N°11 / Le caractère national Juillet 2007

Le caractère national allemand fondement identitaire français

Marie Ducet-Huillard

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Lorsque l’on se penche sur les représentations françaises de l’Allemagne au sortir de la Seconde Guerre mondiale, force est de constater que les analystes déterminent très vite une spécificité germanique, une « germanité » qui place le peuple allemand à part. Ces études françaises s’appuient bien évidemment sur un jugement éthique, implicite, lié à l’horreur des camps de concentration et du processus d’extermination.

De 1945 au début des années 1950, de très nombreux ouvrages paraissent en France sur l’Allemagne et mettent en lumière le caractère national allemand qu’ils nomment « l’âme allemande ». Le choix même du vocable « âme » révèle le double aspect de l’étude menée sur l’Allemand, entité collective, à la fois principe de sensibilité, de pensée et principe de conscience morale.

Mon intervention tentera de relever tout d’abord les caractéristiques que l’on donne en France à l’âme allemande, en les éclairant de quelques exemples. Ensuite il faut s’interroger sur les enjeux de ces discours identitaires. Il semble que ces discours sont en France, de 1945 au début des années 1950, le signe d’une crise identitaire majeure dont je mettrais en lumière les signes. Enfin, je chercherai à montrer qu’en raison même de cette crise identitaire en France, émerge un second discours qui définit par un jeu de miroir « l‘âme française ».

 « Une âme allemande »

Le point de départ du regard français sur l’Allemagne est la volonté de comprendre comment l’hitlérisme a été possible. Les analystes français s’appuient dans une première approche sur l’histoire. L’histoire allemande est décrite comme suite déterminée et continue qui aboutit, presque logiquement, au nazisme.

Ce déterminisme historique est un élément essentiel pour saisir dès à présent l’aspect fantasmé  du discours identitaire. Il est reconstruction de la mémoire de soi comme de l’autre.

Ainsi Ariel, un auteur qui écrit sous un pseudonyme en 1945 affirme ainsi que la religiosité promue par Luther qu’il qualifie d’« irrationnelle » fonde les théories racistes du IIIème Reich :

“ Hitler est le fils adoptif de Luther.”1

Comme l'argument historique ne peut, seul, rendre compte et expliquer l'émergence du nazisme et de sa barbarie, les auteurs cherchent à comprendre pourquoi le nazisme est apparu en Allemagne et non ailleurs. La spécificité est cette fois psychologique.

Dès lors, c’est un sorte de crescendo qui apparaît dans la caractérisation de l’âme allemande : elle est tour à tour et à la fois étrange, orgueilleuse, diabolique, et finalement fondamentalement dangereuse.

Etrange Allemagne

Ici l’altérité devient étrangeté :

“une énigme”2, “cette secrète Allemagne”3

constatent l’essayiste Henri Berr et l’historien J. Droz. Mais pour de très nombreux auteurs l’Allemagne est surtout contradictoire car duale : bonne et mauvaise à la fois. Tout une réflexion a lieu sur l’existence simultanée ou diachronique de la bonne et de la mauvais Allemagne.

Ceci est , en fait, significatif de la difficulté de penser l’Allemagne après 1945. Elle est à la fois l’altérité culturelle et scientifique que l’on admire ; elle est aussi cette puissance économique et politique que l’on redoute ; elle est aussi cette barbare que l’on exècre.

Orgueilleuse Allemagne

Deux aspects sont soulignés ici à la fois la démesure germanique et son orgueil à proprement parler. La démesure affirmée donne lieu notamment à des descriptions de la « goinfrerie » germanique (!).

“Dans le programme de la journée, côté masculin, la beuverie joue un rôle tout à fait prépondérant. ”4

Mais c’est l’orgueil qui inquiète surtout les essayistes. Ainsi le germaniste Robert d’Harcourt note sa permanence historique :

“L'orgueil est le fil rouge conducteur à travers toute l'histoire moderne de l'Allemagne.”5

En outre, l'orgueil allemand donne lieu à une volonté d'hégémonie et a pour corollaire un sentiment de supériorité constant. On opère donc un glissement : d’un caractère psychologique on arrive à une analyse politique ou géostratégique.

