Charles Coutel, avec la collaboration de Mokhtar Ben Barka et Olivier Rota, Le Fanatisme religieux du XVIe siècle à nos jours. Étudier, comprendre, prévenir, éd. Artois Presses Université, 192 p., 19 €.
Peut-on prévenir le fanatisme religieux ? Cette question, d’une triste actualité au vu de l’expansion du fanatisme islamiste, n’est pas nouvelle. Voltaire, défenseur de Callas et du Chevalier de la Barre, victimes de l’intolérance religieuse de leur temps, estimait que "le fanatique n’est qu’un Tartuffe, les armes à la main".
Mais les Tartuffe d’aujourd’hui sont des barbares. Pour autant, il convient pour les combattre d’étudier et de comprendre les conditions d’émergence du concept même de fanatisme. Tel fut l’objet d’un colloque organisé en février 2015 dont les études réunies par le philosophe Charles Coutel, avec la collaboration de Mokhtar Ben Barka et Olivier Rota, viennent d’être publiées.
Les diverses contributions étudient le processus de fanatisation, principalement dans le christianisme. Celle de l’historien Samuel Tomeï porte sur l’action de Sébastien Castellion, qui sut tenir tête à Calvin. Le philosophe Cyril Selzner s’intéresse aux quakers dans l’Angleterre du XIXe siècle. François Raviez, spécialiste de littérature du XVIIIe siècle, étudie la matrice du discours fanatique pris dans le piège de l’outrance verbale. Avec Bruno Béthouart, le champ s’ouvre aux décisions arbitraires, exécutions, contraintes sur les corps de la politique de déchristianisation de l’An II. Ainsi, comme le rappelle Coutel, "Condorcet, au cœur de la Révolution française, dénonça très vite le risque de voir la jeune République se transformer en "une religion politique" fascinée par la violence autoritaire du modèle spartiate".
"La meilleure des causes peut devenir le point de départ d’un nouveau fanatisme et la lutte contre le fanatisme peut elle-même conduire au fanatisme", estime en effet Charles Coutel. Si, selon la formule de Clemenceau, "la Révolution est un bloc", Coutel lance cet avertissement : "La fureur de croire, fût-ce en la raison, ne peut-elle devenir mortifère ?"
La triste expérience des sociétés communistes soviétique et chinoise ou de l’Allemagne nazie en témoigne. D’où la nécessité de comprendre comment le fanatisme religieux peut ressurgir hors de la religion par un jeu de "transfert de sacralité" du religieux vers le politique, comme nous y invite dans son introduction le directeur de l’Institut d’étude des faits religieux (IEFR) de l’université d’Artois.
Pour l’heure, la menace fanatique a un nom : l’islamisme. Pierre-André Taguieff dans un récent ouvrage remarquable (L’Islamisme et nous, ed. du CNRS) décortique méticuleusement le processus [1]. De son côté, Charles Coutel met en garde contre toute interprétation sommaire dont nous savons qu’elle nourrit une vision xénophobe. "Toute religion est menacée par le risque de fanatisme mais cette dégradation n’est jamais inéluctable. Le fanatisme n’est pas inscrit dans le "programme génétique" des religions dès lors qu’elles combattent le fanatisme en leur sein", écrit-il.
Le fanatisme est le plus redoutable des maux humains. "Le fanatique est un drogué de la certitude. Il ne supporte pas d’écart entre son idéal et la réalité", estime pour sa part Jean-Luc Blaquart, de l’Institut catholique de Lille, qui cite le philosophe Alain, pour qui le doute, le risque et l’incertitude sont inhérents à l’exercice de la liberté. Ajoutons que si le fanatisme porte toujours un projet totalisant et totalitaire, finalisé dans les têtes, la liberté repose sur l’idée de l’inachèvement.
"Etudier, comprendre, prévenir" et à cette fin, instruire. Coutel, sur les traces de Condorcet dont il est un des éminents spécialistes, retrouve là un de ses thèmes les plus chers. C’est par l’instruction qu’il s’agit de rendre impossible l’apparition et le développement du fanatisme et d’ouvrir la voie à une authentique fraternité. D’où l’ardente nécessité de restituer l’école de la République [2]. Vite.