N°13 / Le charisme du chef Juillet 2008

Culture de contact et conscience africaine

Dieudonné Tsokini

Résumé

La question de l’Afrique d’aujourd’hui, dans son rapport au monde, est une préoccupation qui fait date dans l’histoire des sociétés africaines caractérisée par la colonisation dont les effets sur la culture de ces sociétés sont très marqués, à la dimension des drames subis. Situant cette réflexion dans une perspective interculturelle, elle dégage, à travers le thème « Culture de contact », toute la complexité de la situation globale actuelle de l’Afrique confrontée à un destin presque hypothéqué. Cette situation, en raison de la donne de la mondialisation pose le problème en terme de  choc des cultures comme référentiel d’approche. Celui-ci obéit à des modélisations qui renvoient à la fois à des problématiques de « l’entre-deux » et du complexe « tradition-modernité » comme systèmes d’objectivation d’une réalité syncrétique justifiant l’importance des disfonctionnements, des disparités et des dislocations, mais aussi des difficultés de réalisation de l’idéal politique ou de la modernité politique que constitue la démocratie en terre africaine.
L’objectif est de tenter, à partir des paradigmes à la fois d’ordre anthropologique, sociologique et psychologique, d’accéder à la compréhension de ces complexités et d’entrevoir les possibilités de réappropriation de la conscience africaine dans le sens d’une réinvention d’un modèle de société avec son système politique qui soit apte à rendre compte de ces réalités, afin de penser rationnellement l’Afrique et son développement.

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1-Introduction :

Le problème des contacts entre  cultures se pose, depuis plus de trente ans, avec une acuité accrue et sans cesse croissante instamment liée aux phénomènes de décolonisation et aux migrations. Reflet du vivant, les cultures évoluent et s’influencent ; certaines pour se rapprocher et se comprendre à des fins humanisantes, d’autres pour s’éloigner et se combattre à des fins hégémoniques .C’est en ces termes que nous entendons cerner la question de la mondialisation et des dislocations récurrentes. L’objectif est de voir comment le problème du politique se traite et se gère en terre africaine, et ce à travers le prisme englobant de la mondialisation en tant qu’une dimension procédant de la dynamique du contact des cultures.

En effet, le thème « culture de contact » met en évidence l’importance des interactions à l’œuvre dans les rapports culturels. Le dialogue entre chercheurs et, au demeurant, les analyses à faire doivent tenir compte de la socio dynamique des cultures. A cet égard, diverses tendances d’obédience anthropologique dégagées sur la culture  entrent en résonance avec les questions de contact prises au sens, soit de dialogue des cultures, soit de rupture, de crise ou soit de l’interface transitionnel. Toutes, si non pour la plupart, sont centrées sur le complexe de « l’entre-deux ». Ce complexe est en effet au cœur des processus de changement qui, dans sa structuration syncrétique du fait du choc de l’imposition culturelle, pose dans une certaine mesure la question de la mondialisation et de ses inductions comportementales du point de vue des pratiques sociales et singulièrement sur le plan du politique. La conscience subséquente devient non seulement un enjeu majeur dans la reconquête libératrice  de l’Afrique par les Africains, à l’instar de Cheick Anta Diop, mais aussi un mécanisme d’objectivation de cette réalité biculturelle qui sécrète des attitudes articulées sur des référentiels  antagonistes et désarticulées offrant ainsi un complexe procédant d’un système social aussi complexe, anomique avec toutes les dislocations et des disfonctionnements observées aujourd’hui dans les sociétés africaines. Ces disfonctionnements, notamment du point de l’appréhension historique, précisément en rapport avec la colonisation ont consisté à briser les systèmes de références qui donnaient sens et vie à ces sociétés et leurs membres. F. Fanon, (que citent Port et Desalmand)  relevait, partant de la violence du système colonial, que « l’expropriation, le dépouillement, la razzia, le meurtre objectif se doublent d’une mise à sac des schèmes culturels ou du moins conditionnent cette mise à sac. Le panorama social est déstructuré, les valeurs bafouées, écrasées, vidées. Les lignes de force écroulées n’ordonnent plus . En face, un nouvel ensemble imposé, non pas proposé mais affirmé pèse de tout son poids de canon et de sabre (Tort & Deslamandal, 1978) ».

Ce tableau tel décrit par Fanon retrace la cruauté des violence coloniales et du malaise profond de la rupture opérée, mais aussi la densité de la crise culturelle et sociale advenue qui va orienter le destin des sociétés africaines dans un contexte biculturel où l’imposition  doublée de la domination politique vont faire basculer l’Afrique dans une sorte de momification culturelle aux effets nocifs sur l’histoire et la conscience africaines.

C’est à cette complexité conflictuelle de la socio dynamique africaine en acte aujourd’hui que nous invite cette réflexion dont la teneur tient au statut de l’Afrique dans ce qu’il est convenu d’appeler le concert des nations,  et où elle est assujettie au système du jeu des échanges internationaux à travers l’exigence qui lui est dévolue, celle de la conditionnalité pour son développement.

La question de la mondialisation devient tout un enjeu pour lequel la réflexion s’impose pour son positionnement sur la scène mondiale. En effet, la réinvention, la création des espaces publics sont de ce point de vue des mécanismes à privilégier quant à la réappropriation de la conscience africaine.