Diabolique Allemagne

C’est le point d’orgue de l’analyse psychologique de la voisine germanique. On considère, en effet, que ce pays a renié la civilisation ; c’est-à-dire celle de l'Occident dont la re­présentante la plus confirmée est la France. André Siegfried, dans un ouvrage au titre caractéristique, affirme :

“ [...] ce barbare, du reste fier de sa barbarie, ce fils lointain de l'Asie, n'a pas en lui la filiation classique issue de la Grèce et ne saurait en conséquence être considéré comme un Occidental cent pour cent. ”6

Les représentations françaises, si elles soulignent tout d'abord la complexité germanique, condamnent progressivement tout élément susceptible de faire partie de la spécificité de l'Allemagne. Son histoire est l'expression de son orgueil et de ses excès - qui s'avèrent dangereux pour les autres. Le jugement de cette voisine s'achève par son exclusion. Mise au ban de la civilisation au départ, du fait de son passé nazi, l'Allemagne est finalement rejetée pour elle même, sans plus aucune distinction historique ou morale. Entre les deux peuples, le fossé semble trop profond et la rupture définitive, après 1945. C'est exactement ce que souligne Albert Camus :

“ Et dans l'horreur que vous nous avez prodiguée pendant quatre ans, votre raison a autant de part que votre instinct. C'est pourquoi ma condamnation sera totale, vous êtes déjà mort à mes yeux. [...] Et malgré vous-mêmes, je vous garderai le nom d'homme. Pour être fidèle à notre foi, nous sommes forcés de respecter en vous ce que vous ne respectez pas chez les autres.”7

Dangereuse Allemagne

Dernier qualificatif de l’âme allemande, il se positionne dans une autre dimension de l’analyse. Les trois premiers s’appuyaient sur une réflexion éthique, celui-là met en lumière les enjeux politiques. Cet argument est de plus instrumentalisé car il sert d'hypothèse à toute politique à l'égard de l'Allemagne. Les Français insistent de manière très forte à la fois sur l’Allemagne dangereuse depuis toujours - et on retrouve ici la réflexion historique base de l’étude de l’âme - mais aussi ils insistent sur le danger potentiel qu’elle constitue.

Parmi ceux qui se font les chantres de la dangerosité allemande on ne peut pas ne pas citer le Général de Gaulle qui utilise cette thèse comme un leitmotiv :

“Depuis 145 ans, la France a été envahie à sept reprises différentes. Paris fut quatre fois occupé par l'ennemi.”8

La continuité historique est maintes fois soulignée, aussi la nature « éternelle » de l'âme allemande commande-t-elle la plus grande prudence. Ces analyses sont en corrélation avec l'image d'une Allemagne imprévisible, à l'histoire marquée par la permanence des « débordements » guerriers et par la volonté de domination. Il s'agit, pour beaucoup d'auteurs, de ne pas relâcher l'attention et la méfiance en France. C'est bien le sens que l'on peut donner au titre de l'ouvrage d'André Monnier-Zwingelstein en 1945 : La Prusse éternelle.9

Les auteurs n'hésitent pas à employer la dramatisation pour valoriser leurs positions et leurs descriptions apocalyptiques sont pléthores. Le titre même de l'ouvrage de l’homme de lettre de droite, Jean Bardanne en est tout à fait symptomatique : La guerre pour 1948 ?10

Avec l'apparition des tensions entre anciens alliés, beaucoup d'écrits stigmatisent un nouveau danger allemand. On se rend bien compte - sans toutefois toujours le dire - que l'Allemagne a été très affaiblie par le second conflit mondial. Elle ne peut reconstituer sa puissance qu'aidée. Aussi beaucoup redoutent-ils qu'elle utilise sa situation géographique médiane en Europe et sa position d'enjeu entre alliés pour reconquérir une place de choix en Europe à l'aide d'une des deux superpuissances.

