N°21 / Résistances et altérité Juillet 2012

Evaluations dans la définition du « bon conjoint » et effets de genre

Dorra Ben Alaya

Résumé

Le mariage représente en Tunisie une institution à la fois touchée par des transformations, mais aussi un lieu de reproduction de la structure traditionnelle des normes de rôles. L’objectif de cette recherche est de mesurer le niveau d’exigence différentiel selon le genre, en matière de conformité à ces normes dans la définition du « bon mari » et de la « bonne épouse ». Une procédure croisant l’appartenance sexuelle des sujets interrogés et l’étiquette de genre du conjoint jugé, a été utilisée. Les résultats montrent des jugements discriminatoires selon le genre chez les femmes en défaveur des hommes, mais pas chez ces derniers. Ce résultat est interprété en tant que forme de compromis entre deux modèles de référence concurrents, dans un souci d’émancipation et en même temps de conformité à ce qui est culturellement admis.

While the institution of marriage in Tunisia is affected by transformations, it still represents a framework to reproduce the traditional structure of the social role standards. This research aims to measure the gender based differential level of requirements in the definition of a "good husband" and a "good wife". An experiment was conducted with two groups, a group of women and a group of man. The procedure consisted in making vary the label of the gender of a judged marital partner. The results show discriminatory judgments according to the gender among women in favour of the wife. But this is not observed among men. This result is interpretated as a type of compromise between two competing patterns (a modern and a traditional one), as an attempt to reconcile a will of emancipation and an attachment to what is culturally admitted.

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La catégorisation sociale des individus selon leur appartenance sexuelle est l’un des principes fondamentaux qui organisent l’environnement social. Des statuts, des rôles, des traits et des activités différents, sont assignés par chaque culture, à la masculinité et à la féminité. La définition des catégories sexuelles ne se limite pas à la seule dimension biologique, mais possède aussi une dimension sociale et psychologique, idée exprimée par la notion de genre (Unger, 1979). Cette division en catégories sexuées apparaît comme une constante anthropologique (cf. Mead, 1935/1963, citée par Le Manner-Idrissi, 1997, p. 10) bien que variable dans son expression. En se référant à un déterminisme culturel, social et psychologique des caractéristiques associées à chaque catégorie, on se situe dans une approche qui accorde à la féminité et à la masculinité le statut d’objets construits, remettant en cause l’idée d’un déterminisme naturel des attributs qui leur sont assignés. La théorie de l’apprentissage social des rôles sexués (Mischel, 1970) tient compte de l’influence de l’environnement dans l’incorporation de ces derniers par l’individu, de sorte qu’il soit conforme au principe de division sexuelle édicté par sa culture. Dans une approche cognitiviste (Erikson, 1950 ; Kohlberg, 1966), on met en avant l’idée que l’appartenance sexuelle est en premier lieu une catégorie cognitive, amenant à un auto-étiquetage et à un étiquetage d’autrui selon le genre, puis à des réponses associatives à partir de ces étiquettes (Luria, 1978). Les rôles culturellement admis pour une appartenance sexuelle sont adoptés par l’entremise de l’établissement de stéréotypes de genre. Le sexe constitue dans cette approche un médiateur entre le sujet social et son environnement (Hurtig 1984). Il joue le rôle d’une variable « stimulus » (Hurtig et Pichevin, 1985) qui détermine des attentes, des anticipations et des interprétations à l’égard d’autrui. Son action est fondée sur un processus de bicatégorisation selon le genre masculin et féminin qui participe de façon générale à l’organisation cognitive. Elle donne lieu à une sexuation psychologique définissable comme étant une lecture de la réalité faite en fonction des catégories de genre. Cependant, selon Hurtig et Pichevin (1985) qui privilégient une approche sociocognitive, la sexuation psychologique ne fait pas que diviser, mais normativise et hiérarchise également ces catégories. Un système de valeurs et de normes est associé au masculin et au féminin (Guillaumin, 1979, citée par Hurtig et Pichevin, 1985, p. 197). Du point de vue des représentations sociales, un rapport asymétrique entre le féminin et le masculin institue ce dernier comme référent unique à partir duquel est défini le féminin (Guillaumin, 1979 ; Gilligan, 1982). Ainsi, le principe d’antagonisme qui définit les catégories de genre, institue une domination masculine sur le féminin. A titre d’illustration, Bourdieu (1998) met en évidence à travers ses travaux en Kabylie, une représentation du féminin en tant qu’inversion des qualités masculines. Les vertus des femmes, en référence à cette représentation, ne peuvent s’exprimer qu’en tant que « vice nié ou surmonté, ou comme moindre mal » (Bourdieu, 1998, p. 45). Et c’est par la logique du rapport de domination masculine que sont attribuées à la nature des femmes, des qualités négatives. Ce principe est admis aussi bien par les hommes que par les femmes elles-mêmes, et institue le féminin comme étant un principe déficient par rapport au masculin. Les femmes intériorisent les schèmes de pensée qui justifient la domination des hommes sur elles en considérant leurs déficiences représentées, comme naturelles. Cette intériorisation par le dominé des catégories partagées avec le dominant pour se définir, s’évaluer ou se percevoir lui-même (ainsi que l’autre ou la relation qui les unit), institue ce que Bourdieu désigne par « violence symbolique » (1998, p. 55). Cela revient à utiliser les mêmes catégories de la pensée, qui justifient et naturalisent la domination qu’on subit et dont sa condition de dominé est elle-même le produit.

