N°27 / Religion et politique Juillet 2015

Théorème du nationisme

Contemporaine évidence des nations

Henri Temple

Résumé

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Un théorème est une affirmation, destinée à être démontrée, qui peut être établi comme vrai au moyen et à l’issue d'un raisonnement logique construit à partir d'axiomes. Une fois le théorème démontré, il sera considéré comme vrai.

De plus, les axiomes ci-après (v. 2, 3, 4, 5, 6 et 7) qui sous tendent le raisonnement sont démontrables, ce qui est exceptionnel pour des axiomes, et rend en cela la démonstration encore plus forte.

Nous démontrerons, dans les lignes qui suivent, que les faits nationaux facilement observables, forment une matrice qui engendre un être humain façonné de sentiments et de psychologie en général, de psychologie politique en particulier. Tout le reste en découle, imparablement, de cause en conséquence. C’était si évident qu’on l’avait oublié.

Voici la construction de ce théorème :

Préliminaire et liminaire

1 Observation et qualification du fait national dans ses multiples dimensions

2 Conséquences psychologiques et neurologiques individuelles du fait national

3 Conséquences sociologiques collectives des faits psychologiques

4 Conséquences sociales (réflexes) des faits sociologiques

5 Conséquences économiques des faits (réflexes) sociaux

6 Conséquences juridiques des faits sociaux et économiques

7 Conséquences politiques de la conjonction des faits juridiques, sociaux et économiques

8 Conclusion : Théorème du nationisme.

CQFD - Morale

Préliminaire : du nationisme

Le terme de nationisme est un néologisme, et le concept qu'il désigne, très récent.

On peut définir le nationisme comme étant la méthode intellectuelle, appliquée aux faits nationaux, par laquelle on constate et étudie ces faits, leurs corrélations, et le résultat appliqué. On l’oppose ainsi au “nationalisme”, discours et pratique politiques dures, voire agressives ou oppressives. Au contraire, le nationisme, entendu comme science, entendra affirmer le simple constat selon lequel ces communautés culturelles, géographiques et historiques que sont les nations existent, que l’homme en a besoin pour s’organiser, et qu’elles doivent être respectées par les autres nations et les organisations internationales.

Philosophiquement et politiquement l'idée de nation, historiquement récente (apparue au XVIIIème siècle), a souffert, à peine introduite dans le discours et les attitudes politiques, des dérives, souvent agressives ou totalitaires, du nationalisme, qui ont discrédité le terme. Inversement, les courants de pensée marxistes, socialistes, fédéralistes, a-nationalistes, internationalistes – de droite ou de gauche- ont recherché des voies théoriques en dehors ou au dessus des cadres nationaux.

Pourtant l’idée de « nation »(et celle, très proche, de « peuple ») apparaît dans des textes emblématiques, telle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les doctrines nationalistes initiales de cette époque ont permis de fonder l'idée et la pratique politiques d’État-Nations, d'émanciper ainsi les peuples des royautés et des empires, mais aussi de forger une mystique de l'état, aboutissant à estomper la nation sous jacente.

Le terme de nationisme est apparu très récemment pour le démarquer du concept philosophique et politique de nation, historiquement pourtant assez récent (XVIIIème siècle), du nationalisme. En effet, depuis la fin du XXème siècle et en ce début du XXIème déjà écorné, l’évolution du monde, et celle des sous régions (Europe, notamment) reposent la question des nations. Ce sont des penseurs issus d’un itinéraire passant par la gauche radicale ou romantique qui imaginent le néologisme, sémantiquement assez clair, de nationisme pour désigner une approche plus objective, anthropologique, et apaisée, de ce fait sociologique et politique qu’est la nation. Pierre-André Taguieff avait ainsi proposé dès 20031 –ce qui nous semble être le plus ancien emploi de ce néologisme en France2- le terme de nationisme. Le terme sera repris, dans la même acception, par des penseurs ayant eu des parcours politiques personnels comparables, comme Emmanuel Todd, Régis Debray. D’autres ont un point de départ à gauche aussi (Hubert de Champris), qu’ils ont relativisé (Alain Finkielkraut3) , ou non-gauchiste (Pierre Manent4, Marc Chevier5, Henri Temple6), mais ils convergent tous vers le même point focal syncrétique : la nation est une réalité culturelle et sociologique, un mode d’organisation économique, social,politique. La mondialisation, et la répulsion intellectuelle que ses abus ont suscité, ont accentué de telles convergences, impensables avant la fin des années 90.

Tous ces intellectuels renouent ainsi avec des débats et des intuitions de l’entre deux guerres : Richard de Coudenhove-Kalergi auteur d’un essai monumental intitulé « Pan Europa » et paru en 19237, mais aussi Julien Benda8 et Marcel Mauss9. Ce dernier, sociologue élève de Durkheim, avait échoué à terminer son projet de grand œuvre sur la nation, qui l’avait épuisé jusqu’à sa mort, et dont on ne possède que des fragments non organisés en un plan achevé. Et Edgar Morin, héritier de cette réflexion, constate que la théorie générale de la nation reste à écrire10.

Le plus souvent, les réflexions sur la nation accompagnent, les précédant ou les suivant de peu, les grands séismes de l’humanité occidentale (1783 en Amérique, 1789 en France, puis 1870, 14/18, 39/45 ; enfin pour l’Europe de l’est et le monde global : les années 1990). C’est pour débarrasser de ses connotations péjoratives l’étude de la nation, cette structure sociologique majeure, que le terme nationisme paraît souhaitable. Et dans la relation entre les nations, de même que l’on propose désormais de passer outre le terme « nationaliste », on pourrait suggérer de se dispenser des termes internationaliste ou international, pour les remplacer par le néologisme nécessaire de inter-nationiste, porteur d’une conception nouvelle des relations mondiales.

En effet l’histoire immédiate de l’humanité a vu, paradoxalement et simultanément, l’autodestruction du socialisme internationaliste et l’avènement d’un ultra capitalisme mondialiste anti national. L’avènement de la démocratie dans les républiques ex-socialistes, la chute du mur de Berlin, de la Yougoslavie, de l‘URSS, est concomitant avec ce que l’on perçoit, de plus en plus souvent, comme un recul des libertés à l’Ouest : OMC, FMI, Traités de Maastricht, puis de Lisbonne, confiant en grande partie les droits des nations et des peuples à des entités supra nationales.

