N°34 / Avenir de la démocratie Janvier 2019

Rousseau : le principe de séparation au fondement de l'intérêt général

Stéphane Corbin

Résumé

DOSSIER : L'AVENIR DE LA DEMOCRATIE

Les interprétations classiques de la philosophie de Rousseau se donnent le plus souvent comme objectif de saisir un principe d’unité auquel elle pourrait être ramenée. Il en va ainsi de ces exégèses qui cherchent la cohérence dans l’unique promotion de l’individu libéré des contraintes sociales ou bien, à l’inverse, dans la félicité publique d’une société réalisant la parfaite concorde de ses membres, fût-ce au péril de leur liberté naturelle. On peut voir dans ces tendances opposées l’expression d’un paradoxe

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DOSSIER : L'AVENIR DE LA DEMOCRATIE

­Stéphane Corbin est maître de Conférences en sociologie à l'université de Caen et co-directeur de la revue Mana, de socio-anthropologie de l’université de Caen.

SOMMAIRE

Quelle liberté ?

Quelle altérité ?

Quelle réciprocité ?

Conclusion

« Hommes et sujets à l’erreur ainsi que moi, sur quoi prétendent-ils que leur raison soit l’arbitre de la mienne, et que je sois punissable pour n’avoir pas pensé comme eux ? »
Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne

Les interprétations classiques de la philosophie de Rousseau se donnent le plus souvent comme objectif de saisir un principe d’unité auquel elle pourrait être ramenée. Il en va ainsi de ces exégèses qui cherchent la cohérence dans l’unique promotion de l’individu libéré des contraintes sociales ou bien, à l’inverse, dans la félicité publique d’une société réalisant la parfaite concorde de ses membres, fût-ce au péril de leur liberté naturelle. On peut voir dans ces tendances opposées l’expression d’un paradoxe qui n’a pas échappé à Cassirer :

« Tantôt Rousseau nous est présenté comme le précurseur de l’individualisme moderne, luttant pour une liberté du sentiment affranchie de toute entrave, pour le « droit du cœur », et qui élargit à ce point la conception d’un tel droit que face à lui disparaissent complètement tout lien éthique, tout commandement moral [...], tantôt on voit en lui le précurseur et le fondateur d’un socialisme d’État qui sacrifie tout simplement l’individu à la collectivité et le contraint à s’intégrer dans une structure étatique stricte où il n’aura ni liberté d’action ni même liberté de pensée »1.

Evidemment il ne s’agit pas, en supposant que la philosophie de Rousseau se débat dans ses propres contradictions, de trancher le dilemme en se disposant à choisir une option à l’exclusion de l’autre : l’individualisme achevé ou le collectivisme sans concession. Toutefois, à suivre J. Starobinski2, on remarquera qu’il est possible de concilier ces deux interprétations : après avoir tenté de voir dans l’œuvre de Rousseau la seule quête d’un état de nature conduisant à la promotion de l’individu affranchi de toutes les contraintes ; plus récemment Starobinski a proposé une nouvelle analyse qui prétend débusquer la dimension totalitaire et liberticide de la philosophie du Contrat social ; au point que l’on peut se demander qui de Rousseau ou de Starobinski est homme à paradoxes.

Ces interprétations tiennent surtout au fait que la philosophie de Rousseau a souvent été réduite à un système politique, au mépris de sa dimension anthropologique qui interroge les conditions auxquelles une société est légitime, autrement dit : à quelles conditions une société est une société, c’est- à-dire une association et non une agrégation. Ainsi, Du Contrat social ne constitue pas un programme alternatif dont la seule vocation s’épuiserait dans la nécessité de réformer hic et nunc la réalité sociale. C’est cette méprise – où la philosophie de Rousseau est ravalée à des considérations positivistes – qui, comme l’a très justement montré Cassirer, conduit à des interprétations aussi caricaturales que contradictoires. On notera cependant qu’afin de prévenir ces lectures erronées dont on l’accablait déjà de son vivant, Rousseau avait averti dans les Lettres écrites de la montagne :

« J’ai regardé comme un devoir de dire mon sentiment en choses importantes et utiles ; mais ai-je dit un mot, ai-je fait un pas pour le faire adopter à d’autres ; quelqu’un a-t-il vu dans ma conduite l’air d’un homme qui cherchait à se faire des sectateurs ? [...] J’avertis encore le lecteur qu’il doit se défier de mes jugements, que c’est à lui de voir s’il peut tirer de cet écrit quelques réflexions utiles, que je ne lui propose ni le sentiment d’autrui ni le mien pour règle que je le lui présente à examiner »3.

