N°27 / Religion et politique Juillet 2015

Penser la compétence politique des jeunes

Marie-Hélène Gros, Hélène Feertchak

Résumé

Cet article présente la notion de compétence politique dans les sciences politiques et en psychologie sociale, notamment au regard de la théorie agentique de Bandura, et propose une opérationnalisation de cette notion, éprouvée auprès de populations de jeunes. La qualité de cette opérationnalisation s’appuie à la fois sur la validité interne mais aussi externe, en lien avec la participation et la connaissance politiques.

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Pour les politologues, la compétence du citoyen est un des fondements essentiels de la démocratie. Nous présenterons comment cette compétence est définie dans les sciences politiques, puis comment elle est entendue chez Bandura en lien avec la théorie agentique, et nous évoquerons les indicateurs qui traduisent cette compétence.

1. Les apports des sciences politiques et de la psychologie agentique à la compréhension de la compétence politique

1.1. La compétence politique, définition, et facteurs explicatifs en sciences politiques

La compétence politique est en premier lieu un concept de sciences politiques. Il renvoie à la « possession des connaissances savantes et pratiques nécessaire[s] pour produire des actions et des jugements proprement politiques et surtout peut-être par la maîtrise du langage proprement politique » (Bourdieu, 1977, p. 61).

Les politologues sont divisés quant au caractère nécessaire de la compétence des citoyens : certains considèrent que la démocratie ne peut fonctionner que si les citoyens disposent d'une certaine compétence politique, tout au moins afin d'effectuer en « connaissance de cause » la désignation de leurs représentants. Alors que d'autres considèrent, comme Manin (1995), que « la force du suffrage universel est de se dispenser d'un accord inaccessible sur la définition du citoyen compétent ».

Les théories élitistes ont critiqué l'illusion de cette exigence de compétence et la recherche électorale a fourni les preuves empiriques de la rareté de ce modèle du citoyen intéressé, informé et rationnel. Les politologues s'accordent à dire que la plupart des citoyens en savent peu à propos des questions politiques, y compris sur les problèmes majeurs du moment ce qui pose la question du sens du concept d’opinion publique. Cette position critique est tenue par deux politologues, Zaller aux Etats-Unis et Bourdieu en France, qui se sont intéressés à la compétence politique au travers des sondages d'opinion (pour une présentation du parallélisme mais aussi des divergences entre ces deux politologues, voir Sniderman, Jackman & Tiberj, 2002).

En particulier, Bourdieu (1973) interroge l'existence d'une compétence politique partagée par tous permettant la production d'une réponse dans le cadre d'un sondage. En accord avec la théorie de la domination, la compétence serait sous l'effet de certains facteurs ou composantes sociales, reflet de la place dans la stratification sociale. Ainsi le genre, le niveau d'instruction ou statut scolaire, et plus généralement la place dans la stratification sociale offrent la légitimité - ou non - à s'emparer de la question politique. La compétence politique renvoie à un savoir permettant de donner sens à l'univers politique (dimension technique et objective), mais aussi à un sentiment de légitimité sociale (dimension subjective). Les dominants sont ainsi autorisés voire sommés de formuler une opinion, et de fait Bourdieu les considère comme « dominés par leur domination » (1977, p. 67).

Il y a ainsi une différence fondamentale entre la manière dont les citoyens politiquement actifs et les citoyens odinaires comprennent les affaires publiques.


Nous allons maintenant présenter quelques réflexions développées en sciences-politiques sur les facteurs susceptibles d'influencer cette performance.

Une étude de Michelat et Simon (1982), sur la compétence comme l'expression d'une réponse dans le cadre d'un sondage, constitue une réponse à l'article de Bourdieu. Elle met en concurrence le paradigme de domination que nous venons de présenter et le paradigme de l'intégration politique ou de l'engagement. Ce dernier prévoit que la compétence politique est le reflet de l’intégration dans ce domaine. Les conclusions de l'étude montrent que les relations causales entre les phénomènes pouvant influencer le niveau de compétence sont très complexes.

Les prédispositions sociologiques (dans leur aspect cognitif mais aussi affectif déjà soulignés par Bourdieu) sont par ordre décroissant d'importance : le sexe ou la division sexuelle des tâches, le niveau d'études (avec à l'époque, une coupure entre enseignement primaire versus secondaire et supérieur), et la résidence (ruralité versus urbanité). La position d'un individu va combiner ces différentes caractéristiques, avec compensation partielle ou renforcement des handicaps, reflet d'une plus ou moins forte « prédisposition sociologique » à la politique.

L'intégration politique ou les attitudes vis-à-vis de la politique est également un facteur important influençant le niveau de performance politique.

L'étude conclue d'une part que les facteurs sociologiques affectent le niveau de performance et ce quel que soit le niveau d'implication politique, et d'autre part au fait que les attitudes influencent la performance et ce quel que soit le degré de prédisposition sociologique (dont elles ne sont pas la simple traduction). Les attitudes peuvent ainsi avaliser les caractéristiques sociologiques ou entraîner chez l'individu des efforts pour compenser au moins partiellement des handicaps liés à sa situation sociologique.

En réalité, si la compétence politique est une compétence sociale, elle ne s'y réduit pas car elle échappe en partie à la logique des inégalités sociales.

Michelat et Mossuz-Lavau (1994) notent que de nombreuses transformations idéologiques comme l'augmentation du niveau d'études, du travail féminin, de l'urbanisation, la télévision ont pu conduire à l'affaiblissement du rôle des variables démographiques comme facteur de performance.

1.2. Le sentiment de compétence politique chez Bandura

Bandura propose plusieurs éléments de réflexion : il souligne l’importance de l’efficacité politique aux bonnes fins de la démocratie, distingue dans la compétence politique l’efficacité perçue de la réceptivité du système politique, il propose de s’intéresser aux différentes formes d’activisme et enfin développe quelques considérations sur la mesure de la compétence politique.

1.2.1. L’importance de l’efficacité politique

Dans l’arène politique, l’efficacité se révèle dans les croyances des participants en leur capacité collective à produire des changements sociaux par l’action politique. Cette efficacité perçue n’est pas la somme des croyances de chacun des membres, mais une propriété émergente au niveau du groupe.

L’efficacité perçue va avoir un impact sur le fonctionnement du groupe, plus l’efficacité collective est importante, plus l’investissement motivationnel est important, plus la résistance aux obstacles est importante et plus grandes seront les réalisations du groupe (Bandura, 2006).

