

- Tout d’abord, les droits de l’Homme et la démocratie donnent à voir des représentations relativement bien structurées. Rappelons que cet échantillon est constitué de 76 sujets. Ainsi, la très grande fréquence des items Egalité, Liberté et Respect pour la représentation des droits de l’Homme en fait incontestablement les items organisateurs de la représentation ; ils traduisent ainsi ce que Doise (2001) appelle des « idées-forces ». Ils présentent par ailleurs, un faible rang d’apparition et se retrouvent enfin avec la même prédominance dans les mots soulignés, donc considérés comme les plus importants. Cela nous mène à penser, en écho à la devise de l’Etat français, que ces références ont le statut de valeurs identitaires pour un objet aussi fortement chargé en matière de société.

- La représentation de la démocratie s’organise également autour d’items forts – notons la présence d’Egalité en zone 2, dans les mots soulignés – qui sont certes plus nombreux mais reliés par une certaine force associative. Nous suggérons ici que les items Liberté, Droit, Peuple, Vote et Egalité sont à considérer comme les valeurs caractérisant la démocratie dans son acceptation pragmatique.

- La représentation des institutions révèle une moindre organisation. Cependant, là encore, une certaine force associative (notamment entre les items Organisation et Règles puis Politique, Etat et Justice) structure la représentation selon certaines grandes lignes directrices qui évoquent bien la matérialité des organes institutionnels.

Maintenant, en terme de liens entre ces représentations et en ce qui concerne le seul système central, on peut d’abord remarquer des convergences dans la représentation des droits de l’Homme et de la démocratie. On notera alors tout particulièrement la présence de l’item Liberté dans ces deux représentations, révélant toute sa valeur de par la même place prépondérante qu’il occupe (mêmes fréquences de 55 et rangs proches : 1,92/1,76). Cette même référence traduit à elle seule tout ce qui unit ces deux représentations qui ne peuvent faire l’économie de ce principe caractéristique des pays démocratiques : « nous sommes tous libres et égaux en droits… » cela nous guide dans la poursuite de notre lecture. Effectivement, même s’il n’apparaît pas dans le système central, l’item Egalité, comme nous l’avons dit,est une référence majeure pour la représentation de la démocratie (il est souligné 20 fois, avec un rang d’apparition de 2,20) ; puis vient enfin la référence à nos Droits (fréquence de 21 ; rang de 2,38) que nous avons tous en tant que citoyen ; c’est alors que l’on peut glisser vers la représentation des institutions, bien qu’elle offre moins de possibilités d’articulation. Ce sont bien les institutions qui permettent la mise en œuvre de ces droits. C’est alors sous cet angle que sont à entendre les items Organisation/Règles ainsi que Politique/Etat/Justice. Cela nous amène finalement à voir que les droits de l’Homme et la démocratie se présentent comme dépositaires des grandes valeurs et principes identitaires de l’état français qui se traduisent dans sa constitution même. Les institutions, garants de l’application de ces principes, se posent alors comme le versant instrumental de ces contenus de pensée.

b. Construction de l’acte engageant : choix de l’item représentationnel

Aux vues des caractéristiques structurales et fonctionnelles des représentations sociales, nous avons choisi, pour la construction de l’acte engageant, de mettre en avant un élément central de la représentation des droits de l’Homme. D’abord, et comme le suggèrent Rouquette et Rateau (1998), une induction au changement aura plus d’impact s’il elle porte sur une seule représentation : « l’implication d’un facteur de transformation doit apparaître comme spécifique et limitée dans l’ensemble de l’univers social » (p. 115). Ensuite, nous voulions considérer, contrairement aux résultats habituellement obtenus dans ce domaine, qu’un acte engageant entraînait autant de modifications représentationnelles, sinon plus, lorsqu’il visait un élément central de la représentation cible (Bonardi et Roussiau, 2000). Ces attendus théoriques nous ont conduits à retenir l’item Respect pour la construction de la pétition, parmi les items du système central qui se sont dégagés de la première analyse structurale de la représentation des droits de l’Homme (cf. Tableau 1). Ainsi, l’item Liberté présent dans la zone centrale de la représentation de la démocratie (avec une fréquence d’apparition de 55 et un rang moyen de 1,76) a directement été exclu. L’item Egalité, se retrouve pour sa part dans l’analyse prototypique des mots soulignés de cette même représentation (il est cité 20 fois avec un rang de 2,20), révélant ainsi une place prépondérante parmi les éléments représentationnels. Restait alors l’item Respect.