Voir dans l’œuvre de Rousseau la quête d’une unité ne constitue pas cependant une erreur en soi. Il y a en effet chez lui, à l’évidence, la quête d’une harmonie sociale, d’une concorde, d’un accomplissement de l’humanité, voire d’un épanouissement de l’individu. L’erreur, réside plus exactement dans cette tendance si répandue à ravaler la philosophie de Rousseau à la simplicité d’un système politique, voire d’un dogme. C’est alors que la complexité de la démarche anthropologique est réduite à une banale démiurgie politique et que fatalement on manque l’essentiel. Le simplisme coupable n’est pas dans ce cas imputable à Rousseau, mais à nombre de ses interprètes qui lui prêtent trop aisément leurs propres lacunes.

Dans cette conception qui postule que l’unité est le moyen de l’unité – et à laquelle on voudrait réduire la philosophie de Rousseau – on manque tout au contraire l’exigence de séparation qui se présente dans l’ensemble de l’œuvre comme la modalité essentielle de l’avènement de l’humanité et de la société ; comme la condition sine qua non de la justice. En effet, il ne s’agit aucunement pour Rousseau de réaliser la nature mais, à l’exact opposé, de la dissiper, de s’en séparer. Si la société ne s’institue qu’en rupture avec l’immanence qui caractérise l’état de nature, il faut alors non seulement qu’elle s’arrache à ce que la logique de l’espèce suppose d’une clôture, mais encore qu’elle parvienne à perpétuer l'artifice de cette institution. C’est en cela que, selon Rousseau, la séparation, au fondement de la société, constitue de facto la condition de sa pérennité.

Quelle liberté ?

En comparant les interprétations d'A. Camus et d’H. Arendt on voit de quelle manière la thèse d’un Rousseau précurseur du totalitarisme – justifiée par l’hypothèse d’un système politique qui nierait fondamentalement la liberté individuelle – emprunte deux voies différentes, mais qui consistent néanmoins, toutes deux à démontrer que la quête de l’unité parfaite, de l’individu ou de la société, exige l’élimination de celui ou de ceux que l’on d’abord désigné comme ennemis.

Chez Arendt, l’ennemi est intime. Selon elle, en effet, l’apologie du citoyen conduit fatalement à proscrire l’homme en soi. Arendt tente ainsi d’attester la responsabilité de Rousseau dans la Terreur révolutionnaire, en s’efforçant de prouver que sa théorie de la citoyenneté et de la souveraineté procède d’une altérité toute négative, car dévoyée par une entreprise de culpabilisation de l’individu. Au prix d’un étonnant anachronisme qui consiste, en le comparant à Saint-Just, à le rendre contemporain de l’événement révolutionnaire, elle affirme ainsi :

« Rousseau, lui, franchissait un pas de plus. Comme il recherchait un principe d’unité à l’intérieur de la Nation elle-même [...] il lui fallait trouver un ennemi commun [...]. Sa solution était qu’un tel ennemi existait dans le sein de chaque citoyen, à savoir, dans sa volonté particulière et son intérêt égoïste ; l’intérêt de la chose est que cet ennemi particulier pouvait se hisser au rang d’ennemi commun – unifiant la nation de l’intérieur – à condition d’additionner toutes les volontés particulières et tous les intérêts individuels. L’ennemi commun à l’intérieur de la Nation est la somme totale des intérêts particuliers de l’ensemble des citoyens »4.

Plus loin, H. Arendt précise : « Rousseau introduisit la compassion dans la théorie politique, c’est Robespierre qui la fit paraître sur le forum, avec toute la véhémence oratoire qui le caractérise »5. Mais elle manque du même coup toute la dimension politique et sociale de la Révolution et de la Terreur, en même temps qu’elle se trompe sur la philosophie du Contrat social, en se contentant de reprendre à son compte l’argument psychologique de Nietzsche qui fait de Rousseau – cette « canaille », cet « avorton » confondu par la pratique révolutionnaire – un philosophe animé par la mauvaise conscience, la morale du ressentiment et, plus fondamentalement, par la négation de la vie.