Enfin, Bandura souligne l’importance de ce sentiment de compétence aux bonnes fins de la démocratie. Une faible efficacité perçue aura pour conséquence un manque d’activités politiques qui sera dommageable au niveau du système politique. Elle génère mécontentement et scepticisme, les citoyens manquent de confiance civique et sont peu enclins à supporter même sur le court terme les sacrifices qui pourraient s’avérer nécessaires. 

Enfin, l’efficacité politique est un facteur nécessaire pour engager une action militante au niveau politique et pour poursuivre revendications et contestations.

1.2.2. Efficacité perçue et réceptivité du système

Selon la définition qu’en donne Bandura, « l’efficacité perçue implique la croyance des personnes qu’elles peuvent influencer le système » (Bandura, 2003, p. 715). Pour produire un changement par l’action politique, deux aspects de l’exercice du contrôle sont pertinents :

- le niveau d’efficacité de la personne requis pour produire des résultats par l’action et par l’usage performant des ressources. C’est le côté personnel du processus de contrôle transactionnel, dénommé par la suite composante agentive (ou capacité des agents à obtenir un résultat par leurs actions).

- la réceptivité des systèmes sociaux ou leur capacité à être modifiés sous influence individuelle et collective. Elle renvoie aux possibilités offertes par le système d’exercer l’efficacité personnelle et aux contraintes ou mesures imposées contre cet exercice.

Cette composante réceptive n’est pas une caractéristique fixe ou indépendante de l’efficacité personnelle, les deux éléments sont en interaction dynamique. Ainsi, des individus qui s’estiment peu efficaces vont amener peu de changements même dans des sociétés qui leur permettraient. Alors que ceux qui ont un sentiment d’efficacité élevé vont réussir par divers moyens ingénieux à exercer un contrôle sur des systèmes sociaux même peu réceptifs. Et réciproquement, la perception d’une influence possible va affecter le sentiment de compétence (Bandura & Wood, 1989) : voir un système comme non modifiable diminue le sens de l’efficacité personnelle.

Nous choisirons par la suite de considérer la composante réceptive comme une partie de l’opérationnalisation de la compétence politique1.

1.2.3. L’efficacité politique, les différentes formes d’activisme et le niveau de décision politique

L’étude de l’efficacité politique doit prendre en compte les différentes formes d’activisme. En effet, les personnes choisissent la forme d’activisme qu’elles considèrent comme la plus efficace (Finkel, Sigelman & Humphries, 1989). Ainsi, certains individus, les actifs (Wolfsfeld, 1986), sont sûrs de leur efficacité politique et perçoivent le système gouvernemental comme répondant bien aux demandes des citoyens ; ils s’impliqueront plus dans les modes conventionnels d’action politique (soutien à un parti ou à un candidat, contribution financière à la campagne, influence sur le choix électoral d’autrui…). D’autres personnes, les dissidents, pensent pouvoir provoquer un changement social, mais ont une vue plus cynique des gouvernements comme défendant leurs intérêts personnels : elles estiment ne pouvoir atteindre des changements que par le biais de confrontations ou coercitions. Enfin, les pragmatiques combinent un fort sentiment d’efficacité et une approbation des tactiques conventionnelles et d’affrontement quand les inactifs ont un faible sentiment d’efficacité et considèrent toute forme de militantisme comme inutile.


L’efficacité diffère selon le niveau de décision politique. Beaucoup de citoyens peuvent être sceptiques quant à leurs capacités à influencer le gouvernement au niveau national, envers leurs leaders et les institutions nationales, et privilégier le niveau régional ou local dans lequel ils peuvent exercer plus de contrôle.

1.2.4. Les règles à suivre pour mesurer l’efficacité politique

1.2.4.1. Les règles à suivre pour bien mesurer le sentiment de compétence

Bandura rejette les mesures globales et réclame une mesure du sentiment de compétence spécifique au domaine, d’ou la nécessité de bien connaître le domaine étudié et les facteurs susceptibles d’influencer le comportement humain dans ce domaine (notamment les difficultés ou obstacles qui vont rendre la réalisation du comportement ou de la performance compliquée).

Dans la mesure du possible, l’échelle doit faire varier le niveau de difficulté des tâches présentées, la généralité des situations d’exercice de la compétence (la généralité renvoie à l’efficacité dans une large gamme d’activités ou seulement dans certains domaines de fonctionnement), le mode d’expression (comportemental, cognitif, émotionnel) des capacités, les caractéristiques de la situation et de la personne cible du comportement.

En lien avec cette nécessité de couvrir un ensemble assez conséquent d’activités et de réalisation à des niveaux différents dans le domaine spécifique, il faut privilégier une échelle composite, i.e. comportant plusieurs items. L’homogénéité de cette échelle doit être validée par des procédures statistiques (plus précisément, par le calcul de l’Alpha de Cronbach). 

Si l’objectif est d’utiliser le sentiment d’efficacité perçue à réaliser certaines actions comme prédicteur d’un comportement donné, il faut s’assurer de la validité du lien entre le moyen (ou l’action cible du sentiment d’efficacité) et la réalisation. « Supposons, par exemple, que la relaxation musculaire ne modifie pas la douleur. Un sentiment élevé d’efficacité à induire la relaxation ne serait pas approprié à la prédiction de la douleur », (Banura, 2003, p. 100).


Malgré ces précautions, la fidélité (ou stabilité temporelle) d’un tel type d’échelle sera faible, les croyances fluctuent dans le temps.

D’autres conseils concernent le format de l’échelle. Dans les échelles à double format, les sujets évaluent d’abord s’ils peuvent ou non exécuter les performances données (premier niveau) et évaluent ensuite la force de leur efficacité perçue pour les activités qu’ils estiment pouvoir faire (second niveau). Mais ces échelles doubles ne sont pas nécessaires, « [u]n format de jugement unique fournit essentiellement la même information plus facile à utiliser » (Bandura, 2003). D’ailleurs leur utilisation nous a posé problème dans la première enquête à cause du faible nombre de répondants (positifs à la première question).

Enfin, Bandura conseille d’enregistrer en privé sans aucune identification personnelle les jugements d’efficacité afin de réduire la préoccupation de l’individu d’être jugé par autrui.

1.2.4.2. Les règles à suivre pour mesurer le sentiment de compétence déclinées dans le domaine politique à notre enquête

Si les mesures d’efficacité politique sont plus prédictives de l’action politique que des mesures d’efficacité générale (Wollman & Stouder, 1990), Bandura confirme ce propos en insistant sur le fait que les mesures d’efficacité politique spécifique sont plus prédictives que des mesures d’efficacité politique « générale ». Il cite comme exemple la mesure de Wiegman, Taal, Van den Bogaard et Gutteling (1992), qui ont évalué l’efficacité perçue des personnes à lutter contre l’installation dans leur communauté d’une usine chimique présentant des risques pour l’environnement par l’utilisation de stratégies diverses de protestation.

