Et c’est un texte de
Jean – Paul ESCANDE
Qui défendra sur scène les idées humanistes du Maître
Parce qu’il veut rêver avec Sacha
Que le grand Art médical, c’est le théâtre qui le ragaillardira
Pour peu que le Public se plaise à utiliser demain
Son pouvoir usager souverain.
OUVERTURE A DEUX VOLETS
Premier volet
COMMENT OBTENIR POUR SE FAIRE SOIGNER UN MEDECIN HUMAIN ET NON PAS UN DOCTEUR LOINTAIN ?
Ne tombez jamais malade !
Mais, si un jour de malheur, pour inattention ou par fatalité, une telle disgrâce devait vous accabler, si vous tombiez malade, voici le conseil le plus précieux : si vous tombiez malade, exigez, pour vous soigner, exigez à votre chevet, non pas un docteur, mais un médecin.
Vous allez demander : « comment s’y reconnaître ? »
Voilà qui va vous décevoir. Vous n’y arriverez pas facilement.
Pour vous mettre en mesure de juger si le soignant qui se présente est bien un médecin humain et pas seulement un docteur lointain jouant au médecin, il faudra travailler, vous entraîner. Beaucoup travailler. Beaucoup vous entraîner.
Et travailler à bon escient !
Ne vous égarez en particulier pas, à vous figurer que c’est en ingurgitant en boulimique du savoir médical, en essayant de vous doter, à la va vite, d’une tête bien pleine de diplômé de la Faculté, que vous pourriez devenir l’expert, capable de différencier un médecin d’un docteur. N’allez jamais vous imaginer cela. Surtout pas.
Ce serait une catastrophe.
A prétendre jouer le neurologue, le cardiologue, le gynécologue ou le dermatologue, le gastro-entérologue ou l’oto-rhino- laryngologiste… : vous ne parviendriez qu’à vous trouver bientôt toutes les maladies.
Comme les héros de « Trois hommes dans un bateau ».
Lundi, la vache folle. Mardi, la grippe aviaire. Mercredi, la langue bleue. Jeudi, le chikungunia. Vendredi, la ciguaterra. Et le week-end l’et coetera, qui est une maladie qui n’en finit pas.
Non.
Ne vous lancez pas, non plus, l’écume aux lèvres et un revolver 6.35 en mains, dans la lecture de cet intéressant mais excessif ouvrage : « Défends ta peau contre ton médecin »
Non.
Pour vous mettre en mesure de repérer rapidement les médecins et de les différencier des simples docteurs, voici en revanche ce à quoi il convient de consacrer du temps.
Mettez-vous dans la peau d’un malade. ! A vos moments libres, de bien portant , comment dire ?
Voilà à vos moments libres de bien portants, imaginez-vous malade.
Ne vous lancez pas, cette fois, dans un rôle de composition. Ne cherchez pas à vous mettre dans la peau d’un rhumatisant, d’un essoufflé, d’un anxieux, d’un chatouilleux, ou gratouilleux, d’un tendu ou hypertendu : remettez-vous tout simplement par la pensée dans la peau du malade que vous-même avez un jour été !
Comme Proust, que le souvenir de sa madeleine catapulte vers un temps qu’il croyait perdu, et qui revit brusquement la totalité d’une scène passée, efforcez-vous d’abord de vous remémorer ce que, au moment ou vous étiez malade, la maladie créait en vous comme angoisse, comme douleurs physiques et morales. Essayez ensuite de revivre ce que cette angoisse et ces douleurs créaient alors, à ces moment là, à ces moment précis, comme attentes vis a vis du soignant.
Faites un effort. Vous y êtes ? Alors on est d’accord n’est ce pas ?
Quand on est bien malade, au fond de son lit (et les médecins malades n’échappent pas à la règle, je vous prie de le croire) on se sent coupé de tout, forcé à l’égocentrisme.
Et alors, ce qu’on attend c’est un médecin chaleureux . Attentif, discret, présent, disponible, mesuré, rassurant. Réconfortant. Chaleureux. Réchauffant.
Ce que l’on redoute, c’est un docteur réfrigérant, un sachant sec, mécanique, lâchant ses observations, son diagnostic, son pronostic et ses ordonnances comme autant de projectiles finalement vulnérants.
Je n’ai pas trouvé ça tout seul, vous le pensez bien, que le soignant idéal espéré est un médecin réchauffant et non pas un docteur réfrigérant.
