N°27 / Religion et politique Juillet 2015

« Croyances religieuses, rites et superstition répondent-ils à un besoin de contrôle ? »

Emmanuèle Gardair

Résumé

Si la religion catholique se démarque de la superstition en condamnant le recours à certains rites considérés comme païens, certaines pratiques religieuses orientées vers un but pragmatique restent toutefois proches de la superstition. Alors que la superstition renvoie à des croyances considérées comme infondées, par opposition à la science, mais également par l'écart avec les dogmes religieux, les pratiques et les rites admis par l’institution ; la frontière entre religion et superstition est en réalité poreuse. Croyances superstitieuses, croyances religieuses et pratiques magico-religieuses mises en œuvre par les individus entretiennent en effet des liens complexes. L’étude suivante examine leurs caractéristiques avec l’hypothèse que le besoin de contrôle d’un environnement incertain constitue une variable médiatrice expliquant le recours aux croyances superstitieuses et aux rites religieux-superstitieux.

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Introduction

« La superstition est à la religion ce que l'astrologie est à l'astronomie, la fille très folle d'une mère très sage » (Voltaire, 1767, pp. 129-130). »

Les liens entre religion et superstition faisaient déjà l’objet des réflexions des philosophes des Lumières. Avec une approche psychosociale, l’étude suivante se propose d’examiner l’hypothèse qu’un même besoin de contrôle d’un environnement incertain serait à l’origine de pratiques religieuses superstitieuses et de la référence à des croyances superstitieuses d’où découle le recours à des pratiques magiques.

La superstition peut être définie comme l’ensemble des croyances s’écartant des normes dominantes dans les communautés religieuses et scientifiques (Askevis-Leherpeux, 1988). Elle renvoie alors à des croyances considérées comme infondées, par opposition à la science, mais également à l'écart avec les dogmes religieux et surtout avec les pratiques et rites admis par l’institution. La superstition découle de la pensée magique. D’un point de vue psychosocial, elle peut être définie comme un processus d’adaptation basé sur le contrôle de l’interaction entre le sujet et son environnement, opérationnalisé par un ensemble de croyances probabilistes liées essentiellement aux notions de chance et de malchance et propre à une culture donnée (Gardair, Roussiau, 2014).

Historiquement, la religion catholique a plusieurs fois clarifié les rites admis par l’institution en les distinguant des pratiques assimilées à des superstitions. Elle a cependant composé avec d’anciennes croyances et pratiques populaires. Elle a ainsi choisi la date du solstice d’hiver, correspondant à des fêtes païennes, pour le jour de Noël symbolisant la naissance du Christ... Elle a également substitué le culte des saints, que les fidèles invoquent en recherchant leur protection, encadré par la suite au XVIème siècle, à celui des héros mais a rejeté d’autres pratiques parfois assimilées à de la sorcellerie comme à la fin du moyen-âge, le culte du Diable ou la fabrication de poupées dagydes… Dans le cas de pratiques dénoncées par l’église, le 8 juin 2012 le quotidien régional « Ouest-France » signalait la comparution au tribunal pour abus de confiance et recel d’une femme se prétendant messagère de Marie qui réunissait jusqu’à 700 personnes par mois en Loire-Atlantique à Vallet. Mais d’autres pratiques superstitieuses sont tolérées ainsi que le montre quelques autres exemple relevés dans le même quotidien : l’organisation de processions pour faire venir la pluie à Meslay-du-Maine en Mayenne (Ouest-France, 4 et 5 juin 2011), la bénédiction de véhicules à Pontmain en Loire-Atlantique (Ouest-France, 11 juillet 2011), ou celle d’animaux à Ménil-Froger à l'occasion de la Saint-Roch (Ouest-France, 14/08/2014). La superstition religieuse concerne aussi bien ce genre de cérémonies collectives, que des pratiquesindividuelles comme le fait de faire un vœu en mettant un cierge à l’Eglise.

Ces derniers exemples montrent que de nos jours, la superstition et la religion continuent à entretenir des liens de proximité.