Cette analyse du danger allemand concerne les années 1945-1948. La prise de conscience de l'impossible entente entre alliés d'hier y est sans doute pour beaucoup. Ceci explique l’émergence de l’idée qu’il pourrait y avoir collusion germano-soviétique ce qui constituerait le « nouveau » danger allemand.

Au delà de la définition d’une « germanité », c’est par un jeu de miroir que se définit la « francité ». Très souvent, au cours d’analyses de cette « âme » allemande, se dessinent les contours du caractère hexagonal

Le « caractère national allemand » catharsis de la crise identitaire française

Le terme « Autre » est ambigu ; il est à la fois ce qui est différent du « moi » mais aussi ce qui lui est semblable. Autrement dit, le terme recouvre une double acception : celle de l’opposition et de la similitude. Pour qu’une identité se construise, elle doit saisir cette double dimension de l’autre, comme le soulignent les études de psychologie sociale.

Aussi, l’identité collective française, telle qu’elle apparaît au travers de notre étude, laisse-t-elle percevoir cette tension entre les deux sens de « l’Autre ».

Si la prise en compte de l’altérité est une composante essentielle de l’élaboration du discours identitaire, cette élaboration se fait, parfois, au détriment d’une des deux significations. Or, ce qui est frappant dans la représentation française c’est l’univocité de l’altérité prise comme consubstantiellement différente. En effet, ce sont les traits distinctifs qui sont survalorisés, au détriment de ceux qui souligneraient la similitude. Ceci explique le leitmotiv de l’opposition absolue entre les deux voisines, leitmotiv qui tourne parfois à la caricature.

Ce sont, certes, la différence et l’opposition qui permettent de justifier l’existence.  Ariane Chebel d’Appollonia  insiste sur la nécessité existentielle, au sens propre, de l’opposition entre collectivités, au moins sur le mode du discours et de la représentation :

“Le moi et, par extension le nous se construisent par opposition à l'Autre, aux autres.”11

Or, l’objectif premier de ce discours du « spécifique » du national est une sorte de définition minimale de ce qui est commun au groupe. Il s’agit de créer ou de souligner une solidarité.

La représentation de l’Autre a, par conséquent, une fonction fondamentale ; elle permet à la communauté nationale de se définir, par la différence et ainsi de créer un sentiment, communément partagé, d’appartenance, par l’exclusion.

Cependant, ces définitions qui s’appuient sur l’exclusion n’apparaissent jamais aussi prégnantes que lorsque l’identité pose problème, précisément.

Ici, nous arrivons à un point central de notre réflexion, à savoir que toute l’analyse française sur la germanité est probablement le signe d’une crise identitaire française majeure, à l’instar de celle que l’Hexagone avait connu après 1870, mais sur des questionnements peut-être plus déstabilisants encore. L’émergence d’un discours « mythologique » dans les écrits français serait en réalité l’expression même de cette crise.

Pour Robert Frank, cette crise est liée à la fois à la découverte d’une faiblesse militaire qui fragilise l’univers mental des Français, mais aussi à la « désunion » nationale qui est apparue. En effet, seule des grandes puissances d’avant la Seconde Guerre mondiale à avoir connu pareille humiliation militaire en 1940, son univers de représentations s’effondre -  fondé, notamment, sur l’idée de grandeur - car sa politique a été rien moins qu’ambiguë pendant la guerre :

“En France, il y a bien eu des héros, des bourreaux, des martyrs, mais aucun des ces qualificatifs ne peut être retenu par la mémoire collective pour caractériser le peuple français pendant ces années tragiques. ”12

