Introduction
Depuis plus d’une décennie, les divers conflits observés dans certains secteurs de la vie en société conduisent de plus en plus à la nécessité de leur appliquer une démarche de médiation. Que ce soit en matière civile ou pénale, la fonction de médiateur, censée faciliter certaines formes de régulation, peut aussi bien répondre à un principe d’efficacité qu’à un besoin de se conformer à certaines attentes d’ordre social, politique et/ou institutionnel. Elle prend place dans une perspective relativement récente de développement d’une justice de proximité ou de mesures efficaces, tant sur le plan de la résolution des conflits existants que sur celui de la prévention de nombreux autres. Globalement, « la médiation se définit comme l’action de mettre en relation, par un tiers appelé médiateur, deux personnes physiques ou morales appelées médiées, sur la base de règles et de moyens librement acceptés par elles, en vue soit de la prévention d’un différend ou de sa résolution, soit de l’établissement ou du rétablissement d’une relation sociale. » (De Briant & Palau, 1999, p.11). Toutefois, cette approche fait aujourd’hui l’objet d’une réflexion qui se veut tantôt scientifique tantôt idéologique, souvent les deux à la fois. Les spécialistes de la gestion des conflits interpersonnels, intergroupes ou sociaux s’accordent à dire qu’après une augmentation des mesures politiques et des systèmes d’actions destinées à mieux gérer ou anticiper divers troubles sociaux, le plus souvent dans les quartiers difficiles, la médiation tente de sortir du flou qui entoure son développement. Il est cependant notoire que plusieurs obstacles freinent sa portée. Le sens même de la médiation, les réticences de ceux qui la subissent (peur de l’intrusion, réticence à l’égard du pouvoir du médiateur…) et les limites de ceux qui la font (formation incomplète, professionnalisation inadéquate, mauvaise connaissance de soi…) sont autant de facteurs à prendre en compte pour que ce phénomène s’impose réellement comme un nouveau système de régulation sociale capable d’endiguer l’escalade de la violence et de l’incompréhension.
Bien que la médiation ne soit pas un phénomène très nouveau, sa quête d’une légitimité reconnue lui fera attendre 1997, avec une loi qui met particulièrement l’accent sur la nécessité de développer les métiers du lien social lesquels, à cette époque, seront un des domaines centraux concernés par les emplois-jeunes. Nos interrogations concernent principalement la légitimité de la médiation. Ce phénomène représente-t-il juste un nouvel instrument social d’une boîte à outils déjà quantitativement bien remplie, ou réfère-t-il à un mode de régulation sociale pertinent et novateur ? Si le versant psychosociologique du sujet peut nous aider à répondre, nous verrons également dans l’aspect politique que la perception de la médiation influence la réponse. Globalement, nous pensons que la psychologie du travail est sans doute la discipline la mieux à même d’appréhender cette problématique dont la compréhension suppose à la fois la prise en compte des facteurs macrosociaux (économiques, socio-organisationnels,…) d’une part et, d’autre part, de facteurs liés aux exigences en matière de psychologie vocationnelle et d’orientation professionnelle.
L’ouverture dans les années 1990, offerte sur le territoire français par la mesure « emploi jeune » a permis la naissance de nombreux services autour de la médiation, dont certains furent confortés par la signature des Contrats Locaux de Sécurité en 1998. Mais la conséquence directe de ce double cadre juridique fut la nécessité d’agir vite, pénalisant notablement ces nouveaux métiers qui ont dû s’organiser avec un manque de repères clairs. Notre propos vise ici à situer un champ de compétence relativement récent et dont les enjeux en termes d’orientation et de parcours professionnel, de formation et de recrutement restent relativement peu théorisés. Il s’agit de proposer une vision globale du champ aux nombreux acteurs directement ou indirectement concernés tels que les psychologues du recrutement, les conseillers d’orientation psychologues, les inspecteurs d’académie, ainsi que les décideurs au sein de certaines structures où la question de l’adéquation entre compétences visées d’une part et réalités sociales et professionnelles d’autre part se pose. L’analyse que nous proposons ici, s’inscrit pleinement dans diverses tentatives actuelles de professionnaliser les personnels qui ont pour mission de contribuer à la reconstruction du lien social et donc de pratiquer la médiation sans pour autant en avoir eu au préalable les bases théoriques, méthodologiques et pratiques. Ainsi, malgré l’absence, au moins partielle, de ces bases fondamentales, on constate que dans le domaine judiciaire, le procureur nommera régulièrement des délégués chargés justement de procéder à diverses actions de médiation, tout comme le fera le recteur d’académie, le maire d’une ville ou encore le directeur d’une banque. D’aucun considérera que l’efficacité de ce type de mission peut se réaliser au moyen d’improvisations et de diverses formes de bricolage « expérimentalo-intuitif ». Les effets d’une absence de représentation claire des objectifs poursuivis, des processus de médiation ainsi que d’outils de médiation peuvent conduire à remettre en question un dispositif à l’origine totalement légitime. Des recherches ont ainsi été menées en vue de les mesurer (Bonafé-Schmitt, 1999 ; Bondu, 1998 ; Merry & Milner, 1993). Elles permettent notamment de mieux comprendre les interactions possibles des interventions de médiation et d'en percevoir le potentiel et les limites. Certes, les auteurs aboutissent à plusieurs constats positifs mais soulèvent aussi de nombreux questionnements que l’on peut en grande partie relier à la démarche de professionnalisation.