Seconde phase d’analyse

a. Mesure représentationnelle portant sur la centralité des trois représentations sociales

                

                  RS

    ZC

Droits de l’Homme

Démocratie

Institutions

GE1

Egalité         (71 – 1,91)

Liberté         (55 – 1,92)

Respect        (48 – 2,29)

Liberté         (55 – 1,76)

Droits            (22 – 2,40)

Peuple          (18 – 2,55)

Vote             (15 – 2,46)

Organisation    (18 – 1,66)

Règles              (23 – 2,17)

Ecole                (13 – 2,07)

Politique           (14 – 2,27)

Etat                   (11 – 1,72)

Justice              (10 – 2,40)

Rang moyen

2,6

2,6

2,5

Mots soulignés (en Zone 1)

Egalité          (56 – 1,12)

Liberté         (36 – 1,63)

Respect        (23 – 1,91)

Liberté         (34 – 1,52)

Droits           (12 – 2,16)

Peuple            (8 – 2,50)

+ Egalité

            (20 – 2,20) en Z2

Organisation    (14 – 1,57)

Règles              (11 – 1,92)

Etat                    (9 – 1,88)

Justice                (9 – 2,11)

Politique            (8 – 1,75)

Tableau 2. Analyses prototypiques du système central et des mots soulignés.

Ce tableau présentant l’évolution représentationnelle des systèmes centraux suite à l’impact de l’acte engageant, nous permet d’avancer les remarques suivantes :

- Il y a un affaiblissement de la prépondérance des items centraux de la représentation des droits de l’Homme : d’abord, l’item Respect, support de l’acte engageant, n’apparaît plus dans la zone centrale (nous le retrouvons toutefois dans l’analyse des mots soulignés avec une fréquence d’apparition de 18 et un rang moyen de 2,22). Ensuite, les deux autres items, Egalité et Liberté, perdent en fréquence (58 et 51 contre 71 et 55 pour la première mesure) ; le rang moyen de l’item Egalité passe également de 1,91 à  2,08. Ces deux items référencés, organisateurs de la représentation, se posent tout de même comme valeurs encore largement prédominantes pour les droits de l’Homme. 

- Pour la représentation de la démocratie, nous retrouvons les quatre mêmes items de la première mesure représentationnelle ; ces items gardent sensiblement leur rang moyen d’apparition, par contre, ils perdent tous en fréquence d’apparition. C’est alors qu’il faut voir l’arrivée d’un nouvel item : Liberté d’expression avec une fréquence d’apparition de 10 et un rang de 1,80. Cet item est évidemment en étroit lien avec l’item Liberté mais il nous fera ici rappeler davantage le nom de l’association censée diffuser la pétition pour l’acte engageant : « association pour la liberté d’expression citoyenne ». Pour l’analyse des mots soulignés, nous noterons particulièrement, la disparition de Peuple, qui semble avoir été remplacé par l’items Respect (fréquence de 12 ; rang de 2,50). La présence des deux nouveaux items - et ici, valeurs également - nous conduit à voir les items centraux de la première mesure selon une vision plus globale de la démocratie, en lien plus étroit avec les droits de l’Homme.

- La représentation des institutions semble être celle qui a le plus bougé. Nous retrouvons les quatre items présents dans la première mesure : Politique, Règles, Ecole et Organisation. Cependant, le premier item gagne en fréquence d’apparition pendant que les trois autres perdent plusieurs places notables (notamment l’item Règles, qui passe d’une fréquence d’apparition de 23 à 14). Ensuite, il faut remarquer la disparition du système central, comme des mots soulignés, de deux items : Etat et Justice, qui semblent ici avoir été remplacés par l’item Lois avec une fréquence de 10 et un rang de 2,10 (on le retrouve également dans les mots soulignés). On peut alors constater le renforcement de la dimension instrumentale des institutions.         