Cette subtile différenciation entre médecin et docteur, c’est une sorte docteur honoris causa de ma « Faculté Imaginaire », c’est le grand Sacha Guitry qui me l’a vraiment fait toucher du doigt. Maître Guitry, qui, un jour, du fond de son lit, a tout vu et tout compris, des médecins et de la maladie et qui, ce qui est encore mieux, l’a écrit.
Or donc, un beau jour, j’ai découvert, non pas en faculté, mais en librairie, car ainsi va la vie, deux ouvrages de Sacha Guitry. Deux ouvrages qui pour ceux vraiment soucieux de comprendre la peine et de la douleur des patients, n’ont vraiment pas de prix. Deux ouvrages sobrement intitulés : « la maladie » et « mes médecins », écrits l’un, à chaud – c’est le cas de le dire car il avait alors une fièvre à quarante – l’autre, en s’imposant cette obligation de remémoration évoquée il y a quelques instants.
Procurez- vous ces deux textes et dévorez-les, toutes affaires cessantes. Quoique, quoique…
Quoique, je craigne fort que, vous aventurant sans guide, vous ne parcouriez ces pages comme l’on visitait il y a encore peu Le Louvre ou Saint Sulpice. Sans avoir lu « Da Vinci Code » En passant à côté du mystère caché !
Il vous faut, je le crois, un autre Dan Brown pour décoder certains paragraphes qui de prime abord pourraient vous paraître anodins, mais qui…. Permettez-moi de proposer humblement mes services.
D’abord, considérons cet aphorisme très troublant, parfaitement ésotérique. Guitry a écrit :
Je me méfierai d’un docteur qui se serait fait une tête de médecin :
C’est, pour un médecin, très finement observé, mais ce doit être, pour des non initiés, d’une profondeur aussi menaçante que le gouffre de la Hene Morte ou le trou de la sécurité sociale. Aussi, vous faut-il absolument, avant de pouvoir explorer le fond de cette pensée, accepter deux courts arrêts dans le monde mystérieux de la typologie des soignants.
Comme dirait le papa Simpson, enseignant son rejeton : « Attention ! Attention ! ».
Le docteur, c’est celui qui a soutenu une thèse. C’est donc un docte technicien, qui voit le malade comme un corps malade, qui tient ce corps pour un machin ou une machine qu’il faut explorer par d’autres machins et machines. Des petits machins et des grosses machines. Et qui dit à la fin, c’est le colon qui est bloqué, c’est le foie qui est engorgé, c’est un tuyau qui est bouché, un joint qu’il faut changer… Bref, le docteur : qui c’est ? c’est le plombier ! Qui ne voit rien de plus chez un malade que ce qui est détérioré, qui dit si l’on peut réparer, si l’on doit changer la pièce…ou s’il n’ y a pas de pièces… et qui s’en va. Le docteur c’est celui qui dit : « Toute peine mérite …scanner » !
Et le médecin, alors ? Le médecin, c’est celui qui se souvient qu’avant de rédiger sa thèse, il a fait sa médecine et que la médecine consiste moins à conjecturer gravement sur des données desséchées traitant d’un corps malade, qu’à prendre en charge le corps d’un malade ayant son moral en berne. Le médecin c’est celui qui est convaincu que la médecine, c’est l’art de transformer la rencontre médecin malade en un acte social complet. Le médecin fait tout ce que fait le docteur, bien sûr, mais vous donne du temps, en plus , pour prendre prend soin, aussi, de vos attente, de votre anxiété, de votre angoisse, de votre moral, de ce moral que l’on a si intimement, chevillée au corps. Le médecin c’est celui dont vous sentez qu’il souffre un peu à l’unisson de votre moral malade. Ce médecin, ce n’est tout de même pas un saint, c’est un professionnel de la médecine mais qui se donne du mal pour que son malade ressente immédiatement qu’il a souci de lui.
Un simple docteur – plombier, qui, seulement pour plaire, s’improviserait une tête de médecin, comme ça, et pour seulement séduire, imposerait des propos compassionnels autant qu’inutiles empruntés aux feuilletons télévisées – « je t’aime malade ; je vous aime aussi docteur » - serait aussi dangereux pour votre sécurité morale que le serait pour vos doigts de pieds un type qui avec des sourires charmeurs vous vendrait une paire de chaussures trop petites.
Ce premier message du Maître Je me méfierai d’un docteur qui se serait fait une tête de médecin est donc déjà très fort Il n’acquiert pourtant sa pleine signification que si vous le rapprochez d’une autre maxime située loin ailleurs dans ses écrits.
