N°17 / Littérature et politique Juillet 2010

Eléments d’introduction à l’influence du politique dans les genres littéraires au XIX siècle

Karine Gros

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Au siècle où nous vivons, l’horizon de l’art s’est bien élargi. Autrefois le poète disait : le public ; aujourd’hui, le poète dit : le peuple.
V. Hugo (préface d’Angelo, tyran de Padoue, 1835)

Selon Diderot, « la politique et les mœurs se tiennent par la main et conduisent à une infinité de textes intéressants sur lesquels on ne finit point1». Stendhal, quant à lui, affirme un siècle plus tard que « la politique au milieu des intérêts d’imagination, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert2». Nonobstant les propos du romancier du XIXe siècle, les liens entre littérature et politique sont indéniables. Réfléchir à leurs rapports, lorsque l’on veut considérer la question de la culture dans les œuvres littéraires n’est donc pas sans fondement.

On peut distinguer culture historique et politique en ce sens qu’est considéré comme historique tout événement qui se produit dans une société donnée. Le politique, quant à lui, englobe seulement ce qui est relatif à la conquête, à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans un Etat. En réalité, tout événement culturel ou historique peut entraîner des conséquences politiques. Et vice-versa.

Sans nul doute, essentiellement à partir de la Révolution française, nombreux sont les textes qui se réfèrent plus ou moins implicitement à des événements ou théories politiques. Pour preuve, le succès des mémoires (les Mémoires d’outre-tombe par exemple), ou des poésies de Hugo qui, dans la préface de Odes et ballades, avertit le lecteur qu’« il y a deux intentions dans la publication de ce livre, l’intention littéraire et l’intention politique ; mais, dans la pensée de l’auteur, la dernière est la conséquence de la première, car l’histoire des hommes ne présente de poésie que jugée du haut des idées monarchiques et des croyances religieuses3 ». Ne nous y trompons pas : si prise de position politique il y a, celle-ci est subordonnée au dessein littéraire du poète. N’oublions pas non plus qu’il existe dans la plupart des cas un décalage entre le moment de l’écriture et l’époque représentée. Si Balzac compose ses romans de la Comédie humaine sous la monarchie de Juillet (1830-1848, sous le règne de Louis-Philippe 1°), il situe leur action, en grande majorité, durant la Restauration (1814-1824, sous le règne de Louis XVIII ; 1824-1830, sous le règne de Charles X). Evoquer les idées et événements d’une politique révolue est sans conteste influencée par la connaissance que l’écrivain a de leur devenir : Balzac offre un tableau d’autant plus négatif des Ultras, les partisans de l’Ancien Régime et de la Royauté, qu’il a connaissance de leur échec en 18304.

Deux questions se posent alors : Comment les genres littéraires, en fonction de leurs caractéristiques propres, laissent-ils la place à une écriture du politique? Dans quelle mesure les idées politiques des auteurs favorisent-elles un renouvellement esthétique des genres littéraires, tant poétique, que théâtral ou romanesque ?

Esthétique et politique : une question d’influences

Le XIXe siècle se distingue par sa propension à favoriser une poésie politique de qualité. Pour preuve, les Châtiments de Victor Hugo. Suivant la tradition poétique de la Grèce antique, essentiellement consacrée à la satire, les poèmes d’Auguste Barbier (Les Iambes) ou d’Auguste Barthélémy (Némésis) se présentent comme des œuvres satiriques d’opposition. Révélant leurs positions politiques et sociales, les poètes tendent même, selon Paul Bénichou, à prendre la place du philosophe ou tout au moins à s’opposer à lui. Le poète romantique, représenté dans Le Moïse d’Alfred de Vigny, se présente comme le guide et le porte-parole du peuple, alors que le penseur, tel Delescluze, se veut avant tout  homme de raisonnement. A partir des Méditations poétiques en 1820, et plus encore à partir de 1830, la poésie romantique se fait de plus en plus lyrique et s’offre comme l’expression par excellence du sujet éthique susceptible de prendre des positions politiques. Parce qu’il se définit avant tout comme sujet d’une conscience individuelle, le poète est sujet politique. Certes, la poésie lyrique, celle de Musset par exemple, n’est pas un discours sur la politique, mais non dépourvue de valeur performative, elle vaut pour un acte politique. Toutefois, à partir de la monarchie de Juillet, la poésie lyrique se détourne de toute visée politique face à une dégradation du politique perçu comme le lieu de l’égoïsme et du mensonge si bien qu’Alfred de Musset s’exclame dans le « Sonnet au lecteur » qui clôt les Poésies nouvelles (1850) :

« La politique hélas ! voilà notre misère.
Mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire.
Etre rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non
Je veux quand on m’a lu qu’on puisse me relire ».