Comme le soulignent Botteman et D’Ortun (2005), le choix d’un métier ou l’engagement dans un domaine professionnel s’avère tout aussi complexe qu’exigeant. Comment contribuer à une meilleure orientation professionnelle ou à un recrutement efficace sans se poser la question des supports d’appréciation des aptitudes et des compétences requises. Comment procède-t-on au repérage de compétences requises en vue de réaliser certaines fonctions relatives aux nouveaux métiers relevant de la médiation. Cette étape est souvent bien négligée et rend indispensable l’élaboration de dispositifs et d’outils susceptibles de rendre compte de l’existence ou la prégnance de ces compétences chez un candidat à l’un de ces métiers et ce, dans le cadre d’une procédure de recrutement ou d’une évaluation formative (Milburn, 2002).
1. Les composantes sociologiques de la médiation
La médiation : un concept polysémique
Nous ne nous attarderons pas ici sur la nature et la multiplicité des travaux déjà réalisés sur le thème de la médiation (De Briant & Palau, 1999 ; Giros-Paris, 2002). De la littérature dans ce domaine, il en ressort que la médiation peut revêtir un grand nombre de réalités et se référer à un nombre tout aussi important de conceptions ou de théories. Ainsi, comme le souligne Six (1990), il peut être utile de distinguer au moins quatre sortes de médiation :
La médiation créatrice qui a pour but de créer des nouveaux liens entre des personnes ou des groupes.
La médiation rénovatrice qui a pour but de réactiver des liens distendus
La médiation préventive qui a pour but d’éviter l’éclatement d’un conflit
La médiation curative dont le but est d’aider les parties en conflit à trouver la solution
Comme l’indique l’auteur, les deux premières agiraient directement sur le lien social, proposant davantage une palette de fonctions traduisant de l’accompagnement social (présence, sécurisation, échanges, etc.). Les médiations préventive et curative, quant à elles, référeraient à des fonctions d’intervention, bien que pouvant être plus ou moins formalisées, chercheraient à parer aux conflits ou à l’aggravation de ces conflits. L’affaiblissement de la référence traditionnelle à l’éducation et à l’accompagnement social voire familial qui marquait les nombreuses décennies d’après guerre se remarque en particulier dans les déficits de la prévention mais également dans la conception suivie en matière de gestion ou de développement du lien social. A ce propos et comme l’indique clairement Lagree et Loncle (2001, p.82), « les limites de la nouvelle conception de la prévention favorisent le développement d’une nouvelle référence, la médiation. L’action médiatrice est censée autant ramener l’ordre et réduire les risques que favoriser, par le débat, l’affermissement des liens entre les institutions et la société. ». Bien que ne touchant pas fondamentalement aux grands principes structuraux à la base du fonctionnement d’une société, les nombreuses transformations sociales auxquelles nous sommes régulièrement confrontés ont beaucoup influencé le regard des professionnels oeuvrant sur les problématiques de la dégradation du lien social, des crises d’identité ou encore de l’ordre social. Loncle ajoute à ce propos (2001, p.82) « l’apparition de ce référentiel d’action (en parlant de la médiation) traduit la reconnaissance du fait que l’appropriation des normes par les individus ne passe plus par la stricte imposition de celles-ci mais requiert leur adhésion, ce qui suppose une démarche active, d’échange, (…) ».