2-Problématique :

Il convient de considérer, selon les observations pertinentes de R.Gallisot et ses collaborateurs, que « depuis que la situation du monde s’est à nouveau crispée après la période d’après guerres propice au discours sur la construction des Etats- nations, l’avènement de la modernité culturelle uniformément partagé par les nations, et aussi que les disparités économiques, politiques et culturelles se sont creusées entre les différents pays et régions du globe, que la mondialisation ou la globalisation exerce ses effets, la culture comme refuge imaginaire et le  choc des civilisations comme expression et résultat des dysfonctionnements et des disparités internationales sont devenues les idées dominantes ( Gallisot, Kilani& Rivera, 2002) ». La question des dislocations africaines, justement, s’inscrit dans cette logique où la mondialisation apparaît comme une donnée contemporaine essentielle pour l’accomplissement des sociétés en articulation avec le reste du monde. Objet d’un débat controversé, et résolument centré sur la culture, la question de la mondialisation, selon nous, renvoie inévitablement à des modèles théoriques relevant des approches dites interculturelles sous-tendues par la problématique du contact des cultures pour une culture de contact. En effet, la force des conflits culturels est due moins à une incommunicabilité insurmontable qu’à une proximité mal ou pas encore bien perçue. Prendre la culture, la mettre en exergue dans le sens d’une affirmation revendicatrice identitaire serait, comme le pensent ces auteurs, le fait d’un « narcissisme de la petite différence », car ce qui sépare ne relève pas d’une différence culturelle fondamentale.

 Ainsi, à l’idée d’une séparation qui ne peut produire en vérité qu’une fragmentation du monde en une multitude d’îlots, il faut opposer celle d’un universalisme critique, c’est à dire celle partisane d’une histoire ouverte où l’interculturel et les métissages entre les cultures sont la règle. De même, les rapports conflictuels et hermétiques entre les groupes et les sociétés sont une constante dont il faut tenir compte dans l’évaluation et l’approche des situations. Ce qui ressort avec une prégnance particulière et qui semble constituer une notion nodale pour notre questionnement, c’est la notion de culture  qui, de toute évidence, se trouve au cœur du projet de construction  du village planétaire symbole de la vision actuelle du monde. Les interrogations  qui président à l’élaboration de ce projet sont d’obédiences multiples, tant que la question culturelle implique elle-même une sémantique plurielle. D’un point de vue classique, les anthropologues s’accordent pour définir la culture comme l’ensemble des coutumes et des habitudes, des connaissances,  des croyances et des pratiques sociales, religieuses et symboliques qui identifient un groupe humain déterminé. D’expression plurielle, elle est une prérogative du genre humain tout entier et, de ce fait, s’étend à toute l’humanité. Aussi  sensible et délicate qu’elle soit, vu les enjeux d’ordre politique et développe mental, la question de la culture mérite une élucidation poussée afin de circonscrire sa portée dans la problématisation de la mondialisation avec tout ce qui s’y rattache comme contraintes, apories, dislocations, disharmonies, discontinuités, mais aussi de ce qui se dessine comme espérance en terme d’humanisation du monde.

 Ce débat que soulève la mondialisation selon le prisme psycho social en particulier, est celui qui se définit au nom de l’idéologie  d’un universalisme critique. Ce principe qui se veut progressiste et optimiste, en tous cas pas défaitiste ni encore moins fataliste, va à l’encontre d’une vision réductionniste, strictement parcellaire ou territorialisée qui risque de confiner la réflexion à une échelle « villageoise » pour des raisons ethnicisâtes et qui, au plan politique, se solde par des pratiques manipulatoires contraires à l’idéal politique  universellement consacré que constitue la démocratie. Qui dit mondialisation en principe devrait signifier ouverture et non imposition : celle-ci souvent perçue comme telle procède  des mécanismes de l’exploitation du tiers monde par les puissances du globe depuis l’esclavage, la colonisation et aujourd’hui par un système de coopération pernicieux qui, en réalité vivifie le principe de la domination dite domination néocoloniale. L’irréversibilité de l’historicisation des processus de dépassement et des recompositions possibles procédant de la rupture comme système transitionnel sont des germes d’espérance et de créativité pour la modernité politique. L’histoire, nous en sommes convaincus, ne va pas à rebours. Malgré les rebondissements xéno phobiques, séparatistes et toutes les exclusions observées sur la scène du jeu politique en Afrique, elle est résolument tournée vers l’acceptation de la différence selon le principe de l’unité de la diversité. Cette option, qui a valeur d’observation d’envergure,  ne doit pas faire perdre de vue l’essentiel de cette réflexion qui, par de là les vicissitudes de cette mondialisation «politiciste» aux stigmates hégémoniques, s’attelle en réalité à recadrer le débat à partir d’une orientation véritablement scientifique et qui dans le domaine des sciences sociales et humaines actuelles fait trace en tant que préoccupation majeure du moment. C’est en cela que la psychologie vient aux côtés des autres sciences sociales et humaines contribuer à l’éclairage de ces complexités sociales et de s’inscrire dans la perspective  de la rationalité des idées.

Science  des consciences des comportements et des conduites dans toutes leurs disparités avec des  aberrations, absurdités, ambiguïtés et des paradoxes, elle est au rendez-vous du débat sur la mondialisation au travers des dislocations engendrées dans les sociétés africaines et repérées dans le monde du politique et dont l’impact négatif sur le développement  est une réalité. En effet, s’intéresser au politique, c’est s’intéresser à la société et aux retombées qu’engendre la politique. En définitive, c’est s’intéresser à la question de l’homme comme agent social et acteur politique dans ses rapports dynamiques avec la société et la politique. Ce débat qu’il faut ramener à des modèles scientifiques se doit d’éclairer les consciences africaines pour un meilleur positionnement  de l’Afrique sur la scène mondiale parce qu’ayant sa place à faire valoir.