Liens entre croyances religieuses et superstitieuses

Même si la religion renvoie à un dogme et à un ensemble de croyances et de pratiques ritualisées partagées par un groupe (Beit-Hallahmi, Argyle, 1997), en dehors de l’institution, subsistent de nombreuses croyances superstitieuses se référant à la Bible. De nos jours, leur origine a été souvent oubliée et la croyance superstitieuse qui en découle est transmise par la culture populaire (Mozzani, 1999). Par exemple, une des explications disponible à propos du fait de croire que passer sous une échelle porte malheur renvoie au symbolisme de la Trinité (le Père, le Fils et le Saint-Esprit). L’échelle posée contre un mur forme un triangle sacré qu’il ne faut pas briser. Dans le même ordre d’idées, le trèfle à quatre feuilles peut évoquer la croix du Christ et les valeurs théologiques de charité, chance, foi et espérance. Quant aux croyances associées au Vendredi 13, initialement, elles renvoyaient probablement au nombre des convives lors de la Cène. La culture populaire a dénaturé la dimension originelle, souvent oubliée ou méconnue, et aujourd’hui ce jour est parfois considéré comme porte-bonheur. Il en va de même des actions consistant à protéger une maison en apposant un fer à cheval, dont le C rappellerait le Christ, à conjurer les risques d’accidents de voiture à l’aide d’une médaille de saint Christophe, à croiser les doigts (en référence à la croix du Christ) pour éloigner le mauvais sort, ou encore à porter une médaille de la vierge porte-bonheur…. Au quotidien, les pratiques religieuses superstitieuses répondant au souci de contrôle de l’environnement, basées sur l’idée de s’attirer l’influence considérée comme bénéfique de la Vierge et des saints et de repousser celle, maléfique, du Diable, perdurent. Deniau prend ainsi l’exemple d’une patiente qui organise sa vie selon une série de croyances jalonnant son temps. Son calendrier est celui des saints mais sa vie doit également se conformer à l’horoscope ; l'astrologie constituant une sorte de religion individuelle (Deniau, 2015). Ici, le point commun entre ces deux pratiques réside dans l’idée d’un destin gouverné par des puissances surnaturelles sur lesquelles l’être humain n’a pas prise.

Pour préciser la nature des liens entre pratiques superstitieuses et religieuse, on peut se référer à la définition qu’Askevis-Leherpeux propose (Askevis-Leherpeux, 1978). Elle distingue quatre types de croyances superstitieuses : les croyances occultes ou quasi-religieuses, celles portant sur des superstitions dites pures (par exemple les croyances attachées au vendredi 13 ou au trèfle à quatre feuilles), celles relatives aux erreurs scientifiques dont l’inexactitude pourrait facilement être démontrée (fausses croyances dans le domaine de la santé ou croyances relatives aux lois de l’hérédité) et celles renvoyant à des controverses scientifiques (croyances relatives à la graphologie, à la télépathie, aux OVNI…). A côté des superstitions dites pures ou traditionnelles, généralement liées à la culture du pays (comme la croyance à la vertu porte-bonheur du trèfle à quatre feuilles), un des champs d’étude de la superstition concerne donc les croyances occultes ou quasi-religieuses. Une enquête permet de formuler treize items renvoyant à des croyances et pratiques religieuses superstitieuses (Askévis-Leherpeux, 1981) :

1) Un enterrement célébré le vendredi porte malheur,

2) Si on récite sept dizaines de chapelets, on est sûr d’aller au ciel,

3) Le nombre de prières récitées à l’issue de la confession influe sur le pardon,

4) Les cimetières sont hantés par les mauvais esprits,

5) Il suffit de faire un pèlerinage pour obtenir une guérison,

6) Une médaille bénie porte bonheur,

7) Un enfant baptisé prend un bon départ dans la vie,

8)Posséder une image de la Sainte Vierge est une protection,

9) Quelqu’un qui a suffisamment de foi peut guérir un membre brisé,

10) Aller communier avant un examen peut aider au succès,

11) Bénir un bateau protège son équipage,

12) Faire brûler un cierge devant un saint nous permet d’espérer son secours,

13) Il est bon de faire célébrer des messes anniversaires pour ses défunts.

L’ensemble de ces pratiques vise à s’attirer une bonne fortune et on trouve dans cette liste seulement deux items négatifs (1 et 4) relatifs à des comportements à éviter.