Or, si en 1910, il y a un siècle, la planète Terre ne comptait guère plus d’un milliard d’habitants, en 2011, elle en dénombrait sept. Comment organiser une telle Humanité ? L’organisation politique de l’espace habitable devient alors une question primordiale : la question des nations est au cœur de ce problème. Faut-il les abaisser devant les organismes supranationaux ? Faut-il les dépasser, comme le proposent Derrida mais, plus prudemment, Morin ? Ou faut-il les protéger, en faire le cadre des échanges mondiaux, les briques de l’architecture du monde, un « concert de nations » égales ? Les réponses à ces questions, qui conditionnent la survie de chacun, passent par une réflexion complètement renouvelée sur les nations.

Sociologues, psychologues, juristes, politistes et économistes doivent impérativement reprendre des réflexions abandonnées depuis l’entre deux guerres, et les inclure dans une approche holistique.

Liminaire

Si l’homme est bien par nature –ce qui n’est contesté par personne depuis Aristote- un animal social, il est beaucoup moins bien compris (ou on perd de vue) qu’il ne devient tel qu’il est que par imprégnation, imitation, adaptation, éducation, information et instruction. Parfois même, hélas, par déformation.

La transmission des savoirs et des habitudes est essentielle et, en particulier, le système instructionnel va jouer un rôle capital. Sans même parler de la solidité, du sérieux, de l’accessibilité de ce système (ce qui est en soi un sujet), on devrait, avant tout s’interroger sur la façon dont il transmet les connaissances, et plus encore sur la façon dont on peut en faire l’acquisition personnelle et l’approche critique, puis, idéalement, sur la libre création de raisonnements personnels, autonomes, rigoureux, justes et utiles. Notamment en matière morale, philosophique, scientifique, religieuse, politique, économique.

Or, une telle formation à la méthodologie n’est pas prodiguée (ou très insuffisamment) dans les écoles ni –plus grave encore, si c’est possible- dans les écoles dites « grandes » et à l’université.

Les élites –qui détiennent une grande influence intellectuelle et médiatique, voire un pouvoir décisionnel- sont mal formées, mal contrôlées par des gens mal formés eux- mêmes, et la société toute entière est impotente -par connivence ou faiblesse- à sanctionner les erreurs et les fautes préjudiciables commises par les élites. L’erreur politique, militaire, diplomatique, voire intellectuelle, qui était si lourdement punie à Athènes (ὄστρακον = ostrakon), devient, hic et nunc, habituelle, banale, impunie, vite oubliée. Pourtant les plus grands penseurs et leurs disciples ont constamment stigmatisé les « élites » et rappelé sans cesse que la pensée doit, pour être juste (et donc pour mériter d’être ainsi qualifiée de pensée), répondre à des critères, des canons :

  • la sémantique, la maîtrise du sens des mots, (Platon, Aristote, Confucius, Abélard)

  • l’observation, la qualification des faits, (Aristote, Descartes, Claude Bernard, J. Stuart Mill11)

  • la méditation et l’intuition, (Bouddha, Platon, Aristote, Pascal...)

  • l’agencement des mots et des idées pour produire un raisonnement rigoureux et juste (Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Descartes, Spinoza, Kant, Claude Bernard, J.S. Mill)

On se demande alors ce qui est le plus grave dans notre système politique :

  • est-ce le fait que les décideurs sont incapables ou non désireux de former la population en l’initiant aux outils de la pensée (organon) ?

  • ou est-ce le fait qu’ils n’en connaissent pas l’existence, la justesse et l’impérieuse nécessité ?

Le résultat est là et les conséquences en terme de négligence de l’intérêt national, du bien commun, ne cessent de s’aggraver, qui ont été pourtant constamment dénoncées depuis Ronsard, Condorcet, Michelet, Bloch, Camus...

Plus récemment Crozier, Bentolila, Brighelli, Finkielkraut, Michéa, Onfray..., venant d’horizons politiques variés, mais posant, finalement, des diagnostics convergents, se rejoignent en une préoccupation constante : préserver et développer l’intellection sans laquelle on sombre dans l’erreur collectivement dommageable.

Aussi essayerons-nous, dans cette ligne, et dans le cadre de ce bref essai en forme théorématique, de respecter les principes du discours de la méthode, systématisés par Aristote, suivi en cela par Descartes puis Stuart Mill, et appliqués ici à l’étude du fait national.

1. Observation et qualification du fait national dans ses multiples dimensions

Intrinsèquement, ce sont six éléments12 qui fondent l’identification d’une nation en tant que telle, puis son unité, et l’identité nationale13 d’un groupe humain, éléments dont l’ordre et l’importance peuvent varier selon les pays :

  • la langue,

  • la religion et/ou un corps de croyances fondant une éthique collective,

  • l’histoire, les figures emblématiques,

  • le territoire, les paysages

  • la culture, les relations humaines

  • un consensus collectif majoritaire sur les cinq éléments précédents, et sur l’idée d’une communauté d’intérêts et de destin14.

Certes ces six éléments ne sont pas associés ou dosés selon des proportions toujours identiques. On peut observer des peuples, bien distincts, mais qui ont la même langue en partage (l’anglais, le français, l’espagnol). La religion, quant à elle, peut diviser, voire faire exploser des nations (Pays-Bas/Belgique ; Serbie/Croatie, Arabes chiites/ sunnites, Inde/Pakistan, Timor), sans même qu’il soit besoin d’exhumer une ascendance ethnique hétérogène (Irlande).

Inversement, la religion peut constituer un ciment qui traverse les âges et fédère (israélites ; dont certains sont pourtant hostiles à Israël ou fidèles à leur nation européenne ; Pologne, Québec...). D’autres peuples connaissent à peine leur histoire, ont une culture faiblement typée (Roms), ou n’ont pas de territoire propre délimité (Roms, Peuls).

Mais lorsqu’il n’existe pas (plus) de conscience collective consensuelle, de particularités communes vécues ensemble, il sera impossible de parler de nation.