Contre cette interprétation, il n’est pas inutile de rappeler ce que représente la vertu dans la philosophie de Rousseau. En effet loin de se réaliser par la seule exigence morale qui obligerait à mortifier en soi l’être de désir, la vertu consiste simplement à faire l’effort d’envisager ce qui peut être juste pour la collectivité ; là où la thèse de l’altérité négative devient caduque, Dans le Discours sur l’Économie politique, Rousseau écrit ainsi : « Voulez-vous que la volonté générale soit accomplie ? Faites que toutes les volontés particulières s’y rapportent ; et comme la vertu n’est que cette conformité de la volonté particulière à la générale, pour dire la même chose en un mot, faites régner la vertu »6.

Mais que la vertu procède chez Rousseau de cette nécessité de conformer sa volonté particulière à la générale, n'implique aucunement que l’homme, entendu comme être de désir, doive s’effacer complètement et surtout définitivement devant le citoyen qui deviendrait ainsi, pour chacun, son propre tyran. La vertu citoyenne ne doit en effet s’exercer que dans le temps où les individus, parce qu’ils légifèrent, s’efforcent d’être éclairés par la volonté générale. Autrement dit, le citoyen ne fait pas disparaître l’homme, dans la mesure où la quête de la justice ne se résume pas à une mortification qui conduirait à nier la singularité des désirs, mais se traduit bien plutôt par ce que Rousseau définit comme un renoncement à « l’impulsion physique ». Dans un vocabulaire qui est certes distinct de celui de la psychanalyse, Rousseau avant Freud avait déjà mis en évidence que l’association des hommes n’est possible que s’ils renoncent à la pulsion :

« Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que, la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants »7.

Là est tout le sens – psychologique si l’on veut, mais aussi et surtout fondamentalement anthropologique – d’une souveraineté, qui parce qu’elle suppose la capacité à renoncer à la pulsion (renoncement) autorise en retour les hommes ainsi devenus citoyens à ne pas renoncer au pouvoir (renonciation) ; ou, pour le dire autrement, à refuser de se soumettre à d’autres :

« Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme ; et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin, c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes »8.

Dès lors, on comprend mieux cette conception, somme toute assez classique, de la citoyenneté, quand on la compare à la conception freudienne de l’humanité qui repose sur un a priori anthropologique parfaitement symétrique. En effet, pour Rousseau, le renoncement à la pulsion est la condition de la souveraineté, qui suppose un refus de la renonciation au pouvoir et aux droits, alors que pour Freud, c’est la renonciation au pouvoir qui devient – selon une interprétation très hobbesienne – l’unique moyen du renoncement à la pulsion ; il affirme en effet qu’il est impossible « de se dispenser de la domination de la masse par une minorité, car les masses sont inertes et dépourvues de discernement, elles n’aiment pas le renoncement pulsionnel, ne peuvent être convaincues par des arguments que celui-ci est inévitable, et les individus qui les composent se confortent mutuellement en donnant libre cours à leur dérèglement. Seule l’influence d’individus exemplaires, qu’ils reconnaissent comme leurs meneurs, peut les amener à des prestations de travail et à des renonciations dont dépend l’existence de la culture »9.

On doit donc comprendre que la liberté pour Rousseau ne peut être que civile, dans la mesure où elle trouve comme limite le respect de la liberté des autres hommes que nul, pour cette raison, n’a le droit de soumettre à sa volonté particulière. Là est le sens premier de l’artifice de la volonté générale, non, comme beaucoup l’ont prétendu10, dans une entreprise qui consisterait à imposer un ordre arbitraire auréolé d’une fallacieuse onction populaire, mais dans l’attention qui doit être portée à l’autre ; autrement dit dans ce qui humanise les hommes en les élevant au- dessus de leur condition primitive qui, dans l’état de nature, les réduit à n’être que des animaux stupides et bornés. C’est par cette prise en considération de l’autre, qui consacre l’avènement de la société, que se définit la liberté civile, nécessairement limitée par rapport à la liberté naturelle :

« Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui, elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre »11.

