L’objectif de ce travail est celui de présenter une analyse de l’émergence de la jeunesse en tant qu’acteur politique au Brésil et l’apparition de ses expressions politiques dans les espaces publics. Nous comprenons ce processus comme celui de production et articulation de narratives collectives qui explicitent et nomment les conditions d’oppression qui affectent ce groupe social, réalisant des changements dans la condition de silence systématique des jeunes dans la vie collective. La parole des jeunes dans l’espace public n’est pas comprise ici dans son sens mondain, mais dans la puissance d’articuler des narratives qui ne sont pas capturées par les sens et compréhensions dominantes (Spivak, 1987). L’analyse des possibilités politiques des jeunes fait référence au questionnement de comment, et si, les jeunes peuvent être acteurs de son émancipation.
La structure du travail comprend une analyse critique qui vise à tracer des modes et positions dominantes de parole des jeunes au long du xxe siècle au Brésil, sans que, cependant, on veuille attribuer une chronologie à ces positions. Même parce que, comme nous le verrons à la fin, ces positions ne sont pas des étapes que l’on vainc, et qui sont laissées derrière, mais des structures qui se superposent et se succèdent. Les positions de silence qui, nécessairement, impliquent que les sujets soient dits et traduits par un autre, peuvent donner lieu et s’altérer à partir d'une nouvelle conjoncture sous laquelle les sujets retrouvent des langues et expressions collectives qui dévoilent l'énigme de l’oppression qui les affecte. Pourtant, rien n’assure que ces expressions garantissent effectivement, et pour toujours, un lieu d’action politique pour les groupes opprimés. Comme nous le dit Rancière (1996), les sujets politiques n’existent pas en tant qu’entités stables, mais comme des sujets en action, précaires, courant toujours le risque de ne plus agir politiquement.
Les jeunes, comme les enfants, ont été l’objet du discours de l’autre, soit celui qui se légitime sous l’autorité de la génération plus âgée, soit celui des savoirs disciplinaires. Donc, tus et empêtrés dans les structures de domination lesquelles eux-mêmes ne connaissent pas, ils continuent à se subjectiver en tant que protégés, invisibles et ‘non parlants’. Par contre, quelques changements récents ont entraîné une situation d’une beaucoup plus grande visibilité pour la jeunesse. Par exemple, la publicité de la part du gouvernement fédéral demandant que la jeunesse parle, à travers le slogan, “jeune, lève ton drapeau” !1 a produit des mobilisations de groupes juvéniles rendant les jeunes plus visibles dans la vie sociale. Cependant, on se pose la question : comment analyser les paroles juvéniles qui apparaissent à partir de la demande d’un autre pour que les jeunes parlent ?
Le présent travail se propose à analyser comment les discours juvéniles qui apparaissent sur la scène publique récente concourent pour le devenir politique des jeunes. Nous comprenons que l’émergence d’un sujet politique a lieu dans la mesure où se signifient et se dénoncent des situations d’oppression et injustice, vécues par un groupe en particulier, mais qui, en même temps, font tous voir des situations d’injustice et, dans ce sens, agrandissent les sens de l’égalité et de la justice. Ainsi, les paroles juvéniles – dans sa signification politique – promouvraient, à partir du lieu singulier dans lequel les jeunes se situent, des déplacements contre-hégémoniques dû au fait qu’ils articulent de nouveaux langages pour la vérification de l’égalité et de la justice entre nous. En d’autres mots, les jeunes parlent (en tant que sujets politiques) dans la condition de, à partir de son lieu singulier dans la société, pouvoir dire d’une injustice quelconque qui, même vécue plutôt par eux que par les autres, nous concerne tous, même si pas tous l’expérimentent directement.
‘Parole’ dans le contexte de ce travail, signifie l’articulation publique d’un discours de la part d’un sujet collectif, différemment de l’usage de ‘parole’ comme un dire dans l'espace privé. La ‘parole’ dans l’espace public entraîne la constitution elle-même d’un sujet politique qui peut dire, qui a quelque chose à dire et a à qui le dire. Donc, la ‘parole’ en tant qu’action politique, constitue le sujet politique dans ce même acte. Même si les jeunes ont pu parler, en tant que sujets humains munis de la capacité de communication, cela ne veut pas dire qu’ils aient pu se constituer en tant que sujets politiques, c’est-à-dire, des sujets capables d'une parole publique puissante pour influencer le cours et le destin de la vie collective.
I - Au Brésil, au long de la première moitié du XXe siècle, les jeunes, principalement ceux des classes bourgeoises, sont restés reclus dans les espaces privés (et prépolitiques) du foyer et de l’école. Nous faisons référence ici à une catégorie sociale de personnes définie par l’âge, une fois que dans la modernité la chronologie de la trajectoire de vie est devenue critère pertinent pour déterminer la structure d'opportunités de chaque individu dans la vie sociale (Sorensen, 1986). La ligne de vie a constitué le plan qui a déterminé l’ensemble de prérogatives et devoirs de chacun face aux demandes sociales. Dans cette perspective, les jeunes sont considérés ceux qui, à ce moment historique, sont prêts à occuper le lieu de responsabilités et droits du citoyen adulte, mais ne sont pas encore complètement préparés pour cela. L’idée de formation est restée liée à l’étape de vie qui se définit comme jeunesse (comme aussi de l’enfance). La formation dans les écoles a positionné les jeunes comme des apprentis, comme ceux qui ne savaient ni de soi-même, ni du monde, et comme tel, se mettaient soumis aux références symboliques des générations précédentes.