Hugo, ne désirant pas évincer le politique de la poésie, parce qu’il considère celle-ci comme un moyen d’action, un instrument non seulement de création mais de progrès, prône la transformation scripturaire du politique en historique, s’assurant ainsi la postérité des œuvres. De sujet lyrique individuel, le sujet poétique se fait collectif. Plus que la simple expression du moi, le je devient celui de l’intersubjectivité qui peut donc intéresser les lecteurs contemporains mais aussi à venir.

Etant donné ses conditions de représentation, parce qu’il s’adresse à une communauté, à un public réuni, le genre théâtral apparaît également au XIXe siècle comme une forme littéraire capable d’intégrer avec pertinence et invention le politique, le discours sur la cité et le pouvoir. Les auteurs romantiques inventent une nouvelle forme théâtrale, le drame, espace de réflexion et de dévoilement de projets politiques. Détaché d’une esthétique classique fondée sur une unité de lieu, d’action et de temps, le drame ne présente pas le politique au travers d’une seule action qui résulterait d’un souverain unique. Dans La Jacquerie, Mérimée met en scène une dizaine de personnages ; il évoque les divisions sociales, et souligne les décisions tant individuelles que collectives. Le théâtre romantique se détourne d’une représentation étroite du politique. Il le présente bien plutôt comme faisant partie intégrante de tous les aspects de la vie, profondément lié aux relations et destins humains. Porté par cette vision sociale du théâtre politique, Hugo espérait même réunir le public populaire des boulevards et les spectateurs bourgeois cultivés de la Comédie-Française. Mais tout comme la poésie politique tend à s’essouffler, le théâtre romantique perd de son attrait à partir de l’échec de la Monarchie de Juillet qui n’incite plus à mettre en scène de réels débats, le propose Lorenzaccio. Le vaudeville, plus léger, connaît alors un succès grandissant et sonne le glas du drame romantique dans son essence politique.

L’échec du drame romantique, offre au genre romanesque une vocation sociale et politique, également favorisée par l’essor du roman-feuilleton. George Sand, ou Eugène Sue, partisans du courant socialiste, conçoivent le roman comme le moyen d’inviter le peuple à réfléchir aux questions politiques et sociales. Le politique a tenu un rôle majeur dans le renouvellement du genre romanesque au XIX siècle qui ne se contente plus seulement d’être une analyse psychologique ou un récit d’éducation. Il s’offre comme le lieu privilégié de la représentation du monde et de ses bouleversements historiques. Le politique, parce qu’il lie toutes les activités humaines, intellectuelles ou pratiques, répond à l’esthétique totalisante du roman, lui offre un ancrage dans le réel et favorise une complexification intéressante de l’intrigue au travers d’une action tragique acquérant parfois une dimension épique.