Avec une autre approche, la littérature anglo-saxonne considère souvent les croyances superstitieuses et religieuses comme deux sous-dimensions des croyances au paranormal (Tobacyk, Milford, 1983 ; Tobacyk, Miller, Jones, 1984). La distinction entre paranormal et superstition, tient en partie aux objets évoqués ; le paranormal renvoyant à des capacités humaines psychiques particulières, à la sorcellerie et aux fantômes (Rice, 2003) alors que les pratiques superstitieuses concernerait davantage les rituels, amulettes et présages (Keinan, 2002) et plus généralement, toutes les actions visant à attirer la chance et éviter la malchance. Le point commun entre les croyances superstitieuses et paranormales réside cependant dans le recours à la pensée magique. Les échelles de croyances paranormales comportent une sous-dimension religieuse faisant référence à l’antagonisme entre Dieu et le Diable.

Au niveau de la population française globale, si la croyance en Dieu est en recul, par contre, les croyances liées à la vie après la mortprogressent ou se maintiennent. En 1999, par exemple, 18 % des Français déclaraient « croire à l'enfer ». De même, ils étaient 39 % à croire à une vie après la mort (Lambert, 2003). On retrouve plus récemment des résultats semblables avec un échantillon composé de 84 hommes et 117 femmes âgées de 13 à 71 ans et en moyenne de 28 ans, de catégories sociales variées (étudiants, ouvriers, employés, retraités…), pour moitié non croyants et moitié croyants interrogés en 2009 sur la crédibilité accordée aux items de la sous-dimension religieuse du questionnaire de Tobacyk (1988). Si les opinions relatives à la croyance en Dieu sont partagées, l’idée que l’âme continue à survivre suscite davantage d’adhésion et également de refus de se positionner.

Tableau 1 : Réponses moyennes aux items de la sous-échelle religieuse du questionnaire RPBS de Tobacyk.

Items du questionnaire

N’y croient pas

Ne savent pas

Y croient

L’enfer et le paradis existent

32,8 %

26,4 %

40,8 %

L’âme continue à vivre même si le corps meurt 

27 %

24,5 %

48,5 %

Je crois en Dieu

42,8 %

13,9 %

43,3 %

Le diable existe

51,2 %

19,2 %

28,8 %

En ce qui concerne la mesure ces croyances religieuses superstitieuses, avec une autre typologie que celle d’Askévis-Leherpeux, Renard distingue les croyances péri-religieuses et les croyances para-religieuses (Renard, 1998). Les croyances péri-religieuses sont des croyances religieuses dérivées de la religion dominante mais qui n’en constituent pas le socle fondamental comme les croyances relatives au diable, aux anges, aux démons ou aux miracles. Ces croyances ne font pas l’objet de dogmes et alimentent un merveilleux religieux populaire et traditionnel. L’adhésion à ces croyances est liée à un fort niveau d’intégration religieuse et à un niveau d’instruction peu élevé. Elles caractérisent des individus plutôt âgés et plus fréquemment des femmes. Ces individus n’adhèrent pas aux autres formes de croyances au paranormal (OVNI, phénomènes psy, formes de vie extraordinaires, etc.). Parmi les croyances para-archéologiques, seules celles qui se réfèrent à la Bible recueillent l’adhésion des croyants religieux : traces du déluge, recherche de l’arche de Noé, localisation du paradis terrestre, etc. Cette tendance est plus forte chez les fondamentalistes qui adoptent une lecture littérale de la Bible. En revanche, les croyances para-archéologiques non bibliques telles qu’en l’Atlantide, sont rejetées par ces croyants. En ce qui concerne les croyances para-religieuses comme l’astrologie ou la réincarnation, elles sont plus fréquentes en cas d’intégration religieuse moyenne et elles sont au plus bas lorsque l’intégration religieuse est soit très faible, soit très forte.

