N°2 / numéro 2 - Octobre 2002

La terre et les vivants La citoyenneté chez les jeunes étudiants

Hélène Feertchak

Résumé

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La redécouverte de la citoyenneté aurait entraîné, entend-on dire ici ou là, un excès de zèle préjudiciable à ce terme, remis à la mode lors du Bicentenaire de la Révolution française et qui serait, aujourd’hui, employé parfois à tort et à travers. C’est ainsi que les critiques n’ont pas manqué, cette dernière décennie, contre la notion d’entreprise citoyenne (voir par exemple : G. Lipovetsky, 1992, ou J.L.Dherse & Dom H. Minguet, 1998). Mais pendant le même temps on ne compte plus les programmes d’éducation à la citoyenneté. 

S. Duchesne (1997) a bien montré la particularité de la situation française, caractérisée par la difficulté à penser la citoyenneté autrement qu’en rapport avec la communauté nationale, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays européens ou aux Etats-Unis. Elle a, par ailleurs, mis en évidence un effet d’âge : les représentations de la citoyenneté suivent moins fréquemment le modèle de l’héritage chez les jeunes générations, et plus souvent le modèle des scrupules1.

Il n’était donc pas inutile d’aller voir sur le terrain ce que de jeunes étudiants, avant d’être happés par la vie professionnelle, associaient spontanément à ce terme dans le cadre d’une question ouverte.

Les résultats qui suivent ont été exposés lors d’une communication présentée dernièrement à la deuxième Biennale Ado du GERPA2. La question ouverte était la suivante : «Pourriez-vous dire ce que c’est pour vous qu’être un(e) citoyen(ne) ?». On a procédé à l’analyse de contenu des réponses de 62 étudiants en Lettres et Sciences humaines de la région parisienne interrogés en 2000 et 2001. Par ailleurs, on leur avait posé deux questions fermées, empruntées toutes deux au questionnaire du CEVIPOF (D. Boy & N. Mayer, 1997), l’une concernant leur sentiment d’appartenance territoriale, l’autre leur auto-affiliation politique sur une échelle en 7 points. 

Après recodage des réponses à ces deux questions, on obtient les auto-descriptions suivantes :

Une moitié des jeunes interrogés se décrit comme «se sentant seulement Français» ou «plus Français qu’Européen» : nous les appellerons «Nationalistes». Un quart se décrit comme «se sentant autant Français qu’Européen» ou «plus Européen que Français» ou  «seulement Européen». Nous les appellerons  « Européanistes». Le quart restant ne souhaite pas se situer.

Une moitié se situe à gauche (échelons 1, 2, ou 3), un tiers au centre (échelon 4) et 15 % à droite (échelons 5, 6, ou 7).

On n’observe aucun lien entre les réponses à ces deux questions3.

L’analyse de contenu des réponses à la question ouverte concernant la citoyenneté a permis de mettre à jour deux grilles, l’une fondée sur les verbes employés, l’autre sur les notions, généralement des substantifs, auxquels les jeunes interrogés faisaient appel pour répondre. Les résultats figurent dans les deux tableaux ci-après.

Image1

Image2

Les catégories ainsi apparues sont clairement délimitées et les chiffres montrent que les jeunes donnent souvent plusieurs directions à leurs réponses (5 codages environ par réponse).

Le tri croisé en fonction de l’auto-affiliation politique montre deux variations nettes, l’une pour la grille des verbes et l’autre pour la grille des notions, variations qui sont liées l’une à l’autre. Lorsque l’on passe de la gauche à la droite, la proportion de codages «Voter» diminue régulièrement (de 33% à 24%), celle de codages «Appartenir à» augmente régulièrement (de 16% à 29%). Et parallèlement la proportion de codages «Démocratie» diminue (de 16% à 4%), celle de codages «Territoire» augmente (de 19% à 32%).

Le tri croisé en fonction du sentiment d’appartenance territoriale permet de noter une différence dans la façon de se monter actif entre les nationalistes et les européanistes : chez les premiers, on décompte une fréquence supérieure de  codages «Voter» (35%>21%), tandis que chez les seconds on observe une fréquence supérieure de codages «Connaître» (11%>5%). Et par ailleurs l’analyse des notions confirme une différence de conception nette :

Les réponses des nationalistes donnent plus souvent lieu au codage «Autrui», qu’il s’agisse des «autres» ou de la «communauté», ainsi qu’au codage «Problème politique, économique, ou social».

Les réponses des européanistes conduisent plus souvent, elles, aux codages «Histoire, culture, langue, traditions», «Lois et règlements», et «Institutions».

Cet aspect plus savant des réponses des européanistes se trouve confirmé par le fait que leurs réponses sont plus riches : en moyenne 5,3 codages contre seulement 4,6 pour les nationalistes.

L’analyse factorielle qui a été effectuée sur ces données confirme la proximité entre les européanistes et le verbe «s’intéresser», et la proximité entre les jeunes se situant à gauche et la «démocratie». Elle fait ressortir aussi l’expertise de celles et ceux qui s’intéressent, par opposition au sentimentalisme de celles et ceux qui conçoivent d’être citoyens avant tout comme des concitoyens.

En conclusion, la combinatoire entre les différentes facettes de la citoyenneté chez ces jeunes étudiants paraît à la fois riche, structurée et parcourue par un sentiment de réversibilité de bon augure : j’ai des droits, mais aussi des devoirs, à commencer par le vote. Et si leur cœur balance entre sentiment, expertise et action, et pour les «sentimentaux» entre un territoire et un autrui généralisé, gageons que le «destin commun» de leur génération, pour reprendre les termes de K. Mannheim, fera appel à tous ces aspects complémentaires de la citoyenneté.

1  Dans le premier modèle (modèle de l’héritage), l’auteur observe une assimilation entre citoyenneté et nationalité, et le rôle de la famille dans la transmission ; dans le second (modèle des scrupules), elle observe la primauté donnée aux relations inter-individuelles et l’idée que le citoyen vit en société. Dans le deux cas, le citoyen a des devoirs.

2  Colloque des 2-5 juillet 2001 : les jeunes et la loi : repères, transgressions, violences, interventions sociales.

3  Ce qui n’est pas le cas si on propose un éventail de territoires plus large, incluant la ville et la région au niveau infra-national, et le monde au niveau supra-national. Par ailleurs, dans le cas présent, un quart des jeunes interrogés n’a pas souhaité répondre à la question sur le sentiment d’appartenance territoriale.

Boy D. & Mayer N. (1997), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 250 p. 

Dherse J.L. & Minguet Dom H. (1998), L’éthique ou le chaos ? ,Paris, Presses de la Renaissance, 375 p. 

Duchesne S. (1997), Citoyenneté à la française, Paris, Presses de Sciences Po, 330 p. 

Lipovetsky G. (1992), Le crépuscule du devoir, Paris, Gallimard, 292 p. 

Mannheim K . (1928), Le problème des générations, Paris, Nathan, 1990, 123 p. 

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