N°24 / numéro 24 - Janvier 2014

Pathologie psycho-socio-politique le pouvoir et la puissance

Jacqueline Barus-Michel

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Le politique peut être considéré comme l'institution de critères d'affectation des places réciproques dans un ensemble social prétendant à une unité, autrement dit des lois, règles et comportements qui établissent les rapports, les échanges, désignent leurs finalités et expriment le sens de l'être et du faire ensemble.

Le politique est un champ privilégié pour saisir l'interdépendance complexe entre le psychique et le social, entre le fantasme et l'acte, entre l'imaginaire et la réalité. On y voit comment le politique et encore plus par les jeux de la politique trébuchent dans la pathologie.

Le paradoxe social et politique

Quels que soient les intentions et idéaux des uns et des autres, la pluralité et les différences compromettent a priori et pour toujours l'unité réelle du sujet social, ce "Nous" improbable à la fois symbolique et imaginaire. Le social est toujours compromis et nécessite de lui même le pouvoir pour maintenir sa fiction et son l'homogénéité. Le sujet social est déjà malade de ses disparités, du mirage de son unité, habité par la contradiction, toujours aux prises avec ses dissensions, avec sa propre négation. La politique c'est en fait, comment faire croire à l'unité à tous les niveaux du social, du groupe à la nation et, au delà, à la fédération souhaitée ou même à l'ensemble de nations. L'ONU sera toujours tenu en échec malgré l'idéal de sa création, incapable qu'il demeure de se dépêtrer des règles qu'elle s'est elle-même donnée pour nécessaire.

Le politique est aussi la proie du paradoxe : tout collectif que se veut unité réclame une contrainte qui contredit sa spontanéité, l'ordonnance de l'acte, se transforme dans ses incarnations en appropriation et en domination.

Ce paradoxe est la nature du politique, c'est lui qui fait l'histoire.

Sans cesse à l'ordre imposé succède la rébellion, aux utopies de justice le abus qui discriminent, à la liberté créatrice, le pouvoir qui sécurise et réprime. Ces balancements se succèdent sans aucune régularité, comme les moments fragiles de paix sociale arrachés aux fureurs de la discorde. On dit de l'histoire qu'elle se répète ou qu'elle bégaie, handicap du social ou compulsion pathologique ?

Le politique n'échappe pas aux paradoxes qui opposent et nouent l'unité souhaitée et la pluralité de fait, le besoin d'individuation et la nécessité de coopération. L'histoire en trace les avatars.

Idéalisme et réalisme

Le politique peut être investi par la sublimation et l'espérance ("les lendemains qui chantent"), les idées généreuses, les valeurs de Lumières, de la Révolution, liberté, égalité, fraternité, droits de l'homme, droit des femmes Mais ces valeurs pour être mises en acte exigent la contrainte, la coercition, la répression des volontés contraires ou résistantes et peut aller jusqu'à la Terreur. Alors, l'horreur vient relayer l'idéal pour en faire une réalité. La liberté comme la justice sont elles aussi paradoxales et fragiles. L'idéal ne connaît pas de restriction, mais il est destiné à n'être jamais atteint, il est même fait pour ça : quelque chose vers quoi tendre et toujours hors de portée, une tension. Le politique ne peut être qu'un effort constant, toujours contredit. Sa pathologie c'est celle des démentis que la politique inflige au politique qui reste un projet et dont les réalisations se dégradent rapidement.

La question du pouvoir est au cœur du politique, comme nécessité de maintenir ou d'imposer un ordre dans la répartition des places.

La politique, elle, est alors une déclinaison du pouvoir qui prétend résoudre les paradoxes.