Etudiant l’opinion publique en France, Pierre Laborie note lui aussi une crise identitaire et, ce dès la fin des années 1930. Selon son étude c’est à partir de 1941 que l’on voit émerger un sentiment de rejet de l’Allemagne. Dès lors le point de convergence de l’identité française en reconstruction sera avant tout l’opposition à l’occupant allemand, position que l’on retrouve, sous une autre forme, après le conflit. L’insistance avec laquelle les différents discours français sur l’Allemagne rappellent l’opposition franco-allemande est, par ailleurs, un moyen d’occulter les ressemblances. En effet, les collusions qui ont existé entre une minorité active française et l’Occupant , mais aussi l’attentisme de la majorité - même s’il est nécessaire de le nuancer - que l’on constate au cours des « années noires » crée au sortir de ce conflit « une conscience trouble et troublée »13 La reconstruction de l’identité nationale en France passe donc par ces deux contraintes : la focalisation sur les dissemblances entre France et Allemagne et le silence sur Vichy.

L’élaboration identitaire et ses référents

L'oubli volontaire de la Collaboration nous semble tout à fait parallèle aux descriptions pléthoriques d'une Allemagne consubstantiellement « nazie », dans un système de représentations fondé sur les oppositions binaires. De même, le silence sur la Résistance allemande, qui a pourtant bel et bien existé, permet de donner une importance à la Résistance en France que démentent les études. C'est donc une France résistante qui émerge des descriptions françaises de l'après-guerre. L'acte fondateur de cette imagerie, pour le moins déformée, semble être le discours de Charles de Gaulle du 7 août 1944, amplifié par celui du 25 août 1944 ; le fil conducteur est ici celui de l'unité dans la lutte et la victoire. C'est à la France, la France “éternelle” que s'adresse de Gaulle :

“Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! Libéré par lui-même[...], avec l'appui et le concours de la France toute entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.”14

Si donc, on accepte l’hypothèse d’une crise de l’identité française, toute une relecture des discours français sur l’Allemagne peut être menée. Il va s’agir, pendant quelques cinq années environ, de se réapproprier des repères. Tous les repères réactualisés ne relèvent pas du caractère national mais participent à l’identité en particulier la géographie et l’histoire nationale.

Ainsi l’identité géographique ne pose au départ que peu d’interrogations car les frontières sont dites « naturelles ». Pourtant, la France va connaître une transformation radicale de son rapport à l’espace entre 1944 et 1963.

En effet, en 1944, la France est une des puissances impériales qui compte dans le monde ; son empire est vaste. Tout au long de notre période d’étude la France va voir son empire s’amenuiser pour, finalement, disparaître totalement.

Parallèlement, elle s’inscrit plus avant, au fil des années, dans la construction européenne qui rend l’espace hexagonal moins signifiant. Une translation s’opère donc dans le contenu donné à « la plus grande France » qui passe d’une définition impériale et coloniale à une définition européenne, avec la voisine allemande. Le nouveau rapport à l’espace permet sans aucun doute d’accepter davantage les Allemands. Au terme de cette évolution se situe le traité de l’Elysée de janvier 1963.

L’identité historique participe de la définition identitaire même si elle ne relève pas directement du caractère national ; elle l’éclaire par le regard qu’on lui porte.

L’histoire est largement reconstruite, voire fantasmée. L’image première qui en est donnée est la linéarité, la continuité. Si l’Allemagne est caractérisée par une histoire déterminée, continue, c’est aussi le cas pour la France. Ce qui distingue les deux voisines c’est le terme de cette détermination : pour la première c’est l’abomination et la destruction, pour la seconde, le progrès et l’harmonie. Dans cette logique identitaire émergent des événements « fondateurs ». Ils ont une fonction d’explicitation de ce que l’on croire être l’identité nationale ; ils sont donc une re-construction de la mémoire, enjeu de discours social et politique. On retrouve donc un certain nombre de schèmes « fondateurs » qui structurent la ligne continue de l’évolution nationale : la Gaule, parfois qualifiée de « romaine », Charlemagne, Jeanne d’Arc, Louis XIV, la Révolution française, que d’aucuns saisissent dans une perspective de rupture.

