N°27 / Religion et politique Juillet 2015

Le masque Républicain du nouveau Front National

Morgan Dépinoy

Résumé

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1. Introduction : l’objectif de l’étude

Longtemps rejeté par l’opinion publique à cause de propos houleux qu’entretenait Jean-Marie Le Pen, le Front National a fait peau neuve depuis la récente élection de Marine Le Pen à sa présidence et semble s’être affranchi de ce « cordon sanitaire » qui le tenait à distance de toute appréciation populaire. Fort de ce nouveau plébiscite, le FN ne manque aucune occasion de s’émanciper de l’idéologie fasciste qui l’animait explicitement depuis sa création.

Par l’intermédiaire d’un certain nombre d’indicateurs, comme la nature des discours de Marine Le Pen ou les actes effectués par ses collaborateurs, cette réflexion tente de démontrer que l’idéologie du FN, bien que polymorphe, révèle un caractère populiste, ce que je tenterai de démontrer tout au long de cet article. Je commencerai par revenir sur la définition du terme « populisme » proposée par Ernesto Laclau (2008) afin de réduire ce concept hautement polysémique à un usage strictement scientifique. Ensuite, il sera question de réfléchir sur la symbolique que véhicule Marine Le Pen au travers de sa communication, en revenant sur l’outillage ethnico-religieux qu’elle utilise dans sa communication. Je poursuivrai cette réflexion en analysant la position que tient la présidente frontiste sur l’échiquier politique, par l’intermédiaire des théories de l’économiste J.K. Galbraith (1958) et de l’éclairage de Jacques Sapir (2013). Je me servirai ensuite du concept de Laclau pour analyser la dynamique de quelques discours de Marine Le Pen afin d’en déceler les mécanismes sous-jacents. Enfin, pour terminer, il sera question de s’interroger sur les éventuelles similarités politiques existantes entre Jean-Marie Le Pen et sa fille, à savoir si l’on peut considérer que le Front National de Marine Le Pen reste dans le même sillage idéologique que sous la présidence de Jean-Marie Le Pen.

2. Le « populisme » du Front National

En lisant et regardant différentes de ses interventions publiques, on peut remarquer que dans un certain nombre de discours de Marine Le Pen, une règle semble trouver place et se répéter au fil de ses « meetings ». Outre le fameux triptyque Lepéniste basé sur l’insécurité, l’immigration et le chômage, toujours utilisé par Marine Le Pen, d’autres caractéristiques semblent animer ses interventions et laissent penser à un parti « populiste » et même « néo-populiste ». Avant d’aller plus loin, je tiens d’abord à préciser ce que j’entends par « populisme ». Je ne veux pas parler de ce terme, largement utilisé par les politiques et les médias pour désigner simplement l’extrême droite ou encore le fascisme, non. Je veux ici parler de son usage strictement scientifique, et non comme on l’entend trop souvent, polémique. Pour Ernesto Laclau, philosophe et auteur de « La raison populiste » (Laclau, 2008), la spécificité du populisme n’est pas à chercher dans l’analyse de ses bases sociales, et ne se manifesterait pas uniquement pendant les périodes de transition, car sous- jacent à toutes les formations politiques (et non spécifiquement à l’extrême droite). Le populisme ne serait ni un mouvement sociopolitique, ni un régime étatique, mais serait une idéologie pouvant venir de n’importe quelle organisation (régimes politiques, classes sociales, orientations politiques etc..). Sa spécificité est qu’il s’articule autour d’un discours contenant des éléments argumentatifs, comme des symboles, valeurs, croyances, mais sous la forme des idéologies populaires, c’est-à-dire faisant référence à la tradition. De plus, Laclau nous précise que ce qui rendrait populiste un discours idéologique est une forme particulière d'articulation, le leader usant d’interpellations populaires-démocratiques, qui seraient synthétiques et en opposition à l’idéologie dominante. « L’interpellation » ou encore « l’appel au peuple » serait le mécanisme de prise de conscience du sujet qui, de par une argumentation précise, aiderait le sujet à redécouvrir son identité propre par le peuple. Faire simplement référence au peuple n’a donc rien de populiste, c’est l’action du leader de créer un antagonisme entre la volonté du peuple et celle du pouvoir en place qui est précisément un comportement populiste. Voilà ce que j’entends par ce terme, et c’est dans cette optique que je vais tenter de démontrer le caractère populiste du FN.