La pathologie socio-politique semble surtout passer par le pouvoir, le processus psychique selon lequel il est investi. Versant social, le pouvoir est inévitable, nécessaire pour réguler le lien dont les humains sont toujours à la recherche de la bonne formule ; ce pouvoir est toujours en risque de contamination par les exigences formidables nées de l'impuissance originaire et de la soif narcissique qui nous tient et que nous mettons en œuvre dès que nous sommes en situation de le faire… Les autres sont alors voués à étancher cette soif à leur détriment, à moins qu'ils arrivent à modifier les situations à fore clairvoyance, résistance et/ou révolte…

Émergence de la subjectivité

La politique qui travaille les formes du pouvoir est l'objet d'investissements affectifs forts, d'émotions hautement contagieuses soutenues par des fantasmes sollicités par ses expressions et manifestations.

Dynamique infantile

L'être humain, à l'tat d'infans, ne connaît pas d'intérieur et d'extérieur, il est dans un monde indistinct et unique. A la totale impuissance de ce nouveau-né correspond la sensation d'être tout, besoin et satisfaction sans différenciation possible. Se succèdent alors les béatitudes de la tétée et les cris déchirants suscités par des besoins non satisfaits immédiatement.

Ce doublé d'impuissance et de toute-puissance, qu'on pourrait dire aussi de toute-jouissance, subsistera toute la vie sous forme de fantasme, fantôme en attente, matière même du désir. Certes tout sera modifié par le développement et l'expérience de l'entourage qui apprend à séparer le monde intérieur de celui qui est extérieur, les choses, les autres… la réalité. Le fantasme reste en sommeil plus ou moins profond et ne se réveille en termes d'exigence plus ou moins impérieuse que pour nier une réalité trop dure, ou quand la situation rend la toute-puissance vraisemblable.

Les positions de pouvoir rameutent le fantasme et lui permettent d'envahir le champ de l'expérience du sujet.

Les premières expériences encadrées par les figures parentales sont prolongées par les instances de la personnalité qui s'intriquent déjà dans des rapports de pouvoir (Ça, Moi, Surmoi) mettant celui ci au cœur de son développement psychique. Les excès de la pulsion, la force du désir et des angoisses entretenues par le peur de la castration, les prescriptions du surmoi, les aspirations narcissiques, les contraintes de la réalité forcent le moi à tenir une position de négociateur. Le moi doit ainsi assumer une position de pouvoir pour convertir la libido en projet de soi.

Chez le sujet comme au sein d'un ensemble social l'accès à une fonction de pouvoir excite le moi idéal, le narcissisme, qui peut rompre les amarres et ouvrir les vannes des pulsions. Cela engendre la confusion du Moi avec la fonction, processus favorisé par les marques de soumission attachées à cette fonction et figées par la hiérarchie, le protocole, les reconnaissances et les capacités d'influence. Chaque forme de pouvoir entraîne une confusion plus moins forte entre l'exercice des fonctions et son expérience subjective. La fonction est concrète, son expérience fait venir du refoulé à la surface.

Le pouvoir, comme dépôt du politique, excite le Moi idéal qui semble exaucer toute-puissance et toute-jouissance (un Moi centre et maître du monde dans la satisfaction absolue, espérance et croyance archaïques du petit enfant).

Les traces de l'enfance restent fortes. Rares sont ceux qui se trouvant nantis d'une part de pouvoir ne soient pas poussés à en user pour exaucer la toute-puissance, ce reliquat de l'enfance qui va pousser aux abus, à la domination et la possession d'un monde redevenu part de soi qui ne saurait se dérober quels qu'en soient les objets représentants.

Le pouvoir

Le pouvoir s'exhibe et ceux qui en sont investis le confondent avec une toute-puissance qui serait naturelle, leur font exiger de jouir sans entraves. La richesse, le sexe et le pouvoir vont de pair, liant la puissance à la jouissance, induisant l'exigence de soumission de tous à ses concrétisations, une exonération des valeurs et des principes rendant nécessaire la dissimulation et le mensonge.

Puissance et jouissance s'affirment absolues et, par définition, ne supportent pas de limite, leur exigence constante amène à des conduites addictives plus ou moins cachées. Le pouvoir, même légitimement acquis, se transforme entyrannie au seul service du Moi idéal et de ses parades narcissiques, encore qu'il puisse se satisfaire dans la solitude de fantasmes auxquels les dominés sont chargés de donner chair par leur soumission sacrificielle.