Qu’il s’agisse d’actions de médiation centrées et mobilisées en amont des problèmes sociaux ou en aval de ces mêmes problèmes, chacune de ces médiations comprend à la fois des traits communs et spécifiques. On trouvera ainsi un certain nombre de similitudes fondamentales en matière de communication humaine et sociale. On pourra également repérer des aspects très spécifiques à chacune de ces sortes de médiation ayant notamment trait aux principes de non-intervention, de neutralité, d’autonomisation des conduites ou encore d’aménagement des conditions matérielles et/ou juridiques. Notre démarche vise ici à repérer tout ce qu’un agent de médiation, un médiateur est censé mobiliser ou réaliser pour que son intervention soit la plus constructive. Ceci tant sur le plan cognitif (raisonnement, mémoire, attention, etc.) que social et psychologique (confiance en soi, logique des situations, respect de soi et d’autrui, etc.). Précisons que nous ferons plus souvent allusion aux médiations préventive et curative. Quoi qu’il en soit, notre réflexion partira de l’idée selon laquelle la médiation est avant tout la mise en relation de deux parties, assistées d’un tiers dans le but d’une co-construction ou de la reconstruction d’une réalité sociale commune. Ainsi, nous adhérons pleinement à l’idée selon laquelle « la médiation ne vise pas à répondre à des dysfonctionnements de notre système de régulation sociale, mais à en proposer un autre, fondé sur une rationalité de nature communicationnelle » (Bonafé-Schmitt, 1999, p.6).
La première question qu’il nous semble intéressant de soulever concerne la légitimité de la médiation. Il s’agit de savoir avant tout si ce phénomène représente simplement un nouvel instrument social d’une boîte à outils déjà quantitativement bien remplie, ou s’il réfère, comme de nombreux chercheurs le pensent (Bonafé-Schmitt, 1992 ; Morhain, 1998), à un mode de régulation sociale pertinent et novateur. Si le versant psychosociologique du sujet peut nous aider à répondre, nous verrons également dans l’aspect politique que la perception de la médiation influence la réponse.
Aujourd’hui, la médiation est un système qui se veut en phase avec la réalité du moment, celle de gens incapables de régler leurs conflits tant le flou des repères, la non-limitation des cadres et le recul des limites les mettent en difficulté. De ce fait, les résolutions traditionnelles ne fonctionnent plus chez certaines communautés.
Evolution sociale, culturelle et économique
Jusque dans les années 1970 où certains événements marquèrent profondément la société (chocs pétroliers de 1973 et 1979), plusieurs sociologues pensent qu’il existait des repères clairs et fixes : les enseignants du quartier, le prêtre, les élus et toutes les personnalités qui pouvaient jouer un rôle de socialisation (échange, communication, responsabilisation…), voire de médiation (Morhain, 1998). De nos jours, la longue crise économique et sociale consécutive à ces événements a fait perdre à ces personnalités leur rôle de référents car il y a une homogénéisation des fonctions et des missions. Ils représentent les institutions en bloc et celles-ci sont contestées avec une telle violence que la médiation « naturelle » ne suffit plus.