3. Une communication symbolique

Premier élément qui me laisse penser que le FN est un parti populiste est l’utilisation très régulière de la symbolique dans la communication de ses leaders. Que ce soit par l’intermédiaire de la religion, avec la défense du Christianisme, ou de l’histoire, par la référence régulière à Jeanne d’Arc entre autres, il me semble que le FN a toujours souhaité véhiculer une identité à ses auditeurs, représentant une valeur forte pour un peuple errant dans un monde post-industriel stérile en valeurs et en symboles. L’utilisation de la pucelle d’Orléans est l’exemple le plus criant de récupération symbolique (Lecoeur, 2003). Dans Jeanne D’arc, les Le Pen y voient tout un panel d’une symbolique ethnico-religieuse leur permettant d’affirmer leurs valeurs nationalistes, en passant par l’identité Chrétienne de Jeanne d’arc ou sa foi inébranlable envers le royaume. La pucelle d’Orléans devient le symbole de la sauvegarde de la nation contre l’invasion de l’étranger. Symbole de combat guerrier, elle lie les Français entre eux, stoïques et forts, dont l’objectif ultime est de barrer la route à l’ennemi étranger, hostile au drapeau tricolore et à ses valeurs.

D’ailleurs, dans sa position « seule contre tous » défendant ardemment la France contre ses présumés assaillants, qu’ils soient islamistes radicaux, immigrés clandestins ou encore de culture ultra-libérale, Marine Le Pen ne se présente-t-elle pas aux yeux des Français comme la nouvelle Jeanne d’Arc des temps modernes ? Elle utilise en effet beaucoup des symboles utilisés par son prédécesseur, appuyant sa communication sur des éléments de l’histoire de France, comme pour Jeanne d’Arc, ou encore sur la tradition Chrétienne, comme pour sa position « anti-mariage pour tous », à l’encontre selon elle des fondements de la civilisation Européenne. Cette symbolique, loin d’être anodine, a pour fonction je pense d’interpeller les Français, de culture Française, dans leur intimité, sur l’origine de leur identité et en réactivant ainsi son fondement par l’intermédiaire de repères historiques précis, connus de tous. Dans cette perspective, un versant de la communication de Marine Le Pen serait donc plus une rhétorique qu’une idéologie à part entière, une stratégie populiste utilisant une symbolique ethnico-religieuse dans le but de rallier à sa cause plusieurs générations de Français, dont l’identité s’est trouvée sacrifiée sur l’autel d’un capitalisme sans âme.

4. Marine Le Pen contre le système « planificateur »

Deuxième élément, majeur, étayant l’idée d’un certain « populisme » du FN est la position politique qu’entretient Marine Le Pen dans ses discours par rapport aux autres partis. Nous sommes ici au coeur de la stratégie populiste de Marine Le Pen, se positionnant en véritable porte-parole d’un peuple contre l’excès des puissants. En atteste cet extrait d’un discours de Marine Le Pen à Bordeaux, le 22 Janvier 2012, parlant de son projet de Contribution Sociale sur l’importation, censée booster le pouvoir d’achat des Français :

« Cette mesure sera infiniment plus juste et efficace que la TVA sociale, que j’ai baptisée TVA patronale, parce qu’elle ne portera pas sur les productions en France, ce qui dynamisera les productions françaises, et parce qu’elle sera caractérisée par une hausse immédiate des petits revenus, une hausse certaine, et non hautement hypothétique comme c’est le cas avec la TVA patronale qui prévoit une baisse des cotisations patronales et plombera durablement le pouvoir d’achat en augmentant la TVA de 15 à 20 %. »

Elle ajoutera directement après cette formule aussi intéressante : « Ils font des cadeaux aux grands groupes et agressent le pouvoir d’achat des Français, nous préférons dynamiser la production nationale et augmenter les salaires. »