Cette liberté limitée par le renoncement qu’impose la reconnaissance des autres hommes, et qui se définit aussi par la résistance à l’oppression, se distingue fondamentalement de la liberté nietzschéenne qui ne rechigne manifestement pas, au nom d’une exaltation de la vie, à s’exprimer au détriment des autres hommes :

« S’abstenir réciproquement d’offense, de violence et de rapine, reconnaître la volonté d’autrui comme égale à la sienne, cela peut donner, grosso modo, une bonne règle de conduite entre les individus, pourvu que les conditions nécessaires soient réalisées (je veux dire l’analogie réelle des forces et des critères chez les individus et leur cohésion à l’intérieur d’un corps social). Mais qu’on essaye d’étendre l’application de ce principe, voire d’en faire le principe fondamental de la société, et il se révélera pour ce qu’il est, la négation de la vie, un principe de dissolution et de décadence. Il faut aller ici jusqu’au tréfonds des choses et s’interdire toute faiblesse sentimentale : vivre, c’est essentiellement dépouiller, blesser, violenter le faible et l’étranger, l’opprimer, lui imposer durement ses formes propres, l’assimiler ou tout au moins (c’est la solution la plus douce) l’exploiter ; mais pourquoi employer toujours ces mots auxquels depuis longtemps s’attache un sens calomnieux ? » demande Nietzche.

Volonté de puissance contre volonté générale, on comprend beaucoup plus précisément les raisons pour lesquelles Nietzsche cultive cette détestation de Rousseau. Pour Nietzsche, les règles de bienséance ne sont humaines qu’à la condition de s’épanouir dans le seul registre de l’entre-soi ; d’être exprimées par des individus convaincus de leur capacité à dépasser les contingences vulgaires et faire ainsi, immédiatement, l’expérience d’une reconnaissance mutuelle.

Mais une telle expérience, selon Nietzsche, ne saurait s’élever au rang de principe général sans que, non consentie, elle ne s’impose comme une contrainte contre-nature qui oblige chacun, ou bien à se mortifier pour une cause dont il ne saisit pas immédiatement la légitimité, ou bien à prêcher une justice à laquelle il s’évertue à croire, contre ses propres élans à jouir de la vie. Là où la mortification se double du mensonge du ressentiment, et où l’insincérité est censée nourrir la violence d’une revanche.

Il ne s’agit pas de faire à Nietzsche le mauvais procès qui inclinerait, en prenant ses propos à la lettre, à prétendre qu’il fait sciemment l’apologie de la violence au nom d’une critique du ressentiment. Il est, par excellence, comme Camus s’est efforcé de le montrer12, le clinicien du nihilisme. On peut certes louer cette lucidité qui le conduit à traquer la mauvaise foi tapie sous l’idéalisme coupable, mais il n'en demeure pas moins que la certitude de la violence qu'on devrait accepter au nom d’une nature hypothétique et d’une exaltation spéculative de la vie ne vaut sans doute guère mieux que ces principes de justice soient dévoyés par la mauvaise conscience ou, pire encore, par cette critique du nihilisme elle-même. Le risque d’une interprétation simpliste n’épargne donc pas davantage Nietzsche que Rousseau et l’on serait parfois surpris, à lire scrupuleusement le Citoyen de Genève, de découvrir à quel point il nous a prévenu contre les risques d’une morale a priori qui se pervertirait nécessairement à n’avoir aucun écho sensible chez les hommes.

L’interprétation à charge de Camus contre un Rousseau, précurseur de la Terreur, confirme en partie celle d’Arendt. Mais cette fois l’ennemi passe de l’individu à la collectivité. Les enseignements de Rousseau n’imposeraient plus, selon Camus, de lutter contre l’ennemi intime, l’ennemi en soi, mais d’éliminer les ennemis du peuple : ceux qui empêchent la réalisation de la société unifiée par la volonté générale. On ne saurait nier cependant que si la théorie de Rousseau occupe à ce point une place prépondérante dans l’histoire de la Révolution française, c’est parce qu’érigée en système, elle devient la référence au nom de laquelle l’action politique va se déployer. Il est vain de nier que c’est son caractère pamphlétaire – induit par l’erreur de n’y voir qu’un système – qui dévoie la pensée. Ainsi le Contrat social devient l’arme des terroristes. En ce sens, on peut sans doute donner raison à Camus lorsqu’il affirme :

« A l’intérieur de ce délire de logique, au bout de cette morale de vertu, l’échafaud est liberté. Il assure l’unité rationnelle, l’harmonie de la cité. Il épure, le mot est juste, la république, élimine les malfaçons qui viennent contredire la volonté générale et la raison universelle »13.