Certes, la définition du roman politique comme la dose de politique qu’il peut admettre sans lasser le lecteur, est source d’ambiguïtés. Selon Henri Mitterand le roman politique est « le récit de fiction qui fait de l’action politique le principe de ses personnages principaux et des ressorts de leur action5 ». Telles seraient effectivement quelques œuvres du XIXe siècle. Lucien Leuwen, par exemple, peut être lu comme un manuel de l’art politique en régime censitaire, même si Stendhal estimait que la politique dans un roman revient à émettre « un coup de pistolet dans un concert ». L’Education sentimentale de Flaubert apparaît comme la première chronique romanesque d’une élection de députés au suffrage universel direct. Son Excellence Eugène Rougon, significativement sous-titré « Scènes de la vie politique sous le Second empire », montre comment l’appétit du pouvoir mobilise toutes les passions, y compris amoureuses. L’œuvre se déroule entre deux séances jumelles du Corps législatif qui ouvrent et ferment le livre, l’une de 1857, l’autre de 1861, à l’image de l’évolution vers l’empire libéral, vers le pouvoir donné au législatif. Toutefois en règle générale, le politique n’est pas tant la trame des romans que la toile de fond, parfois restreint au domaine anecdotique. Il en est ainsi dans LeLys dans la vallée de Balzac, même s’il se réfère à l’histoire des Cent-Jours (moment où la première Restauration a été interrompue par le retour de Napoléon de l’île d’Elbe). Décédé à cinquante ans, le romancier de la Comédie humaine n’a d’ailleurs pas eu le temps d’achever les Scènes de la vie politique qu’il avait projeté d’écrire puisque n’ont été composés qu’Un Episode sous la Terreur,Une ténébreuse affaire, qui transpose l’enlèvement d’un sénateur au temps de Marengo, et la moitié du Député d’Arcis. Dans La Vendetta et la Femme de trente ans, Napoléon n’est pas une figure majeure et si le romancier, dans Le Bal de Sceaux égrène quelques réflexions sur le pouvoir, il n’explicite pas les moyens de parvenir au pouvoir, ni les actes des politiciens, nullement désireux d’insérer les grands événements politiques dans la matière romanesque. Maupassant, dans Bel-Ami, et Alphonse Daudet, dans Numa Roumestan, ou Le Nabab, tableau de la corruption politique, intellectuelle et économique sous le Second Empire (Gouvernement de la France du 2 décembre 1852 au 4 septembre 1870), se sont essayés à l’enchevêtrement du politique et de la narration pour finalement s’en détourner. Notons au passage que différentes périodes de l’histoire de France ont été délaissées par les écrivains. Pas de grands romans français sur la Commune, la Fronde, le Premier Empire. D’autres romanciers, toutefois attiré par l’histoire, privilégient, afin d’enrichir l’esthétique romanesque, les transitions entre imaginaire et réalité politique. Dans Splendeurs et misères des courtisanes Marat, nommé « l’ami du peuple », un des héros populaires de la Révolution, est accompagné d’une maîtresse fictive, Jacqueline Collin. LesChouans évoque Marie de Verneuil, la veuve imaginaire du révolutionnaire qu’était Danton. Morny, Premier ministre de 1831-1833, particulièrement impliqué dans l’élaboration du coup d’état du 2 décembre 1851, a inspiré le personnage du Comte Henri de Marsay, dont Eugène de Rastignac, sorte de double de Thiers, chef de l’opposition républicaine, devient le sous-secrétaire d’Etat dès 1832. Le politique offre au roman une grandeur épique parce qu’il contribue à représenter la société et les antagonismes qui la structurent en s’appuyant sur des figures majeures de l’histoire française. Mais si l’intrigue politique participe du renouvellement du roman, celui-ci par l’analyse qu’il propose de la société, surgit comme le lieu adéquat de la critique des mécanismes politiques.

Quelle méthodologie pour percevoir la politique du poétique ?