La nature des liens entre croyances religieuses et superstitieuses varie selon les études. Une position élevée sur une échelle de croyance religieuse peut s’accompagner d’une légère tendance à être superstitieux et à croire au paranormal (Rudski, 2003). Chez des étudiants aussi, les mesures de superstition comme la croyance en des forces externes contrôlant nos actions sont corrélées à celles de religiosité (Ellis, 1988). Différentes recherches semblent montrer que l’adhésion aux croyances superstitieuse pures ou superstitieuse dérivées de la religion dépend plus précisément du niveau d’intégration religieuse et de la régularité de la pratique cultuelle. Le lien entre fréquence de la présence à l’église et occurrence de la superstition est avéré par certaines études (Buhrmann, Zaugg, 1983). Une corrélation entre les croyances religieuses et cette forme particulière de croyances superstitieuses que constituent les croyances paranormales s’observe (Orenstein, 2002) ; ce lien étant inversé si l’on considère la fréquentation de l’Eglise. La corrélation n’existerait que chez les croyants qui ne sont pas des pratiquants réguliers (McKinnon, 2003). On constate ainsi que chez les catholiques pratiquants et les athées, les croyances au paranormal ou dans l’astrologie sont rares. Elles sont par contre plus fréquentes chez les croyants non pratiquants ou les individus agnostiques sans religion (Boy, Michelat, 1986 ; Michelat, 2001). La pratique irrégulière de la religion semble liée à l’attachement à des croyances qu’on peut qualifier de superstitieuses. Observant plus précisément le lien entre croyances pseudo-scientifiques ou paranormales et religiosité, Kapferer et Dubois constatent que la croyance aux soucoupes volantes et aux OVNI concerne environ un tiers de croyants catholiques pratiquants réguliers, un tiers de pratiquants occasionnels et un tiers de croyants non pratiquants (Kapferer, Dubois, 1981). Quant à la croyance que « le soleil tourne autour de la terre », elle est plus élevée chez les pratiquants irréguliers ou chez les non pratiquants que chez les pratiquants réguliers. Un bricolage pragmatique se traduit notamment chez les jeunes moins intégrés dans la religion par l’association de croyances religieuses, de croyances pseudo-scientifiques ou à composantes superstitieuses et de croyances scientifiques (Boy, 2002). Ce sont également ces jeunes qui se montrent les plus croyants pour certains items. L'enquête de 2002 montre ainsi qu'ils étaient désormais 30 % à croire au paradis (contre 18 % en 1981), et 20 % à croire à l'enfer (contre 10 % en 1981).

La valeur d’une croyance semble alors surtout liée à son utilité pour l’individu et à sa capacité à lui apporter du réconfort, à lui fournir des explications face aux difficultés rencontrées, à contribuer à la recherche d’un bonheur personnel et à donner un sens à sa vie (Champion, 2001). Elle échappe aux régulations sociales et au contrôle de l’Eglise pour répondre à un besoin pragmatique de contrôle.

Tableau 2 : Récapitulatif des recherches sur les liens entre croyances religieuses et superstitieuses

Auteurs

Thème de recherche

Résultats

Boy et Michelat (1986)

Religion et astrologie.

48 % des croyants en Dieu croient à l’astrologie contre 32 % des athées.

Boy, (2002)

Croyances religieuses et pseudo-scientifiques.

L’association de ces croyances concerne davantage les jeunes.

Buhrmann et Zaugg (1983)

Fréquence de la présence à l’église.

 Liée à la superstition.

Finlayson et Graetz-Simmonds (2006)

Effet des croyances monothéistes, polythéistes et rationalistes sur les croyances paranormales.

Les croyants aux religions alternatives ont des croyances plus élevées dans le domaine des pouvoirs psychiques, de la sorcellerie, du spiritualisme, des formes de vie extra-ordinaires et des précognitions que le groupe des croyants aux religions dominantes.

Jones, Russel et Nickel (1977)

Croyances superstitieuses surnaturelles et religiosité

 Pas de relation mise en évidence.

Kapferer et Dubois (1981)

Croyances religieuses et pseudo-scientifiques

Les croyances pseudo-scientifiques concernent davantage les croyants peu ou non pratiquants (35 %) que les croyants pratiquants (28 %).

Lindeman et Aarnio (2007)

Attribution de caractères physiques ou biologiques à des entités psychologiques ou physiques par des sceptiques ou croyants.

Les croyants attribuent plus facilement que les sceptiques des traits physiques ou biologiques à des phénomènes mentaux et plus de caractéristiques mentales aux objets.

Lindeman, Svedholm-Häkkinen, Lipsanen (2015)

Confusions ontologiques, croyances religieuses, paranormales et en un but surnaturel.

Croyances religieuses et surnaturelles sont fortement associées.