Seulement, l’équivoque n’est pas permise. Camus, en faisant sienne l’interprétation de certains acteurs de la Terreur, accuse en effet Rousseau d’être, à distance, le responsable théorique de ce délire. Camus perçoit ainsi, dans les sophismes du Contrat social, la source à laquelle les révolutionnaires viennent puiser la justification de la violence qu’ils exercent, et qu’exige, selon eux, la nécessité de produire une communauté authentique qui, procédant du fantasme, ne peut que demeurer chimérique :

« Voilà pourquoi les mots que l’on retrouve le plus souvent dans le Contrat social sont les mots « absolu », « sacré », « inviolable ». Le corps politique ainsi défini, dont la loi est commandement sacré, n’est qu’un produit de remplacement du corps mystique de la chrétienté temporelle »14.

Camus, trop pressé semble-t-il, d’établir la culpabilité de Rousseau, manque de discernement. Outre que l'argumentation est assez spécieuse, on pourra trouver cent mots qui sont plus souvent employés dans le Contrat social : égalité, liberté, justice, droit...

Mais pour être tout à fait précis sur ce point et ne pas laisser le doute s’insinuer, on rappellera que le mot "inviolable" n’est employé que deux fois dans le Contrat social ; et surtout, là est essentiel, que la seule phrase où figurent les trois mots incriminés par Camus – et dont il devait conserver une souvenir assez flou – est la suivante : « on voit par-là que le pouvoir souverain, tout absolu, tout sacré, tout inviolable qu’il est, ne passe ni ne peut passer les bornes des conventions générales, et que tout homme peut disposer pleinement de ce qui lui a été laissé de ses biens et de sa liberté par ces conventions »15. Quand bien même Camus n’aurait pas compris que, pour Rousseau, le souverain est le peuple et non un tyran, il est remarquable que cette citation rend caduques ses allégations – de même qu’elle invalide la thèse arendtienne d’un citoyen vertueux devenu tyran intime de lui-même – puisqu’elle aboutit à une conclusion parfaitement opposée à celle qu’il suspectait. Ici l’homme n’est pas proscrit par le citoyen et rien ni personne ne peut lui imposer un ordre tyrannique quelconque.

Quelle altérité ?

Contre les interprétations d’Arendt et de Camus, il semble nécessaire de s’attarder à la question de la souveraineté chez Rousseau. Puisque la souveraineté appartient au peuple et qu’elle ne peut être déléguée, le peuple ne peut être qu’un peuple de citoyens.

Toutefois, il convient de préciser que si la loi, expression de la volonté générale, a un sens, c’est parce qu’elle doit s’imposer à l’individu quand il redevient simplement un homme. Là où Camus et Arendt ont vu chez Rousseau la dangereuse manifestation d’un fantasme de l’unité et de la totalité, il faut voir, tout au contraire, l’expression d’une nécessaire séparation ; en outre Rousseau apporte cette précision précieuse : « Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi [...] la loi n’étant que la déclaration de la volonté générale, il est clair que dans la puissance législative le peuple ne peut être représenté ; mais il peut et doit l’être dans la puissance exécutive, qui n’est que la force appliquée à la loi »16. Sur cette question de la souveraineté, les précisions apportées n’ont manifestement pas su convaincre ceux qui continuent vainement de traquer la théorie du Contrat social pour tenter d’y découvrir les signes de la justification d’un système autoritaire, voire totalitaire : « Qu’est-ce donc que le gouvernement ? Un corps intermédiaire établi entre les sujets et le souverain pour leur mutuelle correspondance, chargé de l’exécution des lois, et du maintien de la liberté, tant civile que politique »17.