On peut reconnaître ici des formes de dictature, de perversions ou même de folie meurtrière ou de déviances. Qu'est-ce qui atteste le plus de la toute-puissance si ce n'est la mort de ceux dont l'existence ne pourrait que la contester… la mort après l'instrumentation, la spoliation et la souffrance.

Le pouvoir et les autres

Les autres sont effacés ou ignorés, ce sont des choses, objets, moyens.

Les pouvoirs et ceux qui les détiennent sont rusés, ils mettent en œuvre des stratégies constantes pour réduire les autres à l'état d'objet, admirés ou craints, ils peuvent manier la peur ou la générosité sans diminuer leur image, au contraire en l'amplifiant.

Il y a certes ceux dont l'éthique est forte, dont le surmoi ne tolère pas d'incartades, le moi repose sur des identifications vertueuses et idéalistes. Alors le pouvoir reste l'exercice d'une fonction, au mieux de l'intérêt des autres. Les autres existent avec le statut de semblables. Il faut une solidité du moi et du surmoi, une lucidité intellectuelle et un attachement profond à une éthique qui tienne compte de l'autre comme sujet semblable, pour résister aux effets du pouvoir. Il les faut rencontrer une législation, une pensée du système socio-politique capable de maintenir des digues contre le débordement prévisible des pulsions.

En quelque sorte le pouvoir se démultiplie. Il y a ceux qui exercent le politique, le gouvernement de la cité ou société, qui prennent les décisions, avec effets concrets pour eux et sur leur entourage. Il y a ceux qui participent, dans différents modes de désignation et de collaboration (représentation, délégation, nomination, subordination) et qui sont plus ou moins éloignés de la décision ou en sont les exécutants. A ces différents niveaux et selon les régimes ils peuvent s'identifier au pouvoir et participer fantasmatiquement de sa toute-puissance.

L'exposition au pouvoir, particulièrement politique exaspère les névroses personnelles. Des affidésprospèrent autour du pouvoir, à la fois en s'en faisant les exécuteurs sans âme, à la fois en l'exerçant pour le compte de leurs fantasmes et de leurs pulsions. Le pouvoir et ses appareils (armée, police) peut verser alors dans la perversion et ses violences jusqu'aux crimes contre l'humanité, une partie de la population, plongée dans la terreur servant de bouc-émissaire pour évacuer toute culpabilité.

La prégnance du fantasme, son inscription dans la réalité sont à la mesure des névroses personnelles mais aussi des champs de décision et des moyens offerts. Le registre social amplifie les possibilités d'exaucer les fantasmes de toute puissance.

Les symptômes sont individuels (arrogance) ou collectifs (despotisme), subjectifs ou concrétisés aux dépends d'un environnement plus ou moins vaste. Un peuple peut accéder au fantasme de toute puissance par identification. Le pouvoir d'un seul sert alors d'expression et de démonstration de la vérité du fantasme, l'identification est une forme du transfert du collectif, de ses pulsions frustrées sur celui ou ceux qui exhibe leur possibilité de réalisation à l'échelle collective.

Ce que l'on peut considérer commepathologie quasi inférée par le pouvoir se retrouve donc au niveau collectif et social. La libération des pulsions est d'autant plus grande que l'exemple vient d'en haut et que cette libération succède à des contentions et des frustrations que l'ordre social nécessite.

Le chef

Naturellement, pourrait-on dire, le semblable évoque à la fois le réconfort de sa présence, de sa reconnaissance, voire de son amour, Mais il représente aussi une menace de prédominance, de rejet, voire de mort. Il suscite des motions ambivalentes qui sont réparties et projetées sur quelques uns ou sur d'autres selon qu'ils s des caractères apparents qui sont tenus pour indices d'une différence de nature et prétextes à stigmatisation et à discrimination recouvrant peur ou envie.