Michelat (2001)

Croyance aux pseudosciences :

Croyance en l’astrologie :

- 41 % des sans religion, 39 % des croyants non pratiquants, 25 % des catholiques, 18 % des athées

- 46 % des catholiques les moins intégrés, 40 % des pratiquants réguliers, 37 % des sans religion

McKinnon (2003)

Pratique religieuse active

Lien négatif avec la superstition.

Orenstein (2002)

Croyancesparanormaleset fréquentation de l'église

Corrélation entre les croyances religieuses et paranormales observée chez les pratiquants irréguliers.

Renard (1998)

Typologie des croyances paranormales selon le type de croyance (péri-religieuses, parareligieuses et croyance aux pseudosciences)

- Forte intégration religieuse, croyants péri-religieux : pas d’adhésion aux croyances paranormales relatives aux formes de vie extraordinaires mais adhésion aux croyances para-archéologiques relatées dans la Bible

- Intégration religieuse moyenne, croyances parareligieuses fortes

- Intégration religieuse faible : croyances parareligieuses faibles.

Rudski (2003)

Niveau de croyances religieuses et croyances au paranormal.

Lien positif entre ces types de croyances.

Rudski (2004)

Superstition et religiosité.

Lien entre pessimisme, superstition et faible religiosité.

Sjöberg et af Wahlberg (2002)

Croyances superstitieuses New-Age.

Corrélation entre les superstitions traditionnelles et le questionnement religieux existentiel.

Willard et Norenzayan (2013)

Croyances en un but et croyances paranormales

Croyance en Dieu prédisant les événements

Les processus sociocognitifs à l’origine des croyances religieuses superstitieuses

Dans sa version traditionnelle et populaire, la superstition peut offrir l'illusion de contrôler les situations et événements de la vie quotidienne. En permettant d’établir un lien de causalité entre des faits, des mots, des objets ou des événements qui sont en réalité sans relation de contingence, la superstition est dotée d’une fonction adaptatrice et permet de répondre au manque de contrôle effectif ou au sentiment d’impuissance en renforçant le contrôle perçu et en réduisant l’inquiétude découlant d’un sentiment d’impuissance (Askevis-Leherpeux, 1989 ; Randall, Desrosiers 1980 ; Rudski, 2004 ; Sosis, Strickland, Haley, 1980). La superstition, semble donc répondre au besoin de contrôle des individus (Dubois, 1987) en permettant de fournir une illusion de contrôle (Langer, 1975) en situation d’incertitude ou d’inquiétude et de stress.

On peut supposer que certains rites religieux répondent au même besoin. La persistance de pratiques superstitieuses pures ou religieuses superstitieuses pourrait s’expliquer par leur capacité à soulager les inquiétudes du quotidien car la religion seule n’offre aux croyants qu'une réponse à leurs inquiétudes existentielles (Greenberg, Arndt, Schimel, Pysczynki, Solomon, 2001 ; Greenberg, Solomon, Pysczynki, 1997).

Comme toutes les croyances, les croyances religieuses s’écartent de la pensée rationnelle et scientifique et fonctionnent en recourant à la pensée magique basée sur les principes d’association et de contagion (Rozin, Millman, Nemeroff, 1986). De nombreux éléments des croyances religieuses (comme l’idée que l’âme survit après la mort, la croyance en la résurrection du Christ, aux miracles) ou des pratiques religieuses comme aller en pèlerinage à Lourdes dans l’espoir d’une guérison miraculeuse et allumer un cierge pour obtenir la réalisation d’un vœu remettent en question le principe des causalités biologiques et physiques et reposent sur des confusions ontologiques (Lindeman, 2007).

Un courant de recherche cognitiviste considère que les croyances religieuses, paranormales et en un but surnaturel sont le produit de l’évolution.et relèvent des mêmes processus cognitifs. Boyer et Baumard postulent que les processus cognitifs sont semblables pour toutes les croyances (Boyer, Baumard, 2013) : elles ne peuvent être infirmées contrairement aux énoncés scientifiques car elles reposent sur des intuitions et sont le fait d’individus plus intuitifs que réflectifs (Gervais et Norenzayan, 2012). Il s’agit de représentations mentales focalisées sur des agents surnaturels.