Il ne s’agit donc pas d’une simple crise de l’institution judiciaire comme l’Etat l’a cru au départ, mais bien d’une crise généralisée de l’ensemble des structures intermédiaires due aux phénomènes d’industrialisation, d’urbanisation, d’accroissement démographique, de mobilité sociale, due également à la persistance de la crise économique et enfin, à l’interventionnisme omniprésent de l’Etat (Bonafé-Schmitt, 1992). En effet, la politique de l’Etat providence qui s’est jouée sous-couvert des profondes mutations qu’a connues notre société ces dernières décennies, a eu pour conséquences d’engranger les processus de dépossession des solidarités primaires jusqu’alors naturellement héritées et conservées de la vie rurale. A travers la fragilisation du sens qu’offre le travail et des conséquences de la précarité, la crise de l’emploi est devenue un révélateur de la capacité qu’ont les individus à croire en leur devenir, leur bien-être et de surcroît au vivre ensemble (Clot, 1999). S’infiltrant dans les moindres rouages de la vie sociale, l’Etat interventionniste a ainsi spolié les structures intermédiaires (famille, acteurs du quartier…) de leur pouvoir d’autogestion des conflits et donc de leur rôle de « balises / repères ». De plus, les derniers élans d’entraide non-organisés tendent à disparaître, un phénomène pouvant apparaître comme étant en totale contradiction avec la croissance économique de notre société. Ainsi, si on prend l’exemple des SDF, on s’aperçoit que même le vieux clochard, échoué dans la rue mais encore porteur des valeurs institutionnelles, ne peut plus espérer recevoir la fameuse « assiette du pauvre » de l’habitant lambda car il se confond à présent dans une population hétéroclite qui fait peur, même si lui ne partage avec celle-ci que l’absence de toit. A présent, personnes victimes de la crise économique, jeunes rejetant la société voulant « tenter l’expérience de la rue » ou encore gens fuyant leur pays (Est…) forment un paysage d’exclus dont la violence des paroles et des actes a accentué la rupture communicationnelle.
Dans cette logique historique de perte de l’écoute et de la parole, la Justice est bientôt apparue comme le seul interlocuteur valable qui depuis lors n’a cessé d’être interpellée pour tout et n’importe quoi (cf. l’exemple des « mains-courantes » des commissariats qui indiquent que 80 % des cas classés sans suite relèvent de problèmes sociaux ne présentant aucun caractère condamnable sur le plan pénal). Influencé par une demande du corps social, l’Etat a donc mal identifié sa cible et a misé sur la spécialisation de l’appareil judiciaire afin de permettre un accès pour tous à la Justice.
Le succès de cette tentative fut hélas la cause de son échec : la bureaucratisation du système a engorgé la justice (délais, complexité et coût des procédures, avocat quasi obligatoire…) qui ne peut donner une réponse adaptée aux situations vécues par les parties en conflit. En disant au 18ème siècle qu’ « abolir le délit, c’est abolir la loi », Diderot (cité dans Etats généraux de la médiation, 1992) pointait avec justesse et avant l’heure cette situation de tension sociale crée par un Etat de non-droit qui par toutes les procédures classées sans suite fait croire à l’indifférence.
Les gens défavorisés ont donc perdu leur pouvoir de résolution des conflits en s’en remettant à un impossible « Etat paternaliste » et les désillusions sont âpres car non-comprises.
L’enjeu ne paraît pas tant être l’optimisation d’une structure étatique, qui ne représente jamais qu’une des facettes de la crise, que la reconstitution du tissu social passant par une remise en cause des réflexes profondément acquis du « tout-Etat ». Ce dernier point est d’ailleurs primordial dans la mesure où la question du développement de la médiation dans les différents secteurs (social, familial, scolaire…) vacille entre une logique de sous-traitance qui ne cherche pas à remettre en cause ce réflexe acquis, et une logique d’intégration socialequi elle, insiste sur la responsabilisation (voir la sous-partie Approche sociopolitique de la ville).
2. La dégradation du lien social : le ferment de la médiation ?
Beaucoup s’accordent à dire que résolutions traditionnelles ne fonctionnent plus ou n’ont pas les moyens d’aboutir, dans certains quartiers particulièrement défavorisés et stigmatisés, ou dans certaines communautés sociales ou ethniques. L’étude du portrait psychosociologique suivant peut également nous aider à bien comprendre la légitimité de la médiation dans les quartiers les plus démunis : l’évolution sociologique de notre société est passée par l’éclatement douloureux de la cellule familiale qui a eu pour conséquence directe de réduire les lieux et les temps d’échange et de rencontre (Six, 1990). Quand la prise des repas n’est même plus commune et que l’image du père est sans cesse bafouée par la réalité sociétale (chômage, stress, résignation…), la famille devient la première incapable de régler les conflits et les violences qu’aucun repère stable ne peut contenir (Morhain, 1998). Du coup, la souffrance psychique ne fait que grandir dans ce monde où le mirage des médias et du rêve côtoie de trop près une réalité stérile et aliénante. L’adolescent perd ses désirs en même temps que la confiance en la parole de ses référents naturels (parents, instituteurs…) et ne voyant plus l’utilité de se placer dans la société, souffre de ne pouvoir vivre aucun « baptême du feu » susceptible de lui conférer une vraie place d’homme à part entière. La dérive vers la violence et le passage à l’acte, seuls capables de donner l’accès aux clans (avec leurs codes et leurs valeurs), apparaît alors avec amertume comme le seul laissez-passer vers « l’être » reconnu (Morhain, 1998). Au début des années 1980, les célèbres « rodéos » de voitures dans les banlieues lyonnaises ont ainsi été les premiers signes de ces crises.