Conséquence de la difficulté à s’assurer de la pertinence du lien entre les moyens et le comportement envisagé, Bandura considère que considère que l’efficacité d’une réalisation sera plus prédictive que l’efficacité de moyens. Car les individus libres d’évaluer leur efficacité de réalisation peuvent envisager tous les moyens qu’ils ont à leur disposition pour exercer du contrôle. Procéder à l’évaluation de l’efficacité de la réalisation évite la présentation de modes efficaces de comportement (conventionnel et protestataire), car plus on présente des stratégies efficaces aux individus, plus leur sentiment d’efficacité augmente. Il faut veiller à interroger les personnes sur l’utilisation de ces moyens après avoir interrogé leur sentiment d’efficacité.

1.2.4.3. Ce que la mesure d’efficacité politique n’est pas

Bandura critique un certain nombre de mesures de compétence politique déjà proposées, renvoyant à des mesures de comportements ou de connaissances. Evoquant l’échelle utilisée par Campbell et al. (1954), il s’oppose notamment à l’utilisation de l’item : « Sometimes politics and government seem so complicated that a person like me can’t really understand what’s going on », (« Quelquefois, la politique et le gouvernement me paraissent trop compliqués pour qu’une personne comme moi puisse vraiment comprendre ce qui se passe ») qui constitue la position dominante en politologie (cf. Michelat & Simon, 1982). Selon Bandura le fait de comprendre les règles du jeu politique ne signifierait pas que les individus se sentent compétents pour les modifier ou pour influencer les systèmes gouvernementaux.

Enfin, nous devons nous garder d’utiliser une mesure de l’efficacité de moyens comme mesure de l’efficacité perçue : « [u]ne certaine technique peut être jugée efficace à produire des résultats souhaités, mais le fait que l’individu utilise efficacement cette méthode est une autre question ».

Après cet éclairage critique de la compétence politique, nous allons présenter trois outils de mesure proposée pour celle-ci dans la littérature.

1.3. L'opérationnalisation de la compétence politique dans différentes études

1.3.1. La mesure de Campbell, Gurin et Miller (1954)

Cette recherche sur les élections américaines de 1952 met en évidence l'importance des variables d'attitudes politiques qui peuvent expliquer la participation, en particulier l'identification partisane ou le sentiment d'attachement à une organisation partisane. L'efficacité politique (proche de l'acceptation de Bandura, ou sentiment que les actions politiques d'un individu ont ou peuvent avoir un impact sur les processus politiques) n'était étudiée que de manière marginale comme ayant un impact sur la participation politique.

Cinq items sont destinés à étudier deux facteurs d'efficacité politique perçue : le premier facteur (F1) définit l'efficacité perçue proprement dite ; le second facteur (F2) concerne la réceptivité du système social (voir liste des items ci-dessous).

Les auteurs montrent la force et la consistance de la relation entre le sentiment de compétence et la participation politique.

Tableau 1 : Les cinq items de compétence politique chez Campbell et al. (issus de 1954, p. 187)

1. I don't think public officials care much what people like me think. (F2)

2. The way people vote is the main thing that decides how things are run in the country. (F1)

3. Voting is the only way that people like me can have any say about how the government runs things. (F1)

4. People like me don't have any say about what the government does. (F2)

5. Sometimes politics and government seem so complicated that a person like me can't really understand what's going on. (F1)

Bandura a critiqué la mesure effectuée par Campbell et al. pour diverses raisons : la première déjà évoquée est que la compréhension des intrigues du système gouvernemental n'implique pas le sentiment d'efficacité à les influencer. Par ailleurs, Bandura indique que « de nombreux moyens autres que le vote permettent d'influencer les pratiques gouvernementales » et il cite pêle-mêle des campagnes pour les partis et pour des candidats, la recherche de fonds, le lancement de pétitions, les manifestations, etc. (la question 3 avait pourtant comme intention d'être une invitation à penser à l'ensemble des moyens disponibles pour faire valoir son opinion. Cependant, les auteurs y avaient renoncé du fait de son ambiguïté).

Enfin, Bandura note qu'estimer que l'on a son mot à dire sur ce que fait le gouvernement « se rapporte fortement à des croyances sur la non-réceptivité du système » (question 4, Bandura, 2003, p. 717). Ces différentes critiques amènent Bandura à recommander la prudence dans l'utilisation et l'exploitation des données obtenues avec cette mesure.

1.3.2. La mesure de Wollman et Stouder (1990)

Ces auteurs ont interrogé la compétence politique en concurrence avec une mesure globale, le Locus of control (littéralement lieu du contrôle ou contrôle interne - pouvoir personnel versus contrôle externe - pouvoir de l'environnement) comme prédicteurs de la participation politique. Pour Wollman et Stouder, le Locus of control serait une mesure trop générale pour rendre compte de l'activité politique qui nécessiterait une mesure plus spécifique. Pour tester cette hypothèse, ils vont dans une série de quatre études utiliser différentes mesures de l'efficacité politique :

  • une mesure de l'efficacité à changer la politique du pays en matière de nucléaire

  • une mesure de l'efficacité à changer la politique du pays en matière de budget militaire

  • la capacité des personnes interrogées (des étudiants) à modifier la politique des « high schools »

  • la capacité des personnes interrogées (des étudiants) à influencer un conseil de « college » s'ils y appartenaient

  • une mesure constituée de l'échelle des cinq items de Campbell et al. et d'items sélectionnés dans les échelles de Mason, House et Martin, 1981 ; et de Van Slambrouch, 1972 (les auteurs ne spécifiant pas lesquels ont été sélectionnés).

1.3.3. La mesure de la politologie (Michelat & Simon, 1962 ; Michelat, 1965)

Le sentiment de compétence est généralement mesuré en politologie par la réponse à la question suivante : « Certains disent, en parlant de politique, que ce sont des choses trop compliquées et qu'il faut être un spécialiste pour les comprendre ». Une incompétence politique déclarée ne constitue pas une barrière étanche comme noté par Michelat à la participation active (voir ci-dessous, 4.).


L'étude du sentiment de compétence politique va se poursuivre par la traduction de ce sentiment dans la vie politique réelle, par la performance politique.

1.4. Les indicateurs de la performance politique : les comportements de participation politique et les connaissances relativement au monde politique

Nous avons défini la compétence dans le domaine politique et indiqué l'état du débat relatif aux facteurs susceptibles de l'expliquer. Maintenant, nous allons présenter les indicateurs de cette compétence ou performance politique, qui se traduit dans le champ politique par des comportements de participation politique et par un niveau de connaissances du champ.