A cette première étape d’analyse et, aux vues des nombreuses modifications enregistrées au sein des trois systèmes centraux, nous pouvons déjà dire sans prendre trop de risque que l’acte engageant soumis aux sujets, a bien engendré de réels impacts sur l’univers représentationnel étudié. Des modifications se sont produites au sein de la représentation des droits de l’Homme, mais également au sein des représentations de la démocratie et des institutions. Concernant les résonances sémantiques, initialement relevées entre les trois représentations, nous pouvons dire qu’elles figurent encore après manipulation expérimentale, mais sous un autre agencement. C’est alors qu’il vient à propos d’analyser ce qui se passe du côté du système périphérique et notamment des zones potentielles de changement (zone 2 et 3). Relativement à nos hypothèses, cela pourra nous permettre de comprendre ce maintient général des références centrales des trois représentations qui acceptent par ailleurs, des mouvements spécifiques d’items à un niveau intra et inter-représentationnel. Ce phénomène relève d’un découpage particulier de la réalité sociale.

b. Analyse des systèmes périphériques

GE2

Droits de l’Homme

Démocratie

Institutions

Z2

Respect      (35 – 2,68)

Droits         (15 – 2,86)

Fraternité   (17 – 3,29)

Devoirs      (14 – 3,78)

Z1    

 -

 -

 -

Egalité        (30 – 2,66)

Respect      (17 – 2,94)

Devoirs      (11 – 3,09)

Fraternité   (10 – 3,70)

 -

 -

 -

Z4

Droits                 (10 – 2,50)

Lois  (21 – 2,61)

Z3

Z3

Lois              (6 – 2,16)

Expression  (5 – 2,60)

Solidarité     (5 – 2,60)

Protection    (3 – 2,33)

Déclaration (3 – 2,33)

Universel     (3 – 1,33)

Z4

Z4

Z4

Droit            (9 – 1,66)

de vote

Election       (5 – 1,88)

Pouvoir        (4 – 1,75)

Parlement   (3 – 2,33)

...

Liberté         (8 – 1,62) 

d’expression

Liberté         (5 – 1,80)

de pensée

Règles               (3 – 2) 

République   (6 – 2,50)

 -

 -

Z4

Liberté                (6 – 2,33)

Administration     (5 – 2,20)

Démocratie               (4 – 2)

Justice     (4 – 2)

Cadre(3 – 2,33)

Nécessaire           (3 – 2,33)

Religieuse           (3 – 2,33)

Encadrement      (3 – 3,20)

Droits(9 – 2,11)

Devoirs                (5 – 2,40)

Norme     (4 – 2)

Parlement            (3 – 1,33)

République               (3 – 1)

Travail                 (3 – 1,66)

Principes             (3 – 2,33)

 -

Z4

Z1

Z4

Tolérance     (8 – 3,12)

Justice          (8 – 3,25)

Citoyen        (6 – 3,33)

Démocratie       (5 – 3)

Droit            (4 – 3,25)

de vote

Dignité         (3 – 3,33)

Universel          (3 – 4)

Lois              (9 – 2,66)

Paix             (9 – 3,66)

Protection        (4 – 3)

Solidarité     (3 – 4,33)

 -

 -

 -

 -

 -

Z3

Politique      (7 – 2,85)

Citoyen        (8 – 3,12)

Expression   (7 – 3,57)

Choix           (7 – 3,71)

République  (6 – 3,50)

Lois              (4 – 3,25)

Droits de           (4 – 3)

l’Homme   

Pouvoir        (6 – 3,16)

France              (8 – 3)

Fraternité    (7 – 3,71)

Justice          (4 – 2,75)

  -

  -

  -

  -

 Z3

  -

Famille                 (8 – 2,62)

Pouvoir                (7 – 2,57)

Etat    (7 – 3,42)

Devoirs                (6 – 2,83)

Gouvernement     (5 – 2,60)

Respect                (4 – 3,75)

Publique               (3 – 2,63)

Eglise     (3 – 3)

Groupe   (3 – 3)

Hiérarchie               (3 – 3)

République               (3 – 3)

Société                 (6 – 2,50)

Bureaucratie        (5 – 2,60)

Démocratie          (5 – 2,80)

 -

 -

Z1

Z3

 -

 -

 -

 -

Z3

Tableau 3. Analyses prototypiques du système périphérique des trois représentations.