L’école obligatoire a assumé dans le contexte politique des États-nations la fonction de préparation et formation des jeunes et des enfants. Comme un monde à part des échanges sociaux plus amples, l’école a maintenu les jeunes et les enfants sous la protection des défis du monde au-delà de ses murs pour lequel ils devaient se préparer. La formation des jeunes, isolés dans les écoles, s’est caractérisée par la distance par rapport aux discussions et conflits présents dans la société. La transmission des contenus s’est opérationnalisée comme un processus indifférent aux contradictions sociales et à la conflictualité de la propre production du savoir, comme si les pratiques de connaître/apprendre étaient exemptes de luttes et disputes. Ce modèle de transmission culturelle a visé, prioritairement, au développement d’une forme pure, univoque et universelle de raison, détachée des émotions, de la singularité et des antagonismes. Ayant en vue l’objectif de développer les compétences cognitives individuelles, la transmission dans les écoles a défavorisé l’articulation entre connaissance et lutte, théorie et praxis, soi-même et altérité. En écartant ce processus de tout ce qui pouvait être raison de doute ou contestation, l’école a passé au large des discussions sur ce qui est important pour tous dans la société, et, donc, des questions publiques. Celles-ci ne viendraient faire partie de la vie juvénile que quand les jeunes atteindraient la majorité.
Au Brésil, au long de la première moitié du xxe siècle, le lieu des jeunes comme apprentis dans les écoles est devenu une exception pour ceux d’origine sociale favorisée qui ont pu adhérer au travail scolaire et à la convocation pour se préparer pour l'avenir selon leurs compétences. La plupart des jeunes, à la merci des contradictions du modèle républicain Brésilien (qui n’a pas pu promouvoir la modernité du point de vue de la répartition impartiale des biens culturels, Carvalho, 1990), et sans le support parental, est resté à l’écart du processus de formation scolaire, ne recevant que quelque peu rudiments nécessaires aux occupations subalternes. Aux jeunes pauvres, dépourvus, abandonnés, qui déambulaient dans les rues, et ainsi se sont rendus viables dans l’espace public, ils leur est resté seulement la stigmatisation de 'problème social' (Castro & Kosminsky, 2010 ; Rizzini, 1997).
La privatisation du lieu social de la jeunesse au long de la première moitié du xxe siècle, au Brésil, a été le résultat des nouveaux régimes d’institutionnalisation du parcours de la vie humaine, centrés autour du dressage et de la capacitation pour le travail. Les séquences d'âge ont été normalisées différemment selon une déterminée structure d’opportunités et ressources. Les étapes de l’enfance et de la jeunesse se sont définies comme des moments de préparation pour la vie adulte. Les jeunes, aussi bien que les enfants, devaient s’occuper de l’acquisition de compétences pour le monde du travail, et son lieu social d’apprenti a éliminé toute autre possibilité ‘d’être’ enfant ou jeune qui n’était pas celle que de l’éduqué, ce qui signifie la subordination des jeunes, aussi bien que celle des enfants, à une identité sociale fondée sur une complétude ultérieure et sur la préparation pour la vie future (Meyer, 1986). Dû à cela, ni les groupes de jeunes positionnés dans des lieux sociaux privilégiés, ni, non plus, ceux positionnés dans des lieux sans aide de la part du pouvoir parental ou gouvernemental, ont trouvé des conditions d’une participation sociale plus ample et de construction d’une subjectivité publique : les premiers, en vertu du long processus de préparation individuelle dans les espaces privés de la famille et de l'école, ont été amenés à s'identifier au développement scolaire individuel et à la survie personnelle, se subjectivant pour une vie publique relativement appauvrissante et limitée à l’exercice politique du vote2. Les seconds, les jeunes pauvres, marginalisés du processus d’inclusion sociale par la formation, ont été soumis à des procédures violentes de contention, et systématiquement impossibilités de se constituer, subjectivement et collectivement, comme une force contre-publique (Castro, 2010).
Dans l’un de ses rares textes sur la relation entre la constitution des espaces publics dans la modernité et la subjectivité nécessaire pour opérer dans ces espaces, Habermas et col. (1987) affirment que la raison communicationnelle nécessaire à la consolidation d’une sphère publique dans des régimes démocratiques se fonde sur un processus graduel d’acquisition de compétences intellectuelles dans lequel doit émerger une identité décentrée cognitivement, qui n'est pas assujettie à l'environnement et à l'autre et capable d’objectiver son propre point de vue par la perspective d'un tiers. Ce processus graduel, dont nous parlent Habermas et al., traite justement de la trajectoire de capacitation individuelle développée à l’école ayant en vue la participation ultérieure au monde public. Ainsi, la préparation scolaire devrait viser à un profil subjectif déterminé – l’individu autonome, rationnel et objectif – définissant une forme de subjectivation nécessaire aux espaces publics.
Dans ce sens, le processus d’émancipation à être exercé dans le domaine public a présupposé le processus de capacitation intellectuelle réalisé dans les espaces privés. Pour être capable d’articuler paroles, actions, et donc, intérêts dans le domaine public, il était nécessaire d'apprendre à parler, agir et communiquer. Mais ce modèle, soi-disant d’accès universel, au Brésil, ne s’est fait valoir que rhétoriquement, car l’origine sociale a été le facteur prévalent pour déterminé les compétences acquises et, par conséquent, l’ensemble d’opportunités de chacun dans la vie sociale.
Néanmoins, même pour les jeunes d’origine aisée, leur lieu en tant que jeunes est resté restreint dans le domaine privé, donc, leurs actions sont devenues non autorisées de tout horizon collectif et public qui puisse contribuer à arranger l'ordre social. La contribution juvénile a été reportée au moment officiel de la majorité, moment de légitimation du citoyen porteur de droits politiques. Même sous de telles conditions de retranchement de son expression politique, plusieurs jeunes ont pu rompre le silence auquel ils avaient été soumis. Autour des mouvements ouvriers brésiliens au début du XXe siècle, et des mouvements étudiants dans les années 60, des jeunes ont participé à des manifestations dans l’espace public. Martinez, le jeune anarchiste espagnol, de 21 ans, mort pendant la grève générale de 1917 à São Paulo, ainsi que Edson Luis, étudiant de 18 ans, mort pendant la manifestation du restaurant Calabouço, en 1968 à Rio de Janeiro, demeurent des icônes des luttes pour une société plus juste3. Ces luttes ne sont pas typiquement juvéniles, mais ouvrières dans le premier cas, et étudiantes dans le second4.
