N°31 / numéro 31 - Octobre 2017

Un dragon sur le divan, Chronique d’une psychanalyste en Chine, Pascale Hassoun. Editions ères, 2017, 284 pages

Alain Deniau

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La Chine continentale n’est plus une Terra Incognita pour la psychanalyse. Plusieurs de ses villes, bien après Taïpe (Taiwan) qui a reçu et formé des psychanalystes à l’américaine, selon les normes de l’Association Psychanalytique Internationale, accueillent des « psychanalystes-missionnaires » portant le flambeau du dévoilement de l’inconscient. Ils sont lacaniens et particulièrement venus de France. « Serais-je dans une attitude de missionnaire ? Mes livres de psychanalyse seraient-ils ma bible ? » s’interroge Pascale Hassoun qui relate dans son livre Un dragon sur le divan son expérience de la transmission de la psychanalyse à l’Université de Chengdu. Dans cette Université, le département de psychologie est dirigé par M. Huo Datong qui était venu à Paris pendant quatre années, jusqu’à un doctorat. Il a pu ainsi faire une psychanalyse avec Michel Guibal.

Pendant treize ans ans, Pascale Hassoun s’y est rendue pour des séjours d’environ trois semaines par an. Dès ses premières lignes, elle écrit : « Mes bibles freudiennes et lacaniennes à la main, je suis partie en 2003 évangéliser la Chine. » Elle y a enseigné les concepts fondamentaux de la psychanalyse et a transmis, par des consultations et des supervisions cliniques d’adultes, de couples et d’enfants, les bases de la pratique psychanalytique. Elle a ainsi formé quelques psychanalystes qui ont été ses assistantes et ses traductrices.

Pascale Hassoun se heurte d’emblée aux multiples aspects de la traduction : l’inconscient transmis déjà est une traduction, comme le passage du rêve au récit. L’écart culturel, que décrit François Julien, est majoré par les filtres des intervenants, leur propre inconscient et leurs références culturelles. De même que les Jésuites du XVIIème, entrainés par Matteo Ricci, ne parvenaient pas à traduire en chinois le mot Dieu, Pascale Hassoun affronte l’impossible traduction des mots phallus, castration ou même sujet. Chacun de ces concepts doit être redéfini pour ne pas glisser vers une compréhension approximative qui mettrait la future psychanalyse chinoise sur les rails d’une déviation du sens, comme ce fut le cas avec les premières traductions de Freud.

Pascale Hassoun fait part de plusieurs exemples cliniques essentiellement venus de ses consultations et de ses supervisions. Elle accède ainsi à l’intimité de la pensée chinoise. La raison confucéenne dans le respect de la dette aux parents et la soumission à leur autorité produit une inhibition qui peut devenir conflictuelle avec l’exigence d’une société en rapides transformations superficielles. Elle a été invitée dans les écoles pour écouter les mères dans des groupes de parole. Elle nous communique la pression portée sur l’enfant unique par les deux générations dont il est le précieux objet.

Entre les lignes, on perçoit aussi le besoin d’identification féminine de ces femmes intellectuelles écartelées entre une tradition confucéenne et la soif de connaissances qui révolutionnent leur cadre de pensée. D’année en année, Pascale Hassoun accompagne ses interlocutrices qui seront les psychanalystes de demain en Chine. Elle est une passeuse. Mais dans quelle visée ? L’analogie avec les Jésuites peut être poursuivie. Catholique signifie universel. Matteo Ricci souhaitait transmettre l’essentiel du christianisme en l’adaptant à la culture et à la langue, ce qui aurait pu réussir si Rome, avec Clément XI, ne s’y était pas opposé. Il faudra attendre que l’usage des langues vernaculaires soit autorisé dans le rite romain, plus de deux siècles plus tard par Pie XII. Ainsi, en Chine, la pratique de la psychanalyse n’est pas divan/fauteuil, mais fauteuil/fauteuil, séparés par une plante verte, gage de la permanence de la vie.

Quelle est aujourd’hui la visée des psychanalystes qui vont en Chine ? Pascale Hassoun y répond très partiellement. Son livre rend compte d’une attente de l’inconnu et d’une passion pour la psychanalyse. Qu’est ce que le féminin dans une autre culture ? Comment, dans une attitude d’écoute non directive et par une attention aux réactions subjectives de souffrance, se font entendre les positions du sujet, en particulier celles de la femme, de la mère et de l’enfant.

Le livre de Pascale Hassoun nous enseigne aussi sur la réception d’une culture par une autre culture. Si l’ouverture de la Chine à une autre culture est maintenant possible, la démarche de la psychanalyse nous fait comprendre après-coup le sens de sa fermeture lorsque le principe de l’accomodation des Jésuites a été refusé par le pape Clément XI, en 1715. L’empereur de Chine a parfaitement entendu que ce refus exprimait le principe de la domination d’une culture sur une autre. En 1717, il a interdit aux Jésuites de continuer leur apostolat. L’église chinoise est devenue clandestine.

Cette démarche missionnaire aurait pu concerner aussi le monde de l’Islam. La psychanalyse est entrée aux marges du monde arabe grâce à des passeurs francophones formés dans les deux cultures, tels le tunisien Fethi Ben Slama aujourd’hui, les égyptiens Mustafa Safouan, traducteur de L’interprétation des rêves, et Jacques Hassoun, émigrés en France, et grâce aux psychanalystes du Liban et du Maroc.

On peut à l’inverse remarquer que se rejoue sans cesse avec l’Islam du Moyen Orient une impossible réinvention de la psychanalyse à partir de la langue arabe, faute d’une accomodation de la psychanalyse aux spécificités de la culture islamique que vient majorer à l’écart entre la langue écrite sacrée et la langue parlée, comme le souligne Z. Bessaih.1

Le livre de Pascale Hassoun montre que la transmission de la psychanalyse, si elle s’appuie sur des avancées théoriques, reposera sur l’appropriation par les Chinois de la méthode psychanalytique pour la réinventer dans leur langue. Les germes paraissent déjà féconds, mais dans les pays d’Islam est-ce que ce sera possible ?

1  Zoubida Bessaih, La possibilité d’une psychanalyse lacanienne en langue arabe, 26 octobre 2015,  Hebdo Blog 48, Regards

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