La lecture de ce tableau s’effectue de la manière suivante : les mots en gras sont des mots nouveaux pour la représentation ; les mots en italique sont les mots qui ont disparu de la première mesure ; la « zone » qui s’inscrit en face d’un mot est la zone de provenance de l’item qui a migré ; enfin, un simple tiret pour les mots occupant la même place qu’en première mesure représentationnelle.

Nous relèverons particulièrement les points suivants :

- Tout d’abord, on remarque que les zones 2 des représentations des droits de l’Homme et de la démocratie viennent renforcer les zones centrales : pour la première, s’exprime ainsi clairement la référence à la devise de l’Etat français conjointement aux droits et devoirs que reçoit – au moins en principe - chaque citoyen de cet état. On retrouve, par ailleurs, le même contenu pour la démocratie : ainsi la présence de Respect, Devoirs et Fraternité en zone 2 (Droit se retrouve par proximité sémantique en zone 3 avec l’item Droit de vote). Ces associations sémantiques vont bien dans le sens de la théorie d’analyse des représentations sociales. Les zones potentielles de changement sont bien constituées d’éléments en interaction avec le système central susceptibles de lui faire adopter ou non une nouvelle orientation. Pour ces raisons, nous porterons un intérêt tout particulier aux items qui ont migré dans cette zone ou, au contraire, en sont partis suite à la phase expérimentale : ainsi, concernant les trois représentations, les items Respect, Fraternité, Droits et Lois. La référence aux droits se retrouve alors pour la représentation des institutions comme nouvel item de la zone 2, resserrant ainsi les trois objets sociaux. Pour aller dans ce sens et en restant dans les zones potentielles de changement, on remarquera la présence de Démocratie venant de la zone 4, pour la représentation des institutions ; mais aussi de la présence du nouvel item Egalité. On notera également l’item Parlement en zone 3 de la démocratie, pour un rapprochement avec les institutions et l’item Expression pour la représentation des droits de l’Homme soulignant ainsi la disparition de Liberté d’expression de la zone 3 de la démocratie. Enfin, on observe que la zone 3 des droits de l’Homme est totalement modifiée ; elle présente deux nouveaux items et trois autres provenant de la zone 4, semblant ainsi suractiver ces éléments.

En ce qui concerne la zone 4, la lecture se complexifie. Les items présents dans cette zone sont, de manière générale, les mêmes qu’en première mesure, à ceci près qu’ils ont été réduits quasiment de moitié pour la représentation des droits de l’Homme et de la démocratie. Ces items qu’on ne retrouve plus dans cette zone, sont en fait ceux-là mêmes que nous avons repérés comme items migrants dans les autres zones représentationnelles, et notamment la zone 3 des trois représentations. Enfin, on remarque à nouveau une certaine force associative entre les items de cette zone ; par contre, excepté l’item Citoyen,on ne note aucun partage d’items entre les trois représentations. La variabilité individuelle caractéristique de cette zone de périphérie extrême semble alors s’illustrer ici.

IV. Synthese et discussion des résultats

Par confrontation à nos hypothèses, quelques remarques s’imposent ici :

- Comme nous nous y attendions (H1), des correspondances sémantiques s’observent entre les trois représentations. Elles se sont traduites par des convergences lexicales, principalement pour les représentations des droits de l’Homme et de la démocratie, puis par association sémantique, de manière plus générale, pour les trois représentations. La référence à des mêmes valeurs communes qui est ressortie de l’agencement de ces trois représentations nous a permis de montrer qu’une composante symbolique attachée à la représentation des droits de l’Homme et de la démocratie (liberté, égalité…) semble entraîner une certaine idée des droits et devoirs permis par ce que mettent à disposition les organes institutionnels : un cadre, une organisation, des règles, des instances de pouvoir…