Le portrait psychologique de la France tel qu’il se fait jour dans les écrits s’articule autour de trois termes qui s’avèrent être autant de qualités. Ce portrait hexagonal va pousser les auteurs à réinterpréter le caractère national allemand en lui ajoutant un contenu qui n’apparaissait pas au premier abord.

Trois caractères sont donc définis comme expression de la francité : l’individualisme, l’intelligence, assortie du culte de la raison, et la modération. A ceux-ci s’opposent le « caporalisme » dont Maurice Constantin-Weyer se plaisait à qualifier la nature allemande15, l’inconstance, le flou et le fanatisme allemands signes d’une évidente « irrationalité » germanique  et enfin la démesure et l’instabilité de la voisine d’outre-Rhin.

Ainsi, le Français n'est décrit que comme une personne spécifique et particulière, dont les liens avec le groupe sont extrêmement lâches et tout à fait secondaires. En effet, ce qui distingue le Français de l'Allemand c'est bien la richesse de sa vie intérieure.

Seconds caractères de « l‘âme française », intelligence et raison jouent le rôle de référents très importants, d’autant qu’ils permettent de créer l’image d’une France policée. Dans l’imagerie généralement admise, la France est la patrie de Descartes qui fait de la rationalité une idole nationale.

Le troisième pôle de l’âme française sera explicité à travers deux séries de caractéristiques ; d’une part, il s’agira de « démontrer » la modération française - et a contrario la démesure allemande - et d’autre part, cette « mesure » s’appuiera sur un sens de l’organisation et un ordre caractérisés de français.16

Toute la réappropriation des référents identitaires aboutit à une vision syncrétique de la France ; celle de la « Civilisation ». Celle-ci incarnée la France est en fait liée à l’essence même des valeurs défendues qu’elle défend ; à savoir l’humanisme, assortie parfois du christianisme, la démocratie et les droits de l’homme, mais aussi la culture française.

Mais le contenu tant philosophique que culturel donné à la « Civilisation » française lui donne une identité supérieure, celle de l’universel car ce que promeut la France concerne l’homme et n’a, selon les auteurs, pas de contenu national. On remarquera ici au passage la tension contradictoire du raisonnement identitaire, appuyant ses arguments à la fois sur une signification spécifiquement hexagonale et sur une aspiration à un espace de légitimité élargi.

Le thème de la Civilisation française est instrumentalisé : puisque celle-ci incarne des valeurs universelles, toute injustice commise à son égard l'est à l'égard de l'humanité toute entière. Un discours messianique apparaît très régulièrement dans les réflexions françaises dont la problématique récurrente affirme que le sort de la France rejoint celui du monde.

Finalement, la France acquiert un rôle universel fondamental face à sa voisine germanique : celui de monter la garde pour protéger les valeurs dont elle est porteuse ; c'est l'exacte position de Georges Weill17. Ce glissement de la réflexion en direction d'une mission spécifiquement française met en lumière un moyen trouvé par les auteurs, pour légitimer par d'autres arguments, les revendications françaises dans l'immédiate après-guerre.

Autrement dit, la francité, par essence spécifique, acquiert par un glissement de sens un contenu universel.

La réappropriation française des référents identitaires, par le double mouvement de définition et d’opposition, peut finalement être synthétisée ; d’où émerge une image en inverse des deux voisines d’en deçà et d’outre-Rhin :

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Ce travail de « définition » à la Française est sans nul doute significatif de la difficulté à comprendre et tout simplement à penser l’Allemagne en France. Cette difficulté, d’ailleurs, perdure au fil des années. L’objet Allemagne est en outre, et sans que cela soit contradictoire, un objet empreint d’affect ce qui explique aussi la difficulté à constituer un discours « distancié ».