Le problème communicationnel n’est pourtant pas l’apanage des quartiers difficiles et sévit entre les différentes strates d’une société qui ne peut se comprendre, emmurée derrière son vœux pieux et rassurant d’ « in-communication » avec « les autres… ».
La société s’est, par ailleurs, longtemps obstinée dans des actions de réparation sans miser suffisamment sur l’axe préventif. Les différentes actions de médiation sont autant de possibilités pour l’individu de saisir des « moi-auxiliaires » (Spitz, 1998, cité par Morhain, 1998), sorte de mères protectrices, remparts aux dangers d’un environnement instable. Elles permettent ainsi à l’individu d’exprimer le vide qu’il ressent dans ces environnements chargés d’angoisse, d’insécurité et de drames. Cette expression de la souffrance collective semble être psychologiquement la première étape de la reconstruction (id.). La logique de la médiation est donc de passer par une séparation des parties permettant à chacun de se positionner, puis par une reconstruction dans laquelle l’intercompréhension représente la pierre angulaire de tout consensus.
Par ailleurs, l’engorgement démographique des villes ne peut à court terme évoluer favorablement. De ce fait, la médiation sous ses différentes formes (sociale, pénale, scolaire…) apparaît comme le moyen de sortir de l’ancien système binaire (basé sur une issue de type « gagnant/perdant » ou « perdant/perdant »), si préjudiciable pour des gens qui de toutes façons sont voués à vivre ensemble. Le moyen de rechange serait quant à lui basé sur un système ternaire s’appuyant sur le mode de la conciliation / acceptation (Bonafé-Schmitt, 1992).
Enjeux relatifs à la vie dans la cité
Au sein même d’une ville, il existe plusieurs réalités qui s’entrecroisent souvent plus ou moins bien car chacune possède des enjeux différents ayant tendance à s’opposer parfois. L’application de toutes sortes de médiations aurait pour rôle actuellement de « modifier » plusieurs aspects importants de la vie dans la cité tels que son système de régulation sociale ou de participation et de décision. Elle doit composer, non sans mal, avec ces différents enjeux. Parmi eux, on relève l’importance de l’enjeu que représentent la gestion et la régulation de la vie sociale puisque dans ce secteur se trouvent depuis un certain nombre d’années déjà, des professionnels, une certaine façon de travailler, des moyens financiers... (Dubar, 1991). Selon la perception que les acteurs de ce secteur ont de la médiation, elle peut leur apparaître comme dangereuse pour eux (baisse de leur importance, baisse de fonds dans tel ou tel secteur…) et donc menaçante pour leur identité et leur espace d’affirmation ou de réalisation professionnelle. Un autre enjeu notable est celui de la gestion économique et financière. En effet, puisque le social a déjà un coût assez lourd, est-il vraiment utile de lancer dans ce secteur de nouveaux acteurs ? L’économie substantielle que les défenseurs de la médiation avance (baisse du vandalisme…) est-elle réellement possible ?
Cependant, les enjeux les plus importants dans la ville semblent être ceux politiques dans la mesure où ce sont eux qui vont déterminer le plus les décisions des dirigeants. C’est donc sur eux que nous allons nous pencher à présent
Enjeux politiques
La médiation en général (excepté la médiation pénale), et la médiation sociale en particulier, suit une démarche de lenteur car elle fait appel dans les conflits à des comportements comme l’écoute réelle de l’autre, le respect des droits de chacun (…), qui n’existent souvent presque plus chez les publics les plus défavorisés. C’est la logique de la citoyenneté qui doit retrouver sa raison d’être en défaveur d’une logique de survie individuelle.