Selon Bourdieu (1998), ce sont les conditions sociales qui fondent ce rapport asymétrique entre le féminin et le masculin. Il s’agit plus précisément de la structure des activités et des pratiques sociales, où les charges les plus extra-ordinaires et spectaculaires incombent aux hommes (participer aux évènements publics…) et les plus ordinaires et discrètes aux femmes (la gestion domestique…). D’un autre point de vue, il apparaît qu’une distinction existe entre les tâches productives (masculines) et reproductives (féminines) où ces dernières sont dévalorisées par rapport aux premières (Moscovici, 1972). Une telle structure des activités est elle-même fondée selon Bourdieu, sur une conception instituant les femmes comme instruments d’acquisition et de maintien d’un capital de biens symboliques (prestige, honneur) et sociaux (alliances) qui revient aux hommes. Le marché matrimonial est le lieu de cette transaction. Dans cette logique, les femmes sont des objets de « dons » matrimoniaux (des « instruments symboliques » selon les termes de Bourdieu p. 66), opérés par les hommes pour enrichir leur capital symbolique. Dans le dialecte tunisien par exemple, on entend souvent dire d’un homme qui vient de se fiancer ou de se marier, qu’il a littéralement pris une femme, ou d’un père qui a accordé la main de sa fille, qu’il l’a donné.

Ainsi, la division sexuée est un haut lieu de résistance, que ce soit celle que les conservateurs opposent aux changements imposés par des lois à tendance égalitariste ou à de nouvelles pratiques sociales ; ou celle que les modernistes opposent aux forces de maintien d’un pouvoir patriarcal ancestral.