Cependant, force est de constater que les interrogations françaises sur « l’âme » allemande sont chronologiquement repérables et qu’elles sont le signe d’une difficulté à penser la francité au sortir de la période trouble et troublée de la guerre. Les référents identitaires refondés, au début des années 1950, le questionnement sur le caractère national des deux voisines disparaît peu à peu. Dès lors, l’acceptation de l’Autre comme autre mais aussi identique à soi-même est rendue possible. De grandes étapes vont marquer cette évolution du regard français. Dans cette perspective je me dois d’évoquer le projet européen au cœur duquel on retrouve un « axe » franco-allemand dès le début des années 1950, association économique dans les années 1950, c’est un projet bien plus large dans lequel s’investissent les deux voisines : la réconciliation. Au terme de cette évolution se situe le Traité d’amitié franco-allemand en janvier 1963. Ecoutons, pour finir, un de ses artisans décrire la transformation des rapports politiques , expression même d’une lente mais véritable transformation de leurs représentations respectives au sein desquelles la définition du caractère national servait à appréhender l’autre :

“Sans doute, l'histoire tiendra-t-elle pour l'un des faits principaux de la vie de l'humanité l'extraordinaire changement qui, au cours des deux dernières décennies, amena le peuple allemand et le peuple français, d'abord à renoncer à leur inimité d'antan, ensuite à faire partie, côte à côte, d'organisations internationales destinées, soit à la sécurité comme l'alliance atlantique, soit au progrès économique comme le Marché Commun européen, enfin à pratiquer entre eux une coopération régulière et particulière en vue de l'action commune en tous domaines.”18

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L’âme allemande après 1945

   

1  Ariel Rééduquer les Allemands, Paris, Editions Médicis, 1945, 143 p., p. 29.

2  Henri Berr Allemagne le pour et le contre, Paris, Albin Michel “Publications de la Revue Synthèse”, 1950, 112 p., p. 1.

3  Jacques Droz “Les historiens français devant l'histoire allemande” in Internationaler Gelehrkongress Mainz, Weisbaden, 1956, p. 249.

4  Jeanne et Frédéric Regamey, L'Allemagne ennemie, Paris, Seuil, 1945, 300 p., p. 59.

5  Robert d'Harcourt, Comment traiter l'Allemagne ?, Paris, J. Tallandier, 1946, 80 p., p. 54.

6  André Siegfried L'âme des peuples, Paris, Hachette, 1950, 221 p., p. 135.

7  Albert Camus, Lettres à un ami allemand, Paris, Gallimard, NRF, 1945, 80 p., pp. 76-77. Quatrième Lettre.

8  Charles De Gaulle Discours et Messages, Tome 1 “Pendant la guerre”, Paris, Plon, 1946, 677 p., Discours radiodiffusé le 10 décembre 1945.

9  André Monnier-Zwingelstein, La Prusse éternelle, Toulouse, La nouvelle édition française, 1945, 162 p.

10  Jean Bardanne, La guerre pour 1948 ?, Paris, Editions Siboney, 1946, 221 p.

11  Ariane Chebel d'Appollonia, « Les morales de l'autre, les identités nationales » in L'Autre. Etudes réunies pour Alfred Grosser, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1996, 318 p., p. 138.

12  Robert Frank, La hantise du déclin. La France 1920-1960 : finances, défense et identité nationale., Paris, Belin, Temps présents, 1994, 316 p., p. 226.

13  Pierre Laborie, L'opinion française sous Vichy. Les Français et la crise d'identité nationale 1936-1944, Paris, Seuil, Points histoire, 2001, 406 p., p. 335.

14  Charles de Gaulle, Discours et Messages, Tome I, op. cit., p. 440. Discours prononcé à l'Hôtel de ville de Paris, le 25 août 1944.

15  Maurice Constantin-Weyer, L'âme allemande, Paris, Grasset, 1945, 147 p., pp. 104 et 105.

16  Ces mêmes « caractères » ont été aussi utilisés pour décrire et condamner l’ordre nazi et son expression concentrationnaire.

17  Georges Weill, Le problème allemand, Paris, Charlot, 1945, 62 p.

18  Allocution à Trèves, à l'occasion de l'inauguration du canal de Moselle, le 26 mai 1964.

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Laura Fournier-Finocchiaro

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