On a souvent essayé de démentir la réalité objective du fait national. On ne comprend pas trop pourquoi, sinon parfois par un mal-être propre et personnel au chercheur en sciences sociales qui voudrait régler ce mal être en faisant disparaître le fait. Peut être peut on ranger dans cette démarche André Siegfried, un pionnier d’avant la première guerre, théoricien de l’enracinement et des traditions familiales, plus forts selon lui que l’identité nationale, qui inspire sans doute parfois encore Emmanuel Todd lorsqu’il s’enflamme contre l’idée d’identité nationale. Mais aussi, paradoxalement, Siegfried pourrait servir de référent à ceux qui professent que l‘intégration des immigrés échouera.

Plus récemment, et sous l’influence de courants marxistes et internationalistes, entre les années 1960 et 2000, on tenta alors de minimiser les faits nationaux et de les dépasser par l’étude des relations de travail, de consommation ou de domination économique : les échanges économiques sont désignés comme étant les éléments essentiels pour la construction du sentiment identitaire des individus. La rubrique Wikipedia (V° Nation) s’étend sur cette approche d’études qui « ...tendent à se mettre dans une perspective comparatiste par l'intervention de chercheurs de nationalités différentes. D'origines diverses, on trouve, dans ce mouvement de pensées, Eric Hobsbawm, Norbert Élias, Benedict Anderson, Ernest Gellner, France, on retrouve sur ce terrain Pierre Bourdieu, Jean-Loup Amselle, Dominique Schnapper, Gérard Noiriel, etc. ». Mais comparer les systèmes d’identité, les nuancer ou les relativiser ne doit pas aboutir à les nier ; ce qui est, dissimulé dans cette confusion, est un un dessein autre ; or le comparatisme n’est pas le cosmopolitisme. La relativisation systématique n’est pas le déni. D’ailleurs le verbum Wikipedia ne laisse aucune place au concept de nationisme ni aux travaux modernes sur ce champ.

Cependant ces courants paraissent avoir désormais épuisé cette veine tant il est vrai que les sciences humaines sont tributaires du contexte politique et de ses traductions dans la recherche. De plus -et surtout- un monde surchargé de bientôt 8 milliards d’habitants (8 fois plus qu’en 1900), puis 11 milliards ou plus en 210015 a besoin d’explications moins matérialistes, plus culturelles et plus psychologiques pour pouvoir s’expliquer à lui-même. Face à une construction aussi complexe que celle du fait national, les explications par la position économique de la personne, sont certes utiles, mais sont loin d’être suffisantes, ni même centrales.

De tous les éléments énumérés ci-dessus, la langue, la culture, les valeurs communes (religion incluse) sont les plus déterminants. Les chercheurs sur le cerveau ont observé que, même lorsque cette sollicitation corticale remonte à la petite enfance, la première langue entendue marque pour toujours certaines zones du cerveau16

Le besoin d’identité nationale existe car les nations et les cultures existent. Ce besoin va avoir pour conséquences une élaboration affective décisive pour la vie de l’être humain.

2. Conséquences psychologiques et neurologiques individuelles du fait national17

Pour les psychologues le sentiment national réapparaît comme objet d’étude et de réflexion car les sentiments, ceux qui durent, construisent la personnalité (en bien ou en mal) :

Frustrations ou satisfaction (intellectuelle, sociale, affective, physique) ;

  • altruisme, pitié, dévouement, amour, admiration ou égoïsme, indifférence, mépris, haine.

  • Consensus, sentiment d’appartenance (familiale, régionale, religieuse, socioprofessionnelle, nationale), patriotisme et abnégation, ou bien rejet, exclusion, anomie18, ou repli communautaire.

Ces sentiments, plus durables, voire constants, se révèlent dans une relation d’altérité et peuvent être très structurateurs du comportement d’une personne. L’école lacanienne, axée sur la psychanalyse, a inhibé, en France du moins, les approches génétiques19 et psychologiques de la personnalité de l’individu, certes plus descriptives, mais plus pratiques aussi. Cette personnalité s’organise autour de cinq dimensions principales20 assez unanimement acceptées par les auteurs (extraversion, agréabilité, conscience, névrosisme, ouverture), chacune démultipliée en six sous dimensions et, désormais, ces trente facettes sont identifiables, avec une certaine précision, par des tests (par exemple NEO PI R et Alter Ego). Or ces dimensions, et leurs démultiplications, seront très largement influencées, inhibées ou excitées, par la culture nationale et/ou communautaire, notamment du fait de la place qu’elles consacrent à la liberté, à l’individualisme, et en raison du type de relations qui se créent au sein des structures familiales. Ces marqueurs psychologiques sont puissants et s’ils pourraient, en apparence, paraître masqués par la world culture uniforme (des tablettes aux sports en passant par les modes vestimentaires et musicales), il pourrait ne s’agir là que d’un vernis, vite fondu par les besoins profonds d’identité, les pressions du groupe, les racines, les valeurs de rattachement, l’appartenance à une communauté fermée. Des événements récents peuvent même démontrer que ce vernis envahissant est parfois le facteur déclenchant de réactions communautaristes virulentes. « Il existe [en effet], des mentalités qui peuvent caractériser la personnalité de certains groupes sociaux »21

L’immigré se trouve confronté, surtout s’il est musulman, à des tensions internes, provoquées par ce que les chercheurs et écrivains musulmans nomment souvent eux -mêmes l’hybridation culturelle22. La psychosociologie et les neurosciences sociales ont désormais consolidé les premiers travaux sur l’influence des structures sociales et de la culture nationale et religieuse sur la psychologie individuelle.

Le sentiment national a été étudié par John Stuart Mill et les chercheurs qui ont suivi son sillage précurseur. C’est surtout l’incidence du milieu sur ce sentiment (approche éthologique) qui a retenu J.S. Mill.

Mais il manque que soit étudiée plus avant l’influence de ce sentiment national sur l’élaboration sociologique du groupe et, au-delà, de celle de la nation.

3. Conséquences sociologiques collectives des faits psychologiques

Des sociologues, historiens et philosophes tels Edgar Morin23 et Fernand Braudel24, comme avant eux Mounier25, étudiant la nation, y trouvent la richesse essentielle pour accomplir l’être humain. Pour Edgar Morin, notamment, l’histoire nationale opère un processus d’identification très intime de l’individu avec un « Grand Être Historique vivant [la nation] luttant pour sa propre immortalité...grand nourricier de l’individu qui, en échange, lui doit fidélité. »26

L’identité nationale, outre sa dimension intrinsèque a aussi une dimension extrinsèque, excellemment résumée par une formule de Benda27.