Replaçant le débat sur la question de la culture comme objet de questionnement scientifique, et nonobstant toute la variété et teneur sémantique, le référentiel qu’il convient d’exprimer, de poser  et de réaffirmer pour l’intelligibilité du débat est, selon nous, celui de « l’inter culturalité » ou de la  « multi culturalité » qui en définitive corrobore à la logique du paradigmatique que constitue l’unité de la diversité. De tendance universaliste, ce paradigme autorise traiter la culture selon la pensée universaliste  (contraire à la pensée particulariste) qui postule que  malgré la diversité des cultures, il existe des invariants ou des universaux de la culture. L’argument avancé par les tenants de ce courant fortement influencé par levi-strauss est que : «  au de là de la diversité des formes culturelles qui les caractérisent, toutes les sociétés partagent certaines institutions culturelles et certaines fonctions sociales : par exemple la religion et la fonction de prescription et de prohibition qui y est associée, c'est-à-dire la tendance à établir des normes et les interdits. Ce sont de tels invariants qui permettent de surmonter l’antinomie apparente entre l’unité de la condition humaine et la pluralité apparemment indispensable des formes sous lesquelles nous l’appréhendons  (Gallisot & al 2000)». Cette conception de Levi-Stauss pose les prémisses indispensables à des régulations sociales articulées les unes aux autres, et mieux pose les passerelles pour un meilleur positionnement dans l’appréhension de ce que Winnicott appelle phénomène transitionnel. Le transitionnel ou la transition alité est «  l’aménagement d’une expérience de rupture dans la continuité ( Kaës & al, 2004)» ; autrement dit, la problématique de la culture de contact est aussi celle du passage d’une société à un autre selon les exigences du contact, qu’il soit forcé ou pacifié,mais bien souvent imposées.

Ce qu’il convient de dire, c’est que ce passage est source de conflit puisque régie par la rupture, elle même déterminée par la crise. Dans la même orientation psycho socio dynamique, René Kaës dans ses travaux sur la crise, rupture et déplacement définit la crise , du point de vue du vécu, comme « l’éclatement du conteneur, la menace d’un désatayage, notamment de désatayage multiples, notamment des désatayages groupaux et socio culturels (Kaës)». Le désatayage  socio culturel précisément est déterminé par la perte de code social et relationnel, souvent une appartenance de groupe, pour tenter d’en acquérir un autre supposé plus adéquat t qui instaure le moment d’entre-deux. Ce moment, justement, qui caractérise le passage d’un code et d’une structure de relations à d’autres codes et à d’autres structures relationnelles est conflictuel. Le caractère conflictuel de ce moment est le fait de l’abandon du code antérieur marqué par la rupture de liens et de significations qui, bien qu’éprouvée comme partiellement inadéquats, avaient cependant assuré jusqu’alors un modèle de d conduites et de représentations communes stables pour les membres du groupe. La défaillance de ces régulations est une défaillance pour aussi bien de soi que de l’environnement et la désagrégation temporaire de ce code est aussi une désagrégation sociale vécue comme une menace, une « dés-assurance » psychologique et sociale.

En effet, dans cet entre-deux,, les sujets en transition, ne disposant pas encore de code nouveau, se trouvent confrontés à des situations paradoxales que l’on retrouve dans la dynamique en jeu au Congo et en Afrique de manière générale,  qui sont tout à fait des contextes sociaux marqués par ce complexe de l’entre-deux aux implications psychologiques très remarquables.

3-Lecture psychologique de la démocratie et des paradoxes politiques.

S’agissant de la représentation et de la conquête du pouvoir qui semble être la motivation principale dans le monde politique actuel, les interrogations deviennent pertinentes et pressantes du fait de leur opérationnalisation dans un contexte sociologique en mutation où les valeurs traditionnelles et occidentales s’imbriquent en secrétant un espace mental spécifique qui engendre des comportements et pratiques très complexes. Ils expriment tant de paradoxes qui, dans leurs structuration, renvoient à des logiques endogènes et exogènes résultant du contexte de l’entre-deux qui régit le fonctionnement des sociétés africaines : un contexte qui est au fondement de la contexture sociale actuelle des pays africains  marquée par les bouleversements des références socialisatrices du fait du choc des cultures. A cet effet, Jean William Wallet indique « la mobilité plus grande et le brassage des groupes sociaux produisent une fragmentation des identités socio-culturelles et des combinatoires insolites entre ces fragments. Des systèmes référentiels d’hier (eux-mêmes pénétrés et altérés par d’autres ) il ne reste souvent que les reliques de gestes, des récits ou des signes détachés de l’ensemble auquel ils appartiennent1 ». De cette situation fort complexe l’anté et le post colonial constitue le repère important dans l’historicisation de ces sociétés. La démocratie comme système obéissant à la logique de la rationalisation politique occidentale s’inscrit, du point de vue de son appréhension en Afrique, dans le cadre du contact des cultures avec toute la trame impositionnelle dû au système de la colonisation, et ce, au nom de la domination. Il y a donc au fondement de la compréhension du phénomène politique actuel au Congo, la question de la gestion des idéologies différentes, la logique traditionnelle africaine et celle de l’occident avec des syncrétismes récurrents dont l’imbrication produit un certain nombre de paradoxes en acte sur la scène du jeu politique au Congo.