L’idée d’un déterminisme de la domination masculine par les conditions sociales, s’inscrit dans une conception plus large formulée dans la théorie du champ de Bourdieu (1977) et à travers un principe d’homologie structurale (Bourdieu, 1979). Selon cette théorie, il y a une équivalence de structure entre les conditions de vie des individus, leurs différentes positions de pouvoir et leurs prises de position à l’égard des objets sociaux. Les qualités socialement attribuées au « bon mari » et à la « bonne épouse » constituent des objets auxquels s’appliquent par excellence ce principe d’homologie structurale ainsi que l’idée d’un déterminisme par la dynamique des positions de pouvoir. Les qualités socialement attribuées à la « bonne épouse » ou au « bon mari » seraient à plus d’un titre illustratives de ce principe du fait qu’elles soient fortement déterminées par les rapports de domination associés aux catégories de genre. D’ailleurs, selon Bourdieu (1998), c’est par le mariage que se perpétue le système de domination du principe masculin, et ce, indépendamment des transformations sociales ou économiques qui lui sont contemporaines. Dans cette perspective, on peut supposer que l’exigence de conformité vis-à-vis des partenaires maritaux à ce qui définit le mariage, soit différenciatrice selon le genre et le reflet de l’asymétrie qu’on observe au niveau de la valence socialement attribuée au féminin et au masculin.

De façon générale, dans les sociétés maghrébines, le mariage est survalorisé au niveau des représentations (Ben Abdallah, 1997). Il s’agit d’un objet impliquant pour les jeunes étudiants tunisiens car élément important du projet de vie en regard d’une norme pro-mariage et d’une dévalorisation sociale du statut de célibataire associée à une forte pression vers la conformité. On constate par ailleurs, que les jeunes restent attachés aux valeurs familiales qui dépassent la famille élargie, même si la famille de type conjugal est aujourd’hui la structure la plus dominante statistiquement parlant en Tunisie (Ben Abdallah, 1997). De façon générale, la famille représente pour les jeunes, la première valeur avant celle du travail ou de la position sociale et bien loin avant les préoccupations politiques1 et religieuses (Boukhris, 1994). Dans ce contexte, le mariage est représenté comme un devoir auquel il est très difficile de déroger. S’ajoute à cela l’interdiction d’avoir des relations sexuelles en dehors du cadre de la relation maritale, aussi bien du point de vue social que légal.

Toutefois, l’institution du mariage en Tunisie est fortement marquée par la tradition mais constitue aussi un lieu d’expression privilégié des mutations des structures sociales, politiques, économiques, etc. Dès les années 30, on assiste au Maghreb, au début du déclin de formations sociales et culturelles traditionnelles, accompagné d’un éclatement des modèles familiaux traditionnels caractérisés par le tribalisme, un type élargi de familles et la prédominance de valeurs associées à la solidarité (Kerrou et Kharoufi, 1994). Du modèle patriarcal, la famille est progressivement passée à un modèle nucléaire ou conjugal caractérisé entre autres par la planification des naissances. Parallèlement, un mouvement réformiste et moderniste dont la figure emblématique en Tunisie reste Tahar Hahhad (1930), tente d’imposer une remise en question de l’autorité patriarcale. Dans ce contexte, le « modèle familial hiérarchisé et patriarcal, élargi et autoritaire, n’est plus la référence unique » (Kerrou et Kharoufi, 1994, p. 28). Selon les auteurs, l’industrialisation, l’urbanisation, le salariat des femmes, l’universalité des revendications féministes et le phénomène de l’instruction publique dans les sociétés du Maghreb, ont considérablement contribué à la transformation du statut de la femme et des valeurs associées à la famille. On peut y ajouter aussi le rôle de la baisse de la fécondité depuis l’instauration d’une politique de contrôle de la natalité depuis les années 60 ainsi que l’instauration d’un âge minimum pour le mariage. Cependant, on observe la coexistence des deux logiques, traditionnelle et moderniste : en même temps que la famille de type traditionnel se déstructure, des conduites et des représentations issues de l’ordre patriarcal se perpétuent, et ce, malgré l’adoption en Tunisie dès l’indépendance (en 1956), d’une législation innovante interdisant la polygamie, instaurant la nécessité du consentement de la femme à son mariage et le caractère judiciaire du divorce (cf. Le Code du Statut Personnel Tunisien). D’ailleurs, le Code lui-même comporte à ce jour, des éléments inégalitaires entre hommes et femme notamment au niveau de l’héritage (Kerrou et Kharoufi, 1994), et jusqu’à peu de temps, au niveau de la reconnaissance et de l’organisation de la filiation naturelle. De façon générale, le modèle familial au Maghreb, s’est transformé de façon variable selon les secteurs et les milieux. Mais il se caractérise également par une juxtaposition, une négociation par rapport aux modèles culturels en concurrence (traditionnel et moderne). A titre d’illustration, Kerrou et Kharoufi (1994, p. 33) citent une étude de Camilleri (1973) où l’on constate que les tensions trans-générationnelles entre enfants et parents tunisiens, dues à la coexistence de la double référence culturelle, sont souvent résolues par un compromis exploitant les points d’accord sur les valeurs et les aspirations. La juxtaposition des modèles est par ailleurs observable au niveau de l’évolution du statut des femmes maghrébines depuis les années 70 de par leur participation économique de plus en plus importante, d’un côté, et la pérennisation d’une domination masculine au niveau domestique de l’autre (Belghiti, 1978). Traditionnellement, l’enjeu reconnu du mariage était la pérennité de la famille par la naissance d’enfants mâles mais aussi la préservation du patrimoine économique des lignées (Lacoste-Dujardin, 1995). Avec le passage du groupe familial au ménage conjugal, on pourrait penser que d’enjeux économiques et politiques, on soit passé à des enjeux affectifs, mais il y a en réalité une superposition des valeurs. A cet égard, la représentation sociale du mariage (Ben Alaya et Moliner, 2008) subirait des tensions dans sa dynamique interne dues à la référence à des cadres de référence différents. En outre, apparaissent dans les années 80 au Maghreb, deux mouvements, l’un féministe, l’autre islamiste ayant tous deux pour ambition de répondre aux aspirations de la génération post indépendance. Or ces deux mouvements véhiculent des références, des modèles, des valeurs et des discours opposés (Kerrou et Kharoufi, 1994).