Chaque nation, en effet, est capable de s’auto-identifier par rapport aux autres, et c’est d’ailleurs le « concert des nations » qui peut reconnaître, par un consensus extrinsèque, un (nouvel) état-nation en tant que tel : en droit international public, on reconnaît, dit-on, un État, un gouvernement, à l’observation des éléments de l’amorce d’un État : un territoire, même occupé, une population, un début d’organisation politique…Ainsi apparaissent des états-nations nouveaux, voulus par leurs peuples, et reconnus par les autres Etats nations : Erythrée, Slovaquie, Slovénie, Soudan Sud… Les nations sont parfois contestées : Kossovo, Tchétchénie, Monténégro, Sahara ; ou elles peinent à conserver leur indépendance (Tibet) ou à l’obtenir (Kurdistan, Palestine, Azawad), comme ce fut le cas jadis de la Pologne. Et même de l’Italie.

Mais, par delà les artefacts diplomatiques et juridiques, la nation a bien une identité ; car l’identité, c’est l’essence, c'est-à-dire les caractéristiques permanentes dominantes et majoritaires d’un objet d’étude. Or l’essence de la nation constitue en grande partie l’essence de l’individu, sa « personnalité de base » comme disent les anthropologues après les travaux des culturalistes (Abraham Kardiner28). L’essence de la nation apporte donc aussi la part culturelle de l’essence et de l’identité individuelles.

Les « neuroscientifiques » du XXIème siècle, ont effectué des travaux de recherche de plus en plus fins et pénétrants sur le déracinement, l’acculturation, la « crise d’identité »29, notion tant utilisée en psychopédagogie, voire la « résilience », après les traumas affectifs de l’enfance. Ces derniers souvent liés aux sentiments que l’on a de son identité intime30 posent, de façon frontale les questions de l’élaboration de la conscience, de la compréhension, de l’estime, du SOI. Et l’affect national, qui est un élément central de l’intime, peut aussi, s’il est défaillant ou négatif, comporter des stigmates, des éléments déconstructeurs. L’archétype national, sa codification sociologique, qualifie autant qu’il peut disqualifier sentimentalement en creusant des fossés au sein d’une population territorialisée, mais hétérogène (minorités religieuses, ethniques, sociales, physiologiques)31.

Cette grande et nouvelle osmose entre sociologie et psychologie a bénéficié du renfort des travaux de Tajfel et Turner32 sur l’interrelation psychosociologique, qui ont fait évoluer l’approche de ces phénomènes profonds de sentiments d’appartenance (dont le sentiment national) ou d’exclusion. Le développement, très récent, de la psycho-sociologie, des neurosciences, de la neuropsychologie, et plus particulièrement des neurosciences sociales33, permet de percer progressivement les mécanismes physiologiques, neurobiologiques et hormonaux qui sous-tendent les comportements sociaux et les relations interpersonnelles. On découvre, alors, que les réactions électrochimiques du cerveau ont, plus que souvent, un lien direct avec l’environnement sociologique, affectif et culturel de l’être humain. Cet environnement provoque des sentiments, conditionne l’émotivité. Ce lien entre le sociologique et le physiologique oblige à en considérer l’incompressabilité : l’échec séculaire, relatif ou sanglant, de (certaines, mais pas toutes) sociétés de mixité ethno-culturelle peut et doit être observé : Bosnie, Irlande du nord, Irak, Roms en Europe centrale, Turquie, Syrie, Liban, Israël/Palestine, Soudan, Ceylan, Fidji, Rwanda, Timor, Mali… Nous avons proposé, pour compléter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, d’en déduire et énoncer le “principe sociologique de précaution”34.

La crise d’identité si elle devient un conflit d’identité, avec une issue violente, va non seulement remettre en cause le consensus individuel mais jeter le trouble pour des millions de personnes qui ressentent la crise, et les dizaines de millions qui observent le devenir de leur communauté nationale : la crise de « Charlie » n’a pas encore livré tous ses symptômes.

4. Conséquences sociales (réflexes) des faits sociologiques

Les animaux connaissent la solidarité et l’expriment par des sons, des postures : alerte, détresse, défense, nourriture ; et les animaux supérieurs en outre organisent une protection collective du groupe, des petits, honorent les plus vieux, respectent les morts, s’imitent en leurs « langages » qu’ils enrichissent par emprunt mutuels. Ce sont des réflexes collectifs innés ou transmis par le goupe.

Chez les humains, la charité, l’entraide, et aussi le respect des faibles et des femmes, voire le combat physique (qui fondent presque partout dans le monde la tradition masculine et chevaleresque) ont pris désormais les traits de la solidarité collective et organisée par l’Etat.

Il existe, en matière d'économie et de solidarité sociale humaine, une approche nationiste, conséquence considérée comme inévitable et cohérente des données psychologiques, sociologiques et des droits de l’homme qui les protègent : si les hommes sont liés par leurs sentiments, puis par leur consensus sociologique inféré, il en découlera des élans altruistes (le don chez Marcel Mauss) entre membres de la même communauté nationale : de cette Fraternité, découle une solidarité organisée.

Le sentiment et le consensus nationaux sont confortés, outre leurs réalités sociologiques, culturelles et affectives, par les nécessités politiques et économiques (se gérer ensemble, décider ensemble), et par les nécessités socio-économiques (produire, consommer, partager, répartir, redistribuer). C’est l’origine d’une telle solidarité qu’avait ressentie Jean Jaurès : « À celui qui n’a plus rien la patrie est son seul bien ». « La Nation est le seul bien des pauvres ». Mais on peut considérer que c’est aussi le seul bien des jeunes, des vieux et des malades, car seule la nation dispose d’un système permanent et moderne de solidarité entre les différentes catégories de la société : jeunes/vieux, riches/pauvres, célibataires/familles, valides/malades, hommes/femmes, travailleurs/chômeurs… La Nation assume, par État interposé, les missions de protéger, défendre les droits, éduquer, soigner, organiser…Mais l’idée de solidarité nationale est si évidente qu’elle est à peine exprimée dans la Constitution.