En considérant la démocratie comme un mécanisme de régulation des rapports individuels, institutionnels et sociaux et politiques, elle interpelle la conscience de l’africain au regard de divers remous et guerres fratricides ou civiles avec tout le cortège de maux y afférents que sont le pillage, le braquage, le viol, le vol etc.., qui visiblement expriment la difficulté de l’imprégnation de la démocratie dans l’ordre culturel africain actuellement en crise. Ainsi, on parle de crise de valeurs, crise de conscience, crise d’identité, crise sociale et naturellement de crise politique, notamment  au travers des  différents paradoxes en acte dont nous nous proposons d’en comprendre les ressorts psychologiques.  Le contexte de l’entre-deux est un contexte de production des paradoxes. Ceux-ci sont visualisés dans les pratiques et comportements politiques  où la question de la représentation du pouvoir contient effectivement cet aspect de la paradoxalité comportementale de l’acteur politique congolais qu’il nous revient d’interroger.

En effet, il est constaté, lors des différentes phases préparatoires précédant les élections dites démocratiques, après toutes les turpitudes liées à la mise en place de la commission nationale chargée d’organiser les élections, un consensus de factice  obtenu après multiples tiraillements, pressions et injonctions tant intérieures qu’extérieures. Mais quelques temps après, ce consensus se défait du fait de l’absence de confiance mutuelle des protagonistes sur le caractère orthodoxe du scrutin. Et corrélativement, sont remises en cause les closes consignées dans la charte des élections signées par toutes les parties et partis impliqués dans cette lutte qui, d’ailleurs souvent, présage la manipulation et la contestation des résultats. Le problème de la validité des résultats du  scrutin est ainsi posé où l’avis des observateurs internationaux est sollicité. On observe à ce moment là une ambiance politique et sociale malsaine faite de suspicion et qui d’ailleurs cristallise toute la vie publique parce que, semble t-il, le destin du paysage politique du pays est en jeu. C’est aussi et surtout le moment des réaménagements stratégiques et des réajustements pour garantir la transparence, mais sans une conviction partagée par toutes les parties, malgré le caractère de légitimation formelle posé comme acquis. Alors désabusés, certains hommes politiques, soit procèdent à des ralliements spectaculaires qui percutent la conscience des électeurs qui se sentent abusés, soit jettent l’éponge ou soit font de la « résistance intéressée » qui, au fil du temps que dure la campagne finissent par perdre de toute la vitalité oppositionnelle. Pourtant les règles et le cadre sont définis, mais on assiste à une dés-inscription sociale à ce formalisme qui n’assure aucune garantie à l’agent social impliqué dans le choix politique au point où nombreux des citoyens estiment que tout est joué à l’avance et que ce n’est qu’une simple question de formalité pour le pouvoir en place. Un des faits les plus bruyants en ces moments cruciaux pour la conquête du pouvoir, c’est la question de la constitution de la commission d’organisation des  élections voulue neutre. Question pourtant à visée consensuelle, en tous cas conçue comme telle, où toutes les obédiences sont représentées, mais la plupart du temps on constate souvent des contestations véhémentes  sur fonds de déconsidération mutuelle, surtout de renie de l’autre concurrent afin de s’approprier, même de façon  machiavélique, cet objet précieux et prestigieux qu’est le pouvoir. L’enjeu est cerné et connu, c’est le pouvoir, sa conservation à tout prix par les uns et la conquête effrénée par les autres, et ce,  en déployant toutes sortes de démagogie et autres coups inimaginables frisant  souvent l’immoralité. Très souvent, à ce tableau, se rattachent des faits du genre : corruption des consciences par une marchandisation sans limite, l’embrigadement ethnique, la prolifération des propos calomnieux, les dénonciations fallacieuses, pernicieuses et de-stabilisatrices destinées à porter atteinte à l’honorabilité de l’autre, bref tout est permis, toléré, socialement consommé, et pourvu qu’on y arrive.

Il s’agit là d’une situation complexe ou une série de mécanismes psychologiques interviennent et interfèrent pour créer une dynamique conflictuelle reposant sur fond d’agressivité et de violence masquée par son corollaire défensif qu’est la peur en tant qu’expression de l’angoisse face à un événement virtuel. Cette peur se manifeste entre autres par une attente douloureuse faite de doute, de suspicion, de supputation, de crainte, de terreur, de persécution et même de manipulation. Elle s’accompagne de modalités agressives, particulièrement l’affabulation, le dénigrement systématique, la dénégation, qui sont des mécanismes que le sujet développe contre l’objet menaçant, c’est à dire l’autre. Pour conquérir le pouvoir, il faut anéantir l’autre par les moyens même les plus obscènes, le calomnier etc. Il en résulte une tension qui, à la suite d’un obstacle réel ou imaginaire, peut déclencher des réactions émotivo-fonctionnelles dont la plus en vue et la plus virulente demeure la violence où le plus souvent l’individu perd ses facultés de discernement, d’analyse, d’auto-contrôle et le conduit dans ce que l’on a, au Congo après les guerres civiles, stigmatisé en terme de " bêtise humaine". On est, dans ce cas d’espèce, en présence d’un tableau clinique dominé par le sentiment de doute sur soi : « que deviendrai-je ? comment serai-je perçu par les miens, vu les engagements pris, au risque de se voir lâcher ? Autant d’interrogations essentiellement fondées sur l’incertitude face au réel et sur la légitimité du combat mené. Cette peur concerne une catégorie d’hommes politiques qui se représentent le pouvoir comme une source de compensation pour assouvir et combler des désirs afin de réaliser un destin et conserver un statut et une existence collectivement soutenue faite de jouissance quasi permanente d’opulence, de bouffonnerie et autres excentricités.