Nationalisme, dénonciation d’un pouvoir pro-patronat méprisant le peuple : Cet extrait nous montre bien comment d’une part Marine Le Pen se positionne pour le peuple et contre le pouvoir en place, et d’autre part l’utilisation de ces fameuses interpellations populaires, où elle crée volontairement de l’antagonisme en dénonçant les mesures cupides d’un pouvoir méprisant à l’encontre des intérêts du peuple. Comme le propose Jacques Sapir, le FN de Marine Le Pen prendrait position pour le « système de marché » et contre le « système de planification », dont le peuple subirait la loi. Ce découpage de la société, proposé par J.K. Galbraith en 1974 pour la société Etats-Unienne, suppose qu’un système planificateur, contrôlant les activités de la nation en tentant « d’éliminer toute concurrence », s’articule autour de technostructures, sociétés anonymes aux mains de bureaucraties gestionnaires présentent dans tous les secteurs et coexistant avec la haute administration de l’Etat. Le « système de marché » serait donc assujetti à ce système de planification, au sein duquel les petites entreprises s’entre-déchireraient pour les contrats de sous-traitance accordés par les technostructures, contrats injustes où le système planificateur tire ses bénéfices et ses privilèges en exploitant une partie de la plus-value que les sous-traitants tirent des travailleurs de leur secteur (Sapir, 2013).

C’est cette position antisystème qui fait que le FN est devenu le parti des « mécontents », individus lésés par les conditions de sous-traitance déséquilibrées comme pour les paysans, des délocalisations comme pour les chômeurs ou les déplacés, enfin comme un recours à l’encontre des décisions gouvernementales qui les pénalisent. D’après Jacques Sapir, le FN devrait maintenir cet électorat, étant donné que tous les autres partis (UMP, PS, centristes) participent à cette logique « planificatrice » en se soumettant aux injonctions de l’Union Européenne, « fer de lance » du système planificateur. En outre, le Front National capte une partie de son électorat dans sa rhétorique « antisystème », où il se place en tant que « défenseur » du peuple opprimé, des ouvriers comme des dirigeants des petites entreprises, contre l’oligarchie des hauts-fonctionnaires (la fameuse « caste ») et des grandes entreprises, complices pour leurs intérêts et non pas pour ceux du peuple.

5. Le FN de Marine Le Pen : En totale rupture avec son prédécesseur ?

La stratégie de dédiabolisation mise en place par Marine Le Pen et son entourage consiste depuis 2011 à redonner une image nouvelle et positive au Front National, handicapé électoralement par l’image d’extrême droite que l’ancien président Frontiste a pris soin d’entretenir. Tous les récents sondages d’opinion montrent une évolution, positive, dans la perception que les Français se font de ce nouveau FN. Est- ce justifié ? Peut-on vraiment dire que le FN de Marine Le Pen a définitivement tourné le dos aux « Anciens » du FN et de leur idéologie si contestée ? Force est de constater que des ambiguïtés persistent dans les discours et les comportements de Marine Le Pen et laissent planer le doute quant à une réelle rupture idéologique avec son prédécesseur et père, Jean-Marie Le Pen. Je m’explique.

D’abord sur la question de la laïcité, qui mérite dans un premier temps d’être définie. D’après le CNRTL, la laïcité serait un « principe de séparation de l'État et de la religion et donc l'impartialité ou la neutralité de l'État à l'égard des confessions religieuses ». Pourtant, le FN aborde différemment cette définition, ne considérant pas la laïcité comme un principe impartial à l’égard des religions mais comme un principe de confession chrétienne. En effet, Marine Le Pen, en citant Pierre Chaunu, dans son ouvrage autobiographique « à contre flots » (M. Le Pen, 2006) dit que « le nouveau testament est laïcisé par le siècle des lumières » expliquant que la laïcité serait un aboutissement intellectuel du christianisme, une continuité de ce dernier. Cette position de la présidente frontiste vis-à-vis de la laïcité est assez paradoxale. Penser que c’est un principe qui trouve son origine dans le christianisme, c’est en annuler en quelque sorte le principe même de son essence. Tout laisse croire que ce principe Républicain est détourné par Marine Le Pen dans sa fonction première, pour en faire une arme politique nationaliste et xénophobe. En témoigne cet extrait d’un meeting à Rouen, le 15/01/2012 :

« Vous le savez mes chers amis, le communautarisme est aujourd’hui la première menace contre l’unité de notre nation. Le communautarisme est un principe essentiel du mondialisme, parce que c’est le vecteur le plus puissant de négation de notre cohésion et de notre identité nationale. Je serai donc la présidente de la nation, contre le communautarisme. Pour cela, je réaffirmerai haut et fort les principes et les obligations de la laïcité, essentielle à la paix civile. Je créerai un ministère de l’Intérieur, de l’Immigration de la Laïcité. »