De façon générale, malgré la transformation de la condition de la femme, il existe des mécanismes responsables de la reproduction des représentations et des structures qui fondent la domination du masculin sur le féminin, qui incombent aux institutions comme la famille, l’école, l’Etat, ou les institutions religieuses (Bourdieu, 1998). Ces dernières mènent à l’intériorisation de schèmes inconscients du principe de la domination du masculin. Il est vrai que les femmes ont aujourd’hui accès au monde du travail et occupent des positions sociales plus égalitaires, mais, selon Bourdieu, la stratégie de perpétuation de la structure des rapports de domination masculine, s’ajuste en conséquence. Ainsi, l’accès au travail salarié par les femmes tout comme leur exclusion, peuvent répondre à une même logique, celle de leur maintien dans un statut d’infériorité.

Partant de l’idée qu’à la relation maritale correspond un système de valeurs qui institue les rapports des partenaires et leurs conduites de façon asymétrique, la problématique posée ici est celle du degré d’exigence quant à la conformité aux normes de rôles qui lui sont associées, selon qu’on a affaire à l’époux ou à l’épouse. En d’autres termes, il s’agit d’explorer les jugements différentiels selon le genre, qu’on fait en termes de « bon » ou « mauvais » conjoint sur un certain nombre de caractéristiques qui définissent le mariage.

Methodologie

Dans un premier temps, une enquête exploratoire portant sur la représentation sociale du mariage a été menée auprès de 114 étudiants tunisiens des deux sexes, résidant à Tunis. Cette enquête a permit de recueillir des réponses associatives à partir du mot inducteur « mariage ». L’analyse thématique du corpus obtenu a permit de dégager une série d’éléments saillants conformément à une méthode (Vergès, 1992) qui s’inscrit dans l’approche structurale des représentations sociales initiée par Abric (1987). Les éléments qui définissent le mariage ainsi repérés ont permit de construire une série d’items correspondant à des normes de rôles qu’on peut assigner aux conjoints dans le cadre d’une relation maritale. Ces normes sont : « donner de l’amour », « se montrer responsable », « montrer du respect », « satisfaire sexuellement l’autre », « faire confiance », « s’engager, « être fidèle », « vouloir avoir des enfants », « être stable », « faire des sacrifices », « partager », « être compréhensif », « donner du bonheur » et « accorder de l’importance à la famille ».