Freud a évoque la nécessité de la "répartition enchefs et en sujets". L'homme écrit-il dans Psychologie collective et analyse du moi "est un animal de horde, " dont le chef, à l'origine "n'aimait personne en dehors de lui et n'estimait les autres que pour autant qu'ils servaient à la satisfaction de ses besoins. Par ailleurs, écrit-il dans la lettre à Einstein "les masses (sont) dépourvues d'initiative", si bien que "L'Etat idéal résiderait naturellement dans une communauté d'hommes ayant assujetti leur vie instinctive à la dictature de la raison" (1957). Il ajoute qu'il faudrait pour cela former une "catégorie supérieure de penseurs indépendants… inaccessibles à l'intimidation", les hommes dussent-ils "renoncer aux liens de sentiment les uns vis à vis des autres".

Mais Freud reconnaît que c'est là "un espoir utopique" et, ajoute-t-il, il n'y a pas de solution définitive et "il vaut mieux affronter le danger" au coup par coup. C'est ce qui définit sans doute la politique. Reste que les hommes en position de pouvoir répètent les caractéristiques de ce chef mythique, forts et insensibles sinon à leurs propres besoins. N'est-ce pas contre la tyrannie du Père détenteur de toute jouissance que les frères se sont révoltés ? Le chef, dès l'origine ne présente-t-il pas les traits pathologiques du narcissisme et de la paranoïa ? Le pouvoir peut être une résolution de la haine de l'autre, ce semblable insoutenable.

La Loi et la pulsion

Le politique est l'organisation pensée et mise en acte de l'unité sociale, il est un projet qui se révèle paradoxal, jamais achevé ni satisfaisant, pris en tenaille entre solidarité nécessaire et rivalité rémanente, coexistence et exclusion. Celles-ci se superposent auxpulsions qui font les soubassements des individus. La pulsion est en elle-même paradoxale, pathologique si la destructivité prime, ou bienvenue quand elle porte à la fusion, autrement dit quand elle passe par le filtre des valeurs et des normes. La sublimation est après tout, au sein du sujet, une instance sociale.

Le pouvoir est censé figurer la loi mais ce faisant, sollicité par les pulsions il en prend la place, trouvant des alibis rationnels pour se manifester en toute- puissance. Ce pouvoir qui était pour les autres, les écrase pour soi, il se transformera en narcissisme, exhibition, avidité de reconnaissance, besoin d'auto démonstration.

A travers le politique, la pulsion joue dans le social une problématique de domination-soumission. Il n'y a là contre que la séparation des pouvoirs et le débat renouvelé pour établir des valeurs et des règles, un surmoi de construction constante.

Les symptômes

Quand nombre demembres de l'unité sociale n'ont pas accès à l'illusion de puissance ou de jouissance, ils se désintéressent du social et de la politique avec tous les signes d'une dépressioncollective (stagnation et désenchantement). S'ils n'obtiennent même pas de la reconnaissance et se sentent instrumentalisés, voire privés de satisfaction de leurs besoins élémentaires, ils laissent le champ libre à la violencesoit contre eux-mêmes (suicide) soit contre ceux qui représentent l'oppression ou tout simplement ce qu'ils n'ont pas (casse, vandalisme). Le terrorisme est une forme violente et obstinée de revendication identitaire pratiquée en groupes organisés.

La crise comme symptôme

L'économique néo-libérale se pose en toute-puissance, régulateur mondial des rapports et des échanges. On peut se demander s'il n'écrase pas le politique et le social ? Le politique peut-il encore maîtriser l'économie selon des valeurs qui prêteraient du sens au social au lieu de le soumettre à la seule gestion, celle où les chiffres l'emportent sur la parole, ou bien l'économie est-elle une maladie du politique dont les symptômes ravageurs sont les crises ?

La violence

La violence est consécutive à un traumatisme de la structure psychique, ou collective qui coïncide avec une perte de l'identité et du lien social qui plonge les acteurs dans une détresse contre laquelle ils n'ont pour se défendre que la fusion dans la violence. Cette fusion peut être récupérée et organisée par des personnalités elles-mêmes pathologiques qui cachent un délire de toute-puissance derrière des idéologies présentées comme idéales mais dont la fixité et l'absolutisme dénoncent la pathologie. Celles-ci les abritent contre des frustrations d'origine archaïque et l'incapacité de soumettre les pulsions, un refus total et sans doute désespéré de la castration empêchant toute sublimation. Le culte de la violence prend la place de celle-ci.