Malheureusement, nous pouvons penser que ce processus lent ne s’accorde pas avec la logique politique qui est celle de la rapidité. Elle peut selon nous se résumer par le souci (la nécessité ?) de pouvoir jouir des résultats d’un projet avant même qu’il soit achevé. En effet, la finalité d’une action politique se trouve dans l’image qu’elle donne, car de celle-ci dépendent notamment des résultats électoraux souvent versatiles.
Par conséquent, il y a des réticences de la part de certains élus qui hésitent à « investir » dans un arbre dont les fruits arrivent moins rapidement que les rendez-vous électoraux. Se pose alors la question de la pérennisation des emplois-jeunes dans le secteur de la médiation. Pourquoi lancer des recherches (pour la professionnalisation) et investir de l’argent (aide) dans un secteur qui de toute façon met du temps à donner des résultats ? Pour pallier ce problème, certains élus adoptent un comportement de pression vis-à-vis des nouveaux médiateurs (emplois jeunes) afin d’accélérer le retour sur investissement, prenant ainsi le risque de sabrer tout bonnement celui-ci tant son stade actuel est encore balbutiant et donc fragile.
Dans l’idéal, la médiation, qui est un système artificiel d’aide à la communication et à la gestion des problèmes, devrait disparaître à long terme auprès des populations manifestant une autonomie nouvelle en la matière. Mais aujourd’hui, il s’agit d’une « rééducation civique » difficile à instaurer qui se heurte aux réticences politiques précédemment citées alors qu’elle nécessite un investissement constant et général pour être acceptée par la population.
Moyens et limites
Le deuxième point va plus loin puisqu’il met le doigt sur le lien entre la sensibilité politique de la ville (plus ou moins sociale) et la mise en place de dispositifs de médiation.
Ainsi, il est notoire que certaines villes qui ont une dominante conservatrice de droite très affirmée, voyaient au départ dans la médiation une idée incongrue qu’elles ont mis un relatif long moment à prendre en considération (exemple après enquête : la ville de Cluzes – 74). Ceci étant, la demande extrêmement rapide de « retour sur investissement » après les premiers mois d’activités des agents et alors qu’il s’agissait de nouveaux emplois en phase de définition (missions, formations…), montre qu’effectivement les théories sociales sous-jacentes à la médiation n’ont toujours pas été bien comprises ou acceptées. Certaines villes, dont la tendance politique se situe à gauche, ont été plus enclines à accepter et soutenir la médiation car leur projet politique donne une plus grande place à la dimension sociale. Des recherches de crédits ont donc été entreprises sur ces nouveaux métiers et les facteurs de réussite sont logiquement plus présents (temps, coordination, reconnaissance des postes…).
Ainsi, il ne s’agit nullement de favoriser une tendance politique plutôt qu’une autre, alors que toutes doivent de toute façon privilégier la rapidité d’action. Toutefois, il était important de souligner que les sensibilités politiques représentent un facteur important qui détermine le rapport aux problématiques justifiant toute démarche de médiation. Si l’aspect social est sous-estimé, la médiation ne peut être appréhendée pleinement et sera cantonnée au rang « d’outil ».
3. Approche sociopolitique de la ville
Au-delà de la tendance politique de la ville, c’est nul doute, la justesse du diagnostic qui doit être considéré comme centrale. En France, la vision d’une crise sociale résultant de la crise de l’appareil judiciaire a favorisé une approche de la médiation proche de la logique de sous-traitance, au détriment de la logique d’intégration sociale. Dans ce dernier cas, l’objectif visé est communicationnel. Il s’agit de permettre aux gens de se réapproprier une capacité à gérer leurs conflits, à se placer comme acteur de leur vie communautaire dans une optique d’intercompréhension (Bonafe-Schmitt, 1992). On retrouve avant tout cette logique d’intégration sociale dans la médiation scolaire par les « pairs », c’est-à-dire par les élèves eux-mêmes (après sensibilisation et formation), chez les adultes- relais (correspondants de nuit, femmes-relais, agents de promotion de la vie sociale) et chez les instances de médiateurs sociaux. A cette perspective, il faut donc opposer une intention instrumentale, souvent prédominante dans les médiations commanditées et réalisées par des professionnels. Les agents d’ambiance des transports en commun ou les médiateurs institutionnels en général ont ainsi pour première raison d’être de rendre un service au client, ce qui finalement les place avant tout dans une relation plus commerciale que sociale. C’est donc bien une logique de sous-traitance. La création de l’ensemble des postes de médiateurs a suivi cette perspective instrumentale.