Les mots chez Rousseau ont donc un sens précis. Ainsi, le souverain et les sujets ne représentent en rien des individus différents ; supposition qui conduirait à penser que Rousseau, par une sorte de reniement, justifie un pouvoir établi sur la prérogative politique et par conséquent sur la division entre gouvernants et gouvernés. Toute son opposition à Hobbes et à Grotius se comprend justement par la substitution de cette antique division par une autre séparation : celle du souverain et de l’État qui recoupe celle du citoyen et du sujet.

Ainsi, le corps politique auquel donne naissance le pacte social fondamental : « est appelé par ses membres État quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. A l’égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s’appellent en particulier citoyens, comme participant à l’autorité souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de l’État. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l’un pour l’autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision »18. Prétendre ainsi que la définition rousseauiste de la souveraineté conduit au fantasme de l’unité qui devrait se réaliser par la violence est faux. Au nom d’une conception singulière d’une nature humaine divisée entre la masse naturellement déraisonnable et l’élite tout aussi naturellement raisonnable, s'élabore une conception de l’altérité, qui ne voit d’autre issue que la division de la société entre gouvernants et gouvernés, Rousseau envisage une altérité qui est fondamentalement reconnaissance de l’autre et suppose alors, initialement, le respect du principe qui est au fondement de la société.

La fonction essentielle du gouvernement consiste à disjoindre dans le même corps politique le souverain et l’État et dans le même individu le citoyen et le sujet ; elle répond à une conception de la séparation des pouvoirs différente de celle de Montesquieu.

Il ne s’agit plus seulement pour Rousseau d’éviter le risque qu’il y aurait à concentrer tous les pouvoirs dans les mêmes mains, mais de s’assurer que production de la loi et respect de la loi soient séparés ; qu’ils correspondent à des moments distincts, afin que les hommes obéissent aux lois qu’ils ont faites comme citoyens. Ce qui évite la confusion que provoquerait un mouvement de réflexivité immédiat lequel consisterait, sans autre précaution, à se donner ses propres lois. Le peuple n’est donc souverain qu’à condition d’être sujet ; autrement, la loi n’aurait tout simplement plus d’objet. La formule de Rousseau : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté »19, tant critiquée pour son caractère apparemment paradoxal, s’éclaire donc. La séparation entre le sujet et le citoyen, qui est aussi disjonction temporelle, a pour vocation d'éviter le caprice d’une souveraineté à sens unique, sans contrepartie, qui consisterait précisément, ou bien à ne pas s’imposer de contraintes trop sévères, ou bien à ne pas obéir à la loi au seul motif qu’on en est l’auteur. Telle est d’ailleurs la pente que suivent nombre de ceux qui possédant la prérogative politique, oublient que la loi qu’ils ont contribué à établir, parce qu’elle est la même pour tous, s’applique aussi à eux. Le sens de l’opposition de Rousseau à la représentation du pouvoir législatif se situe là, essentiellement.

Toutefois, il importe d’insister sur un point : si le principe de séparation est au fondement de l’anthropologie de Rousseau, c’est parce qu’il ne faut pas commettre l’erreur de réduire sa philosophie à la seule question politique. Même s'il a écrit dans Les Confessions : « j’avais vu que tout tenait radicalement à la politique, et que, de quelque façon qu’on s’y prît, aucun peuple ne serait jamais que ce que la nature de son gouvernement le ferait être »20, il faut sans doute comprendre cette phrase comme l’expression de la conviction que la légitimité n’est pas naturelle. L’anthropologie de Rousseau, au-delà et en deçà des propositions plus strictement politiques, consiste donc d’abord à se demander ce qui fait qu'une société est une société, et ce qui fait qu’un homme est un homme.

Autrement dit, la légitimité politique repose nécessairement sur l’artifice de ce qu’il nomme les premiers principes et les premières conventions ; sur un droit qui ne saurait être donné avec l’ordre de la nature ou qui découlerait mécaniquement de la nature de l’homme. On peut attester de cet artifice négativement : « Sitôt qu’indépendamment des lois, un homme prétend en soumettre un autre à sa volonté privée, il sort à l’instant de l’état civil, et se met vis-à-vis de lui dans le pur état de nature où l’obéissance n’est jamais prescrite que par la nécessité »21. Positivement, l’institution de la société qui suppose l’artifice des principes de justice exige une dénaturation de l’homme :

« Celui qui ose entreprendre d’instituer un peuple doit se sentir en état de changer pour ainsi dire la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solitaire, en partie d’un plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être ; d’altérer la constitution de l’homme pour la renforcer ; de substituer une existence partielle et morale à l’existence physique et indépendante que nous avons reçue de la nature. Il faut, en un mot, qu’il ôte à l’homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères, et dont il ne puisse faire usage sans le secours d’autrui »22.