En cas d’échec lors des consultations populaires, la frustration qui en résulte et sa récupération par le groupement ethno- politique peut, par le biais des mécanismes d’identification, de projection, de transfert d’affect, d’idéalisation et, au nom du principe de la descendance, devenir l’échec de l’ethnie toute entière. Toute attaque manifestée à l’endroit du leader est perçue comme une préoccupation personnelle du groupe. Le moi du leader et le moi du groupe interfèrent à telle enseigne qu’à la moindre alerte du leader, c’est aussi le groupe qui réagit en présentant une réaction de masse faite de résistance, de renie de l’autre, de fanatisme, d’intégrisme, et pire d’extermination systématique qui sont des comportements nocifs pour la paix sociale et réfractaires à l’instauration véritable de la démocratie. En fait ces manifestations aux inclinaisons cliniques assez prononcées renvoient à des contingences anthropologiques dont le sentiment de ne plus être reconnu, valorisé par les membres de son groupe, l’affaiblissement ou la perte de l’estime de soi, la perte des privilèges économiques, financiers et autres avantages inhérents à ce statut prestigieux que leur confèrerait la gestion du pouvoir, constituent des écueils fondamentalement psychologiques.

Par delà toutes ces illustrations significatives des paradoxes observés sur la scène politique congolaise, on remarque une sorte de dilemme  au niveau du comportement de certains acteurs politiques par la dissonance enregistrée entre, d’un côté le discours politique comme énoncé normatif et de l’autre la pratique comme expression objectivée du fait politique en déphasage avec le discours. Dans ce dilemme, deux faits majeurs  à savoir : d’une part, l’instrumentalisation ethnique marqué par un fort investissement clientéliste exagéré et exaspérant de l’acteur politique, et d’autre part la « marchandisation » politique par l’achat des consciences : la pratique consistant à distribuer de l’argent aux électeurs dont la voix devient un objet de monnayage ; ce qui, à l’évidence, heurte l’éthique et défie le modèle d’idéal politique claironné par l’ensemble de la classe politique, que constitue la démocratie. Alors dans ce « fourre- tout » politique, où est la démocratie, mieux, qui est démocrate et qui ne l’est pas ? Là, est  à notre avis aussi une vraie question.

Ce que l’on pourrait tirer et retenir en termes de mécanisme psychologique relatif à ces paradoxes, c’est le mécanisme de la résistance. Cette résistance manifestée presqu’  inconsciemment par rapport à cet idéal « normativé socio politiquement » s’opère sur le plan de la mobilisation politique. Elle constitue le tréfonds de la crise politique et alimente tous les débats incessants et insipides qui le plus souvent tournent autour de l’éthique. Mais quelle éthique, dans quel contexte, pour quel type d’acteur politique et pour quel type «d’agent ou client politique » pris au sens d’adhérent, militant ou activiste au sein d’un groupement politique ? ; une adhésion assujettie à des considérations culturelles dites « ethnicistes », laquelle ethnie est présentifiée, à l’instar de f. Morin (cité par G. Gosselin)  comme «  l’objet d’une instrumentalisation où le groupe ethnique jouerait comme un groupe d’intérêt, notamment politique dans une vision stratégique2 ». Pour Patrice Yengo, quant à la nécessité d’objectiver le fait politico-ethnique, « l’ethnie est le support du politique en Afrique, son objectivation inconsciente, l’écran sur lequel se trouvent projetées les contradictions de la société politique qui, une fois résolues, la font apparaître comme singulièrement vide de sens pour des politiques qui en sont dénuées3 ». L’instrumentalisation ethnique en politique étant avérée, il n’en demeure qu’elle traduit substantiellement le mode d’articulation des relations sociales dans un système dont le principe de la descendance et de la croyance sont des principes fédérateurs des consciences individuelles et des pratiques politiques. Quelques modèles d’appréhension théorique de la question peuvent être envisagés, tant qu’ils offrent l’opportunité de saisir la complexité des logiques contraires dans un espace sociopolitique, celui du Congo en l’occurrence,  pris comme une société en rupture et donc en crise ; laquelle crise,  précisément dite crise structurelle, renvoie au processus de transformation d’une société aujourd’hui confrontée à la difficulté d’arrimage à la  forme de la mondialisation politique qu’est la démocratie. Il est à rappeler que ces logiques, dans leurs diversités discursives,renvoient aux théories  sur les dynamiques de la parenté (Balandier) quant au pouvoir des « aînés » sur les « cadets », sur la croyance subséquente (Max Weber) qui entérine ou valide le principe de la descendance et sur ce que Jacqueline Barus-Michel appelle la politique de l’autorité.