La médiation est donc d’abord apparue comme un moyen de désengorger la Justice par le biais de professionnels ou de semi-professionnels. La médiation s’apparente alors plus à une espèce de « service après-vente » censé « calmer les esprits » sans avoir pour réelle mission de régler les problèmes de fond. Cependant, quel que soit le bien fondé de la médiation, il n’en reste pas moins que le développement rapide depuis 1997 des emplois s’y rattachant, a entraîné un certain nombre de « vices de forme » quant à leur professionnalisation. L’absence de formation adéquate, l’incertitude de l’avenir de ces emplois, la baisse des résultats sur le terrain, (…) sont autant de points qui jouent contre l’établissement définitif de la médiation dans le secteur social.
Réalités d’hier…
La majorité des institutions a suivi les directives ministérielles qui incitaient à créer rapidement de nouveaux emplois et a ainsi essayé de répondre à des besoins réels de la population. Cette rapidité d’action a toutefois eu d’importantes conséquences négatives :
- Définition approximative des missions1 :Ex – Pour les emplois au sein des transports en commun, il est difficile, sans formation, de savoir où finit la médiation et où commence la sécurité. C’est bien sûr quand la parole ne suffit plus mais cela renvoie aux compétences individuelles qui n’ont pas toujours été mesurées.
- Définition intuitive du profil des candidats : l’ensemble des institutions a dû « déduire » subjectivement les compétences nécessaires dans les futures situations professionnelles des candidats (maîtrise de soi, prudence, réflexion…).
- Formation insuffisante (notions institutionnelles, conférences de spécialistes du conflit…) et pas toujours bien ciblée. Elle est souvent dispensée par les employeurs eux-mêmes en fonction du temps et de l’argent qu’ils veulent bien y consacrer, introduisant ainsi leur propre perception de ces nouveaux métiers. On peut donc trouver à peu près tous les cas de figure.
La grande majorité de ces emplois ont été créés dans une logique instrumentale. Cependant, on peut noter qu’il existe des différences de perception importantes sur ce qu’est la médiation et sur la place qu’elle peut jouer dans notre société. Ainsi, certains ont bien conscience de l’enjeu social qui se trouve derrière ces nouveaux métiers, alors que pour d’autres, l’enjeu dépasse à peine l’accès à l’emploi pour certains jeunes. Cet aspect pose vraiment problème dans la mesure où le succès de la médiation réside, entre autres, dans la qualité de la communication et de la coopération entre les différents acteurs (médiateurs / médiateurs ; médiateurs / institutions, institutions / institutions). Ainsi, si l’on reprend l’exemple des transports en commun, réussir à ce qu’un train ou un bus ne soit plus un enjeu de territoire pour les jeunes est une chose, mais si le travail de médiation ne dépasse pas ce cadre, le problème de délinquance est déplacé mais absolument pas réglé.
Réalités d’aujourd’hui
Le flou général signalé plus haut a des répercussions logiques aujourd’hui. Les résultats assez positifs du départ s’essoufflent dans la plupart des cas. Beaucoup d’agents de médiation sont fatigués au bout d’un ou deux ans d’emploi (cf. informations du Réseau Transdev) pour diverses raisons. Tout d’abord, on constate régulièrement la mise en place de politiques d’embauche inadéquates. Certains employeurs ont suivi une indication ministérielle demandant l’embauche prioritaire de jeunes de banlieues, sans que cela repose sur une démarche construite et rationnelle. On peut également relever l’instabilité des situations d’emploi souvent dépendant de contrats de ville ou des aléas de la politique municipale. Ainsi, le statut d’emploi précaire des jeunes médiateurs sociaux peut constituer une réelle source d’angoisse et donner lieu à un faible sentiment d’appartenance professionnelle. Il pose en tous cas des problèmes de projection dans l’avenir. Ces jeunes ne savent pas ce qui se passera à la fin de leur contrat et cela se ressent de plus en plus dans le travail quotidien (perte d’implication : jusqu’à 30% d’absentéisme par jour, grèves…). Enfin, la démotivation peut également tenir à la pertinence du métier. L’utilité de leur rôle ne leur apparaît pas toujours clairement car par exemple, certains travaillent avec des SDF depuis le départ sans voir vraiment de changement (coursiers sociaux, ALMS…). Quel sens donner à ce métier ? Comment comprendre les discours politiques, souvent réactivés à la suite d’événements urbains dramatiques ? Le lien entre les politiques sociales et les modalités d’action sur le terrain suscite bien d’autres interrogations. Enfin, les identités professionnelles ne sont pas en reste dans cette nécessaire réflexion. La méfiance de certains acteurs pouvant vivre la médiation comme une concurrence et une pratique chaotique - avocats, travailleurs sociaux, psychologues... - semble témoigner de la mauvaise perception du phénomène médiation. Le flou qui a entouré son essor n’y est certainement pas étranger. D’où l’indispensable intérêt de poursuivre l'explication de ce que doit être la médiation d’une part, et la recherche vers une professionnalisation rationnelle d’autre part (Abdellaoui, Germain & Personnaz, 2002).