1.4.1. La participation

1.4.1.1. La participation est-elle le fait de tous les citoyens ?

La participation, tout comme la compétence, n'est pas le fait de tous les citoyens : la grande masse des citoyens est passive et indifférente, pas bien informée et pas profondément engagée. Cette apathie face au système politique n'est pas négative, mais constitue un trait caractéristique des sociétés démocratiques (Giddens, 2002).

Et, tout comme pour la question de la compétence, on trouve une confrontation entre Bourdieu et Michelat.

Pour Bourdieu et Gaxie, cette faible participation du citoyen est le reflet de l’illusion démocratique, elle renvoie au sentiment de compétence dépendant, comme déjà mentionné, de la position occupée dans l’espace social. Il y a différenciation entre les activités de masse qui sont de simples signes d’attention et qui sont laissées aux dominées, et les activités de professionnels comme le militantisme, qui relèvent d’une engagement plus coûteux en temps et en énergie, aux mains des « dominants ». On est proche de la position des théoriciens élitistes Almond et Verba (1963), pour qui la passivité du plus grand nombre n’entrave en rien la stabilité de la société, assurée par quelques citoyens actifs. Ces inégalités de politisation fonctionnent comme un cens caché, voulu et mis en place par les groupes sociaux dominants.

Au contraire de Bourdieu, Michelat et les autres tenants du paradigme de l’intégration défendent comme position que les inégalités de participation correspondent à des inégalités d’engagement ou d’intégration politique de l’individu.

1.4.1.2. Les mesures de la participation politique

La participation politique a fait l’objet de mesures distinguant participation conventionnelle et participation protestataire. Mayer et Perrineau (1992) ont dégagé une liste des actions conventionnelles et protestataires les plus fréquemment citées dans les recherches.

Les activités politiques constituent un continuum, allant des activités les moins aux plus engagées. Des mesures simples de la participation concernent l’inscription sur les listes électorales, le vote au premier tour des élections présidentielles, la fréquence d’écoute des émissions politiques à la télé ou à la radio.

Mayer et Perrineau indiquent que c’est le niveau de diplôme qui exerce l’influence la plus décisive sur la participation politique (du fait de la dimension intellectuelle de celle-ci), puis l’âge et ensuite le niveau de revenus. On observe une érosion des inégalités de participation entre les genres. Enfin, ils concluent sur le fait que les études précédentes soulignent le rôle primordial de l’intégration politique.

Les auteurs ont également établi une liste des actions protestataires. Il est à noter que l’approbation des formes d’action les plus dures entraîne l’acceptation des formes les plus bénignes d’action collective. La participation protestataire peut être étudiée au moyen d’une échelle hiérarchique.

Les deux formes de participation, la participation conventionnelle et la participation protestataire, sont liées et complémentaires (par exemple, Barnes & Kaase, 1979). La plus forte relation s’établit entre importance attachée au vote et importance attachée à la manifestation.

Pour conclure sur la participation politique conventionnelle, il convient enfin d’évoquer le recul de la participation conventionnelle au profit de l’action bénévole et associative : plus centrée sur l’individu et son accomplissement personnel, voire sur les relations interpersonnelles ou la sociabilité amicale, caractérisée par le souci d’agir efficacement, avec des « préoccupations locales ou d’assistance immédiate aux plus défavorisés » (Ion, 2005, p. 25), dans des groupes informels à durée de vie limitée.


Maintenant que nous avons évoqué la question de la participation, nous présentons un autre indicateur de performance politique, la connaissance.

1.4.2. La connaissance

Cet indicateur a peu fait l’objet d’études. La première enquête à avoir utilisé un jeu de questions pour mesurer le niveau de connaissance politique de la population est Démocratie 2000 (Chiche & Haegel, 2002) et comportait quatre parties (règles du jeu institutionnel ; électoral ; actualité politique ; institutions européennes et étrangères). Concernant la connaissance, le genre serait une variable plus déterminante que le niveau scolaire avec la prédominance masculine quant aux savoirs, même à âge et niveau d’études égaux.

Si l’enquête met l’accent sur le lien entre intérêt et connaissance, sans qu’on puisse les considérer comme redondants, elle permet aussi d’observer l’absence de lien entre connaissances et réceptivité du monde politique (ibid., p. 289).


Après avoir présenté le concept de compétence politique, nous allons maintenant évoquer les résultats de deux enquêtes effectuées auprès de lycéens et d’étudiants. La première enquête a été effectuée sur 199 étudiants, âgés principalement de 17 à 21 ans, provenant des bassins stéphanois et franciliens. La seconde enquête s’inscrit dans l’étude d’un dispositif d’accompagnement relatif à l’orientation proposé dans un lycée (lycée Jean Monnet, la Queue-lez-Yvelines, un nombre restreint de jeunes, quarante, ayant bénéficié de cet accompagnement. Pour plus de détails sur l’objectif de cet accompagnement, cf. Gros, 2013). La population de jeunes lycéens de terminales a été interrogée avant puis après : le recueil des données a été effectué une première fois (octobre 2012) et une seconde fois (février 2013) sur l’ensemble des répondants de terminale générale et technologique (341 élèves en octobre, 230 en février). Pour plus de lisibilité, la totalité des calculs présentés pour la seconde enquête correspond au recueil des données de février hormis pour le calcul de la fidélité.

Dans les deux cas, le questionnaire opérationnalise les variables politiques et permet le recueil de différentes données sociologiques.

2. La mise à l’épreuve de l’opérationnalisation du sentiment de compétence dans deux enquêtes

2.1. Choix du questionnaire, contrôle de l’effet d’ordre pré-tests, standardisation de la passation, anonymat

2.1.1 Choix du questionnaire

Le choix de notre instrument s’est porté sur le questionnaire, qui permet de mettre à l’épreuve le construit du sentiment de compétence politique (homogénéité de ce construit, et validité externe ou lien entre ce sentiment de compétence et les indicateurs de performance politique).

2.1.2. Contrôle de l’effet d’ordre (ou illusion de fixation, Kahneman) et pré-tests

Nous avons pour la construction du questionnaire fait attention à l’effet d’ordre mis en évidence par Kahneman (prix Nobel d’économie) concernant le jugement de satisfaction dans la vie sous le nom d’illusion de fixation (voir Quoidbach, 2010, pp. 5-6). Ainsi, nous avons suivi la recommandation des auteurs de l’enquête Démocratie 2000 et de Bandura et interrogé sur les performances (comportement, connaissances) après la mesure du sentiment d’efficacité.