Cependant toute information historique sur des idées politiques du XIX siècle doit être accompagnée de précautions méthodologiques. En effet, toute référence culturelle n’est pas immédiatement applicable au texte littéraire. Les idées politiques influencent les conceptions de la littérature, sa destination sociale, la fonction de l’écrivain et son rôle dans la part de la réception qu’il peut délimiter en choisissant un genre ou un mode de diffusion particuliers. Mais ce déplacement des théories politiques vers l’esthétique ne va pas sans les modifier profondément. Intégrées dans le texte littéraire, les idées politiques jouent un rôle critique bien plus qu’elles n’expriment l’adhésion à un parti constitué. Elles n’associent pas forcément un écrivain à un parti précis : elles lui fournissent, en revanche, des moyens d’élaborer leur vision du monde.  Par conséquent, étudier le politique dans les textes ne consiste pas seulement à repérer les grands thèmes, mais à montrer que nous avons affaire à un rapport complexe qui engage le fait littéraire dans tous ses aspects. Comment appréhender les liens de la littérature et du politique ? On pourrait se tourner vers la socio-critique, représentée par Lucien Goldmann. Dans Pour une sociologie du roman (1964), le critique présente la littérature essentiellement comme « la création d’un monde dont la structure est analogue à la structure essentielle de la réalité sociale au sein de laquelle l’œuvre a été décrite ». A contrario, on peut être tenté par l’art pour l’art, cher aux Parnassiens du XIXe siècle, tels Théophile Gautier et Leconte de Lisle qui font de la littérature l’acte gratuit par excellence. Qu’il s’agisse tout d’abord de défendre le domaine de l’art ou de donner la primauté à la politique, celle-ci est présente, même lorsqu’elle l’est sur le mode négatif car les conceptions esthétiques, au XIXe siècle, sont liées directement ou indirectement à des positionnements ou réactions politiques. Loin d’inscrire notre approche dans une perspective essentialiste ou idéologique, qui verrait l’émergence d’un pouvoir politique à partir des seules significations d’images ou de mots, l’on préfère mettre l’accent sur l’analyse fonctionnelle des dispositifs textuels, sur les transformations qu’ils subissent dans des contextes différents, sur le renouvellement générique qu’ils entraînent. Au travers du langage littéraire se donne à lire le politique et ce d’autant plus que, pour reprendre Aristote, l’homme est un animal politique en ce qu’il est un animal de langage6. De fait, rien d’étonnant à ce que n’est pas la plasticité du langage politique le rende fascinant pour les écrivains. Si les grands auteurs tels Zola, Flaubert, ou Stendhal, dont nous étudierons en atelier quelques extraits, mettent les pouvoirs de la langue littéraire au service d’une dénonciation de la vacuité de la langue politique, ils révèlent aussi la politisation inhérente à la langue. Toute utilisation de la langue engage une vision du monde. S’attacher à l’écriture du politique revient, selon nous, à se demander ce qui se passe dans un texte lorsque l’écrivain choisit d'évoquer la Cité, son organisation, les luttes pour et autour du pouvoir. Il n’est pas question d'examiner seulement comment les œuvres reprennent le topos littéraire du politique. Plus profondément, afin de percevoir la dimension symbolique des textes, il s'agit d'étudier comment le politique, selon ses différentes incarnations, est construit dans et par des stratégies textuelles identifiables. Certes, ces stratégies textuelles ont des implications idéologiques, et témoignent, de manière plus ou moins implicite, de partis pris. Mais une approche disciplinaire se fonde essentiellement sur la description et l’interprétation de faits scripturaires signifiants tels que le sont par exemple les mises à distance, les métaphores, les symbolisations ou le recours à l’ironie. De l’analyse littéraire et non pas politique naît la formulation des enjeux des œuvres choisies. Parce que notre réflexion se place à un niveau essentiellement disciplinaire, la question est donc : comment se révèle l’intérêt des auteurs pour les événements politiques et par quels recours littéraires le manifestent-ils ? Notre dessein est de montrer comment les rapports entre écriture et politique se disent et se lisent au travers du regard de l’écrivain : regard critique sur le monde qui l’entoure, qu’il ne se contente pas de décrire ou d’idéaliser, et regard qu’il porte sur le genre littéraire, sa condition et son évolution. Un regard en définitive qui, d’une certaine manière, s’affranchit des contraintes du politique et laisse place à une libération, à un renouvellement progressif de l’écriture.

En définitive, parce que la politique se révèle au carrefour des passions nobles, telles servir Dieu, la Patrie et la Liberté, ou des passions moins avouables, celles de l’amour du pouvoir, du goût des honneurs et du culte du moi, elle fascine la littérature et attire en particulier les romanciers étant donné qu’elle enrichit l’intrigue de leurs œuvres. Néanmoins, quel que soit la grandeur de l’événement politique décrit et mis en mots, pointe et persiste toujours la valeur d’un autre pouvoir : celui de la vox poetica. Et si la littérature est politique en ce sens où elle est l’expression du « comment vivre ensemble », de l’« être-au-monde », pour reprendre une expression de Heidegger, le véritable enjeu de la poétique du politique ne serait-il pas, en somme, la politique du poétique ?

1  Lettres à Sophie Volland, 12 octobre 1760, Club français du livre, 1965, p. 150.

2  Stendhal, Le Rouge et le Noir, II, 22.

3  Victor Hugo, Préface de Odes et ballades, 1822.

4  On songera aussi que la représentation de telle opinion politique est saisie par le regard d’un auteur qui lui-même a une conviction politique : les légitimistes de Stendhal sont des légitimistes vus par un libéral. Le texte littéraire fait subir aux idées politiques la même transformation que subit un personnage réel lorsqu’il est pris dans sa trame : dans les deux cas on ne saurait faire jouer une stricte référentialité.

5  Henri Mitterand, Préface à l’édition de Son excellence Eugène Rougon, Gallimard, coll. Folio, Paris 1982.

6  Aristote, Les Politiques, 1253a.

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