Pourtant elle est puissante ; mais on ne veut pas voir qu’elle ne pourra en aucune façon être découplée de l’économie ; car il ne pourra pas y avoir de solidarité nationale sans le soutien de l’économie nationale qui, seule, peut l’abonder.

5. Conséquences économiques des faits (réflexes) sociaux

Pour l’économie, il existe aussi une approche nationiste, conséquence imparable et cohérente des données psychologiques, sociologiques et de droits de l’homme qui les sanctifient : si les hommes sont liés par leurs sentiments et leur consensus, les élans altruistes qui en découlent entre membres de la même communauté nationale ont un coût social ; de cette Fraternité, découle une solidarité organisée dont le financement est directement tributaire de la prospérité de l’économie nationale.

C’est un grand économiste allemand, Friedrich List35 qui a été l’artisan principal de ce qu’il appela le système national d’économie politique.

En effet les solidarités sociales qu’appellent les liens affectifs et sociaux, enjoignent une solidarité, jeunes/adultes/vieux, hommes/femmes, malades/bien portants, actifs/retraités/ chômeurs36.

Cela supposera dès lors, à tout le moins, une protection (sans excès protectionniste) des filières économiques nationales lorsqu’elles sont menacées de disparaître. Car chacun est censé pouvoir comprendre que sans cette défense de l'outil national de production qui les financent et en garantissent la pérennité, tous les systèmes de solidarité nationale s'effondreraient. Aussi le nationisme économique doit il permettre d’utiliser tous les arguments du droit (et pas seulement de la technique textuelle des lois et traités) pour permettre à une économie nationale de défendre sa survie (par exemple par les clauses de sauvegarde ; voire des dénonciations unilatérales de Traités), face aux superstructures supra étatiques (FMI, BM, UE, OMC).

Malheureusement la prétendue technicité arborée par les « spécialistes » de ces questions, a abouti à dissimuler les vérités et les droits simples, justes, forts et puissamment fondés. Les citoyens ont fini par se soumettre à l’idée de leur incapacité à comprendre des questions dont dépendent leur vie quand les politiciens rarement compétents en économie qui les gouvernent ressassent des données et doxa abstruses, supposées savantes (Commission européenne, FMI, BCE, ”économistes” de banques...).

Pourtant la preuve est faite, en France par exemple, que l’ouverture aveugle des marchés mondiaux, la finance comme finalité économique, la monnaie unique ont fait bondir, en 30 ans, le chômage de 700 000 demandeurs d’emplois à 6 millions de vies brisées. Et une fragilisation terrible de la cohésion nationale.

D’autres grands économistes (après Adam Smith lui-même), on réaffirmé la nécessité de protéger, quand c’est nécessaire, une économie nationale (Keynes, Maurice Allais, Gérard Lafay, Jean-Jacques Rosa, Jean-Luc Gréau) contre une mondialisation subie et non maîtrisée et souhaité le retour du droit (J.E Stiglitz)

6. Conséquences juridiques des faits sociaux et économiques

Le droit, dès lors, ne pouvait ignorer la réalité des phénomènes sociaux individuels et collectifs de sentiment national, consensus, ainsi que la nécessité de la solidarité, de l’économie. D’une part car ce sont des faits que le droit a la charge d’organiser, d’autre part car c’est le sentiment, indistinct mais puissant, qui rend perceptible la nation, la légitime. Et c’est la nation qui légitime le sentiment national, voire l’exige.

Au plan du droit civil, d’ailleurs, les attributs de la personnalité : nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse, situation familiale, et bien entendu nationalité, sont des éléments de l’identification, et donc de la différenciation, très imprégnés des substrats nationaux et reproduits sur la « carte nationale d’identité ».

Le droit ne pouvait ignorer des flux affectifs aussi puissants sans tenter de les protéger, s’il y a lieu, ou de les maîtriser si nécessaire. Dans les deux cas, en fait, pour empêcher l’apparition des sentiments de souffrance : celle des sujets traumatisés dans leur amour national ; ou celle des victimes de la haine nationaliste.

Le sentiment national est conforté, outre ses réalités culturelles et affectives, par les nécessités politiques et économiques (se gérer ensemble, décider ensemble), et par les nécessités socio-économiques (produire, consommer, partager, répartir, redistribuer). Le droit agit pour l’harmonie sociale, qui ne se concevrait pas sans lutte contre les sentiments individuels ou collectifs de frustration et même de souffrance. Ainsi le droit intervient-il soit pour protéger le sentiment national, notamment en le consacrant par un des différents Droits de l’homme, soit pour en restreindre ou endiguer les débordements.

Cette protection de la nation, du lien à la nation, et donc du sentiment national, s’intègre aux principes essentiels communs à l’humanité, principes qui ont été posés par des textes à vocation universelle, le plus souvent des textes internationaux.

On se contentera ici de rappeler quelques uns de ces principes déjà développés dans de précédents écrits37 Les grands textes fondateurs sont, par ordre chronologique :

1. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en France (1789),

2. La Déclaration universelle des droits de l’homme, des Nations Unies (1948),

3. La Convention européenne des droits de l’homme, du Conseil de l’Europe, (1950),

4. Le Pacte international des Nations Unies sur les droits civils et politiques (1966),

5. La Convention Internationale sur la discrimination raciale, Nations Unies (1981),

6. La Charte des droits fondamentaux, Union européenne (2000).

7. Déclaration sur les droits des peuples autochtones (2007)

Souffrir dans le principe de son rattachement national peut générer un conflit affectif complexe, profond, injuste, dangereux tant pour la personne que pour l’ensemble du groupe. Le droit, très influencé par le nationisme implicite sous jacent (principe de réalité), tente de l’empêcher et affirme, pour tout être humain, des droits de homme individuels ; et pour les peuples des droits de l’homme collectifs.

Les droits de l’homme individuels

Le droit à une nation

Le droit pour tout être humain d’avoir une nation qui l’accueille en son sein, et lui confère des droits, est affirmé par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 194838.

Le droit à émigrer

Situation inverse de la précédente mais (moins) douloureuse, quoique le sentiment de frustration natio-culturelle puisse s’éveiller, s’intensifier et s’accumuler bien plus tard : le candidat migrant sous-estime la souffrance qui résultera de son choix39.