Une observation charmante et seulement piquante en apparence.
Mais, haussez au soleil la page diaphane, le message absolu est dans le filigrane.
La double dimension du sacerdoce médical – savoir et humanisme - y resplendit d’une lumière aveuglante, alors que le sec programme unidimensionnel du docteur est réduit à sa lumière noire.
Ecoutons le Maître Guitry :
Il est rare qu’un malade ne soit pas doublement malade, car, ordinairement, on est malade d’être malade.
Cette fois, nous avons compris : un disciple d’Hippocrate, comme Janus, doit être à deux faces. Docteur il lui faut être pour s’occuper techniquement du corps qui est malade ; médecin il doit être pour s’occuper affectivement du moral de celui qui est malade d’être malade ! La pratique médicale est un exercice à deux niveaux.
Il est rare qu’un malade ne soit pas doublement malade, car, ordinairement, on est malade d’être malade…
C’est magnifique ! C’est l’exposé d’une exigence incontournable fondée sur le double réel médical. Un double réel, d’ailleurs, notez le bien, qui peut fonctionner dans les deux sens. Car, si, parfois le moral met son drapeau en berne parce que le corps est malade, d’autres fois, c’est le contraire : le moral prend un coup terrible, mais comme la bouche ne veut pas se plaindre, c’est le corps qui « dit » que ça va mal. Voyez comme c’est délicat, l’Art médical ! Raison de plus pour que le soignant soit à la fois impeccable docteur et attentif médecin. Il le faut. Il le faudrait toujours.
Hélas ! Parfois…il ne l’est pas !
Que se passe-t-il, alors en cas de défaillance ? Que se passe-t-il lorsque le médecin régresse au stade docteur ? Et s’occupe trop du corps et très peu du moral, trop de la maladie et très peu du patient. Evidemment la pendule médicale et l’horloge du patient ne battent plus au même rythme. Et c’est bien ennuyeux… mais d’ou est-ce que cela provient ? Sacha en recourant à cet esprit fin, piquant, qui est le sien, pointe du doigt un présumé coupable: la spécialisation !
Les médecins ont souvent tendance à se spécialiser. Enriquez soignait l’estomac, Vaquez soignait le cœur, Robin aussi s’était spécialisé…. Il soignait les malades !
C’était il y a trois quart de siècle. Et cette réflexion était prophétique. En fait, on n’a plus guère de considération que pour les docteurs. Et le docteur rêvé par les Institutions, on lui demanderait presque, aujourd’hui, de spécialiser dans les soins apportés à ses appareils pour les faire tourner avec précision Même, souvent, c’est encore pire. Car, la tentation se fait chaque jour plus prurigineuse de demander aux docteurs de soigner… les statistiques !
Former des médecins, la Faculté ne s’en préoccupe plus. Enfin, plus beaucoup. Elle, elle s’occupe de former des « Docteurs » La Faculté considère que le comportement individuel du médecin c’est une affaire individuelle. Et aussi que c’est du bla-bla. On sourit, de nos jours, à l’évocation d’un « Art » médical. On veut une médecine technicienne, impeccable, infaillible. Une médecine automatique, évaluable. Par des logiciels.
Maintenant ? Ce sont les logiciels de l’Administration qui décrètent qu’un soignant est bon ou pas bon.
Or, qu’il s’agisse de sommeil, de sexualité, de nutrition, d’exercice physique, de problèmes d’apparence et d’image, ou qu’il s’agisse de douleurs incessantes, d’accident brutal, de maladie infectieuse, de santé des enfants ou des plus tout jeunes, ce que nous espérons, là, à chaud, c’est un professionnel de savoir mais qui soit aussi un confident, attentif et en phase avec nous : bref, un médecin
Il faut donc crier « Halte-là ! » et exiger que l’on revienne à du social, à du républicain et retrouver la meilleure part de l’esprit des lumières. C’est à dire comme le disait à peu près le regretté Kant « Se sortir d’un état ou l’on s’est soi-même mis minable »
IL FAUT RESTAURER DANS SON PRESTIGE DE L’ART MEDICAL
Or, ce ne sont pas les docteurs qui parviendront à réussir cela.
C’est à vous de prendre de prendre, pour vous, pour eux, en mains cette affaire là ! Ils n’attendent que ça, les docteurs malgré eux : que vous exigiez qu’ils redeviennent médecins ! Et vous le pouvez ! Vous êtes même les seuls à le pouvoir !