Dans un deuxième temps, une étude a été menée dans le but de mesurer le degré d’exigence en matière de conformité à ces normes ainsi mises à jour, que des groupes de sujets de sexe différent expriment pour juger un conjoint, dans deux conditions faisant varier l’appartenance sexuelle de ce dernier. Il s’agit plus précisément de mesurer le caractère impératif des normes dans la définition du « bon mari » versus la « bonne épouse ». Un plan de recherche croisant les deux variables indépendantes (l’appartenance sexuelle du conjoint jugé et le sexe des sujets) prévoyait quatre groupes de sujets différents soumis à un questionnaire inspiré de la technique de « mise en cause » (Moliner, 1989) utilisée dans l’étude des représentations sociales. Précisons que cette technique vise à contrôler le caractère non négociable d’une cognition dans la représentation sociale d’un objet. Or dans la présente recherche, une application particulière a été faite de cette technique où le degré de « négociabilité » mesuré revient au non respect de normes de rôle dans la relation maritale, par rapport à ce qui est admis comme étant « un bon mari » et « une bonne épouse ». La procédure consistait à présenter aux sujets une série de propositions sous une forme négative, chacune d’elles indiquant l’absence de respect de l’une des normes édictées (par exemple « une épouse qui ne donne pas d’amour à son mari » ou « un mari qui ne fait pas confiance à son épouse »). Dans l’une des conditions il s’agissait d’un mari, dans l’autre, d’une épouse. Un groupe d’hommes et un autre de femmes ont été soumis à chacune des conditions au cours desquelles il leur a été demandé d’exprimer sur des échelles de type Likert en 5 points allant de « peut être un très bon mari » ou « peut être une très bonne épouse », à « ne peut pas du tout être un bon mari » ou « ne peut pas du tout être une bonne épouse », jusqu’à quel point ils considéraient qu’en l’absence de l’une des normes chez un partenaire marital, on avait affaire ou non à un « bon » conjoint.

Les sujets étaient issus de la même population d’étudiants que celle auprès de laquelle l’enquête exploratoire avait été menée. Leur répartition selon le sexe et selon les conditions de soumission au questionnaire, se présente comme suit2 :

Tableau1 : Répartition des sujets selon le sexe et par condition

Sexe

Hommes

femmes

Total

Condition

Conjoint

masculin

39

55

94

Conjoint

féminin

45

51

96

Total

84

106

Résultats

Dans un premier temps, un examen simple des différences de polarité des scores moyens relatifs aux prises de position des différents groupes, peut constituer un indicateur du caractère impératif ou négociable de ce qui définit le « bon mari » ou « la bonne épouse ».

Aussi bien chez le groupe des hommes que celui des femmes, les scores indiquent pour toutes les normes, une importance qui varie de « moyenne » à « élevée », et ce pour les jugements exprimés par rapport au mari et l’épouse. Il est par ailleurs à noter que « vouloir avoir des enfants » paraît de moindre importance (bien que situé dans la moyenne) pour les deux groupes aussi bien pour définir le « bon mari » que la « bonne épouse » (moyenne des scores pour tous les groupes confondus = 3,12, l’échelle de jugement étant de 5 points) (voir tableaux 2 et 3).

Tableau 2 : Scores moyens* des évaluations, selon les conditions chez les hommes

Items

Moyenne des scores

Condition « bon mari »

Condition « bonne épouse »

Valeur t

dl

p.