Ainsi, la position de silence est restée comme la structure dominante du lieu des jeunes, même si, opportunément, quelques-uns ont pu rompre ce silence. Ianni (1968) note, à ce sujet, que la radicalité de ces jeunes qui ont contesté le système en vigueur quand ils se sont aperçus de leurs contradictions ne les a pas conduits à une appréhension totale de la situation d’oppression produite par le capitalisme. Pour plus que l’immaturité, selon ce même auteur, ait pu favoriser la condition subjective d’explosions et anticonformismes, ceux-ci n’ont pas toujours servi pour dénoncer les contradictions du système. Fréquemment, les jeunes ont dû se soumettre aux ordres du jour et normes en vigueur et rendre adéquates leurs atteintes à celles de leur rôle social d'adulte et leurs respectives récompenses. Mais, est-ce que c’est à partir de la radicalité, telle que comprise par Ianni, que la position de silence peut être rompue ? En fin de compte, la radicalité du jeune constitue une ressource éphémère, car, comme nous le dit l’auteur, bientôt le jeune désirera s’insérer dans l’ordre social en tant qu’adulte, abdiquant sa position de contestation.
Si l’anticonformisme et la radicalité ont pu être pensés comme des dispositifs, même étant temporaires et insuffisants pour une action politique éphémère, quelles seraient les conditions de possibilité de rompre le silence de nos jours ?
II - Si au long de la première moitié du xxe siècle, au Brésil, les paroles juvéniles étaient structurellement tues, même ayant pu se manifester malgré la contention violente ou subtile, le scénario qui se montre à la fin du siècle apporte de nouveaux éléments comme des possibilités pour l’action politique des jeunes.
La production hégémonique du capitalisme a transformé les dominantes culturelles et, avec elle, les modes de production de subjectivités. Comme le dirait Jameson (1996), les langages qui avant suffisaient pour notre manière de vivre et de sentir, aujourd’hui semblent impuissants pour nommer l’expérience individuelle et collective dans le monde contemporain, régi par l’internationalisation des marchés et capitaux, par les nouvelles formes d’organisation de l’entreprise suivie du développement technologique (des médias, des systèmes d’information, transport et automatisation), ainsi que par la crise générale du travail. Beaucoup plus que des changements dans les modes de production, maintenant il s’agit d’un système totalisateur et cohésif dans lequel le monopole du capital pénètre totalement dans les modes de vie et dans les relations culturelles.
La culture contemporaine de consommations résume cette dominante culturelle qui, comme une industrie culturelle pour les masses, intervient de manière incisive dans les modes de subjectivation. Cette logique culturelle dominante, nous ont prévenus Theodor Adorno, Herbert Marcuse et autres, colonise nos affections, l’inconscient, notre structure d’habitudes et valeurs, nous posant le défi de récupérer une culture politique qui nous permet de comprendre aujourd’hui notre lieu dans ce système global, et, à part cela, récupérer notre capacité d’agir et lutter.
Ce qui nous intéresse ici c’est d’examiner comment cette logique culturelle va atteindre la jeunesse dans ses modes de subjectivation, et comment cette dominante culturelle produit dialectalement le combat qui a lieu entre la parole et le silence de la jeunesse, entre sa plus grande oppression et/ou plus grande capacité d’action personnelle et collective.
La demande effrénée du renouvellement incessant des marchandises revendique la contrepartie dans le mode de fonctionnement des sujets, c’est-à-dire, l’abondance de marchandises sollicite une subjectivité désirante dans laquelle les limites de l’interdiction et du report pulsionnel ne pèsent pas. La consommation contemporaine a redimensionné l’expérience avec les choses et les objets qui, d’entités dans le monde comme nous, sont devenus des extensions narcissiques du désir insatiable. Si dans les moments précédents au capitalisme, il y avait, encore, une valorisation de l’effort, de la concentration et de l’investissement à long terme, maintenant, les modes de subjectivation, dans la logique culturelle du capitalisme tardif, invitent au plaisir illimité, à la dispersion et à l’engloutissement subjectif dans l’intensité du présent.
Avant même de pouvoir expérimenter nos dilemmes actuels, Adorno et Horkheimer (1986) affirmaient déjà comment l’expérience d’aujourd’hui du plaisir – à travers la diversion et le loisir – s’aligne sur la résignation de l’offre d’un jouir quelconque à condition de croire que lui, le jouir, y sera toujours, à la portée de la main, n'importe où l'on soit, c'est-à-dire, que nous devenions leurs 'consommateurs éternels'. La diversion consiste à “être d’accord”, comme disaient les auteurs, le sens de cette affirmation pointe vers le besoin de se déshabituer de sa propre subjectivité, en ce sens que, abdiquer la propre pensée en tant que possibilité de négation et de résistance. Dans ce contexte, la syntaxe subjective de comment l’on vit et comment l’on cherche le bonheur aujourd’hui se transforme complètement. Qu’est-ce que cela signifie d’être heureux ? La réponse d’un jeune à cette question peut nous aider : avoir tout ce que je n’ai pas, et ne pas avoir à penser, ne pas avoir d’obligations à accomplir... À ce jeune, les auteurs répondraient que croyant que ses plaisirs et bonheurs peuvent être retranchés dans les choses mêmes qu’il ne possède pas, il devient le consommateur fidèle de jouissances auxquelles il est incessamment poussé à croire comme son bonheur. Un bonheur qui se résume à ne pas avoir à penser, ne rien avoir à faire... et qui, de cette manière, le libère de résister, de penser, de ne pas être d’accord. D'un autre côté, cette structure sentimentale – telle qu’exprimée dans les mots du jeune – semble extrêmement éloignée de la manière dont le bonheur a été, il n’y a pas longtemps, expérimenté, dans la dimension de ‘promesse rompue’, et pourquoi ne pas le dire, de renoncement ; dans ces termes, le bonheur est possible ici et maintenant, mais juste comme un aperçu de ce qui n’existe encore pas, dans l’attente d’une réalité qui pourra, encore, et peut-être jamais, être atteinte.