Nous avons effectué la passation du pré-test auprès de quelques personnes pour construire le questionnaire final.

2.1.3. Standardisation de la passation et anonymat

La première passation a été effectuée dans différents établissements directement par les enseignants, qui ont présenté le questionnaire comme nécessaire au travail de sociologie d’une amie. En 2013, la passation a été faite par les professeurs principaux à notre bénéfice annoncé en tant que conseillère d’orientation-psychologue d’élèves dont nous avions la charge.

L’en-tête est courte et rappelle l’anonymat des réponses, caractère exigé par Bandura pour un minimum de sincérité concernant le sentiment d’efficacité et en conformité avec les exigences de déontologie à partir du moment où des thématiques politiques sont abordées. Dans tous les établissements, l’accord préalable de la direction a été sollicité pour ces enquêtes.

2.2. Opérationnalisation des variables

Le premier questionnaire comporte plusieurs parties, relatives au sentiment de compétence politique, aux indicateurs de performance politique et aux variables démographiques. Le second questionnaire (2013) ne comporte aucune question relative aux indicateurs de performance politique (du fait de sa longueur, car interrogeant d’autres thématiques).

2.2.1. L’opérationnalisation du sentiment de compétence politique

Le sentiment de compétence politique a été opérationnalisé par cinq questions : la première issue des enquêtes de Michelat concernant l’appréhension du caractère compliqué du monde politique ; la deuxième et la troisième inspirées des travaux de Campbell et al., l’une interrogeant la réactivité du monde politique, l’autre visant à mesurer l’agentivité du jeune ou sa capacité à agir afin de se faire entendre politiquement. Enfin, la quatrième et la cinquième questions ont été reprises des travaux de Wollman et Stouder (1990) et et adaptées, elles concernent la possibilité d’influer sur l’action du gouvernement en matière d’éducation en direction des établissements scolaires et la possibilité d’agir utilement au sein d’un conseil d’administration de lycée ou d’université. Ces deux dernières questions ont été présentées suivant la technique du double format d’échelle lors de la première enquête, ce qui a introduit une grande perte des répondants qui ne se sentant pas capables d’influence ou d’action, ne se sont pas positionnés ensuite sur l’échelle (seulement 16,1 % de réponses oui à la question sur l’éducation, et 29,6 % à la question des conseils d’administration : de fait, ces réponses n’ont pas du tout été exploitées par la suite).

2.2.2. La participation

L’opérationnalisation de la participation n’a été effectuée que lors de la première enquête en reprenant les travaux de Mayer et Perrineau (développés au chapitre 4, 1992) selon la division en participation conventionnelle et participation protestataire. Nous avons décidé d’interroger plutôt en termes d’intérêt pour le média ou d’attrait pour l’activité, après avoir scindé les activités de prise d’information de celles impliquant une participation plus importante (relevant plutôt de l’échange politique). Un indice global d’information et un indice composite d’échange sont calculés par sommation.

Questionner la pratique du vote est délicat chez une population jeune, nous avons donc interrogé sur les raisons du vote et de l’abstention (questions ouvertes) et sur l’intention de vote au référendum de la constitution européenne.

En dernier lieu pour les comportements conventionnels, on pose une question interrogeant de manière indirecte l’appartenance à un parti (importance de cette appartenance pour un lycéen).

Enfin, la participation protestataire est évaluée selon l’échelle hiérarchique habituelle (seule la question relative au non-paiement des impôts, trop peu fréquente et concernant principalement les catégories commerçantes, est écartée). Un indice global de protestation est alors calculé, il se présente comme une somme de points attribués pour chaque acte lorsque celui-ci est accepté (donc, plus un acte est refusé, plus son acceptation donne des points au sujet protestataire : par exemple, la grève a été acceptée par 177 personnes et 22 ont répondu ne pas l’accepter ou ne pas savoir si cet acte était acceptable. Accepter la grève donne alors 22 points ; la refuser, aucun).

Le troisième volet du rapport au politique concerne la connaissance et reprend en partie les questions du questionnaire Démocratie et des questions provenant d’un travail effectué pour l’université (sauf celles non utilisables du fait du changement de contexte ou les questions plancher ou plafond). La version définitive comporte treize questions.

Tableau 2 : Récapitulatif de l’opérationnalisation des variables dans l’enquête 2012/2013, Partie essentielle relative au monde politique (les modifications par rapport à la première enquête sont soulignées et figurent en italique)

Questions

Concepts associés

Voici un certain nombre d’affirmations. Pour chacune d’entre elles, vous indiquerez dans quelle mesure vous êtes d’accord avec elle. Donnez votre position en traçant une croix sur l’échelle proposée.

Certains disent en parlant de la politique que ce sont des choses trop compliquées et qu'il faut être un spécialiste pour les comprendre. (échelle de 1 à 7 : 1 pas du tout d’accord, 7 tout à fait d’accord)

Lors de la première enquête, utilisation d'une échelle non graduée de 10 cm)

Compréhension du monde politique

Voici un certain nombre d’affirmations. Pour chacune d’entre elles, vous indiquerez dans quelle mesure vous êtes d’accord avec elle. Donnez votre position en traçant une croix sur l’échelle proposée.

 Je ne pense pas que les responsables politiques s'intéressent beaucoup à ce que des personnes comme moi pensent. (échelle de 1 à 7 : 1 pas du tout d’accord, 7 tout à fait d’accord)

Lors de la première enquête, utilisation d'une échelle non graduée de 10 cm)

Réceptivité du monde politique

Voici un certain nombre d’affirmations. Pour chacune d’entre elles, vous indiquerez dans quelle mesure vous êtes d’accord avec elle. Donnez votre position en traçant une croix sur l’échelle proposée.

Les jeunes ont peu de moyens pour exprimer leur avis sur ce que font les gouvernements.(échelle de 1 à 7 : 1 pas du tout d’accord, 7 tout à fait d’accord)

Lors de la première enquête, utilisation d'une échelle non graduée de 10 cm)

Agentivité ou capacité d’action politique des jeunes  

Nous allons aborder maintenant la vie lycéenne.

Dans quelle mesure vous sentez-vous capable d’influer sur l’action du gouvernement en matière d’éducation en direction des lycées ?

(échelle de 1 à 7 : 1 pas du tout, 7 tout à fait d’accord

Lors de la première enquête, présentation de la question sous double format : d’abord, réponse en oui, non, ne sais pas. Et pour les répondants positifs uniquement, mesure sur une échelle graduée de 10 cm)

Possibilité d'influencer l'action du gouvernement en matière d'éducation au lycée

Nous allons aborder maintenant la vie lycéenne.