Le pouvoir politique excite particulièrement les rêves de grandeur souvent rabattus sur celui qui devrait faire fonction de, se tenir seulement "au Nom de", ces rêves passent en actes au profit de la personne. L'appétit de jouissance suit le même chemin, investissant concrètement les objets du désir. Le sujet confondant en lui les deux mondes subjectifs et objectifs, jouissance et puissance se renforcent réciproquement.

C'est la magie du pouvoir. C'est ce qui fait la tyrannie, l'asservissement, la corruption et les perversions diverses qui affectent les personnes au pouvoir qui, croyant à leur nature exceptionnelle, ne comprennent plus la résistance qu'on leur offre ou bien ils restent assez conscients pour masquer leurs appétits et faire croire à leur légitimité.

Addiction du pouvoir

Une telle amplitude porte à l'addiction : il faut tout le temps la rassurer, la vérifier, l'entretenir. La moindre contestation est intolérable, elle déferait l'édifice narcissique d'où répression féroce. C'est l'être même de celui qui est au pouvoir qui est menacé.

Le pouvoir crée une addiction sans substance. L'alcool, le chocolat ont en effet physiologique premier : saveur avec sensation de plaisir dans la bouche et la gorge, saveur qui remonte par voie nerveuse jusqu'à l'encéphale (hypophyse) et libère des hormones de plaisir qui se répandent et créent un état d'attente (manque) pour la continuité de celui-ci, donc incite, ou même rend nécessaire un comportement de renouvellement de la sensation et donc la recherche et l'expérience qui la provoque. Il s'agit là de substance, mais on s'aperçoit que toute expérience de plaisir est susceptible de réer les mêmes circuits, une addiction, un attachement immaîtrisable et pouvant avoir des effets de violence s'ils sont entravés comme si les contrôles psychiques (surmoi, moraux) sautaient. Le plaisir peut être entretenu par autre chose que des substances qui le matérialisent : l'amour et on parle de passion, mais aussi le pouvoir, la richesse, le jeu, le risque … qui tous ont pour point commun de dilater l'image de soi, image-mirage qui capte le sujet malgré, parfois, sa lucidité.

Le pouvoir vaut drogue et le manque se conjure dans la vérification des soumissions. Il y a peu d'hommes de pouvoir, politique ou autres qui ne succombent à s'identifier à cette image-mirage dans le miroir des soumissions. Ce pourquoi le pouvoir, s'il n'est pas freiné par des lois, des regards critiques d'autres pouvoir, tend à ce qu'on peut repérer comme des conduites addictives qui amènent ce pouvoir à outrepasser ce que devait être ses fonctions : dans la corruption et l'arbitraire, les confiscations de biens et l'exclusion des adversaires, ce qu'on appelle, dans ses manifestations extrêmes, tyrannie oudictature.

La perversion est une ombre portée du pouvoir : il est la loi au lieu de la représenter, son désir prévaut et se substitue aux idéaux proclamés.

La perversion c'est faire loi de son désir dans le mépris de l'autre. Tout pouvoir y est conduit pro ou prou à des degrés divers, fonctions de la lucidité et du sens moral (conscience et éthique). La perversion narcissique c'est être la loi dans la jouissance de soi.