Elle désigne le communautarisme comme un véritable danger pour la nation Française, et utilise la laïcité non pas dans sa fonction originelle, afin de séparer l’Etat de la religion, mais pour s’en prendre aux populations d’origines étrangères de manière indirecte. Cette conduite, très ambigüe dans sa nature, se révèle donc douteuse et sème en quelque sorte le trouble vis-à-vis de Marine Le Pen et de son idéologie. A la fois fervente défenseur de la laïcité tout en considérant ce principe comme une évolution chrétienne, il parait évident que Marine le Pen s’en sert comme d’un alibi pour s’attaquer de manière indirecte aux cultures étrangères, par le biais du prétendu « danger » que représente le communautarisme pour l’unité de la nation. Cet exemple étaye l’hypothèse qu’une idéologie « nationale-xénophobe » semble persister chez Marine Le Pen, trouvant sa légitimité non plus dans la défense de doctrines anti-égalitaires, comme c’était le cas de son père, mais au nom de la défense des principes fondamentaux régissant la République Française et de son unité.

Toujours dans l’hypothèse d’une idéologie d’extrême droite sous-jacente au Républicanisme affiché de Marine Le Pen, j’aimerais maintenant aborder une notion Mégrétiste, issue du groupe de pensée d’extrême droite GRECE (Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne) qu’est le différentialisme culturel. Ce cénacle, volontairement sans assise politique, s’est constitué en Octobre 1968 afin de redonner une bouffée d’oxygène au nationalisme ainsi qu’à l’extrême droite, taclée par le discrédit dont elle a fait l’objet, notamment avec sa compromission avec le régime collaborationniste durant la seconde guerre mondiale, et l’échec de l’Algérie française. Ce groupuscule d’intellectuels prônait dès le début de son existence des principes « racistes », tentant d’adapter le principe de la supériorité de la race blanche à travers des disciplines scientifiques très en vogue comme la sociobiologie, la psychologie héréditaire ou encore l’anthropologie physique. Le spectre de la seconde guerre mondiale et l’atrocité de la Shoah étaient si prégnants dans l’esprit de tous que proposer des idées directement racistes n’était en rien avisé, les peuples d’Europe ne voulant absolument plus revivre l’atrocité du racisme Nazi imposé par le 3ème Reich d’Adolf Hitler.

Les grécistes s’inspireront ainsi des travaux de Claude Lévi-Strauss ou encore de Robert Jaulin afin de mettre en place un postulat culturaliste de l’anthropologie. Cette approche leur permettait de ne plus appréhender l’identité des peuples en termes raciaux, rejetés par tous y compris par les instances politiques, mais en termes culturels, leur permettant ainsi de faire survivre leurs idées nationalistes et xénophobes en contournant même l’idée de race. La hiérarchie des races, telle qu’elle a été considérée par l’extrême droite d’antan, a laissé place à la « préservation des particularismes » (Crépon, 2012). Si je parle de cette notion, c’est parce que Marine Le Pen (et ses proches collaborateurs, comme Louis Alliot) semble vouloir réutiliser cette stratégie, déjà importée et proposée par Bruno Mégret à Jean-Marie Le Pen lorsqu’il était numéro 2 du FN, dans le but de justifier l’idéologie « nationale-xénophobe » qui semble l’animer, et qu’elle diffuse abondamment dans ses discours. Ainsi, le fond de son idéologie ne semble pas profondément changer avec son prédécesseur, les arguments nationalistes et xénophobes étant toujours présents dans ses discours, mais la forme, la manière d’aborder les sujets et de les présenter aux auditeurs semble différer voire rompre avec la rhétorique pour le moins brutale et directe de son père. C’est dans un enchaînement progressif d’idées, préparant au préalable l’auditeur à recevoir son message par une série d’éléments amalgamés, que Marine Le Pen semble s’y prendre pour diffuser son message à l’encontre d’une culture étrangère précise, et non plus pour le motif d’une différence biologique entre les Hommes.