Le droit d’asile40

Complètement différente est la situation de l’étranger qui rentre sur le territoire national parce que sa vie, sa sécurité, sa santé, sa liberté, et ceux de sa famille, ses biens, sont menacés en raison de son appartenance sociologique, politique, ethnique ou religieuse.

Le droit à parler de sa nation et de sa situation politique ou sociologique

Sous les régimes oppressifs, le seul fait de prononcer le nom d’une nationalité a pu être, et est encore parfois, passible de poursuites pénales. Des mots comme Erythrée ou Pologne, voire Italie sous le joug autrichien, ont été longtemps proscrits et, aujourd’hui encore, certains régimes refusent que soient utilisés les termes de Palestine, Tibet, Sahara, Kurdistan, Azawad, Somaliland ou Ouïgouristan. En Chine, Turquie, France le débat est encore souvent pris en otage par des considérations politiques.

Les droits de l’homme collectifs

Observons que la Déclaration Européenne des Droits de l’Homme (1950) fausse la perspective des droits de l’homme en ignorant que les nations bénéficient, elles aussi, de droits de l’homme collectifs, reconnus pourtant par des textes universels d'autorité supérieure.

D’ailleurs le non-respect de ces droits collectifs entraîne, le plus souvent, des atteintes aux droits de l’homme individuels (comme au Tibet, au Kurdistan, etc.). Et donc, bien évidemment, provoquent aussi des souffrances individuelles.

Le droit à être reconnu comme nation41

Le sentiment de frustration et de colère qui découlent de la négation d’un fait national et d’un besoin d’indépendance, contre un pouvoir colonial, une puissance occupante ou un dogmatisme politique, peut affecter collectivement des millions de personnes.

Le droit pour chaque nation de décider librement de sa culture42

Le droit de chaque nation de décider de sa culture est exprimé de façon précise par l’article 1er du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques :

« [Les peuples] [...] assurent [...] librement leur développement social et culturel. »

La culture nationale, intimement liée, à la culture personnelle, est à la fois la marque de l’existence d’une nation et l’objet de ses choix fondamentaux.

Le droit pour la nation de sauvegarder son existence

Ce droit est affirmé par l’article 4 du Pacte des Nations Unies pour les droits civils et politiques : « Dans le cas où un danger [...] menace l’existence de la Nation,[celle-ci peut] prendre [...] des mesures [de sauvegarde] dans le respect du droit des minorités ». De ce texte on infère que la minorité, si elle doit être respectée, n’est que la minorité et l’exception, et donc que la règle est posée par la majorité historique et culturelle de la nation.

Le célèbre anthropologue, Claude Lévi-Strauss appelait à ce que la civilisation mondiale soit la « coalition à l’échelle mondiale de cultures préservant chacune son originalité [….].  « La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition à l’échelle mondiale de quelques cultures préservant chacune son originalité »43.

Il existe, enfin, en droit pénal interne, des sanctions tantôt contre les atteintes au sentiment national, tantôt contre les excès du sentiment national44.

Mais la loi consacre aussi les choix collectifs relatifs au type d’économie, la protection ou l’ouverture des frontières, la structure des entreprises, la fiscalité et les lois sociales qui forment une galaxie inter dépendante. En somme, tout va être encadré par un système politique et constitutionnel.

7. Conséquences politiques de la conjonction des faits juridiques, sociaux et économiques

Le droit des peuples à se libérer, s’unifier, et celui de se gouverner par eux-mêmes, apparaît dans l’Histoire des idées politiques au XVIIIème siècle : la Pologne, la Grèce, l’Italie, la Roumanie, l’Irlande, les Slaves, revendiquèrent ce que John Stuart Mill dénommait le « sentiment de nationalité ». Il en inférait le droit souverain des êtres humains de chercher avec qui s’associer en Nation « pour unir tous les membres de la nationalité sous le même gouvernement (…), la question du gouvernement devrait être décidée par les gouvernés »45. Enfin, l’État ne doit être considéré que comme le vêtement de la nation ou du peuple. Mais une sorte de vêtement « sacerdotal ». Mais c’est parce que la nation est souveraine que l’État est souverain. C’est parce que le peuple est souverain qu’il choisit démocratiquement et souverainement les décisions qui le concernent. Le principe du « gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple », que l’on croyait pérenne, entre dès lors en conflit avec des modes nouveaux et supranationaux de gestion de l’économie (UE, OMC), du commerce (OMC, GATT), de la finance (BM), de la monnaie (FMI).

Le nationisme politique découle logiquement des autres aspects du nationisme, alors que pendant près de deux siècles (19ème et 20ème) une mystique de l’Etat, imposée mais peu démontrée par la raison, avait, tant à l’est qu’à l’ouest inversé l’approche de ce sujet. Dans la mesure où l’état adoptait des mesures, voire des abandons de souverainetés, les peuples n’avaient rien à y redire, même par référendum...

Le sujet a pâti, longtemps, d’un contresens fâcheux et persistant porté sur l’œuvre de Carré de Malberg : dans ses derniers travaux il ne sacralisait plus l’Etat que pour autant qu’il est l’expression de la volonté populaire ou nationale ; Malberg renoua ainsi avec Rousseau, dont on avait pensé abusivement le désolidariser46. Cette question est devenue plus que jamais brûlante : car, désormais, de nombreux partis politiques européens, de plus en plus suivis par les électeurs, affirment leur préférence pour une Europe des nations, au rebours de l’actuelle construction fédérale centralisatrice, peu transparente, peu démocratique, rejetée par des peuples à l’occasion de plusieurs occurrences référendaires, discréditée au yeux d’un part croissante de l’opinion publique, et plus encore en raison de ses échecs économiques, sociaux et migratoires. Le nationisme permet de canaliser cette revendication démocratique et culturelle, là où le nationalisme aurait provoqué des guerres.

Le nationisme cessera d’être un néologisme : il ne devra plus s’écrire en italiques, car il devient, ainsi démontré, un théorème qui s’exprime en 7 propositions :

Théorème du Nationisme

1 Dans leurs multiples et fines dimensions on peut observer des faits permettant de qualifier, pour chaque nation, 6 éléments essentiels, différents, mais associés et combinés.