La folie

La pathologie du politique, ce en quoi il est rendu fou, ce peut-être le mouvement par lequel une société veut trouver atteindre à jamais un état idéal dans lequel le bonheur de chacun serait celui de tous, justice et partage dans la stabilité, comme une fin de l'histoire, du changement, ce mouvement qui devrait être le dernier, débouche lui-même sur le retour de l'excès. Comme si l'idéal tant investi devenait à son tour persécuteur, comme si l'investissement même condensait cet idéal à tel point qu'il ne puisse plus qu'être absolu, intransigeant comme l'étaient des pouvoirs honnis. Il en prend en quelque sorte la place, relayé bientôt par ses propres héros, gardiens d'un idéal devenu son propre négatif, enfermé dans le paradoxe. Il était la justice il se révèle la répression qu'il haïssaient. Il a les mêmes armes mais inverse les victimes qui sont en quelque sorte toujours les mêmes : les dissidents, ceux qui s'opposent à ce qui est devenu le pouvoir, au maintien d'un ordre qui définitif, la suppression de la temporalité et de l'histoire.

En forme de conclusion

Les tensions pathologiques et leurssymptômes avec des répercussions elles-mêmes collectives (exactions, violences, déviances) et individuelles (somatisations, dépressions, addictions, délires) se manifestent dans les deux registres psychiques et sociaux et de façon concomitante.

Pour autant, comme le disait Mendel, la société n'est pas une famille, mais elle l'est dans le fantasme, un fantasme vécu, partagé et agissant. Bien sûr, on y retrouve des processus de sublimation, des effets du surmoi (normes intériorisées), et on trouve aussi, à la fois communes et conflictuelles, de la conscience et de la raison, des capacités imaginaires et symboliques pour construire un monde à vivre ensemble qui n'est pas déjà là. Naissent ainsi des élaborations, une pensée de la société, de l'institution (finalités) et de l'organisation (objectifs et moyens) proposée par des acteurs sociaux tenant compte de l'acte solidaire, de l'être et faire ensemble et en inventant les principes, les lois, les fonctions, l'exercice (régime). Ce qu'on appelle la culture engendrée par la pensée, opposée à la nature et à sa réalité, à ses déterminations.

Autrement dit le social, comme le politique qui veut le penser, est une construction relative, instable, sujette à révision, qui essaie, sans jamais y réussir tout en y prétendant toujours, de pallier aux aléas des situations rencontrées et de maintenir une unité collective signifiante. A partir de là, les contradictions commencent à cause des différences, rivalités, pulsions. Le psychique est toujours là pour soutenir ou contrarier cet effort. On pourrait dire que l'éthique, la religion, font office de surmoi culturel, les pouvoirs et les lois de castration redoutée suscitant peurs et culpabilités. La politique ferait des compromis instables entre la raison et la pulsion, tandis que le politique en serait le registre pensé, imaginaire et symbolique.

Le pouvoir politique offre une occasion d'excitation et de concrétisations aux pathologies qui suivent un processus psychique. Dans le champ social, des changements peu contrôlables (catastrophes, climat, ressources, surpopulation, migrations, conflits) répercutés par les réseaux de communication, ébranlent des sujets équilibrés et traumatisent les plus fragiles, ce sont autant de risques d'apparitions de pathologies sociales et de leurs symptômes individuels ou collectifs condensés dans les formes du pouvoir.

Mais peut-on se passer du pouvoir ? La société est toujours au pluriel, son unanimité impossible ; les différences, en même temps qu'elles enrichissent, exacerbent. L'unité nécessaire à l'acte collectif est liée au pouvoir qui saura l'organiser et le gérer. On cherche toujours les formes d'un pouvoir qui satisferaient les besoins, les espoirs de tous en même temps et ne susciteraient aucune inégalité tout en garantissant l'ordre et la liberté dans la coopération heureuse. Ce sont les paradoxes qui font de l'histoire : dans leurs contradictions fleurissent les souffrances comme les imaginaires.

L'histoire est la vie des sociétés, leur mort en est l'arrêt : plus de pensée, plus de différence, plus de débat, plus de choix, plus de changement. La psychose est aussi une immobilité dans la récurrence du délire, l'incapacité de faire projet. En cela, si le symptôme diffère, pathologie psychique et pathologie sociale s'apparentent, dans la rigidité et la répétition, l'incapacité d'adaptation, l'absence de futur.

Comme l'individu la société a une unité, voulue, construite, jamais aboutie habitée de sa propre mort qui la dévore furieusement dans la folie.

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Alain Deniau

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