Dans la dominante culturelle du capitalisme de consommation des transformations radicales s’effectuent par rapport à ce que l’on est convoqué à croire et à vivre – la notion elle-même de bonheur, par exemple, se transforme. La consommation actuelle de bonheur – comme diversion et réconciliation – est faite sous la forme textualisée des images produites industriellement par les nouvelles technologies qui, comme l’a montré Debord (1967) dans les années 60, ont la prétention de comprendre et donner le sens à la vie sociale.
Comme dominante culturelle, le processus d’esthétisation et spectacularisation a imposé la visibilité comme exigence de subjectivation : apparaître pour être, et celui qui apparaît profite d’être beaucoup plus que celui qui n’est pas perçu. La culture de l’image apporte à l’instant de la perception – le présent imagétique vivant – une clé unique avec laquelle nous devons nous entendre afin de dévoiler les sens de la réalité. Ainsi, on réduit, radicalement, l’historicité possible des événements et des relations sociales à ce qui est vu, senti et vécu sur le moment.
Nous nous posons la question alors sur les effets de subjectivation de cette dominante culturelle sur la jeunesse brésilienne aujourd’hui, et comment cette scène contribue ou, au contraire, mine, implose, refroidit la lutte pour la l’émancipation et contre le silence des jeunes.
Les jeunes sont devenus des cibles préférentielles de la culture de consommation qui, moyennant la publicité, textualise la jeunesse dans les images de puissance, bonheur et bien-être dans un jeu qui mélange des fragments textuels afin de maintenir la logique culturelle du capitalisme. L’image hégémonique de la jeunesse aujourd’hui s’enchevêtre dans la chaîne de signifiants de plaisir, usufruit, expérimentation et intensité. Cette construction donne un format approprié à un style de vie jeune qui sert au renouvellement économique illimité de produits. Ainsi, l’idéal culturel lié à un style jeune d’être se répand comme une forme culturelle dominante où l’usufruit et l’expérimentation incessants constituent un texte qui pourvoit une ressource identifiante puissante pour tous les jeunes, les amenant à croire à la possibilité de jouissance sans limites. Les jeunes seraient ces personnages qui, répondant à la demande de la dominante culturelle, devraient dramatiser la scène imaginaire du jouir comme, combien et quand l’on veut, scène qui représente le symptôme de notre culture contemporaine, comme l’observe Kehl (2004).
Dans ce scénario, l’acte culturel semble devenir part de l’engrenage reproductive du capital, quand difficilement les résistances, la parole contre-hégémonique peuvent s’articuler. D’un autre côté, c’est aujourd’hui, principalement, par le biais de la culture, soit par la création d’identités culturelles, soit par l’utilisation de ressources esthétiques, que les jeunes veulent faire valoir leur lieu singulier et leurs demandes dans la société.
L’expression culturelle et artistique a été une voie prévalente de construction pour les jeunes d’une image de soi pas capturée par le sens de report et attente que, en tant qu’étudiants, ils personnifiaient. L’expression culture juvénile a été utilisée pour indiquer les modes singuliers de comment les jeunes, de différentes origines sociales, s’approprient et recomposent les éléments de la culture pour élaborer les défis multiples de vivre dans le contemporain, tels que, la fragmentation de l’espace urbain, les appels de la consommation, la carence d’espaces de vécu et diversion pour plusieurs jeunes habitants des conditions de vie dégradée des périphéries, la marginalisation sociale et économique de jeunes pauvres et leur manque de perspectives (Pais, 1993 ; Dayrell, 2005).
Au Brésil, l’expression musicale de groupes juvéniles liés au hip hop, rap, punk, funk, rock et d’autres styles a récemment attiré l’attention comme force émergente de la jeunesse que l’on veut placer de forme affirmative dans les espaces sociaux. La grande question qui infère des études du domaine au Brésil consiste en comprendre, ayant en vue l’énorme pluralité de ces expressions, ce que ces expressions signifient en tant nouveaux engagements collectifs juvéniles, et quels effets elles produisent dans la dynamique sociale. Ainsi, plusieurs collectifs musicaux juvéniles stimulent le sens d’appartenance et la possibilité d’invention et expérimentation positive de soi-même dans l’absence de toute autre expérience positive pour le jeune (Dayrell, 2005) ; ils aident à recadrer l’expérience d’injustice et oppression vécue par le jeune pauvre mettant la musique et le loisir en tant qu’antidote de la violence physique (Souto, 1997 ; Cecchetto, 1997) ; ils servent de canal de dénonciations sur les oppressions et injustices élargissant la conscientisation et la solidarité parmi ceux qui se trouvent dans la même situation (Carmo, 2001 ; Diógenes, 1998 ; Ronsini, 2007 ; Lodi et Souza, 2005 ; Pais, 2006). Les engagements juvéniles dans les groupes musicaux conduisent la construction d’une base collective de l’expérience juvénile, aussi bien dans le sens de la recadrer et de la rendre plus positive, dans le cas de jeunes pauvres, noirs et marginalisés, que de l’élaborer à partir de la position singulière du sujet jeune (Abramo, 1994).
La critique sociale, la dénonciation de situations d’injustice, la conscientisation au sujet des oppressions vécues, des aspects d’une culture politique présente dans plusieurs groupes musicaux juvéniles, s’entremêlent dans les objectifs de loisir, diversion et vie en groupe. Ainsi, même considérant que ces groupes puissent incorporer des éléments d’anticonformisme, critique et opposition au statu quo, la question qui nous intéresse ici plus directement, est de quelle manière ces expressions culturelles et artistiques constituent un agir politique qui va au-delà de l’expressivité esthétique au service du maniement identitaire qui a pour objectif la construction d’un ‘nous’ à partir d’identifications communes à ces groupes. Il semble qu’il y a des difficultés de construire des équivalences qui puissent organiser ces mobilisations et actions autour d’alliances plus amples. Lodi et Jobim (2005) expliquent comment les leaders et célébrités de chaque groupe qu’ils ont interviewés se plaignent du manque d’union, de la pulvérisation des actions ciblées vers un sans nombre d’objectifs, de la multiplication de groupes et leaderships qui finissent par se montrer hostiles mutuellement. De toute façon, nous pouvons affirmer que la diversion que les groupes musicaux proportionnent n’est pas complètement dépourvue de critique sociale, quoique cela ne constitue pas nécessairement une action politique engagée dans la transformation sociale. Bien que ces expressions juvéniles cultivent une “sensibilité justicière” (Pais, 2006), elles n’arrivent pas à réinventer des espaces sociaux de manière à créer des publics pertinents pour leurs messages de justice sociale. Bien qu’explicitement ils revendiquent la reconnaissance sociale (Dayrell, 2005), les groupes juvéniles ne sont pas engagés dans des actions spécifiques qui ont pour but d’atteindre cet objectif.