2 Chaque nation ainsi observée est unique et produit des conséquences psychologiques et neurologiques sur les individus nationaux, pris isolément

3 Les individus présentant des analogies selon les critères nationaux, se rapprochent entre eux et se dissocient d’autres nationaux différents, ce qui est la conséquence sociologique collective des facteurs psychologiques individuels.

4 La proximité issue de cette construction sociologique engendre toujours des conséquences sociales (réflexes) telle la solidarité (l’entraide, la charité)

5 Une telle convergence culturelle et affective individuelle, et le réflexe solidariste permettent, mais aussi rendent obligatoire, la maîtrise du système national d’économie politique : sans économie nationale, pas de solidarité nationale

6 L’émergence d’un système solidariste appuyé sur un système national d’économie politique, appelle à la construction d’un système juridique perfectionné. Il est à la fois le reflet et la condition de ce qui précède.

7 Tout système cohérent : social, juridique et économique, s’insère nécessairement dans une superstructure politique, qui en émane tout en en étant le garant

CQFD Morale

Le monde phénoménique, qu’il soit inerte, vivant ou humain, s’organise selon un principe constructal et non pas fractal : du plus petit au plus grand. Chaque « étage » résulte de, mais aussi s’appuie sur, l’« étage » inférieur et en adopte les lois. L’ignorer serait encourir des échecs graves et durables.

La psychologie des individus est façonnée par le contexte national en toutes ses dimensions, y compris politique et économique. Mais cette psychologie emporte des conséquences sur toute l’organisation sociale.

Toute société durable et harmonieuse suppose le respect de la démarche constructale et de la précaution. Le principe sociologique de précaution nous commande de décider en matière de nations, avec beaucoup de prudence, après les avoir observées, attentivement et sans tabous ou dénis.

Ignorer les signaux des psychologies individuelles c’est non seulement dénier les droits de l’Homme, mais aussi fragiliser, pour longtemps parfois, voir définitivement, une construction nationale.

Les droits de l’homme collectifs (droits des peuples), qui sont les plus importants dans la hiérarchie, rendent illégitime toute tentative en vue de priver les nations de leur liberté politique ainsi que de faire peser sur leur identité un risque de dilution, de submersion, ou même de disparition.

1  Pierre-André TAGUIEFF, Vous avez dit « Communautarismes », Tribune, Le Figaro, 17, juillet, 2003

2  V. cependant un usage très antérieur : FISHMAN, J. (1968) Nationality-Nationalism and Nation-Nationism , in J. Fishman, C. Ferguson et J. Das Gupta (dir.), Language Problems of Developing Nations, New York, John Wiley & Sons

3  Alain FINKIELKRAUT, Qu'est-ce que la France ? (Stock, 2007) : une série d'entretiens avec des intellectuels français sur la France, l'identité française, la question de la nation et de post-national.
Alain FINKIELKRAUT, L'identité malheureuse, Stock, 2013.

4  Pierre MANENT, La Raison des nations. Gallimard, collection "l'esprit de la cité", 2006.

5  Marc CHEVIER, La république québécoise, Boréal, 2012.

6  Henri TEMPLE, Théorie générale de la nation -L’architecture du monde, L’Harmattan, mars 2014, 290 pages ; Sentiment national et droits de l’Homme, in Le sentiment et le droit, CNRS UMR 5815 Ed. Univ. Sherbrooke (Canada), oct. 2012 ; Sentiment national et droits d l’homme, Cahiers de psychologie politique (en ligne), n° 25, août 2014.

7  Richard VON COUDENHOVE-KALERGI (le père intellectuel de l’Europe), Pan Europa, Éditions Paneuropéennes, Paris, 1927 (2ème édition, 1988 - 3ème, 1997) ; à signaler que Kalergi, d’abord assez hostile, dans ses premier travaux de l’entre deux guerres à l’idée nationale et au sentiment national, modifia son opinion après la deuxième conflagration mondiale et se rapprocha du Général de Gaulle, devenant « nationiste » avant que le mot n’existe. Ses idées on été exploitées par Schumann et Monnet. Mais pas forcément comprises de ces derniers.

8  Julien BENDA, Discours à la nation européenne, 1933.

9  Marcel MAUSS, La Nation, (inachevé), 1920.

10  Edgar MORIN, Sociologie, p. 165, Fayard

11  John Stuart Mill, Système de logique déductive et inductive. Exposé des principes de la preuve et des méthodes de recherche scientifique, 1853, 6ème édition traduction 1866par Louis Peisse. Une œuvre remarquable et trop méconnue

12  V. nos développements sur ces 6 éléments in TEMPLE, Théorie générale..., op. cit.p.42 à 108.

13  V. aussi Marcel MAUSS, La Nation, (inachevé), 1920, qui, influencé sans doute par le droit international public, ajoute la stabilité, le gouvernement central démocratique et la souveraineté.
Henri TEMPLE, Sentiment national et droits de l’homme, in Cahiers de psychologie politique, en ligne n° 25, août 2014

14  Ernest RENAN, Qu’est-ce qu’une nation ? Discours à la Sorbonne, 1882.

15  Rapport de l’ONU, in Review : Science , 3ème trimestre 2014.

16  Lara PIERCE: “The infant brain forms representations of language sounds, but we wanted to see whether the brain maintains these representations later in life even if the person is no longer exposed to the language,” in “Mapping the unconscious maintenance of a lost firstlanguage,” in Department of Psychology. the November 17th edition of scientific journal Proceedings of the Natural Academy of Sciences (PNAS). 2014 Université de Mc Gill - Canada

17  Ce passage est en partie repris de notre article, in Cahiers de psychologie politique n° 25 , août 2014.

18  Emile DURKHEIM, (De la division du travail social, 1893), fut un des pères, en France, de la sociologie. V. aussi Jean DUVIGNAUD, Anomie et mutation sociale, Balandin éd., 1970.

19  La personnalité est en partie héritée : Aurélie CHOPIN et Diane PURPER-OUAKIL, Forger sa personnalité : Entre gênes et environnement, in L’Essentiel, Cerveau & Psycho, nov.2013-janv.2014, p. 40-45 et les références aux travaux de N.AMIN (2013) et S. YAMAGATA (2006).