Pour comprendre ce point de vue, je propose d’analyser précisément l’enchaînement des idées d’un extrait du même discours de Rouen vu précédemment, le 15/01/2012 où elle va mettre en pratique cette stratégie en s’en prenant de manière progressive à la culture Arabo-musulmane :

1°) Elle va commencer par interpeller les individus en évoquant leur anonymat et les positionner en tant que victimes de la mondialisation :

« Aux anonymes de la mondialisation, je redonnerai une identité nationale sûre d’elle-même, qui ne se cache pas, qui n’a pas honte »

2°) Elle va ensuite poursuivre sa plaidoirie au nom de ce qui unit et fédère les Français selon elle : La langue Française et le drapeau Français :

« On sera fier aussi de notre langue nationale, le français, qu’on valorisera bien plus, qu’on fera rayonner, qu’on protégera dans les instances internationales. » puis juste après « Oui, je ne veux plus que quiconque ait honte de brandir son drapeau national en public. Je ne l’admettrai pas. Je veux au contraire redonner de la fierté aux Français. Le drapeau national c’est ce qui nous unit, ce qui nous rassemble. La France a et aura encore plus besoin demain d’unité, de concorde. »

3°) Enfin, elle va enchainer directement sur ce qui divise les Français selon elle en incriminant le communautarisme, produit de la mondialisation, amalgamant juste après l’immigration, puis pour terminer, la communauté Arabo-musulmane par l’application de la laïcité :

« Il faudra lutter ainsi contre tout ce qui divise les Français. (...) Et, vous le savez mes chers amis, le communautarisme est aujourd’hui la première menace contre l’unité de notre nation. Le communautarisme est un principe essentiel du mondialisme (...) Je serai donc la présidente de la nation, contre le communautarisme. Pour cela, je réaffirmerai haut et fort les principes et les obligations de la laïcité (...) La laïcité sera d’application plus aisée quand nous aurons stoppé l’immigration (...) La laïcité pour l’unité de la nation, par une application stricte de la loi de 1905 : immédiatement les prières de rue qui continuent encore aujourd’hui malgré toutes les promesses prendront fin. Et il ne sera plus question de financer directement ou par un biais détourné la construction des mosquées. »

Cet exemple illustre la stratégie de Marine Le Pen, et des cadres du FN, de ne plus s’attaquer frontalement aux cultures étrangères, comme le faisait l’ancienne organisation de Jean-Marie Le Pen, mais de détourner une certaine xénophobie au nom de la préservation de l’identité Française et de ses valeurs contre tout ce qui porterait atteinte à son intégrité. De cette manière, ils justifient leur hostilité à l’encontre des cultures étrangères, en l’occurrence Arabo-musulmanes, jugées « inassimilables au creuset Français » (Crépon, 2014).

6. Conclusion

Pour répondre à la question « est-ce que le Front National de Marine Le Pen a changé par rapport à la formation politique de son prédécesseur ? » Je répondrais « oui » et « non ». Non pour l’idéologie qui anime cette nouvelle formation politique qui me semble toujours être dans la lignée de l’ancien Front National, et oui pour le profond changement organisationnel que Marine Le Pen a fait subir au parti depuis son arrivée en 2011. Bien que certains « Anciens » du FN occupent toujours des postes clés au sein du FN comme Bruno Gollnish, il est évident qu’un véritable « renouvellement générationnel » opère au sein de la formation frontiste et lui fait prendre une direction nouvelle (en atteste la « rupture » entre Le Pen père et fille). A l’origine issu d’un mouvement estudiantin d’extrême droite nommé « Ordre Nouveau », le FN de Jean-Marie Le Pen s’est formé en 1972 autour de personnalités dont idéologie étaient résolument néo-fasciste, pétainiste, néo-nazie, maurrassienne et même doriotiste (et j’en passe) et dont l’organisation pouvait être qualifiée de « para-militaire ». En effet, depuis 1986, le FN s’entoure d’un service d’ordre nommé « DPS » pour « Département protection sécurité » constitué de plus de 1200 personnes, les « gros bras », réputés pour leurs méthodes brutales (Laske, 2002). Ce service d’ordre s’est particulièrement illustré médiatiquement le 1er Mai 2015, en exfiltrant de façon très inquiétante des activistes politiques, posant la question de l’identité politique du parti, dont l’autoritarisme des actes – comme c’est le cas de nombreux élus FN – semble prendre le pas sur le Républicanisme des mots.

