Une introduction à la sociologie ou à toute autre discipline scientifique implique le développement d’une vision globale mais appuyée sur des exemples significatifs et des données incontestées. Elle constitue donc, à la fois, un défi intellectuel, surveillé de près par la communauté des collègues, et un objectif d’enseignement redoutable, comme une « leçon de chose » des instituteurs d’antan. L’ouvrage dont il est question en est désormais à sa septième édition. C’est dire le succès rencontré ! Le volume réédité par Gilles Ferréol et Jean-Pierre Noreck a été, par ailleurs, largement et profondément mis à jour et reformulé. Huit chapitres composent le plan auxquels sont adjoints une bibliographie et deux index (l’un des noms propres et l’autre des notions). Deux chapitres sont consacrés aux aspects socio-historiques (première partie) et les six autres aux différents domaines de recherche et d’analyse (seconde partie).
Le premier chapitre, Les pères fondateurs, emprunte la voie classique et nécessaire de l’initiation. La pratique pédagogique avec les étudiants atteste que ces derniers ont, dès les premières années, une relative difficulté à se souvenir de noms essentiels, en plus de patronymes plus connus et ressassés (Durkheim, Marx, Montesquieu, Rousseau, Tocqueville ou Weber). C’est pourquoi on appréciera que Comte, Hobbes, ou Simmel et quelques autres, y figurent en bonne place et donnent aussi lieu à des notes synthétiques et informatives. Les orientations de ces sociologues ou philosophes politiques sont alors clairement abordées et synthétisées par des tableaux synoptiques détaillés. Boudon et Bourdieu y constituent les deux des références contemporaines mises à l’honneur Le texte suivant, La Connaissance du social, plus spécifiquement axé sur des questions de méthode et d’épistémologie, permet de décrire le type de scientificité attendue dans les sciences sociales. Explication ou compréhension, herméneutique ou recherche causale, monographie ou raisonnement hypothético-déductif ? Autant de questionnements traversant les problématisations et demandant quelques mises au point.
La seconde partie est axée sur les études de cas. Dans le troisième chapitre, Stratification et pratiques sociales, on touche au fondement même l’organisation et du changement dans les sociétés (hiérarchie, ordre, inégalités) et peut-être à l’un des premiers thèmes de la sociologie naissante, à la fin du XVIIIe siècle et après la Révolution française. Pour ce champ de recherche, comme pour ceux qui suivent, on relève une présentation équilibrée des différentes grilles de lectures (approches marxiennes, libérales, wébérienne des inégalités, théories des mouvements sociaux et des minorités actives…). Dans Institution familiale et processus de socialisation (chapitre 4), on aborde un autre pan, pluridisciplinaire, de la construction de la société par elle-même : l’organisation de l’entité domestique (voire l’économie du groupe naturel et primaire) et l’évolution et la diversité des systèmes de parenté. Bien entendu, d’autres aspects sont aussi analysés comme l’évolution de ce qu’on nomme aujourd’hui la « parentalité » ou la transformation des rapports de couple, appuyés sur divers tableaux statistiques et démographiques et encadrés. La thématique du chapitre 5, éducation et inégalité, a, comme on le sait, fait couler beaucoup d’encre, tant dans les revues de sociologie (approches opposées et complémentaires de Pierre Bourdieu, de Roger Establet ou de Raymond Boudon) que dans la presse quotidienne et les assemblées législatives ou les gouvernements, surtout en France. Après le développement, chiffres à l’appui, de l’histoire du système éducatif, ses évolutions et ses principales grilles explicatives sont exposées (individualisme méthodologique, paradigme structuraliste et systémique…). Les chapitres suivants (« Culture et styles de vie », « Travail et emploi », « Organisation et pouvoir »), dessinent les contours de trois domaines essentiels. Dans le chapitre 6, l’analyse des phénomènes culturels privilégie l’appréhension anthropologique et la problématisation de l’universalité/différenciation ; l’observation des styles de vie est abordée du point de vue d’une sociologie de la quotidienneté et des mutations dans les mœurs ou les modes de consommation. En lisant le chapitre 7, on s’interroge sur des phénomènes macrosociologiques, concentrés autour de trois thèmes connectés : le lien entre l’organisation du travail et les politiques de formation ; l’évolution des systèmes d’emploi et les conséquences de ces articulation sur les conduites des acteurs (féminisation des emplois, insertion professionnelle des jeunes, crise du syndicalisme, cultures d’entreprise et gestion des ressources humaines). Le chapitre 8 conclut l’ouvrage sur un secteur classique : la sociologie des organisations et des entreprises. On y présente, outre les approches classiques et rationalistes (Weber, Taylor, Fayol), les contributions de théoriciens de l’analyse stratégique (Crozier, Sainsaulieu) et du paradigme communicationnel (Hirschman) ou d’observateurs cherchant à intégrer l’évolution des relations entre partenaires sociaux (Rosanvallon). Cela conduit les auteurs à conclure sur une synthèse succincte mais efficace des travaux sur les élites et les réseaux organisant l’administration et le pouvoir.
Il faut souligner que le mode d’exposition des contenus demeure à la fois rigoureux (références fondamentales, auteurs majeurs, définitions de base), linéaire, tout en proposant des ensembles thématiques accessibles et communicables. Au final, ce volume, plébiscité régulièrement par de nombreux lecteurs, de 1989 à aujourd’hui, constitue à la fois un outil de réflexion incontournable, un instrument de connaissances, mais aussi et surtout un excellent cours magistral qui, lorsqu’il est bien fait, doit, comme on le sait, susciter l’envie de lire (d’autres auteurs, d’autres livres) et inciter à approfondir certaines problématiques.