20  Les « big five » : L.GOLDBERG, The structure of phenotypic personality-traits, in American Psychologist, vol. 48, pp. 26-34,1993 ; cité in Martine BOUVARD, Les cinq dimensions de la personnalité, in L’Essentiel, Cerveau & Psycho, nov.2013-janv.2014, p. 8-13.

21  Pascal de SUTTER, Cultures et mentalités, in L’Essentiel, Cerveau & Psycho, nov. 2013-janv.2014, p. 46-51, qui suggère (avec énormément de précautions) que « la question [...de la difficulté du vivre ensemble...] des groupes culturels mériterait que l’on y consacre des études scientifiques sérieuses et objectives » (p.51). V. aussi une étude approfondie sur les signes vestimentaires d’un appartenance communautaire religieuse : Camila Areas, Le voile comme véhicule politique et utopique du corps : émancipation sociale et investissement territorial. Encyclo. Revue de l'école doctorale ED 382, 2013, pp. 145-156.
N. de l’A : Il ne serait que temps, en effet, que les tabous politiques soient levés par la science psychosociologique.

22  Références à Omar BA, Mohsin HAMID, Samia MIHOUD-DRAME cités in Henri TEMPLE, Théorie générale de la nation, op.cit., p. 154 et s.

23  Edgar MORIN, Le paradigme perdu, la nature humaine, Le Seuil, 1979.

24  Fernand BRAUDEL, L’identité de la France, Flammarion,, 1990

25  Emmanuel MOUNIER, Le personnalisme, PUF, 2001

26  E.MORIN, Sociologie, Fayard, p. 168

27  Julien BENDA : « Toute formation de nation comporte deux mouvements : le semblable s’unit au semblable, puis se sépare du dissemblable... », in Discours à la nation européenne, 1933.

28  Abram KARDINER, L'individu dans sa société : essai d'anthropologie psychanalytique, Gallimard, 1969 (Bibliothèque des Sciences Humaines).

29  Expression inventée par Erik ERIKSON, Enfance et société, 1950. L’auteur est un concentré de conflits de sentiments nationaux : juif danois, né en Allemagne, réfugié aux États-Unis. V. aussi Anne-Marie THIESSE, Faire les Français, Stock, 2010, p. 28 et s.

30  Boris CYRULNIK, Les nourritures affectives, Odile Jacob, 2000.

31  Erving GOFFMAN, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps (1963).

32  Henri TAJFEL et John TURNER, Social psychology of intergroup relations, Pacific Grove CA/Brooks/ Cole, 1979, p. 33.

33  Selon l’expression de deux psychologues biologistes, John T.CACIOPPO, de l’Université de Chicago et de Gary BERNTSON, Université de l’Ohio, Social Psychological Contributions to the Decade of the Brain, Doctrine of Multilevel Analysis , in American Psychologist Review, August 1992, 47, 1019-1028 ; J.T. CACIOPPO & J. DECETY, Challenges and opportunities in social neuro-sciences, in Annals of New-York Academy of Sciences (2010). PERRY, HUBEL et WIESEL, eux, se sont partagés, en 1981, le Prix Nobel de médecine pour leurs « découvertes concernant la répartition fonctionnelle des hémisphères cérébraux ».

34  Henri TEMPLE, Théorie générale de la nation, op.cit.p. 73.

35  Friedrich LIST, Le système national d’économie politique, préface d’Emmanuel TODD, Gallimard, 1968

36  Henri TEMPLE, Théorie...op.cit. p. 182 et s.

37  Henri Temple, Sentiment national et droits de l’homme, Cahiers de psychologie politique, n° 25 Août 2014

38  Pus précisément dans son article 15 qui rappelle que tout homme a droit à une nationalité, et qui prohibe la situation d’apatridie, qui est non seulement une anomalie juridique, constitutionnelle et administrative, mais une souffrance affective.

39  V. ci-dessus, note 22

40  DUDH, Art.13 ; Charte des droits fondamentaux ; CEDH.

41  Le droit pour toute nation d’être reconnue en tant que telle fut exprimé, pour la première fois, dans la Déclaration d’indépendance et des droits américaine de 1776, et sera reformulé plus tard comme « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (article 1er du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques). Le corollaire, intimement lié, est celui de la souveraineté (interne et externe) des Nations, solennellement proclamée par l’article 3 de l Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation ». La Convention africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP de 1981),elle,affirme que « tout peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination… » (art.20.1), que les « peuples colonisés et opprimés ont le droit de se libérer » (20.2) et même « droit à l’assistance des états parties dans leur lutte de libération… ».

42  En Afrique, la CADHP (art.22) souligne aussi ce droit « au développement économique, social et culturel [des peuples] dans le strict respect de leur liberté et de leur identité… ».

43  Claude LEVI-STRAUSS, extrait de Races et histoire, 1952 ; et Races et culture, 1971, édition UNESCO. V. aussi Claude LEVI-STRAUSS, membre de l’Académie française, Discours à la cérémonie du 60ème anniversaire de l’adoption de l’acte constitutif de l’UNESCO, 16 novembre 2005.

44  C’est ainsi qu’en France, le code pénal sanctionne :
- désertion, trahison, espionnage (art. 411-1 du code pénal)
- outrage aux représentants de la nation, qu’il s’agisse de la Nation autochtone (article 433-5) ou d’une nation étrangère (loi de 1881, art. 37, outrage à diplomates étrangers).
- outrage au drapeau (art. 433-5-1) et à l’hymne national (code pénal, art. 433-5-1).
- discriminations (art. 225-1, 4 ; 225-19 ; 225-18) ;
- haine raciale ou religieuse (art. 225-15-1) ;
- génocide (art. 211-1, 212-1, 213-1), et négation de génocide ;
- diffamation raciale et nationale (loi de 1881, art. 24, 32, 33, 48).

45  Grand Larousse du XIXe siècle : V° Nationalité.

46  R.CARRÉ DE MALBERG, La loi comme expression de la volonté générale, Sirey, 1939 ; v.aussi, G.BACOT, Carré de Malberg et l’origine de la distinction entre souveraineté du peuple et souveraineté nationale, CNRS,1985 ; H.TEMPLE, op.cit., Théorie générale...,op.cit., p. 239 et s.

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