Donner de l’amour

3,92

3,98

-0,23

81

0,81

Etre responsable

4,2

4,18

0,1

81

0,91

Montrer du respect

4,55

4,74

-1,11

79

0,27

satisfaire sexuellement

4,26

4,35

-0,49

79

0,62

Accorder sa confiance

3,84

3,68

0,62

81

0,53

S’engager

4,18

4

0,73

81

0,47

Etre fidèle

4,46

4,54

-0,41

81

0,68

Vouloir avoir des enfants

3,05

3,16

-0,35

79

0,72

Etre stable

3,51

3,52

-0,04

81

0,96

Faire des sacrifices

4

3,75

1,14

81

0,25

Partager

3,97

3,91

0,3

81

0,76

Donner du bonheur

4,46

4,18

1,31

81

0,19

Accorder de l’importance à la famille

4,41

4,23

0,75

80

0,45

Etre compréhensif

4,16

3,91

1,41

80

0,16

*Plus le score moyen tend vers 5, plus l’exigence est forte

Tableau 3 : Scores moyens des évaluations, selon les conditions chez les femmes

Moyennes des scores

Items

Condition « bon mari »

Condition « bonne épouse »

Valeur t

dl

p.

Donner de l’amour

4,26

4

1,44

97

0,15

Etre responsable

4,5

4,1

2,09

97

<0,04

Montrer du respect

4,85

4,48

2,67

97

<0,009

satisfaire sexuellement

4,37

4,15

1,28

97

0,2

Accorder sa confiance

4,58

3,52

6,76

96

0,000

S’engager

4,44

3,9

2,8

96

<0,007

Etre fidèle

4,48

4,24

1,06

97

0,2

Vouloir avoir des enfants

3,38

2,91

1,96

97

0,06

Etre stable

3,77

3,45

1,68

96

0,09

Faire des sacrifices

3,96

3,61

2,8

97

<0,007

Partager

4,29

3,75

3,11

96

<0,003

Donner du bonheur

4,52

3,88

3,52

95

<0,0007

Accorder de l’importance à la famille

4,57

4,04

2,9

96

<0,005

Etre compréhensif

4,31

3,68

3,52

96

<0,0007

En examinant les discriminations opérées dans les jugements exprimés selon qu’on ait affaire au mari ou à l’épouse, on n’observe chez les hommes aucune différence significative, et ce, quelle que soit la norme. En revanche, chez les femmes, la majorité des normes connaissent une importance discriminative selon le genre, montrant systématiquement davantage d’exigence vis-à-vis du mari que de l’épouse (voir tableaux 2 et 3).

Tableau 4 : Scores moyens des évaluations dans la condition « bon mari », selon le sexe des sujets

Items

Moyenne des scores

Hommes

Femmes

Valeur t

Dl

p.

Donner de l’amour

3,92

4,27

-1,75

92

0,08

Etre responsable

4,20

4,45

-1,24

92

0,21

Montrer du respect

4,55

4,85

-1,82

91

0,07

satisfaire sexuellement

4,26

4,38

-0,69

91

0,49

Accorder sa confiance

3,84

4,52

-3,21

91

<0,002

S’engager

4,18

4,45

-1,33

92

0,18

Etre fidèle

4,46

4,45

0,033

92

0,97

Vouloir avoir des enfants

3,05

3,34

-1,07

91

0,28

Etre stable

3,51

3,76

-1,21

92

0,23

Faire des sacrifices

4

3,91

0,42

92

0,67

Partager

3,97

4,23

-1,33

92

0,18

Donner du bonheur

4,46

4,52

-0,43

92

0,67

Accorder de l’importance à la famille

4,41

4,58

-0,99

92

0,32

Etre compréhensif

4,16

4,29

-0,83

91

0,4

Tableau 5 : Scores moyens des évaluations dans la condition « bonne épouse », selon le sexe des sujets

Items

Moyenne des scores

Hommes

Femmes

Valeur t

Dl

p.