Engageant une réflexion sur l’Etat au Cameroun J.F. Bayart, que rapporte Jean Baudouin (1997), indique que « de manière générale, l’Etat africain n’est  pas la simple reproduction d’une contrainte extérieure. Il perpétue également les modes de domination spécifique, notamment la domination ancestrale des aînés sur les cadets. L’Etat reste encore perçu comme un lieu d’accumulation et de redistribution de richesses permettant aux aînés du même clan de satisfaire les revendications de leurs cadets sans aliéner leurs privilèges4». L’autre grille de lecture aussi essentielle est celle que soulève G. Balandier pour qui « les relations politiques s’expriment en termes de parenté et les manipulations de la parenté sont un des moyens de la stratégie politique »5 ; laquelle  parenté avec ses mécanismes internes et externes participe à la formation des groupes politiques. Concomitamment à ces conceptualisations, s’agissant de l’ethnicité, l’approche de M. Weber basée sur la croyance à la parenté clanique et de sa portée dans la dynamique sociopolitique est assez édifiante car, pense t-il « les groupes ethniques sont ces groupes humains qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d’origine de sorte que cette croyance devient importante pour la propagation et la communalisation et peu importe qu’une communauté de sang existe objectivement » (op. cité, Gosselin, p.416).

 Par ailleurs, d’un point de vue strictement psychologique, l’approche que développe M. Barus-Michel (20003) sur les politiques d’autorité permet une lecture plus fine de la question du politique au Congo et de celle de la représentation du pouvoir. Centrées sur la problématique de l’identité, les politiques d’autorité, indique l’auteur’ « offrent des supports d’identification forts, à travers des figures paternelles sévères et infantilisants (les chefs charismatiques, ou les despotes plus ou moins éclairés) qui « forcent » la surmoi et le moi, écrasant les singularités du sujet6 ».

Toutes ces grilles de lecture procédant des modèles proposés dans leurs diversités reposent sur un substratum essentiel et substantiel qu’est la dimension culturelle, quant à l’interférence des dynamismes culturels en milieu africain dans le champ de la modernité politique. Cela corrobore à l’observation d’A. Kouvouama (2001) qui relève que « les structures politiques actuelles des Etats africains ne renvoient pas exactement aux anciennes structures politiques et étatiques des sociétés africaines anté coloniales, ni aux structures politiques et étatiques des pays capitalistes du centre même si ceux-ci portent la marque de leur domination7 ». Cette affirmation s’intègre dans la démarche dynamiste de Balandier qui consiste à saisir la dynamique des structures, c'est-à-dire prendre en considération les incompatibilités, les contradictions, les tensions et le mouvement inhérent à toute société : car il ya lieu de « tenir compte de la conjonction, des dynamismes de dehors et de ceux de dedans qui permet une analyse plus fine des faits en privilégiant l’interaction des causes internes et des causes externes »8.

 Tous ces paradigmes indispensables à la connaissance de ces paradoxes politiques au Congo, tout en invitant au dépassement, appellent l’observance d’une logique autre à laquelle seraient rompus les «néo-acteurs» politiques, non pas pour des greffes selon une reproduction classique dite universalisante, mais plutôt qui s’inscrirait dans une dynamique, pour reprendre J. Copans, de réinvention, et ce, dan la perspective de l’avènement d’une société assise sur l’accordage structurelle et étayant du complexe tradition- modernité. Une des conditions exigibles en ce domaine consisterait, par exemple, à « détribaliser » le politique, à l’instar de la « dé-tribalisation urbaine» prise  comme une forme de réinvention sociale et culturelle (J. Copans, 1990). Dans la même mouvance, une enquête effectuée en 200 à Brazzaville sur la mobilisation des jeunes dans des milices lors des guerres qualifiées d’ethniques de 1997-1998 a révélé que la mobilisation des jeunes issus des catégories sociales longtemps urbanisées, ceux de  Moungali précisément, s’est fait sur d’autres critères que des critères ethniques. Cela est probablement le fait d’une cohabitation de plusieurs ethnies sur plusieurs décennies et sur un même espace vital ayant favorisé l’émergence de la culture de la « solidarité trans-ethnique »9 en tant que valeur orientant l’individu vers le passement de soi et l’acceptation de l’autre ; ou soit le fait de stratégies de survie d’une catégorie de jeunes exclus, car pour la plupart, ils sont désœuvrés, de- scolarisés et dont l’avenir est quelque peu hypothéqué dans une société en déclin. Dans un tel contexte, comme l’exprime R. Rechtman (2004), interrogeant la souffrance adolescente, que « l’adolescent  a du mal à s’y résoudre par ce qu’il se débat avec l’ordre du social. Quand on ne sait pas contre quoi il faut se battre alors pourquoi ne pas se battre contre tout ce qui se présente sous la forme de la contrainte.10 ». De ce fait l’hypothèse d’une mobilisation « trans- ethnique » peut être retenue et constituer un mécanisme susceptible d’être versé au registre de la réinvention en tant qu’exigence fondamentale pour la refondation de l’Afrique.

4- Re-invention et conscience africaines :

L’exigence de la réinvention procède de la faculté de réappropriation de soi par l’homme ou la société pour se refaire, se re-construire,  rattraper et restaurer ce qui doit l’être, afin de s’inscrire dans le cours normal et naturel de son histoire. C’est une disposition prioritairement intellectuelle qui fait acte de foi, acte de créativité pour la réhabilitation et aussi un devoir de mémoire indispensables pour une auto régénérescence dans une perspective de dépassement.

L’effort de réinvention doit être collectivement soutenu dans une sorte de dynamisme unitaire.