Dans quelle mesure pensez-vous que vous pourriez agir utilement au sein du conseil d’administration du lycée si vous y participiez en tant que représentant des élèves ?

(échelle de 1 à 7 : 1 pas du tout, 7 tout à fait d’accord

Lors de la première enquête, présentation de la question sous double format : d’abord, réponse en oui, non, ne sais pas. Et pour les répondants positifs uniquement, mesure sur une échelle graduée de 10 cm)

Possibilité d'agir utilement au sein d'un conseil d'administration de lycée

Indice = (30-notes des trois premières questions) + notes des deux dernières questions

Lors de la première enquête, Indice = (30-notes des trois premières questions)

Indice de compétence politique construit


Tableau 3. Récapitulatif de l’opérationnalisation des variables dans la première enquête, Partie accessoire relative au monde politique : participations et connaissance

 N° 

Questions

Concepts associés

Q6A.

Voici un certain nombre de moyens d’informations. Dans quelle mesure diriez-vous que vous êtes intéressé(e) par…

Les journaux télévisés et /ou les émissions politiques à la télévision ? (réponse en très, assez, pas très, pas du tout, ne sais pas)

Niveau d'information télévisuelle

Q6B.

Voici un certain nombre de moyens d’informations. Dans quelle mesure diriez-vous que vous êtes intéressé(e) par…

Les informations et/ou les émissions politiques à la radio ? (réponse en très, assez, pas très, pas du tout, ne sais pas)

Niveau d'information radio

Q6C.

Voici un certain nombre de moyens d’informations. Dans quelle mesure diriez-vous que vous êtes intéressé(e) par…

La presse quotidienne et/ou les articles politiques dans les hebdomadaires (réponse en très, assez, pas très, pas du tout,

ne sais pas)

Niveau d'information journaux

Q7A.

Dans quelle mesure diriez-vous que vous appréciez de... ?

Discuter politique avec des amis (réponse en très, assez, pas très, pas du tout, ne sais pas)

Niveau d'échanges

avec les amis

AMIS

Q7B.

Dans quelle mesure diriez-vous que vous appréciez de... ? Exprimer publiquement des opinions politiques pour convaincre d’autres personnes (réponse en très, assez, pas très, pas du tout, ne sais pas)

Niveau d'échanges

avec des inconnus

PUBLIQUEMENT

Q7C.

Dans quelle mesure diriez-vous que vous appréciez de... ? Assister à des réunions politiques, des meetings (réponse en très, assez, pas très, pas du tout, ne sais pas)

Niveau d'échanges

grand groupe (réunions politiques, meetings)

MEETINGS

Q8C.

Pensez-vous voter au référendum du 29 mai sur la constitution européenne ? (réponse en oui, non, ne sais, pas, je n'aurai pas atteint l'âge requis à la date du référendum)

Intention de vote

Q9.

Pensez-vous qu’il soit important pour un lycéen d’appartenir à un parti ou à une organisation politique ? (réponse en oui, non, ne sais pas)

Appartenance à un parti

Q10A.

Voici un certain nombre de moyens que les gens utilisent parfois pour faire connaître leurs opinions ou leurs revendications. Pouvez-vous me dire, pour chacun d’entre eux, si vous l’approuveriez ou pas, au moins dans certaines circonstances :

Faire grève (réponse en oui, non, ne sais pas)

Participation protestataire

La grève

Q10B.

Voici un certain nombre de moyens que les gens utilisent parfois pour faire connaître leurs opinions ou leurs revendications. Pouvez-vous me dire, pour chacun d’entre eux, si vous l’approuveriez ou pas, au moins dans certaines circonstances :

Participer à des manifestations dans les rues (réponse en oui, non, ne sais pas)

Participation protestataire

La manifestation

Q10C.

Voici un certain nombre de moyens que les gens utilisent parfois pour faire connaître leurs opinions ou leurs revendications. Pouvez-vous me dire, pour chacun d’entre eux, si vous l’approuveriez ou pas, au moins dans certaines circonstances :

Occuper un bâtiment administratif (réponse en oui, non, ne sais pas)

Participation protestataire

L'occupation d'un bâtiment administratif

Q10D.

Voici un certain nombre de moyens que les gens utilisent parfois pour faire connaître leurs opinions ou leurs revendications. Pouvez-vous me dire, pour chacun d’entre eux, si vous l’approuveriez ou pas, au moins dans certaines circonstances :

Peindre des slogans sur les murs (réponse en oui, non, ne sais pas)

Participation protestataire

La peinture de slogans

Q10E.

Voici un certain nombre de moyens que les gens utilisent parfois pour faire connaître leurs opinions ou leurs revendications. Pouvez-vous me dire, pour chacun d’entre eux, si vous l’approuveriez ou pas, au moins dans certaines circonstances :

Provoquer des dégâts matériels (réponse en oui, non, ne sais pas)

Participation protestataire

Les dégâts matériels

Q11.

Voici un certain nombre de questions concernant la France et le monde actuel. Répondez du mieux que vous pouvez.

1. Quel fut le premier homme envoyé dans l’espace ?

2. A quelle date les femmes ont-elles obtenu le droit de vote en France ?

3. Quel Président de la République a décidé de la construction de l’Opéra Bastille ?

4. Le Sénat a-t-il le pouvoir de renverser le gouvernement ?

5. Le premier ministre a-t-il le droit de dissoudre l’Assemblée nationale ?

6. L’Etat aide-t-il financièrement les partis ?

7. Quelle est la durée du mandat d’un sénateur ?

8. Les personnes qui ne sont pas de nationalité française et qui résident en France depuis 5 ans ont-elles le droit de voter à l’élection présidentielle ?

9. Qui est l’actuel président de l’U.D.F ?

10. Quelle personnalité politique fut à l’initiative de la loi sur les 35 heures ?

11. La Finlande fait-elle partie de l’Union Européenne ?

12. Citez deux personnalités politiques françaises en indiquant leur position sur le projet de Constitution Européenne (pour ou contre).

13. Citez trois pays européens dont les gouvernements se sont prononcés pour l’intervention américaine en Irak.
(réponses ouvertes courtes).

Indice de connaissances sur le monde politique avec le découpage suivant :

construction du monde contemporain (question 1) ;

la France de 1945 à nos jours (questions 2 et 3) ;

les règles du jeu institutionnel (questions 4, 5 et 6) ;

les règles du jeu électoral (questions 7 et 8) ;

l’actualité politique française (questions 9 et 10) ;

l’actualité politique internationale (questions 11, 12 et 13).