Donner de l’amour

3,98

3,99

-0,01

93

0,99

Etre responsable

4,18

4,14

0,22

93

0,82

Montrer du respect

4,74

4,49

1,88

92

0,06

satisfaire sexuellement

4,35

4,19

0,91

92

0,36

Accorder sa confiance

3,87

3,29

2,44

87

<0,02

S’engager

4

3,86

0,63

92

0,53

Etre fidèle

4,54

4,25

1,32

93

0,19

Vouloir avoir des enfants

3,16

2,98

0,69

92

0,49

Etre stable

3,52

3,44

0,37

92

0,70

Faire des sacrifices

3,75

3,47

1,42

93

0,16

Partager

3,91

3,78

0,66

92

0,51

Donner du bonheur

4,18

3,96

1

91

0,31

Accorder de l’importance à la famille

4,23

4,1

0,58

91

0,56

Etre compréhensif

3,91

3,72

0,99

92

0,32

En explorant les jugements différentiels selon le sexe des répondants, lorsqu’il s’agit de juger un « bon mari », on observe que seul « faire confiance » paraît significativement plus important pour le décrire selon les femmes par rapport aux hommes. Des différences symétriquement inversées sont observées dans les jugements exprimés à propos de l’épouse par ces derniers. Les hommes accordent significativement plus d’importance à « faire confiance » que les femmes pour juger l’épouse (voir tableau 4 et 5).

Discussion-conclusion

Il apparaît en définitive que les hommes sont égalitaires entre les sexes dans leurs jugements pour définir le « bon conjoint », tandis que les femmes sont discriminatives. Cette discrimination se fait systématiquement chez elles en défaveur du mari dans ce sens qu’elles exigent de lui davantage de conformité aux normes pour le juger comme « bon conjoint », que de l’épouse, et ce, pour la majeure partie des normes, à savoir « être responsable », « montrer du respect », « accorder sa confiance », « s’engager », « faire des sacrifices », « partager », « donner du bonheur », « accorder de l’importance à la famille », et « être compréhensif ». Cette asymétrie pourrait trouver une explication dans le type d’insertion sociale que connaissent les sujets. S’agissant d’étudiants en sciences humaines et sociales, on peut supposer que les sujets de sexe masculin seraient davantage égalitaires que leurs homologues de moindre niveau d’instruction. Il y aurait en revanche chez les sujets de sexe féminin, une réaction de contre pouvoir à un principe persistant de domination masculine. A titre d’exemple, en Tunisie, les effets d’une abrogation en 1993 du devoir d’obéissance de la femme vis-à-vis de son mari conformément au droit musulman, sont tempérés par une référence explicite aux « usages et coutumes » dans le Code du Statut Personnel Tunisien, qui consacre la prééminence du mari sur l’épouse (Papi, 2009). Ou encore, à ce jour, en référence à ce même Code, un frère hérite systématiquement du double de ce qu’hérite sa sœur. Or faire des études supérieures implique une position moderniste par rapport au statut social auquel on aspire en tant que femme. Exiger du mari une conformité plus grande à ces normes que de l’épouse, signifierait dans ce sens, une recherche de garantie pour une relation plus égalitaire. Il semblerait néanmoins que les normes pour lesquelles on observe des jugements discriminants chez les femmes en défaveur du mari, soient celles qui définissent le modèle traditionnel du mariage. Cela signifie en définitive que celui-ci demeurerait un référent pour elles dans leurs jugements. Cela se passe comme si une reproduction inversée d’un modèle qui institue la domination masculine était réalisée par les étudiantes. Elles auraient utilisé ces mêmes catégories qui fondent la structure traditionnelle des rôles, en les retournant à leur faveur, comme pour trouver un compromis entre une exigence d’émancipation égalitaire inspirée d’un modèle moderniste, et l’attachement à un référent traditionnaliste. Il faut cependant relever que les prises de position exprimées lors de l’étude, étaient de facto limitées par les items proposés. Il est possible que les étudiantes aient d’autres exigences vis-à-vis d’un conjoint, non prévues par le répertoire de normes pris en compte lors de l’étude et n’appartenant pas à un modèle traditionnel. Explorer les positions des sujets par rapport à un répertoire plus large de normes permettrait sans doute d’éclairer ce point.