Dans ce sens, les concepteurs propulseurs d’idées, les agents de relais par des mécanismes de mobilisation, de sensibilisation des consciences à des échelles soit micro, soit macro régionales, chacun dans sa sphère contribuerait à la reconquête de l’identité du sujet africain afin de donner corps et vie à la conscience africaine. Dans cette entreprise, le rôle de l’intellectuel africain est plus que déterminant comme l’affirment certains penseurs dont la teneur des propos ayant valeur de modèles nous obligent à les mentionner . Loin de nous l’intention de souscrire à un formalisme nostalgique gratuit, cette obligation traduit l’humilité de l’intelligence du simple fait de la contextualisation des idées émises qui apparaissent comme des idées fortes d’exploitations scientifiques incontestables tant qu’elles obéissent à des modélisations théoriques consacrées dans les domaines scientifiques où la rupture et la transition sont des domaines clés de la problématiques de l’entre-deux qui, du reste, est la problématique centrale en jeu dans cette réflexion.

Tout en rappelant l’axe prioritaire de cette réflexion dans sa dimension psychologique, le phénomène de la mondialisation est apparu comme un phénomène psychologiquement appréhensible en terme interculturel où la question de l’entre-deux par rapport au complexe « tradition-modernité » met en lumière l’hypothèse de la destruction et de la dérégulation  du système social africain dans son ensemble. Cette évidence, loin de faire prévaloir une sorte de catastrophisme morbide de la pensée doit, en réalité, faire réagir. Et dans ce sens, conviendrait-il de mentionner à la suite de R. Kaës et ses collaborateurs, que « l’ébranlement des garants méta-sociaux et métaphysiques ont une dimension constitutive des dérégulations majeures qui composent la complexité et la détresse des crises auxquelles nous sommes soumis, que nous créons, et qui pour vivre, nous devons tenter de  dépasser (2004) ».

D’autre part, précisent –ils, « la dérégulation des systèmes éco-bio-psycho-sociologiques qui se propagent en écho catastrophique ne comporte pas en eux-mêmes le dynamisme et les ressources de nouveaux équilibres créateurs. Il est possible que nous ne trouvions pas l’issue vers la vie. Mais nous sommes contraints de la chercher. Nous avons à survivre créative ment aux grands séismes de l’histoire, aux grandes faillites sociales, aux faillites des cultures, aux conteneurs de nos angoisses, à ce qui nous fait ce que nous sommes, (2004) ».

En effet, plus que de simples cautions ou la confirmation d’une démonstration psychologique, cette idée est pour la cause de la survie africaine en question, d’une très forte interpellation. Elle légitime l’orientation retenue dans cette réflexion dont l’objectif est d’abord d’engager des réflexions susceptibles de produire des connaissances sur et à partir des dynamiques sociales africaines. Dans cette tâche immense, une grande figure intellectuelle africaine du vingtième siècle finissant, Cheikh Anta Diop, mérite tout l’honneur pour son dévouement intellectuel au service de l’homme noir et de l’Afrique, et dont l’œuvre constitue un héritage pour l’ensemble de l’Afrique. L’immensité de son œuvre, la densité des idées et la perspicacité des propositions font aujourd’hui trace dans l’histoire de l’Afrique et dont la restitution nous semble une opération de légitimation d’une oeuvre indéracinable résolument vouée à la cause africaine. Théophile Obenga, Moléfi Kete Asanté, et Yaporéka Somet restituent quelques pans des idées de Cheick Anta Diop qui, à plus d’un titre, sont encore d’actualité dès l’instant où la crise africaine est encore à l’ordre du jour du débat sur ce continent. L’une des résolutions dégagées et rapportée par M. K. Asanté  atteste que :« il n’y aura pas de sauveur du dehors de l’Afrique . nos actions doivent être basées sur une analyse, mais nous ne devrions pas être paralysés par l’analyse, (Asanté, 20005) ».

En effet, l’idée de la conscience africaine a été,  et est encore, vu toute la force requise, l’idée maîtresse de l’œuvre de C. A. Diop en ce qu’elle tend à concéder  à l’Afrique sa place de choix dan l’histoire de l’humanité,et ce, par le droit pour les Africains de connaître et de reconnaître  en forgeant un conscience, celle du destin unitaire des peuples noirs d’Afrique . Aussi, cette oeuvre, nous semble t-il,  trouve son point d’ancrage par rapport à la promotion de l’idéologie afrocentrique dont la justification se trouve dans une formule de qualité à savoir : « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une idéologie centrant la pensée sur l’Afrique où nous regardons dans nos propres cultures et expériences afin d’être capables d’avoir une meilleure vision sur le reste du monde . L’afrocentrcité est une qualité de pensée et d’action qui permet à l’africain de se voir comme un agent et un acteur dans l’histoire humaine, pas simplement comme quelqu’un qui exécute. Cela  nous donne une perspective de sujet, et non des marges, à savoir d’être des victimes ou un objet dans le monde de quelqu’un d’autre. Nous sommes des créateurs, les initiateurs et les fournisseurs de notre éthique, de nos valeurs, de nos économies ainsi que de nos coutumes. Nous ne cherchons pas à remplacer personne ; nous cherchons seulement à être pour nous-mêmes comme une manière d’être face au monde (2005) ».