Ces croyances, relevant de l’intuition plutôt que de la réflexion, sont alors considérées comme des biais cognitifs. Le dualisme, c’est à dire l’intuition que l’esprit est séparé du corps, constituerait un bon prédicteur de ces croyances et dans une faible mesure la téléologie, c’est-à-dire le déterminisme ou la tendance à voir les événements comme se produisant selon un but, également. Le lien avec les capacités mentales à inférer l’état mental d’autrui, qui suppose que des agents surnaturels comme Dieu ou des esprits peuvent comprendre les désirs des hommes, n’est par contre pas significatif (Willard, Norenzayan, 2013). Ce n’est pas le cas des résultats d’une autre étude qui ne se contente pas d’opérationnaliser ce dernier facteur par la mesure de l’empathie à l’égard d’autrui mais inclut aussi l’interaction avec l’environnement physique (Lindeman, Svedholm-Häkkinen, Lipsanen, 2015). En définitive, pour Lindeman et ses coauteurs, ce sont des confusions ontologiques, constituant des biais cognitifs, qui sous-tendraient les croyances religieuses et paranormales en attribuant les caractéristiques de phénomènes physiques à des phénomènes mentaux et vice-versa. On rejoint alors l’idée que la superstition découle d’une pensée de type magique.

Nombre de croyances religieuses superstitieuses semblent relever de cette pensée magique. Ainsi, le fait de toucher les reliques des saints ou d’embrasser les statues les représentant pour bénéficier de leur protection peut par exemple s’expliquer par l’extension du principe magique de contagion. La loi de contagion suppose en effet que des pensées, des mots ou actions peuvent avoir un effet physique indépendamment des principes de transmission ordinaire d’énergie ou d’information. (Zusne et Jones, 1989 ; Rozin, Markwith, Ross, 1990 ; Rozin et Nemeroff, 1990). La croyance magique suppose que les vertus associées au saint dont on touche l’image, la relique ou la statue bénéficieraient à la personne.

D’autres pratiques liées à la croyance religieuse découlent d’intuitions morales et font référence à l’idée que Dieu voit tout ; c’est le cas de la flagellation ou du fait de faire un don à l’Eglise. Elles peuvent s’expliquer par le principe de compensation : si l’on a causé un dommage à quelqu’un qu’il n’est pas possible de réparer, s’auto-infliger de la souffrance sera vécu comme une façon de rétablir l’équilibre (Baumard et Boyer, 2013).

Les pratiques religieuses superstitieuses au quotidien semblent donc découler du recours à des croyances irrationnelles et à la pensée magique. Dans la vie quotidienne, les recours à l’irrationnel sont à l’œuvre en particulier dans les situations de non contrôle cognitif face à des données non explicables de prime abord, quand les individus sont placés en situation de « résignation acquise » (Seligman, 1975) ou de « déréliction » (Deconchy, Jorf et Oung, 2000 ; Deconchy, 2004 ; Deconchy, 2006). Les études montrent que, dans cette situation, les individus ont davantage tendance à se référer à des explications de type irrationnel(Deconchy et Hurteau, 1998). Le fait de recourir à la pensée superstitieuse semble alors constituer une stratégie adaptative pour faire face à l’incertitude et se protéger de la résignation acquise. Il permet de rendre signifiants des événements et expériences de la vie quotidienne. Ce recours est alors parfois considéré comme un biais cognitif, constituant un filtre de la réalité en vue de protéger la sécurité émotionnelle des individus. Certaines pratiques religieuses superstitieuses, découlant des mêmes biais cognitifs, dans une tentative de conjurer le mauvais sort ou de s’attirer des bienfaits, répondraient au même processus adaptatif.

Une illustration expérimentale des liens entre croyances religieuses, croyances superstitieuses et attitude superstitieuse