Certains auront compris ce passage comme la justification d’un ordre autoritaire ; la légitimation d’une liberté réduite qui débouche forcément sur la promotion d’un système autoritaire. Pourtant, il ne s’agit de rien moins que du postulat que la société, parce qu’elle rompt avec la loi de nature pour s’instituer par l’artifice des principes de justice, constitue un tout différent de la somme des parties (les individus) qui la constituent : c’est en cela qu’elle est une association et non une agrégation. C’est donc très justement que Louis Dumont a estimé que « les critiques qui accusent Rousseau d’avoir ouvert les portes aux tendances autoritaires le blâment en fait pour avoir reconnu le fait fondamental de la sociologie, une vérité qu’ils préfèrent quant à eux ignorer »23.

Il se confirme ici que la rupture avec l’ordre naturel est la condition fondamentale d’une séparation ontologique qui fonde l’humanité et la société. Autrement dit, la société ne réalise pas la nature, n’est pas conforme à la nature. Elle ne s’institue qu’en devant justement modifier la nature. Pourtant, la vulgate rousseauiste s’éternise à la mesure de ces erreurs d’interprétation qui se perpétuent. Il est en effet remarquable qu’en tentant d’identifier l’influence, certes déterminante, de Rousseau sur l’œuvre de Lévi-Strauss, Axel Honneth ait commis un contresens majeur en prétendant que :

« L’objectif ambitieux que Lévi-Strauss se fixe [...] anticipe implicitement la tâche que plus tard, sous l’invocation de Rousseau, il assignera à l’ethnologie : il s’agit de ramener à quelques schémas élémentaires les multiples formes de parenté qui se rencontrent empiriquement dans les cultures archaïques, afin d’en tirer le modèle théorique d’un ordre social « naturel »24.

Or, pour Rousseau comme pour Lévi-Strauss, qui le reconnait d’ailleurs, pour cette raison précise, comme le fondateur de l’anthropologie, la société ne peut s’instituer que sur la base fondamentale d’une rupture entre nature et culture ; ce qui signifie tout simplement qu’un supposé « ordre social naturel » n’est rien moins qu’un oxymore.

Rappelons que l’état de nature, comme fiction méthodologique, n’a pour but que de figurer une situation de non-société, où l’homme est pensé comme autosuffisant et jouit d’une liberté naturelle sans autre limite que sa force. L’institution sociale, qui exige la substitution d’une liberté naturelle par une liberté limitée, se caractérise donc pour Rousseau par la contrainte, la limitation de la liberté. Mais pourquoi cette limitation n’est-elle pas liberticide ? Parce qu’elle est foncièrement reconnaissance de la liberté de l’autre. On peut alors identifier une autre distinction entre Honneth et Rousseau. Si pour Rousseau, la reconnaissance, comme gage de la réciprocité, est d’abord reconnaissance de l’autre, elle ne saurait alors procéder d’une lutte, qui n’est pas sans faire écho à un a priori anthropologique qu’il s’agirait d’aller chercher dans une hypothétique nature de l’homme : « la reconnaissance est bien un devoir qu’il faut rendre, mais non pas un droit qu’on puisse exiger »25.

Quelle réciprocité ?

L’admiration sans équivoque que Lévi-Strauss voue à Rousseau, et qui l’incline à le considérer tout à la fois comme son « son frère » et « son maître », trouve son expression la plus forte dans la distinction nature-culture. C’est ce qui conduit d’ailleurs Lévi-Strauss a tenter de rétablir une vérité à l’encontre de la vulgate rousseauiste qui insiste sur l’exaltation de l’ordre naturel : « Rousseau, tant décrié, plus mal connu qu’il ne le fut jamais, en butte à l’accusation ridicule qui lui attribue la glorification de l’état de nature – où l’on peut voir l’erreur de Diderot mais non pas la sienne – car il a dit exactement le contraire et reste seul à montrer comment sortir des contradictions où nous errons à la traîne de ses adversaires »26.