Par de- là cette idéologie d’apparence revendicatrice, c’et toute une pensée révolutionnaire qu’il met en place par l’invite à un conscience en tant que « idéologie historique », moteur puissant et fécond du développement,mieux en tant que « première barrière infranchissable pour une véritable libération mentale et intellectuelle de l’Afrique.

Par ailleurs, l’humanisme qui caractérise ce savant africain et qui transparaît dans son œuvre est, à notre entendement, et pour l’intellectuel africain, un  modèle d’identification qui se résume par son souci de conviction que nous partageons et que rapporte  Ndonge Mbaye, selon laquelle « l’humanité ne doit pas se faire par l’effacement des uns au profit des autres ; renoncer prématurément et d’une façon unilatérale, à sa culture nationale pour essayer d’adopter celle d’autrui et appeler cela une simplification des relations internationales et un sens du progrès, c’est se condamner au suicide (Mbaye, 2005) ». Il s’agit là d’une grande leçon relayée par quelques enseignements de J. Copans lorsqu’il écrit : « Si  les sociétés africaines doivent se libérer du paradigme (culturel, idéologique et théorique ) du joug, il faut que la diversité et la multiplicité de ses voix s’expriment et s’imposent . c’est là que la référence démocratique prend un premier pas. Le partage et la diffusion des pensées, des paroles, des opinions et donc des écrits, constituent le commandement numéro un (1) de l’ordre du jour ( Copans, 1998). Cela, naturellement l’africain se doit de le prendre pour dit et, par conséquent, doit s’y souscrire parce que le sort et le destin de l’Afrique sur la scène du jeu de la mondialisation, dans son orientation et réalisation actuelles, en dépendent.

5- Conclusion :

L’hypothèse de départ au fondement de cette réflexion centrée sur la mondialisation et la conscience africaine, à travers la problématique du contact des cultures comme modalité d’objectivation de cette réalité africaine aujourd’hui, trouve sa justification dans les résolutions de Cheick Anta Diop. Celles-ci retracent le lien avec une conscience africaine où la culture, sa revalorisation en articulation avec le reste de l’humanité est la préoccupation scientifique majeure. l’ « entre-deux », matrice organisationnelle de la présente réflexion, est un concept qui traduit la temporalité contextuelle actuelle de l’Afrique. Il est un concept où l’hétérogénéité est le principe structurant avec à la clé deux  de ses composantes essentielles, la transitionalité et  la créativité pour un néo-espace. Cette hétérogénéité qui préside à l’érection de ce  néo-espace indispensable à la circonscription de la situation de l’Afrique d’aujourd’hui, dont l’histoire est émaillée par des avatars de la colonisation, dégage un contexte de l’Afrique dit contexte complexe. Et, pour des questions aussi bien de survie,  d’identité, de conscience,et d’arrimage au monde, la réinvention  s’avère nécessaire.

Dans cette perspective, et pour les besoins de transformation de ces sociétés aux prises avec la mondialisation dans son contenu interculturel, la préoccupation de la participation  de l’Afrique au monde et de son impact dans le concert des  nations exige son adhésion au modèle d’idéal politique que constitue la démocratie surtout qu’elle est présentée comme la condition de son accession à l’humanité politique, donc d’une certaine manière, à la mondialisation. Cette démocratie, comme l’indique Copans, ne s’export pas et « elle n’est pas un kit à remonter une fois rentré chez soi. Il s’agit de reproduire par soi même, et non à un identique impossible et trompeur, les conditions intellectuelles et pratiques de la démocratie politique  (1998, p. 11) ». Aussi réaffirmerons- nous, à la suite de cet auteur que l’Afrique se doit d’inventer sa propre modernité politique pour son propre rapport « à une démocratie qui reconnaît les relations de sexe, d’âge, de classe, d’ethnie, de mentalités, telles qu’on commence à les définir .On ne peut pas faire l’économie de ce savoir et il n’y a pas de raccourci en démocratie ( 1998, p. 15) ».

C’est ici le lieu de repréciser et de marquer avec une insistance toute particulière, partant de certains paradigmes retenus devant ce qui apparaît comme des paradoxes politiques visualisés à travers l’expérience congolaise, la nécessité de la créativité pour l’érection de «  néo-espaces transitionnels » culturels et politiques afin qu’un autre jeu politique se fasse. Celui-ci  obéirait à une logique aussi autre à laquelle seraient rompus de « néo-acteurs » politiques .Ainsi, donc, pensons nous, le devenir est à la créativité, et dans cette perspective, l’intellectuel se doit de dire et de porter la réflexion à un niveau intelligible qui puisse apporter des éclairages dont l’Afrique a besoin pour la définition de nouveaux rapports du politique au social et la configuration d’une conscience propice à assurer et garantir le développement de l’Afrique.

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2  Gosselin, G. (2001). Ethnicité et mobilisations sociales. Paris : L’Harmattan. P. 33.

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4  Baudoin, J. (1998). Introduction à la sociologie politique. Paris : Seuil. P.81.

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7  Kouvouama, A. (2001).  La modernité en question. Paris : Paris. P35.

8  Balandier, G.(1995). op. cité p.51.

9  Mahoungou, A.S. (2002). Jesse et mobilisation : cas des jeunes “Cobras » de Moungali pendant la guerre de Juin 1997. Mémoire de maîtrise de sociologie. Brazzaville.

10  Rechtman, R. (2004). Le miroir social des souffrances adolescentes : entre maladie du symbolique et aveu généralisé. In l’Evolution Psychiatrique. Vol. 69. 1.pp129-139.

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