N°31 / numéro 31 - Octobre 2017

Lacan et la politique, Editons Erès, 2017, Jean Louis Sous

Alain Deniau

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Lacan se situe comme un penseur, au-delà de la politique, même s’il note souvent que le contexte social détermine notre pensée. Il ne dit pas explicitement quelle est son orientation politique, mais en scrutant ses écrits, on remarque assez vite que la politique n’y est pas absente. On peut discerner le contexte politique et sociétal qui détermine la vie sociale, la politique institutionnelle pour former et rassembler autour de lui les analystes mais aussi le jugement politique qu’il porte vers l’extérieur pour susciter et soutenir l’expansion de la psychanalyse.

Il se réfère à l’idéologie politique comme à un texte pour y trouver de quoi la décrypter. En retour, il utilise un mot de ce texte comme appui pour construire le lien entre le Réel de l’inconscient et la réalité. Le mot qu’il prend dans la théorie politique comme analyste construit la continuité de l’inconscient entre deux champs a priori éloignés, la psychanalyse et la politique.

Jean Louis Sous prend cette ligne de lecture. Lacan a construit sa théorie par des emprunts qui font des ruptures, des sauts. Ils ne sont pas des métaphores, appuis pour l’imaginaire. Lacan fait entrer ces emprunts dans le Symbolique, c’est à dire dans la langue de la psychanalyse. Ils y deviennent des concepts qu’il introduit dans sa construction de l’inconscient.

Dans son emprunt à la théorie marxiste, Lacan enrichit le concept de jouissance latent dans la théorie freudienne par la notion de plus value. Si, pour Marx, le capitaliste construit sa richesse et sa force sur la plus-value qu’il prend au prolétaire, le sujet de l’inconscient, selon Lacan, vise un espace en l’autre, mal repérable, qu’il nomme le plus-de-jouir. Ce plus de jouir est le moteur du désir. Il ne s’agit pas d’un hédonisme qui serait un plus de plaisir, mais de l’irreprésentable que le sujet détache de ce qui lui vient de l’autre. Ce en plus du signifiant est aussi ce que Lacan désigne par le petit a.

Jean Louis Sous consacre un chapitre à l’étude de Victor Klemperer sur « l’infection de la langue » et du vocabulaire allemand par la volonté politique nazie de transformation de la réalité. Lacan en introduisant un usage spécifique des mots pour son invention théorique et sa mise au jour de l’inconscient a un double objectif. Il veut que le concept en construction se dégage de la gangue de résistance que produit l’usage de la langue. Par exemple, le Réel délimité par la pulsion trouve dès lors un écho dans la pratique de la langue et donc se différencie du mot réel usage commun du mot réalité.

Par cette pratique d’une langue spécifique devenue d’accès plus difficile, Lacan agit une pratique sociale, donc politique. Toutefois cette démarche de préciosité qui a souvent été qualifiée de conceptisme dans le sillage de Baltazar Gracián court le risque d’être réduite à des formules lapidaires utilisées comme slogans.

La pratique des citations tronquées, pratique très fréquente des épigones de Lacan, fait ressortir, par contraste, sa scrupulosité et son respect des auteurs qu’il cite. Jean Louis Sous s’appuie sur J.-F. Lyotard pour montrer que toute citation est soutenue par une visée politique. On doit donc en déduire que Lacan poursuit une démarche politique que malheureusement l’auteur n’approfondit pas. En effet, Lacan cite souvent avec jubilation des auteurs inaccessibles. Il affirme ainsi une position de maître, alors que ses « citateurs » montrent leur assujettissement en ne travaillant pas le contexte.

La phrase « L’inconscient, c’est la politique » est ainsi devenue un slogan, partant d’un mot trop riche de sens, l’inconscient, pour un mot à définir la politique, qu’il faudrait différencier du politique. Il est nécessaire, pour que la Kultur, au sens freudien de civilisation, s’engage dans un mouvement où le Symbolique, qui est ce qui se construit entre les humains, gagne sur la pulsion de destruction, que la parole du sujet soit soutenue par la parole entre tous. La parole démocratique est donc le reflet nécessaire de la construction de l’inconscient. Nous savons par la réflexion sur l’Histoire que la démocratie est menacée par trois aspects de l’activité humaine : le déferlement pulsionnel qui ouvre la porte de l’enfer et de la tyrannie, la fascination pour un chef charismatique qui entraine la collectivité dans les voies de son propre inconscient et enfin la dimension acéphale du capitalisme qui porte vers l’une ou l’autre des voies antidémocratiques.

En prenant l’angle de la valeur, Jean-Louis Sous porte sa réflexion sur les signes du capitalisme selon Marx et Weber. Par ce détour, il fait entendre en quoi Lacan s’interrogeant sur la pulsion décrit une position politique du psychanalyste. Il peut conclure son chapitre sur la place du psychanalyste dans la société comme le représentant d’une hétérotopie. Il écrit ainsi : « Si l’inconscient, comme nous le dit Lacan, c’est la politique, alors, c’est peut-être à travers cette politique hétérotopique, ces régimes d’hétérotopes, que l’analyste peut trouver le lieu de son exercice. »

La construction du livre de Jean Louis Sous est le reflet de cette hétérotopie. Il lit la politique dans la démarche lacanienne depuis l’usage des mots de Lacan éclairés et contextualisés, non pas par Lacan ou d’autres psychanalystes, mais par la philosophie. Il étaye ce cheminement par de nombreuses et riches notes qui le portent vers les philosophes contemporains, en particulier Foucault, Lyotard, Agamben.

Un petit livre dense et fructueux.

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Un dragon sur le divan, Chronique d’une psychanalyste en Chine, Pascale Hassoun. Editions ères, 2017, 284 pages

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