Aujourd’hui la ‘distance critique’ semble presque impossible, lorsque même plus la culture, ou l’art, fournissent actuellement une base territoriale sûre d’où l’on peut articuler une résistance quelconque à un système qui tout coopte. On manque de cartographies dans l’espace mondial du capitalisme international qui puissent le représenter et aider à appréhender la position des sujets individuels et collectifs. Dans une telle situation de désorientation, il est difficile de lutter, contrer et agir. L’action nécessite d’une construction narrative d’avenir – discerner où l’on va, et surtout, où l’on veut aller, dans la perspective d’un projet collectif, dans lequel, une action humaine quelconque soit possible. Sinon, on ira juste vers l’avenir à la merci des catastrophes, ou du destin inexorable. Comme nous rappelle H. Arendt (1986), l’action et la parole (le discours, la narrative) sont indissociablement associées, et concernent, exactement, les alternatives de construction de ce qui est déjà mis.
Quelques études ont montré les plusieurs difficultés pour l’agir des jeunes Brésiliens dans le contemporain. Dans un projet de recherche-intervention réalisé avec autour de 1300 jeunes de 19 quartiers populaires de la Région Métropolitaine de Rio de Janeiro (Castro, Correa et col. 2005) on leur a demandé sur les figures du monde public avec qui ils s’identifiaient. De manière significativement prépondérante, les jeunes s’identifiaient aux figures médiatiques, comme chanteurs, présentateurs de télévision, leaders sportifs, qui incarnent les images de succès personnel, célébrité, richesse, mais aussi, dans les mots des jeunes eux-mêmes, sont “tout de meilleur”, figures qui deviennent idéalisées, presque mythiques dans l’imaginaire juvénile. Ces figures expriment l’oméga d’une trajectoire de vie réussie. Cependant, dans l’itinéraire de ceux qui réussissent, les jeunes n’arrivent pas à identifier ce qui mène ces personnes au succès, c’est-à-dire, pour eux il y a une condensation de ce que ces figures le sont, avec ce qu’elles ont fait pour arriver jusque-là. L’affirmation, ‘eux, les réussis, sont là-bas parce qu’ils l’ont bien fait’, et, l’affirmation, ‘ils le font bien (ou ils sont bons) parce qu’ils sont là-bas’ se placent comme équivalentes. Cela dit, être là-bas signifie, d’immédiat, être bon. Pratiquement, peu arrivent à parler sur quelles actions mènent à des situations de gratification et succès jouis par leurs idoles.
Les identifications avec les figures médiatiques idéalisées ne fournissent pas des pistes pour que les jeunes puissent s’approprier symboliquement des moyens/actions pour arriver là où ils désirent, n’entraînant que des ‘mirages’ et ‘rêveries’ de succès et bien-être qui ne potentialisent pas leur action. Celle-là, et d’autres études, comme celle de Carneiro (2002) et Girotto (2007) ont constaté comment l’identification avec certains points d'arrivée n'est pas suffisante pour soutenir les actions des jeunes vers les objectifs qu’ils veulent atteindre. Les identifications avec les idoles disent des points où plusieurs jeunes veulent arriver, mais ne sont pas soutenues par la connaissance de quelles expériences sont significatives et pertinentes pour capaciter l’agir pendant leur parcours jusqu’aux objectifs. Il est important de dire que cette difficulté par rapport à l’agir n’est seulement pas observée concernant les jeunes pauvres urbains, dont le “manque d’opportunités” a appauvri l’amplitude de connaissances et ressources symboliques (Castro, 2008), mais aussi, les jeunes de classes moyennes, qui, par d’autres raisons, se sentent complètement incapables de construire des plans d’action par rapport à ce qu’il désirent.
Plusieurs difficultés entourent l’agir des jeunes aujourd’hui. La construction d’un plan d’avenir, aussi bien dans la vie personnelle, que dans la vie publique, touche la méfiance et le doute des sujets quant à pouvoir transformer le cours des événements. Dans ce sens, plusieurs mésaventures empêchent que l’action individuelle et collective puisse instaurer des processus de transformation sociale contra-hégémoniques, et résistance à ce qui est mis.
III - Jusqu’ici, nous avons argumenté que la condition structurelle de silence qui s’est imposée aux jeunes bien récemment, les a limités aux espaces privés de l’école et de la famille, dont la subjectivé, qualifiée par l’absence ou par le déficit de caractéristiques humaines pleines, devrait d’abord être accréditée et se préparer pour après pouvoir agir dans le monde public. Des déplacements dans les modes de subjectivation de ce paradigme ont été apportés par les transformations du contemporain, principalement, avec l’intensification du modèle capitaliste international, et sa logique culturelle dominante, à partir de la deuxième moitié du xxe siècle. Nous avons problématisé la visibilité juvénile, qui, si, d’un côté, rend les jeunes plus célèbres dans l’espace public, les emmêle, fréquemment, dans les textes et ‘paroles’ découpés par les intérêts hégémoniques de la reproduction capitaliste. Dans ce sens, les conditions contemporaines devraient être pensées dialectiquement dans leurs formes positive et négative en même temps. La culture de consommation a tant produit une visibilité libertaire de la condition juvénile, puisqu’elle l’a déliée de son ancrage adulte centrique, mais, d’un autre côté, l’a capturée comme protagoniste principale du paroxysme néolibéral dans la recherche individualisée du plaisir, de la diversion et de l’expérimentation.