2.3. Description des échantillons

2.3.1. Description de l’échantillon de la première enquête

Cette première enquête a été réalisée auprès de 199 jeunes âgés de 17 à 21 ans : lycéens de classes terminales scientifiques, économiques et sociales, technologiques industrielles ; étudiants de classes préparatoires littéraires et scientifiques ; de BTS électrotechnique et de premier cycle universitaire AES provenant des bassins stéphanois et franciliens.

L’échantillon de cette première enquête comprenait des élèves provenant de milieux différents en fonction de leurs études, de leur habitat et était révélateur des habituels tropismes de genre en orientation.

2.3.2. Description de l’échantillon de la deuxième enquête

Il s’agit de l’ensemble des terminales générales et technologiques d’un lycée de Yvelines, le lycée Jean Monnet (la Queue-lez-Yvelines), soit des terminales littéraires, économiques et sociales, des terminales scientifiques et des classes de terminales technologiques de gestion. 230 élèves ont été interrogés en février 2013 (30 Terminales L, 52 Terminales ES, 89 Terminales S, 59 Terminales STG ; rendu aux professeurs principaux du questionnaire rempli). Le recrutement de ce lycée est assez favorable au niveau social.

2.4. Le traitement statistique

Le traitement statistique des deux enquêtes a été réalisé au moyen du logiciel SPSS 12.0 (Statistical Pakage for Social Sciences).

2.5. Résultats

2.5.1. Homogénéité des échelles de participations et vérification du caractère hiérarchique de l’échelle de participation

On vérifie que les calculs des indices d’information et d’échange ont une validité par le calcul de l’Alpha de Cronbach (corrélation entre chaque item et l’échelle sans item).

L’Alpha obtenu pour l’indice d’information est de .478 pour trois éléments, sachant que la suppression de n’importe quel élément rend l’Alpha plus faible (à l’exception de la télévision). Cependant, l’indice complet a été conservé car il aurait été trop lourd (au vu de la faible amélioration, indice à .484) de traiter cet item télévisuel de manière particulière.

Concernant l’indice d’échange, l’Alpha obtenu est de .684, sans aucune amélioration par suppression d’un élément).

Le caractère hiérarchique de l’échelle est retrouvé. 87 % des sujets de la première enquête suivent ce pattern.

Enfin, concernant l’indice de connaissance, l’Alpha de Cronbach obtenu sur les treize items est de .725.

Ces indices peuvent paraître assez faibles, mais en cohérece avec le nombre d’items composant l’indice (.478 pour trois items pour l’indice d’information, contre .725 pour treize items de l’indice de connaissance).

2.5.2. Homogénéité du sentiment de compétence politique

La compétence politique des jeunes a été évaluée par trois questions lors de la première enquête et par cinq questions lors de la deuxième enquête.

Rappelons que les trois premières questions sont des questions Disagree, (et les deux dernières des questions Agree) c'est à dire que le jeune se déclare d'autant plus compétent que son score se rapproche de 1. Les résultats ont été ramenés sur une échelle de 1 à 7, point moyen à 4.

On calcule le coefficient d’homogénéité pour le sentiment de compétence politique. Rappelons que Bandura a pronostiqué une relative indépendance entre les dimensions de compréhension du monde politique (première question) et celles qui sont constitutives du sentiment de compétence politique (capacités d’agentivité du sujet et évaluation de la réactivité du monde politique, soit les deux voire les quatre dernières questions de la première ou deuxième enquête respectivement), celles-ci se trouvant par contre liées.

Deux arguments doivent être examinés pour mettre à l’épreuve l’hypothèse de Bandura :

  • l’appréhension du caractère compliqué de la politique ne doit pas être fortement liée aux autres items de l’indice. Lors de la première enquête, on observe un lien faiblement significatif à .056 entre les items de compréhension et d’agentivité ; lors de la seconde enquête, pas de lien entre compréhension et influence sur l’action du gouvernement en matière éducative. Mais tous les autres items sont liés.

  • sans l’item de compréhension, nous devrions obtenir un coefficient d’homogénéité supérieur. Or, nous obtenons un Alpha de Cronbach un peu meilleur lors des deux enquêtes, ce qui est en faveur de l’élimination de cet item : cependant, l’Alpha est à peine dégradé par l’item de compréhension politique, la mesure est assez homogène pour considérer que l’indice mesure bien une réalité psychologique (et une seule) qui permet d’utiliser cet indice à des fins de recherche. Le problème qui se pose à nous serait d’inventer d’autres items afin d’assurer une meilleure homogénéité.

Par ailleurs, nous pouvons être satisfaits d’avoir introduit deux items supplémentaires car le coefficient d’homogénéité en est amélioré.

L’examen de ces deux arguments est donc plutôt en faveur du maintien d’un indice de sentiment de compétence prenant en compte la compréhension du monde politique : nous obtenons une opérationnalisation du sentiment de compétence politique comme étant la somme des résultats des cinq questions relatives à la politique.

Tableau 4 : Résultats de la première et de la deuxième enquête concernant l’homogénéité de l’indice de compétence politique (coefficient alpha)

Alpha de Cronbach 1ère enquête

Alpha de Cronbach

2ème enquête

Sur les trois/cinq items

.472

.588

Sur les items hors compétence politique

.496

.615

2.5.3. Validité externe du construit de sentiment de compétence politique

Les résultats de la première enquête montrent que les personnes ayant un fort sentiment de compétence politique sont plus informées, plus ouvertes à l’échange politique, ont plus l’intention de voter et connaissent mieux le monde politique. Ces résultats montrent le caractère prédictif du sentiment de compétence tel que nous l’avons opérationnalisé (par trois items pour la première enquête).

Les personnes ayant un fort sentiment de compétence politique sont les plus informées. Ce lien est valable entre les différentes facettes du sentiment de compétence politique et les différents moyens de prise d’information et l’indice informatif (sauf pour la télévision : s’informer par la télévision permet aux jeunes d’appréhender plus facilement le monde politique mais ne leur permet pas de manière significative ni de sentir les responsables politiques prêts à les écouter ni de pouvoir agir en tant que jeunes pour exprimer leur avis).

Les personnes ayant un fort sentiment de compétence politique sont plus ouvertes à l’échange politique. Ainsi, plus le jeune refuse le caractère compliqué du monde politique, plus il apprécie de discuter avec des amis ou d’exprimer publiquement son opinion ou d’assister à des réunions politiques. Ou encore considérer le personnel politique comme à l’écoute des personnes gouvernées est lié à l’appréciation des discussions politiques entre amis. Cependant, les liens ne sont pas complets entre les différentes facettes du sentiment de compétence politique et les différents moyens d’échange (même si par construction, l’indice d’échange politique est lié à l’ensemble des facettes du sentiment de compétence politique).

