N°25 / numéro 25 - Juillet 2014

Les Nouveaux Bien-pensants

Michel Maffesoli – Hélène Strohl - Editions du moment

Jean-Pierre Fléchard

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Dans son œuvre intitulée « Les Nouveaux Bien-pensants », Michel Maffesoli explique avoir eu pour objectif de peindre certains personnages emblématiques de la société à travers des caricatures. Selon le sociologue, l’origine des discours fanatiques, de haine ou de xénophobie, tient en un décalage avec la « bien-pensante » qui a découlé de l’époque des Lumières, laquelle n’est plus d’actualité avec le concept de modernité. La solution, à son avis, réside dans la recherche de mots adaptés pour guérir les maux de la société française actuelle.

Les « victimes » de Maffesoli sont « rhabillées pour l’hiver » selon l’expression consacrée. Ses victimes sont les intellectuels (le conformisme logique), les journalistes de l’ère de la page de variété et les politiques de l’opéra-bouffe. Hélène Strohl s’attaque elle aux « fonctionnaires hauts la tribu des tribus ». Chacun dans son style, les propos font mouche et les coups portés sont d’une efficacité redoutable.

En ce qui concerne les fonctionnaires hauts elle remarque le décalage entre « l’idéal espère affiché » et « leur fonction réelle dans la société postmoderne ». De fait, observe-t-elle, « la haute fonction publique, les gouvernants, les chefs d’entreprise du CAC 40, tous ces « gens » sont des Parisiens. D'où l'hostilité de la province. Elle observe que le « fonctionnaire haut » s’imagine supérieur et plus solidaire parce qu’il accepte d’être moins bien rémunéré que dans le privé, croit-il. Ce qui lui permet de se poser en quasi homme d’État, tout dévoué à la chose publique, et faisant le sacrifice d’une belle carrière dans le privé. A ceci près que le fonctionnaire haut est généralement cantonné dans des tâches extrêmement subalternes, dont la plus-value est quasi nulle, mais qui, en échange, coûte à la société aussi cher qu’un patron de PME.

Le drame de ces fonctionnaires haut est le décalage entre leur valeur intrinsèque qui ne repose en fait que sur le fait d’un concours passé à l’âge de vingt ans et brillamment réussi, les faisant bénéficier d’un statut inouï, leur offrant la possibilité de travailler plus ou moins à leur guise, de se lancer dans des aventures politiques avec une position de repli assurée, et l’idée assez haute qu’ils ont d’eux mêmes. Sélectionné pour travailler vite tout seul et trouver très rapidement une solution d’ordre général à n’importe quel problème complexe du loin et d’assez haut. Bref, ce que l’on appelle un technocrate.

Mais le monde dans lequel nous vivons est devenu tellement complexe que c’est exactement comme cela qu’il ne faut pas réagir. Il faut au contraire accepter de travailler en groupe et n’être que l’un des éléments de la solution de l 'œuvre commune. Ce qui est également insupportable dans cette haute fonction publique est le rapport hiérarchique, parfois bien pire que dans l’institution militaire. Le rapport des fonctionnaires haut, un préfet par exemple, homme tout puissant dans son département mais qui peut être éjecté de son poste dans le quart d’heure s’il a eu le malheur de contrarier tel ou tel petit laquais qui magouille autour du ministre.

En outre, comme le fait remarquer Mme Strohl « l’incurie, la paresse voire l’incapacité ne donnent pas lieu à une mise en congé ou mise à la retraite d’office ». On pense par exemple à ces hauts fonctionnaires du ministère de la Santé du temps de Roselyne Bachelot qui ont dépensé des millions d’euros de vaccins, de masques et qui surtout ont monté toute une usine à gaz pour empêcher les médecins de famille d’administrer eux-mêmes les vaccins et qui ensuite non seulement non pas été licenciés, n'ont rien remboursé du tout mais encore et surtout viennent pérorer en nous expliquant en quoi ils furent des héros de la santé publique.

Observant que « la loi étatique est sans pouvoir » et donc les fonctionnaires hauts plutôt inutiles, elle remarque en outre que « les fonctionnaires hauts savent bien ce qui est bon pour les usagers. On dit usager d’ailleurs et pas client car on est dans le service gratuit. J’aimerais d’ailleurs que les demandeurs d’emploi ou les allocataires de la sécurité sociale soient aussi bien traités que les clients de l’enseigne au contrat de confiance ! ».

Bref, pour haut fonctionnaire qu’elle ait été, l'auteur n’en est pas moins réaliste, et sa condamnation de son ancienne caste est sans appel. Il faudra aussi envisager de se libérer de ces budgétivores le jour où la France prétendra de nouveau être le pays des hommes libres.

Parmi les « victimes » de Maffesoli on trouve bien sûr l’ultra-célèbre Bernard-Henri Lévy. Si l e style de Maffesoli est puissant, sa pensée est un peu floue, par moments, et présente parfois des difficultés à suivre le raisonnement. Le texte est assassin, c’est un régal de méchanceté et de vérité. Et de mépris, aussi, car comme il l’observe lui-même, dans la vraie vie intellectuelle internationale, celle qui compte, les Français ne sont plus là. Nos gloires intellectuelles, nos « maîtres » sont morts et enterrés et il n’y a pas de relève. Sauf lui-même, naturellement.

Pour autant il n’a pas tort, car c’est un intellectuel de haut niveau. Il anticipé un peu sur tous les concepts à la mode, Contre les faux intellectuels, Maffesoli parle du « complexe de la meute » qui conduit à « invalider, souvent sans les avoir lus, les œuvres de Heidegger, Jung ». Surtout lorsque l’on sait que Heidegger est le plus grand philosophe du XXe siècle et Jung le psychologue qui, plus loin que Freud, a su penser « au-delà de la braguette, de la petite culotte, et de l’inceste familial » (M. Onfray).

Sa pensée mérite plus que le détour. Son exigence intellectuelle va jusqu’à la citation latine sans traduction. C'est faire preuve d'un élitisme qui pourrait sembler suspect, à moins qu'il regrette le vieux Bac A.

Il défend avec passion la notion de « vivre ensemble ». Mais ensemble avec qui ? Il observe que « l’absentéisme a augmenté en même temps qu’a diminué la durée du travail car les salariés n’ont plus de temps interstitiel de repos », car ce travail organisé « sans temps mort devient un temps mortifère ». Un gros pavé dans la mare de ceux qui regrettent le taylorisme.

Ce livre démontre avec brio la liberté d'expression de cet essayiste. Ce qui ne gâche rien c'est que son style est d'une grande clarté et que sa pensée mérite le détour…

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