- Notre seconde hypothèse (H2) suggérait que la représentation des droits de l’Homme subisse des modifications. Nous en avons principalement repéré au sein du système périphérique, ce qui conforte les attendus théoriques de la perspective du noyau central. Nous pouvons ainsi penser à un effet d’ancrage, car comme le suggère Guimelli (1999), les modifications du système périphérique expriment « l’intégration des informations nouvelles et les données des expériences individuelles plus ou moins différenciées par rapport à l’objet » (p. 91). Cependant, nous avons également repéré des modifications dans le système central : c’est alors l’item support de l’acte engageant qui a migré vers la zone potentielle de changement (zone 2). Pour statuer sur la nature de l’évolution (progressive ; circonstancielle…) il nous faudra, à l’avenir, approfondir les techniques d’analyses et favoriser des approches longitudinales.

- Pour la répercussion de l’impact de ces modifications (H3) sur les deux autres représentations connexes, nous ne reviendrons pas dans le détail des évolutions représentationnelles qui se sont opérées ; par contre nous pouvons souligner les effets de communication (Moscovici, 1986) qui se sont produits à travers la situation d’induction au changement. De fait, les éléments représentationnels qui ont le plus bougé pour les trois représentations – et ce, tant au sein du système central que périphérique – sont des éléments qui apparaissaient clairement dans le texte de présentation de la pétition ainsi que dans le discours oral de présentation de l’association dont elle émanait (voir particulièrement les items Respect, Egalité, Expression, Déclaration, Droit de vote, Lois etc.). Ces structurations ainsi obtenues nous mènent à évoquer Jodelet (1991) qui rappelle bien que celles-ci « doivent être rapportées non à des fonctionnements intra-individuels mais à la communication et à la vie sociale » (p. 30).

Cette mise à jour de la combinatoire des trois représentations sociales nous amène enfin à nous poser la question de l’idéologie. Bien que celle-ci ai peut de consistance théorique (Rouquette, 1996), la psychologie sociale lui attribue généralement cette fonction de mise en relation de plusieurs représentations. Par les connexions spécifiques qu’elle autorise, l’idéologie régulerait la perception de notre environnement social selon des critères de légitimité et d’utilité sociale. L’idéologie rassemblerait alors « aussi bien des croyances, des valeurs, des attitudes et des comportements que des façons de penser qui font l’objet d’un accord au point de constituer un ensemble de norme pour une société […] » (id., p. 165).

Aux vues de la nature du champ social étudié dans ce travail, on ne peut faire l’économie de cette notion et on se posera en conséquence la question de savoir en quoi un processus idéologique peut jouer sur l’agencement de ces trois représentations, et comment il s’exprime à travers leur évolution. Cela nous permet bien de mettre au cœur du débat toute la sociabilité des représentations sociales.

V. Conclusion

Partant de l’idée que des représentations peuvent être liées dans un même univers social et fonctionner de manière transversale, nous avons montré dans ce travail que les trois représentations étudiées tiennent ensemble. Maintenant, la méthodologie employée (modalités de recueil et de traitement des données), comme nous l’avons déjà évoqué, ne nous permet pas d’avancer des facteurs explicatifs à l’observation de ce phénomène. En revanche, nous retiendrons que ce travail a permis de poser les bases pour une réflexion d’avantage axée sur les dynamiques de fonctionnement inter-représentationnel, faisant souvent défaut dans les études sur les représentations sociales. Ce travail a également fourni quelques stimulations pour approfondir l’idée selon laquelle chaque objet représentationnel qui acquiert un sens en relation à d’autres objets traduit un découpage du réel émanant d’un certain enchassement idéologique, selon la définition que nous venons d’en proposer. Pour conclure, et à la suite d’une observation déjà soulignée par Roussiau et Bonardi (2001), nous nous poserons la question suivante : si l’on envisage qu’une représentation puisse fonctionner comme une totalité organisée, peut-on supposer que plusieurs représentations sociales peuvent probablement aussi composer, à un autre niveau, une totalité organisée ? 

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