Tableau 5 : Résultats de la première enquête concernant la compétence politique et ses liens à l’échange

Politique compliquée

Réceptivité     

Agentivité

Sentiment compétence politique

Discussion

-.419**

-.243**

-.197**

.407**

Expression

-.262**

-.111

-.075

.211**

Meetings

-.298**

-.077

-.070 

.209**

Indice d’échange

-.417**

-.185** 

-.147* 

. 353**

* * Significatif à .01, * Significatif à .05

Les personnes ayant un fort sentiment de compétence politique ont plus l’intention de voter (s .024). Les intentions de vote sont liées à la compréhension du monde politique. Ces résultats sur un échantillon non représentatif de jeunes ne confirment pas les données de Michelat (sur une population en âge de voter en 1988 : les personnes votent qu’elles considèrent la politique comme compliquée ou non). Et nous retrouvons un lien entre intention de vote et réceptivité du monde politique (s. 036).

Enfin, les personnes qui trouvent la politique moins compliquée que les autres seraient plus susceptibles de militer dans un parti (s. 021), mais leur croyance concernant la réceptivité du système politique ou leur propre agentivité ne présage rien quant à l’appartenance partisane.

Les jeunes qui se sentent démunis pour se faire entendre du gouvernement ont une propension à la protestation (s .05, la formulation a pu implicitement faire référence à la participation conventionnelle). C’est donc plutôt parce qu’ils se sentent impuissants qu’ils semblent accepter des actes violents pour se faire entendre (du fait principalement d’une plus grande acceptation des slogans et de l’occupation des locaux, liens significatifs respectivement à .05 et .004).

Enfin, les personnes qui ont globalement un sentiment de compétence politique plus élevé (celles qui ont tendance à trouver la politique comme moins compliquée, à juger que les responsables politiques s’intéressent à ce qu’elles pensent) connaissent mieux le monde politique (avec l’agentivité, le lien est à peine moins significatif, à .059. Toutes les autres corrélations sont significatives à .01).

Cette première enquête souligne la capacité de notre indicateur « sentiment de compétence » à prédire la performance politique réelle : participation conventionnelle, connaissance. Mais le lien avec la participation protestataire n’est pas univoque.

Par ailleurs, les différents éléments du monde politique sont liés : les différents aspects de la participation conventionnelle sont bien liés entre eux, et il existe quelques liens entre les indices de participation conventionnelle et protestataire. La connaissance du monde politique est globalement liée à la participation conventionnelle, mais elle n’est pas liée à l’acceptation d’actes protestataires (pour plus d’éléments, voir Gros, 2013). 

2.5.5. La question de la fidélité du sentiment de compétence politique

Lors de la deuxième enquête, deux mesures sont effectuées en octobre 2012 et en février 2013 sur la base de cinq items. La compétence politique des jeunes ressort à 17.51 en octobre, à 17.85 en février (sur 35, score maximum, sans différence entre octobre et février, ns. 871).  Et l’indice de corrélation entre les deux est de .566, s.000. La fidélité test-retest est donc acceptable.

3. Réflexion sur la qualité de l’opérationnalisation du sentiment de compétence politique

Cette partie comprend une réflexion sur l’opérationnalisation du sentiment de compétence politique. En effet, Bandura avait souligné les difficultés conceptuelles et méthodologiques engendrées par la mesure de l’efficacité politique perçue.

3.1. Le statut de la question relative à l’appréhension du caractère compliqué de la politique

Le sentiment de compétence politique a été opérationnalisé sur la base de questions issues de recherches différentes. Ces items (trois pour la première enquête, cinq pour la deuxième) forment un indice de compétence car les liens entre ces questions sont élevés. Toutefois, le statut de la question relative à l’appréhension du caractère compliqué de la politique est flou. Les corrélations de cette question avec les autres sont élevées mais l’homogénéité de l’indice est toujours supérieure en l’absence de cet item. Cela ne permet pas de statuer entre la position de Bandura et celle de Michelat. Cette question ne devrait pas, selon Bandura, participer au sentiment de compétence politique. Selon lui, ce n’est pas parce qu’on comprend la politique qu’on pense avoir un moyen d’agir. L’ambiguïté des résultats montre que la compréhension du monde politique n’est pas une condition suffisante. Mais les corrélations avec les autres items de compétence politique étant fortes, pourrait-il s’agir d’une condition nécessaire à la mise en place du sentiment de compétence politique ? Ainsi, cette question n’aurait pas le même statut que l’agentivité ou l’attente de réactivité du monde politique qui participent directement au sentiment de compétence politique.

3.2. La qualité de l’opérationnalisation du sentiment de compétence politique

Le sentiment de compétence politique est lié à de nombreux indicateurs de performance dans la première enquête. Pour rappel, les personnes ayant un fort sentiment de compétence politique sont plus informées, plus ouvertes à l’échange politique, ont plus l’intention de voter, sont plus susceptibles d’appartenir à un parti et connaissent mieux le monde politique. La participation protestataire est le fait de jeunes qui semblent ne pas avoir de moyens pour se faire entendre du gouvernement.

L’ajout en 2013 de deux questions relatives à la capacité d’action en matière éducative a stabilisé voire amélioré l’homogénéité donc l’opérationnalisation du sentiment de compétence ainsi construit (.588 en février 2013 versus .472 pour la première enquête).

La difficulté à l’ajout d’items participant de la compétence politique provient du fait que Bandura réfute d’une part l’utilisation d’items interrogeant l’utilité perçue de certains moyens (car cela ne signifie pas que la personne se sente compétente pour les manier), d’autre part il insiste sur la nécessité de spécifier l’efficacité par rapport à un objectif politique précis. Le choix d’objectifs par le chercheur correspondant en partie à une imposition de problématique (dénoncée par Bourdieu), il semblerait plus judicieux d’interroger le jeune sur ce qui représente un objectif important selon lui, puis de l’interroger sur la compétence perçue à faire advenir cet objectif et les moyens qu’il pourrait utiliser pour le faire.

Une étude plus approfondie des mesures d’efficacité politique déjà effectuées par les auteurs ressources (comme celles de Wiegman et al.) peut nous aider à finaliser cette opérationnalisation.

1  Selon la théorie agentique, il s’agirait plutôt stricto sensu d’une attente de résultat ou AR : « croyances qu’a un individu que certains comportements, actions ou ensemble d’actions coordonnées peuvent lui permettre d’atteindre des résultats visés », entre autres les réactions d’autrui ou résultats sociaux, comme les manifestations d’intérêt, l’approbation et la reconnaissance sociales.

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Morgan Dépinoy

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