L’individualisme, comme mode de subjectivation prévalent, a apporté la conscience d’une disjonction à être réalisée entre l’être’ et le ‘nous’, dans laquelle devient obligatoire la construction d’une distance entre l’héritage identitaire de chacun (son histoire familière, l’histoire de son groupe culturel et de classe) et l’individu par lui-même. La théorisation sociologique contemporaine revient vers l’individu, comme instance qui pourrait réaliser une ‘réserve de soi’, dans l’expression de Singly (2006), qui prenant distance des injonctions de leurs rôles sociaux, peut exprimer sa ‘singularité irréductible ’, c’est-à-dire, peut agir à partir d’un degré subjectif qui n’est pas réduit et contenu par les déterminations de son processus de socialisation. Dubet (1994) dit, à ce sujet, que la socialisation n’est jamais totale, et à cause de cela même, la ‘subjectivité’ est capable d’ajouter du renouvellement à la vie sociale par moyen de la construction d’espaces d’autonomie, que l'on conquiert, dont les expressions de soi sont montrées dans les espaces publics.
Ce qui attire l'attention dans ces énoncés c’est l’attribution à l’individualisation du ‘moment de la vérité’ de la subjectivation, c’est-à-dire, la possibilité de surmonter et aller au-delà de ce qui est préalablement déterminé, passe à dépendre de la subjectivité. Enfin, la subjectivité devient le dispositif lui-même de la transformation sociale.
C’est grâce à la conquête de sa propre autonomie, quand l’individu peut se permettre de parler et agir en son propre nom, que l’ordre social peut être renouvelée, même si pas tout renouvellement va à la rencontre des possibilités d'une plus grande justice et égalité.
Mais, qu’est-ce que cela signifie de parler et agir en son propre nom ? Pour le jeune cela signifie gagner de la distance par rapport à ses identifications initiales, avec l’aide des discours sociaux qui le situent comme un individu distinct, singulier, avec des besoins et des demandes propres. Le discours sur les droits spécifiques au Brésil vient accomplir cette fonction d’objectiver ces demandes d’identité. Dans le cas de ‘l’identité juvénile’, elle se constituerait comme un mode singulier d’être dans le contexte de la condition historique et culturelle contemporaine.
Le postulat que les jeunes (et enfants) sont des sujets de droits fournit une entrée pour examiner l’importance de ces discours en tant que ressources pour annoncer et dénoncer des formes d'oppression (Gauchet, 2002). Les langages des droits et de la citoyenneté ont constitué le dispositif par lequel plusieurs groupes de jeunes ont pu articuler leurs demandes, et faire cette traversée des espaces privés et en silence vers les espaces publics de contestation et revendication. Ce sont nombreux, et divers, les groupes juvéniles émergents qui arrivent à agglutiner des demandes concernant ce qu’ils considèrent ce que leur ai dû - par la société – en vertu de sa condition spécifique d’être jeune. Il ne serait pas le cas ici de décrire l’extension de ce phénomène. Il est important d’observer, dans la ligne d’argumentation prise, que le langage des droits, dans le cas de la jeunesse, fonctionne à travers des centres distincts d’énonciation, à part ceux agglutinés initialement dans les groupes juvéniles. Quelques-uns sont : les gouvernements (depuis 1989 avec la promulgation de l’Estatut de l'Enfant et de l'Adolescent), les organisations de la société civile, principalement les ONGs, les fondations privées nationales et internationales, quelques partis politiques, les mouvements sociaux et, aussi, les chercheurs et professionnels qui travaillent avec la jeunesse. Cela signifie que la clé de compréhension de ce qui vient constituer les tels “droits juvéniles” est loin d’être en prévalence dans les mains et dans les actions des jeunes, mais comprend des énonciations de plusieurs secteurs de la société qui ajoutent des intérêts spécifiques aux luttes juvéniles, et créent des ‘communautés d’interprétation’ (Minow, 1987) au sujet de ce que ce sont les droits des jeunes. Donc, il y a là une certaine plurivocité d’énonciations sur les droits, pas toujours convergents, et ni cohérents avec les intérêts du groupe en question.
Pour donner un exemple : les droits des enfants, objectivés dans les termes de l’Estatut de l'Enfant et de l'Adolescent, spécifiant que ceux-là sont des “sujets en développement ”, ont renforcé le point de vu adulte-centrique sur les enfants, comme quoi ils devaient se préparer pour participer effectivement à la société. Plusieurs injustices contre eux se sont maintenues, y compris la politique d’institutionnalisation en abris, et jusqu’à l’assassinat (Rizzini, 2011 : 73). De la même manière, l’énonciation des droits des jeunes aujourd’hui se fait, fréquémment, au nom de leurs “besoins singuliers d’expérimentation” (Abramo, 2005), en fonction du moratoire social dans lequel ils se trouvent. Cela concoure plus pour encapsuler la compréhension de la jeunesse dans le contexte de la dynamique de la dominante culturelle du capitalisme de consommation, en promouvant des dérapages entre expérimentation et usufruit, expérimentation et jouir, expérimentation et puissance, que pour collaborer au devenir politique des jeunes dans la construction d’équivalences entre l’oppression qu’ils vivent et celle vécue par d’autres groupes sociaux.
Ainsi, c’est dans la tension entre des textes divers qui concourent entre eux et veulent réaliser ce à quoi les jeunes ont droit que les jeunes eux-mêmes doivent s’entendre pour définir ce qui, en ce moment historique, doit leur être garanti.
Ce qui semble être en jeu dans ces disputes c’est la valeur ajoutée appelée 'jeunesse’ qui se joint à l'ordre du jour des gouvernements, à l’action et captation de ressources de la part des Ongs, à la récupération de la bonne image de la part des entreprises, ou tant d’autres motivations qui dominent le champ d’actions programmatiques pour la jeunesse, édifiées sous la légitimité de l’expression “sujet de droits”. Néanmoins, la question reste, en quoi consiste la spécificité du ‘être jeune’, et en quoi cela doit assurer en termes de droits et de devoirs des autres envers eux.