Le plus grand événement médical et social des trente années passées, c’est l’avènement des associations de malades. Seulement, elles n’ont fait le travail qu’à moitié. Elles se sont préoccupées surtout du côté technique. Très peu du côté Art Médical. Elles se sont, elles aussi, occupées du « Docteur » et peu du « Médecin » Qu’elles ont un moment, même, considéré comme un personnage obsolète. Et puis le médecin est revenu en grâce. Mais voilà, on n’en forme plus. On a cassé le moule : la Faculté, cédant à l’air du temps, a choisi de ne plus beaucoup s’en préoccuper de former des médecins. Et les logiciels de l’Administration ont occupé le terrain déserté. Et ça s’aggrave !
Il faut donc que très vite le peuple songe à se doter d’un pouvoir nouveau : celui qui lui permettra de surveiller , et de près, comment les Facultés vont s’y prendre pour former des « médecins » et pas des « docteurs ».
Or, voici le message : le peuple, citoyens, doit s’il veut se lancer dans ce combat, doit à l’évidence prendre pour figure emblématique non pas un médecin, mais l’un des siens.
Et alors, abracadabra : revoici Sacha. Avec un projet, comme l’on dit. Un projet fort original mais dont je ne saurais trop vous conseiller de vous l’approprier.
Le Maître vous dit : vous n’arriverez à rien si vous ne considérez pas avec la plus grande attention ce que peut apporter à l’Art Médical le… le… le ? Le THEATRE !
Nous sommes tous d’accord, n’est-ce pas? Pour ce qui est du théâtre, Sacha comme Agamemnon dans « La belle Hélène » peu proclamer, superbe : « J’en ai dit assez je pense en disant mon nom »
Alors si cet homme de théâtre, par ailleurs admirable spectateur de ses propres malheurs de malade, et observateur sagace de la Comédie médicale, vous affirme sans ambages : le meilleur des médecins sera le médecin qui « joue bien » son rôle de soutien humain, sans doute faut-il l’écouter. Ce ne sera pas sans conséquences savez-vous ! La société a tout à gagner d’une alliance médecins – public rénovée.
Quand on dispose pour se faire soigner de médecins et pas seulement de docteurs, on devient moins enclin à aggraver la perversion technologique de la médecine quotidienne. Ce qui a comme l’on dit des avantages collatéraux, car, comme disait un jour un cotisant avisé autant que lucide « La santé gratuite, c’est nous qu’on la paye » !
Si vous n’avez pas une santé de fer et un portefeuille bien garni, suivre Sacha cela n’est plus seulement intéressant : cela devient une bonne affaire !
Je m’en suis, pour ma part, convaincu : c’est le théâtre appliqué à la médecine qui seul peut boucher le trou de la SECU ! Que les médecins jouent mieux pour que les patients cotisent moins ! Espoir suprême : jouer plus pou casquer moins !
Tel Virgile dans la « Divine Comédie » je ne prétends en l’occurrence à rien d’autre qu’à vous servir d’éclaireur pour vous faire découvrir sur les pas de Sacha ce que peut avoir d’Enfer cet espace pourtant pavé d’excellentes intentions : l’espace médical quand le sens de l’humain y fait défaut. Et comment on peut y échapper. En formant des médecins jouant bien plutôt que des docteurs.
Deuxième volet
LE SOIGNANT IDEAL EST A LUI TOUT SEUL UNE TRINITE : DOCTEUR, MEDECIN …COMEDIEN !
REPONSE SELON SACHA:
A la recherche de la pensée du Maître, remontons, si vous le voulez bien, le fil ténu du temps perdu. Et nous voici en 1932 : il pleut et fait soleil, le diable bat sa femme et marie sa fille, la peste brune approche, mais les années sont gaiement folles, la garçonne s’impose et aussi à Paris une autre légion étrangère de peintres admirables. Montparnasse triomphe avec Soutine, Pascin et Modigliani et Montmartre résiste dans le souvenir – déjà - des débuts au « Bateau lavoir » de Picasso et Braque. Mais au sein de ce tohu-bohu, qui culbute les bienséances, le château sévère de la médecine semble par sa hauteur et par ses perfections, ne devoir être voué qu’à l’unanime admiration.