Afin d’étudier les liens entre la croyance religieuse, la croyance superstitieuse et l‘attitude superstitieuse, 203 étudiants en sciences humaines d’âge moyen 20,91 ans (σ = 3,31) tous volontaires pour participer à la recherche ont rempli un questionnaire anonyme en 2014. Une description de la procédure et l’explication de leurs droits en tant que participants précédait leur signature pour accord. Le questionnaire était présenté aux étudiants avec l’objectif de mieux connaître leur attitude par rapport à la chance et leur point de vue sur leur qualité de vie à l’université. Parmi d’autres questions relatives au thème, ils devaient également indiquer leur degré d’accord, sur une échelle d’attitude superstitieuse de quatre items allant de 0 (pas du tout d'accord) à 4 ( tout à fait d'accord), avec des items relatifs à l’utilisation de rituels ou à la possession d’objets portant chance, à la possibilité d’une conduite superstitieuse occasionnelle et au fait d’être considéré(e) comme superstitieux ou superstitieuse. Ces items renvoient à la dimension conative. Sur le versant cognitif, une échelle de croyances superstitieuse était présentée. Elle était composée de trente-six items issus de l’échelle RPBS de Tobacyk (1988), de l’enquête TNS Sofres (2008) et de l’échelle d’Askévis-Leherpeux (1978). Les étudiants devaient indiquer pour différents événements, s’ils considéraient qu’ils portent malheur, chance, ou s’ils les laissaient indifférents.Ils précisaient également s’ils étaient croyants et si oui, à quelle religion ils appartenaient. A l’issue de la passation, les étudiants qui souhaitaient être informés des résultats de la recherche ont laissé leurs coordonnées et un debriefing a eu lieu.

Les résultats permettent de considérer que la fiabilité de l’échelle d’attitude superstitieuse (α = 0,82) et celle de croyances superstitieuses (α = 0,93) sont satisfaisantes. Globalement, l’attitude moyenne des étudiants ne relève pas de la superstition (m = 1,14 ; σ = 0,72) et ils sont peu superstitieux (m = 0,37 ; σ = 0,33).

En ce qui concerne la croyance religieuse, seuls 53 étudiants se sont déclarés croyants avec une majorité de chrétiens.

Les résultats mettent en évidence un lien entre croyance religieuse et attitude superstitieuse (F (1, 199) = 7,02 ; p < 0,01) ; les non croyants (m = 1,07) étant moins superstitieux que les croyants (m =1,38). Par contre, croyants et non croyants ne se distinguent pas quant à l’adhésion aux croyances superstitieuses (F (1, 199) = 0,57 ; ns). La différence porte donc sur la dimension conative de l’attitude et non sur la dimension cognitive.

Même si globalement, la population interrogée est peu superstitieuse et peu croyante, l’étude permet de mettre en évidence le lien entre attitude superstitieuse et croyance religieuse alors qu’aucun lien significatif n’apparait entre croyances religieuses et superstition ce qui va dans le sens d’études antérieures (Gardair, 2013). Le lien entre attitude superstitieuse et croyance religieuse demande toutefois à être précisé en interrogeant un plus grand nombre de croyants. Il conviendrait également de distinguer, dans des études ultérieures, les étudiants selon la régularité de la pratique religieuse. Il est possible cependant que la religion reposant sur des rituels, le lien avec des pratiques superstitieuses soit plus facile que celui avec des croyances superstitieuses plus ou moins détachées de références à la religion. Si les croyants disposent d’une explication du monde offerte par la religion, ils ont sans doute moins besoin de recourir à d’autres croyances relevant de la superstition pour donner un sens à leur vie mais éprouvent toujours le besoin de contrôler l’incertitude du quotidien ; d’où le recours potentiel à des rituels religieux ou superstitieux qu’il conviendra de mieux distinguer par la suite.

Conclusion

Dans la conception de William James, la religion est avant tout une expérience et non un dogme. Il considère que les croyances religieuses sont d'abord utiles, accompagnant les croyants et les aidant à surmonter les épreuves de la vie ; une de leurs fonctions majeures étant d'apporter la sérénité (James, 1901-1902). Ce point de vue se rapproche de l’idée que les rituels, qu’ils soient religieux superstitieux ou purement superstitieux peuvent répondre à un besoin de contrôle de l’environnement et constituer une réponse face à l’incertitude.

Sans aller jusqu’à réduire les croyances religieuse à des biais cognitifs (Willard, Norenzayan, 2013) car elles comportent aussi une dimension sociale et affective liée à l’expérience collective vécue lors de cérémonie, les pratiques religieuses superstitieuses s’expliqueraient alors par le même besoin de contrôle de l’incertitude qui est à l’origine du recours à la superstition et constitueraient ainsi également le reflet d’une pensé magique. La référence à la religion consiste à donner forme à des pratiques qui restent fondamentalement de type superstitieux.

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