Paradoxalement, le discours social pourvu par les droits peut aussi conduire à des luttes qui problématisent de manière différente la condition de silence des jeunes et leur responsabilité de parole et action politique. Je prends comme exemple une situation enlevée de la Conférence Nationale de la Jeunesse, réalisée en avril 2008, qui a été l’apogée d’un long processus de mobilisation de jeunes dans tout le pays. La thématique qui a plus agglutiné d’adhésions, faisant autour de 1087 propositions venues de tout le pays, a été celle référent à l’éducation, nombre qui représente le double d’adhésions à la deuxième proposition, référent à la thématique travail (Brésil/Conjuve, 2008 :9). Cela signifie que la manifestation prévalente des jeunes de tout le pays, considérée par eux la demande la plus importante, pointe l'éducation comme ce qu'il juge la plus importante revendication pour leur vie. Il est important de noter que la thématique éducation émerge dans la conférence elle-même comme l’intérêt collectivement accordé par les jeunes, car les délégations juvéniles qui sont arrivées à la conférence n'avaient pas connaissance de ce qui était apporté par chacune comme proposition. La proposition de l’éducation apparaît comme l’ intérêt prédominant, défini, dans le texte de la conférence elle-même, comme la formation du jeune, de l’école jusqu’à l’université, déterminant clairement une demande d’éducation pour tous, jeunes et enfants, publique et de qualité. Quoique cette demande n’ait pas été la seule que les jeunes ont englobée dans la conférence, elle a conquis une proéminence significative, même face aux nombreux intérêts spécifiques des groupes de jeunes qui y étaient présents.
Je tiens à souligner alors la signification politique de cette ‘parole’ juvénile. En premier lieu, la demande d’éducation rend transversales les revendications qui ne seraient pas seulement des jeunes, mais aussi des enfants, et de tous ceux qui font partie de la ‘génération plus jeune’. La signification de cette demande, du point de vue politique, à notre avis, est double : d'abord, elle arrive justement à articuler, à partir de situations spécifiques d’inégalité, équivalences entre ces situations découlant de conditions similaires d’oppression. Ainsi, non seulement les jeunes, mais aussi les enfants, et tous ceux qui ont le droit de recevoir le legs culturel, feraient partie du groupe envisagé par cette revendication. La demande d’éducation est revendiquée comme une garantie que la nouvelle génération (jeunes, enfants, bébés) doit pouvoir connaître et participer à l’histoire et à la culture d’une société dans laquelle ils arrivent. Deuxièmement, cette demande s’inscrit dans un agenda qui met en question le destin de la reproduction générationnelle lui ajoutant des valeurs perçues comme importantes pour la génération de jeunes brésiliens, elle-même. Il ne s’agit pas seulement de la revendication de la dette symbolique que toute génération plus âgée a dans la transmission du legs culturel par rapport aux plus jeunes, mais de pouvoir parler du type d’éducation que les jeunes désirent – publique et de qualité, et comme un bien qui doit leur permettre de participer activement à la société, une éducation citoyenne. Donc, cette demande semble politiser le processus de transmission culturelle, puisqu’il inscrit la relation entre des générations comme un aspect à être négocié et discuté entre les parties. L’éducation n'est plus quelque chose que la génération plus âgée concède – par bien ou mal –aux plus jeunes, et qui, donc, serait seulement à la portée des adultes qui décideront comment éduquer, quand et de quoi il s'agit éduquer. La transmission des biens culturels constitue un processus sur lequel la génération plus jeune demande agir et décider, participant à ce débat qui doit être ouvert à la discussion publique. Cela représente le présage de la politisation de la relation entre les plus jeunes et plus âgés qui apporte sur la scène publique la discussion avec les nouveaux partenaires qui sont les jeunes.
L’éducation des enfants et jeunes a été liée aux espaces privés de la famille et de l’école, car elle concernait la liberté de chacun pouvoir donner à sa progéniture la formation qu’il bien voulait. D’un autre côté, la nouvelle génération devrait être épargnée des ‘affaires du monde’, puisqu’elle n’était pas totalement prête, selon le modèle de subjectivation de l’individu rationnel des sociétés libérales magnétisées par le progrès. Même l’école, qui a toujours englobé une vie sociale plus plurielle que la famille, n’était pas considérée comme un domaine de l’espace public, car comme l’a argumenté H. Arendt (1972), elle est marquée par des relations entre des inégaux, établies par une hiérarchie naturelle entre adulte et jeune. Quoique le thème de l’éducation ait généré des débats publics au Brésil, dû au fait de figurer dans l’ordre du jour de consolidation des états nationaux et leurs projets à long terme, ils ont toujours été circonscrits dans ce que les adultes ont pensé et décidé sur ce qui était important pour les jeunes. Ceux-là recevaient, sans poser des questions, ce que les adultes leur réservaient.
La demande d’éducation revendiquée aujourd’hui par les jeunes Brésiliens se met comme une parole inédite. Elle apporte à l’espace public de nouveaux acteurs qui indirectement problématisent ce qu’ils reçoivent au long du processus de transmission générationnelle : l’institutionnalisation inadéquate du système éducationnel, les effets insignifiants de formation du jeune que ce système atteint et les objectifs autoritaires sur lesquels il se fonde5. Ces aspects sont mis en question du point de vue de ceux qui vivent le processus et peuvent parler d’eux et de leur expérience en tant qu’étudiants qu’ils sont, ou qu’ils n’ont pas pu être. Lorsqu’ils se placent comme quelqu’un qui peut mettre en question le processus de transmission, les jeunes problématisent la prérogative absolue des adultes mettant en question leur pouvoir de disposer, du haut vers le bas, le format et le contenu de ce qui est important d’apprendre dans le monde où ils vont vivre et auquel ils veulent participer.
Dans ces termes, la demande d’éducation instaure un champ d’antagonismes parce que les relations avant réglées par l’inégalité naturalisée entre adultes et jeunes se politisent, de la même manière les questions avant considérées comme des prérogatives exclusives des premiers. Surtout, cette demande politise aussi les relations des jeunes avec les gouvernements, qui, récemment, a promu et encouragé, de manière paternaliste, la mobilisation juvénile.