Conclusion
Face à la diversité des situations et des spécificités relevant de la médiation, il conviendrait maintenant de mener une série d’études ayant pour but de vérifier les tenants et les aboutissants de la médiation chez les différents commanditaires, voire éventuellement la convergence ou la divergence des représentations actuelles. De notre point de vue et du fait de nos nombreuses et diverses expériences professionnelles, cela n’est possible qu’en impliquant l’ensemble des acteurs concernés par les problématiques socio-urbaines (Policiers, magistrats, travailleurs sociaux,…). Il s’agirait d’examiner notamment différents points tels que : la perception générale de la médiation, les politiques publiques en matière de médiation, les dispositifs de recrutement et de formation des médiateurs, les limites et perspectives de la médiation en fonction des institutions ou organisations concernées.
Enfin, il ressort assez clairement que si la nécessité de la médiation est une réalité, il est également impératif de suivre scrupuleusement la démarche de professionnalisation que beaucoup demandent ou essayent d’entreprendre. La quasi-absence de référentiel de compétence pertinent pour ce métier spécifique est admise par un grand nombre de professionnels de terrain. Comme le constate Figari (1994, p. 11), « La référentialisation joue le rôle de délimitation d’un contexte dans un environnement multiforme, fixant ainsi un cadre par rapport auquel les diagnostics pourront être argumentés ». Il s’agirait là de pouvoir délimiter le contexte de la médiation en s’intéressant directement aux éventuelles compétences communes aux différentes pratiques. Construire le référentiel de compétences d’un poste est le préambule logique à la mise en place de formations (que faut-il développer ?), à la mise en place de procédures de recrutement rationnelles pour les employeurs. Il l’est également pour les formations (quels sont les acquis (aspects vocationnels, motivationnels et expérientiels), les compétences préalables nécessaires ?) et la mise en place d’un système rationnel d’évaluation des acquis. Ici, il nous semble important d’envisager tout d’abord l’évaluation comme un processus fondamental dans la structuration d’un métier ou plus généralement d’un profil de poste. Comme l’indiquent Aubret, Gilbert et Pigeyre, « Le terme « évaluation » peut être considéré sous une double facette : il y a, d’une part, un acte évaluatif que l’on peut saisir à travers une déclaration, un jugement et, d’autre part, ce qui, en amont, prépare cet acte. Ce dernier que nous désignons sous le terme de processus pour indiquer d’entrée de jeu que nous considérons cette préparation comme un ensemble d’activités structurées et finalisées » (1993, p. 51).
Au-delà d’une construction sociologique, cette démarche d’analyse des compétences et de référentialisation viserait donc à donner des bases fiables à ceux qui formeront ou recruteront les futurs agents de médiation. Il s’agit de favoriser l’acquisition de bases issues, non pas comme souvent jusqu’alors, des représentations plus ou moins spontanées des décideurs, mais bien d’une étude rationnelle, mesurable et pluridimensionnelle. De fait, si des compétences sont identifiées et reconnues par tous, les écarts de perception entre les différents commanditaires ont des chances de s’amenuiser. C’est à ce titre que les professionnels pourront faire reconnaître leur fonction et améliorer la lisibilité de leur profil.
1 Voir à ce titre la contextualisation de l’emploi d’agent de médiation, d’information et de services dans le Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) qui se traduit dans le Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois (ROME) de l’ANPE par l’emploi d’Informateur social.
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