Or, en cette année de grâce 1932, des années réputées donc « folles », les laboratoires Cortial, mettent aimablement à la disposition des docteurs une petite brochure intitulée « Mes médecins ». Elle est signée Sacha Guitry, Prince du temps, et charmant Paris, Sacha qui dès les premières lignes fait aux successeurs d’Hippocrate une presque royale déclaration d’amour :
Au seuil de ce petit livre ou il ne sera guère parlé que des médecins, l’auteur a pensé qu’il était de son devoir de faire à ses lecteurs éventuels cette immédiate déclaration : j’adore les médecins.
« J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer » confesse à Burrhus le pervers Néron avant d’occire son rival Britannicus. Serait-ce ici le cas ? Pas tout à fait, mais... Ces médecins, qu’il vient d’embrasser si fort, le Maître ne les étouffe pas vraiment, mais tout de même, dit de quoi les faire tousser un peu :
« J’adore les médecins…maintenant, entendons-nous. Vous pensez bien que je ne les adore pas tous car il m’est arrivé de rencontrer quelques idiots, des vaniteux, des charlatans, des maladroits, des maniaques et des entêtés. Mais à la vérité j’en ai rencontré peu qui fussent à mon avis réellement indignes d’exercer cette profession périlleuse entre toutes… périlleuse, pour les malades »
Donc il n’adore que quelques médecins élus, choisis, adoubés. Mais, ceux là, il semble vraiment les adorer. A un point tel, même, qu’il voudrait carrément se mettre dans leur peau :
« Pourquoi ne l’avouerais-je pas, je les envie. Je ne dis pas que j’aurais voulu être médecin, mais j’aurais voulu l’impossible : j’aurais voulu, sous un faux nom et avec une fausse barbe, être médecin chaque jour, de deux heures à cinq heures du soir, et j’aurais voulu continuer à faire des pièces tout le reste du temps »
Maintenant l’explication de cette tentation mimétique et médicale à temps partiel. Ce qu’il « adore » chez les médecins, ce n’est pas leur personne, ni même leur savoir, c’est ce droit inouï que leur confère la société, et qui leur permet d’interroger l’intimité humaine jusque dans ses replis les plus secrets.
« Nous qui, auteurs, passons notre existence à supposer des états d’âme, des cas de conscience, nous qui avons tant de peine à arracher des aveux sincères à ceux dont nous nous efforçons de faire des personnages, quelle joie serait la notre si nous avions, comme eux, comme les médecins, le droit de poser à des personnes que nous ne connaîtrions pas ces questions étonnantes et directes que dès la première entrevue, le médecin pose sans rougir à sa cliente ou à son client….Il n’a même pas besoin de les poser, du reste ces questions. On lui dit tout, on lui raconte tout- parce qu-on ne peut pas ne pas tout lui raconter. On commence bien par ne lui dire que la moitié des choses, mais le médecin voit tout de suite qu’on lui ment. Et l’on finit par tout lui dire.
Alors Sacha dit son regret
Si les médecins voulaient parler, ils nous en donneraient, des sujets de pièces »
Mais… Hélas : autant de médecins, autant de carpes !
Moi, j’aurais voulu les faire parler mais ce n’est pas commode. Les médecins ne répondent pas aux questions qu’on leur pose. Ce doit être intolérable pour eux d’être questionnés.…
Evidemment : secret professionnel ! Oui, mais pas seulement… Il y a autre chose.
Ces hommes ont pour fonction première et capitale, celle de découvrir ce qui cause le mal, l’endroit d’ou il vient, les ravages qu’il a déjà causés. Cette découverte est donc pour eux une victoire - et c’est à la minute même ou ils la remportent qu’on exige d’eux l’attitude indifférente qui doit rassurer le malade. Ils n’ont pas cette joie de pouvoir exprimer leur légitime satisfaction. Il faut au contraire qu’ils s’observent, les malheureux, et qu’ils ne laissent pas échapper le geste, le mot, la moue qui révélerait la vérité. Il faut qu’ils mentent… »
Il faut qu’ils mentent ??? Il faut qu’ils mentent !!!
Par obligation, par compassion, parce que la vérité en médecine, oui, il faudra peut-être bien la dire, mais pas toute la vérité et pas tout de suite. Ce serait trop brutal, trop cruel.
Mais instantanément, cette découverte en vaut à Sacha une autre. Et tel Archimède dans son bain, il peut crier Euréka. Il vient de découvrir là ou blesse le bât de la praxis médicale. Abandonnant ses regrets d’auteur, il rejoint brusquement l’angoisse du malade à l’instant du diagnostic. Qui pour lui est un verdict. Dans un univers qui n’a pas supprimé la peine de mort !