Précisons par ailleurs que parmi les normes exigées de façon significativement plus importante du mari que de l’épouse par les femmes, celles qui peuvent paraître de prime abord modernistes, comme « donner du bonheur » ou « être compréhensif », renvoient dans le cadre de référence traditionnel en Tunisie (notamment au niveau du cadre sémantique relatif à ces mots), à des notions différentes que celles qui sont désignées par les termes de langue française. En réalité, ces normes appartiennent à une conception plutôt traditionnelle de la relation entre époux. Il s’agit respectivement des notions de « ihanni » et « metfahhem ». Le premier terme, bien qu’il signifie littéralement « il donne du bonheur », désigne plus précisément dans le dialecte tunisien, l’action de « satisfaire », entre autres, du point de vue de la confiance inspirée mais aussi, sexuellement3. Quant au deuxième, il renvoie plutôt à l’idée d’une certaine souplesse au niveau des conduites à l’égard d’autrui.

Parallèlement, cette recherche d’égalité chez les femmes, semble concomitante d’une conception du mariage où la fonction traditionnelle première n’a pas de poids notable pour l’ensemble des groupes, à savoir, donner naissance à des enfants (« vouloir avoir des enfants »).

Enfin, il est intéressant de relever que la confiance accordée à l’autre, apparaît comme une vertu davantage appréciée quand il s’agit de juger le sexe opposé que le sien dans la relation maritale, aussi bien par les hommes que par les femmes. Pour cette norme, les positions paraissent parfaitement et symétriquement inversées. L’exigence à l’égard de cette norme pourrait exprimer la recherche du rétablissement d’un contrat de confiance perçu comme déficient dans un contexte où des références culturelles juxtaposées sont en concurrence (Kerrou et Kharoufi, 1994) et où sont proposées des valeurs parfois opposées. Il apparaît clairement ici que les jugements relevés prennent tout leur sens dans le croisement des rapports entre l’appartenance sexuelle des sujets et celle des personnes jugées.

1  Il est à noter que le recueil des données dans le cadre de notre étude, a été réalisé avant la révolution tunisienne à l’issue de laquelle les préoccupations concernant la vie politique ont connu un très grand bouleversement. Par ailleurs, il est probable que depuis 1994, les préoccupations religieuses aient pris davantage d’importance en Tunisie, du moins au niveau de leur manifestation. Les conclusions de Boukhris seraient donc à prendre avec précaution quand il s’agit de parler de la période actuelle.

2  Nous remercions Rym Zaddem (Université de Tunis) d’avoir contribué au recueil de données.

3  Dans le dialecte tunisien, le terme « t’hanna », dont la racine est « h’na » (bonheur), signifie également « jouir sexuellement ». Mais il est aussi remarquable qu’on dise souvent d’une personne qui vient de se marier, « t’hanna » (littéralement, « il est désormais heureux »). De même, pour gratifier une personne, on lui souhaite de se marier par une formule comme « n’challah fara’htek » (littéralement, « si Dieu le veut, qu’il te donne La joie ») ou « rabbi ihannik » (littéralement, « que Dieu te donne le bonheur »).

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Femmes en politique, pourquoi les Hommes résistent ?

Nicole Roux

Cette contribution s’appuie sur un ensemble de travaux menés depuis la Loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.Des dispositions légales concernant la parité ont été prises à l’issue d’un constat statistique sans cesse renouvelé qui met en évidence un demi-siècle de résistance à l’entrée des femmes sur la scène politique française, cette dernière étant restée exclusivement masculine jusqu’à la fin de la deuxième guerre...

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