Aujourd’hui, le proche entourage de Marine Le Pen, issu pour la plupart du Front National de la Jeunesse (FNJ) se réclame d’une idéologie politique nouvelle, souhaitant ouvertement tourner la page au courant fasciste animant le parti depuis sa création. Un élément tout à fait nouveau dans l’histoire du parti est la constitution d’un réseau d’élus locaux voulu par Marine Le Pen, comme Steeve Briois à Hénin-Beaumont, faisant office de vitrine du FN pour en légitimer la bonne gestion pour les futures élections, ce qui est totalement nouveau et n’a jamais été envisagé par Jean-Marie Le Pen (Crépon, 2012).

La communication, de manière générale, semble aussi totalement repensée. Beaucoup plus souple et ouverte que ne l’était son prédécesseur, Marine Le Pen semble séduire des communautés inattendues, comme les homosexuels. D'ailleurs, Steeve Briois, Maire FN d’Hénin-Beaumont, a lui-même déclaré être homosexuel, ce qui s’avère être un symbole et une stratégie de communication redoutable pour un parti en quête d’une image plus favorable. En cela, nous pouvons affirmer que Marine Le Pen fait prendre au FN un virage médiatique différent de celui de son prédécesseur et plus en sa faveur.

Maintenant, pour ce qui est de l’idéologie de ce nouveau Front National, il ne me semble pas que la différence avec la formation de Jean-Marie Le Pen soit aussi importante que le FN s’évertue à nous le montrer. Comme j’ai pu le démontrer plus haut, Marine Le Pen expose dans ses discours des éléments que je qualifierais de « populistes », par une argumentation particulière usant d’interpellations populaires. Il semblerait d’ailleurs que cette forme de populisme ait un aspect identitaire (Taguieff, 2012), tant le recours aux valeurs françaises et à leur préservation est présent dans ses interventions. De plus, par l’analyse de ses discours, j’en ai conclu que l’on pouvait aussi parler d’une idéologie « nationale-xénophobe » (voire fasciste, compte tenu de l’attitude autoritaire de certains élus locaux et du DPS notamment), nationaliste bien sûr pour la « préférence nationale » qui parsème presque toutes les thématiques qu’elle aborde dans ses discours et xénophobe pour le rejet toujours aussi présent des cultures étrangères (et particulièrement envers la culture Arabo-musulmane) mais contrairement à son prédécesseur, exprimé de manière indirecte, au nom de la protection de la nation et de ses institutions.

Bien sûr, il serait naïf de penser que tout est dit dans cette note sur l’idéologie qui semble animer ce nouveau FN, certainement plus complexe encore que je n’ai pu la décrire dans mon travail. Tout porte à croire que le Front National a fait peau neuve et qu’il n’est d’apparence plus ce qu’il était sous Jean-Marie Le Pen. En effet, il est clair que la nouvelle génération animant actuellement le Front National procède depuis 2011 à une véritable opération de séduction, visant, en se dotant d’une certaine allure Républicaine à convaincre les Français les plus touchés par la situation politique et économique actuelle à rejoindre leur rang. Et qu’on se réfère aux scores historiques du FN aux Municipales ou aux Européennes de 2014 (et même des dernières départementales), cette stratégie s’avère efficace. Pourtant, il me semble que ces résultats ne sont pas aussi évidents qu’ils n’y paraissent au premier abord. Certes, le FN est ressorti victorieux de ces dernières élections, mais est-ce réellement une déclaration d’amour des Français à l’égard du Front National ou un message d’alarme destiné à bousculer le pouvoir en place ? La question reste ouverte.

Crépon, S. (2012). Enquête au coeur du nouveau Front National, Nouveau Monde, Paris, 300p.

Dorna, A. (1999). Le Populisme. Paris, Puf.

Dorna, A. (2004). De l’âme et de la cité. Paris, L’Harmattan.

Galbraith, J.K. (1958). The affluent society. Boston, Houghton Mifflin.

Laclau, E. (2008). La raison populiste, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 295 p.

Lecoeur, E. (2003). Un néo-populisme à la française. Trente ans de Front national. Paris, La Découverte « Cahiers libres », 288 pages.

Taguieff, P.-A. (2012). Le Nouveau National-Populisme. Paris, CNRS Éditions, Débats, 123p. [ISBN 978-2-271-07270-2]

Sapir, J. (2013). Les deux cartes. En ligne http://www.comite-valmy.org/spip.php?article4195

Laske, K. (2002). La machine Le Pen. Le DPS, paramilitaires au Front. En ligne http://www.liberation.fr/evenement/2002/04/27/la-machine-le-pen-le-dps-paramilitaires-au-front_401797

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