Voici ce qui tout d’un coup apparaît évident à Sacha. Mentir sans trahir la vérité et à la satisfaction du malade, cela demande du respect humain, de la sincérité et un grand talent., nous y voici, un grand talent de bon acteur !
Or, malheureusement, diagnostic aveuglant pour Sacha :
Les médecins, trop souvent ne savent pas jouer.
Et c’est cela qui est terrible pour celui qui est « malade d’être malade ».
Pour parvenir à cette lumière, Sacha s’est remémoré un souvenir cruel :
Lucien Guitry, son père, le grand acteur, se meurt. Un grand cardiologue, le professeur Vaquez. est à son chevet. Sacha, qui sait qu’il va perdre son père, observe et décrit :
« Et les deux hommes se regardaient et le grand docteur essayait de jouer la comédie devant le grand acteur et n’y parvenait pas. Il n’était pas de force. Le médecin se troublait, le comédien s’en amusait, courtoisement. Il semblait lui dire « Vous êtes un très grand docteur au diagnostic infaillible et vous vous êtes tout de suite rendu compte que l’état de mon cœur n’était pas fameux…. Mais pour pouvoir me le cacher, docteur, il aurait fallu répéter ça pendant un bon mois »
Voilà ! C’est fait. L’œil du Maître a repéré tout de suite là ou les médecins, même les plus impressionnants ne sont pas à la hauteur de l’attente du patient.
Sacha dit tout bonnement : même s’ils se pensent irréprochables, même s’ils souhaitent soigner le malade et pas seulement la maladie, les médecins ne donnent pas le sentiment d’être à la hauteur parce qu’ils jouent faux leur texte. Ils ne jouent pas d’ailleurs : ils se la jouent.
Ils se composent un personnage qui par maladresse au mieux, par fatuité au pire, sème l’à peu près. Et le patient récolte le bon grain et l’ivraie.
C’est parce qu’en homme de théâtre il avait compris tout cela qu’un jour, pour faire un mot, Sacha écrira :
Je n’ai pas aimé le médecin que j’ai vu hier, il ne joue pas bien
La médecine, a-t-on déjà dit, c’est l’art de transformer la rencontre médecin – patient en un acte social complet. En médecine, le principal c’est le savoir. Mais ce n’est que le principal : l’essentiel pour celui qui souffre est que le soignant sache jouer ce principal. L’essentiel est de savoir jouer ce savoir. Pas de jouer de ce savoir.
C’est important vraiment ce que nous affirme Guitry. Le médecin, s’il se veut complet praticien, doit accepter de travailler son rôle, en comédien. Pour tenir son rôle et pour devenir capable de décrypter le jeu de son partenaire. Et la faculté doit par voie de conséquence se préoccuper de former de bons comédiens…
En bref affirme Sacha, quand le théâtre s’occupera de la médecine, ça ira mieux pour les patients, les impatients, les malades et les bien portants.Et pour les médecins
Adhérez à cette vision ! A Saint Cosme et Saint Damien , patrons de la médecine, suggérez d’ajouter un « Bienheureux » laïc : Le Bienheureux Sacha. Et demandez à la Faculté de médecine de vouloir bien vite créer quelques chaires Sacha Guitry de Comédie Médicale.
Comme il y a la Divine Comédie de Dante, la Comédie Humaine de Balzac et comme il y a la Comédie Française, affirmez sous bénéfice d’inventaire qu’il est grand temps de promouvoir des chaires de Comédie médicale. A moins que vous ne préfériez parler de la nécessité de promouvoir un DOCTORS STUDIO sur le modèle de L’ACTORS STUDIO. Vous pourriez aussi imaginer de remplacer la STAR ACADEMY qui paraît-il s’essouffle par un DOCTORS ACADEMY… ça ferait de l’audience ! C’est vous qui voyez !
Maintenant, entendons-nous, vous pensez- bien que, cette noble théâtralisation médicale proposée, afin de mieux soigner le malade, tout le monde ne va pas adorer ! Affaire ! Polémique ! Scandale ! Parfums délicieux ! Orages désirés levez-vous ! Faire du médecin, un comédien ? De la Faculté, un conservatoire ?
A quel titre au nom de Guitry pourriez-vous à titre posthume contraindre la Faculté à cette ré orientation ? Avait-il au moins la fibre médicale, cet histrion ? N’était il point un charlatan ?
Un charlatan ? Fi l’horreur ! Non ! C’était un Maître sans stéthoscope. Mais un Maître de la Médecine cependant !