IV - Le dévoilement de l’oppression a lieu dans le processus historique dont les affrontements permettent que les sujets resignifient leur position face aux autres et se repositionnent, ainsi que s’étend la conscience collective sur les formes d’oppression, jusqu’à présent naturalisées et pas dévoilées. Dans ce sens, le dévoilement des formes d’oppression se constitue toujours comme une lutte politique engagée en ‘vérifier le principe de l’égalité entre hommes et femmes’, dans l’expression de Rancière (1996 ; 1995). Le discours sur les ‘droits’ peut fournir aujourd’hui une condition de subjectivation politique pour ceux qui, ayant en pratique leurs droits niés, soient interpellés à s'indigner et lutter. Mouffe (1987) appelle ce processus d‘interpellation contradictoire, justement parce que des positions subjectives contradictoires – avoir des droits, en principe, et ne pas les avoir, de fait – potentialisent des antagonismes et des luttes politiques. Ainsi que le discours sur les droits, d’autres discours peuvent exercer le même effet, comme par exemple, le discours sur l'égalité, la notion de démocratie et l’idée ou le sentiment de justice. Mais c’est le discours sur les droits qui se constitue comme le discours social préférentiel dans les demandes juvéniles fondées sur leur condition singulière. Ces luttes qui ont comme devise la différence mènent à la diversification, plus qu’à l’équivalence, des demandes de justice et égalité, et conséquemment, ont tendance à se détacher, politiquement et éthiquement, de la résistance à la production hégémonique de plusieurs de ces oppressions, choisissant prendre le chemin où la différence des uns mènera à antagoniser celle des autres. Avec Mouffe, nous pensons que seulement si les équivalences peuvent être construites entre des luttes différentes, nous pourrons créer une force démocratique capable de faire face à l’ennemi commun, et aux innombrables formes d’inégalité de la société actuelle.
Cela ne veut pas dire que la lutte pour la reconnaissance de différences n’est pas importante, mais, justement, que la valeur de la différence puisse constituer en pouvoir particulariser – c’est-à-dire, donner du substrat culturel et historique – les luttes par la condition universelle de l’égalité qui laissent derrière le particularisme des identités pour pouvoir construire cet universel toujours précaire et insuffisamment défini. Rancière (1998) est celui qui nous aide ici, quand il affirme qu’il est nécessaire de briser la logique du plus un, en ce sens que, celle qui a pour objectif celui d’incorporer la demande d’encore une minorité, d’encore un groupe identitaire et ‘sa’ reconnaissance, et ses droits, pour donner lieu, dans la lutte politique, à d’autres visions et ordonnancements de la réalité.
L’aventure politique des jeunes brésiliens peut déraper et se résumer en parole domestiquée et prêt-à-porter des droits par la différence, qui, comme le note Pierucci (1999), elle, la différence, s’autoreproduit en des milliers de sous-espèces. La différence génère de plus en plus la différence, et oblitère tout “processus de singularisation universalisable” (Badiou, 2007 :12). Ainsi, en circonscrivant sa parole politique dans l’énoncé des droits spécifiques, les jeunes courent le risque de, plus que faire tous voir l’oppression qui les atteint, être protagonistes de la concurrence prévisible pour sa portion, déterminée par un régime compétitif et astucieux qui les coopte ne que pour la visibilité et la reconnaissance.
C’est dans cette tension, ou mieux, dans ce tourbillon d’interpellations que les jeunes Brésiliens aujourd’hui articulent, précairement sa parole politique. Quelques fois la parole semble domestiquée et emmêlée dans des textes qui les cooptent dans la reproduction de l’ordre social, mais, parfois, aussi, une parole qui dit aux adultes au sujet de transformations nécessaires au processus historique entre les générations. À ce moment-là, sans doute, les jeunes arrivent à réaliser l'opportunité de s'expérimenter, même si provisoirement, en tant qu’acteurs politiques.
1 La devise ‘jeunesse lève tes drapeaux !’ a été utilisée par le gouvernement fédéral afin de convoquer la mobilisation des jeunes pour la Conférence Nationale de la Jeunesse, réalisée à Brasília en 2008.
2 À ce sujet, Dana Villa (1992 : 718), s’inspirant d’H. Arendt, commente de quelle manière le système politique représentatif moderne transforme la sphère publique lui révoquant son ‘esprit révolutionnaire’ où l’action agonistique et spontanée est remplacée par une politique ayant une routine d’intérêts mue pour la réalisation d’objectifs privés de la part de citoyens passifs et dépolitisés.
3 “On a tué un étudiant, il pouvait être ton fils !” expression qui a dénoncé la mort du jeune Edson Luiz, souligne l’infamie de cet assassinat faisant appel à la position du jeune dans l’ordre générationnel – être fils – et avec cela pourrait refléter dans la génération des adultes. Ainsi, elle ne fait plus appel à la valeur intrinsèque de la vie du jeune, en tant que jeune, pour faire ressortir sa valeur comme perte irréparable, celle d’un fils, pour la génération plus âgée.
4 Au long des premières décades du XXe siècle se sont consolidées les institutions d’enseignement supérieur au Brésil, et avec elles ont surgi les centres d’organisation et mobilisation étudiante. L’Union Nationale des Étudiants (UNE) nait en 1937 et jusqu’à être démontée par la dictature militaire au Brésil qui a persécuté, enfermé et tué quelques-uns de ses leaders (Poerner, 2004). L’ UNE a eu un rôle important dans la mobilisation politique de jeunes universitaires identifiés avec la lutte pour la transformation sociale de la société, et fréquemment liés aux partis de gauche.
5 La demande pour une éducation publique de qualité se met sur le scénario de détérioration significative de l’éducation fondamentale au Brésil, où, pour donner juste un exemple, 27 % des jeunes de 15 à 17 ans, et 57 % des jeunes entre 18 et 19 ans sont déjà hors du système scolaire. Des jeunes entre 15 et 17 ans qui restent dans le système scolaire, seul 20 % arrivent à 4 ans de scolarité (IBGE/Brésil, 2009).
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