Chez Diderot, si les lois peuvent être conçues comme liberticides, c’est parce que l’accord spontané des volontés n’a pas besoin de l’artifice des principes de justice. Pour Rousseau, à l’inverse, les mœurs sont des lois – et mêmes les plus fondamentales – pas nécessairement pour Diderot qui y voit, à l’exemple que lui fournissent les sauvages d’Otaïti27, l’expression spontanée de la liberté des individus qui vivent ainsi dans l’ignorance de l’artifice des lois. C’est Diderot, en effet, qui fait dire au vieillard tahitien qui s’adresse à Bougainville : « Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère. Ici, tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien »28. A l’opposé, cette distinction entre le tien et le mien n’est nullement négative chez Rousseau, car loin d’être conçue comme ce qui stériliserait par avance l’avènement de la société, elle en constitue plutôt la raison fondamentale ; d’abord parce qu’elle est la condition sine qua non de l’échange : « Quoi donc ? Faut-il détruire les sociétés, anéantir le tien et le mien, et retourner vivre dans les forêts avec les ours ? Conséquence à la manière de mes adversaires, que j’aime autant prévenir que de leur laisser la honte de la tirer »29. L’état de nature, comme fiction méthodologique d’un temps qui précéderait l’institution sociale, a surtout vocation chez Rousseau à mettre en évidence, par la négative, ce que doivent être les principes fondamentaux qui instituent les relations sociales, en dissipant cette situation où les hommes, en l’absence de société « n’avaient entre eux aucune espèce de commerce [...], ne connaissaient par conséquent ni la vanité, ni la considération, ni l’estime, ni le mépris [et] n’avaient pas la moindre notion du tien et du mien, ni aucune véritable idée de la justice »30.

Ainsi, de Rousseau à Diderot la question de l’accord des volontés est susceptible de recevoir des interprétations fort différentes. C’est cette divergence qui nous conduit à reconsidérer la question tant de fois débattue de la paternité de la notion de volonté générale. Diderot, dans l’article Droit naturel avait défini la volonté générale comme suit : « La volonté générale est dans chaque individu un acte pur de l’entendement qui raisonne dans le silence des passions, sur ce que l’homme peut exiger de son semblable et sur ce que son semblable est en droit d’exiger de lui »31. En établissant, à la suite, une correspondance entre la volonté générale et le « désir commun de l’espèce entière »32, Diderot se laissait aller à une contradiction qui apparaît dans le fait que la volonté générale ressortit à une logique de spontanéité, de la volonté et du désir, cependant qu’elle exige la sanction de la conscience, « dans le silence des passions ».

Tout en considérant cette première contradiction, on peut tenter de circonscrire ce qui constitue chez Rousseau l’esprit de la volonté générale, le sens de l’institution sociale qu’elle a vocation à créer et partant, la nature des bornes qui limitent la liberté civile. Cette tâche généalogique est rendue d’emblée épineuse par les circonstances dans lesquelles la volonté générale a été énoncée pour la première fois par Rousseau. En effet, le concept apparaît d’abord dans l’article Droit naturel de Diderot, avant de se révéler sous la plume de Rousseau, dans le même tome de l’Encyclopédie, à l’article Économie politique. Il semble acquis que le Citoyen de Genève a emprunté le concept à son ami de l’époque. Cette hypothèse paraît d’ailleurs confirmée par la dette que Rousseau exprime clairement, lorsqu'évoquant pour la première fois le concept de volonté générale, il nous invite à découvrir dans l’exposé de Diderot : « la source de ce grand et lumineux principe dont cet article est le développement »33. Pourtant, dans le Manuscrit de Genève, Rousseau discute plus avant la pertinence de la définition de Diderot, après l’avoir reproduite in extenso : « que la volonté générale soit dans chaque individu un acte pur de l’entendement qui raisonne dans le silence des passions sur ce que l’homme peut exiger de son semblable, et sur ce que son semblable est en droit d’exiger de lui, nul n’en disconviendra »34. Moins élogieuse, plus circonspecte, la sentence de Rousseau nous laisse devant un dilemme : doit-on, pour cerner la volonté générale de Rousseau, prendre en considération la définition de Diderot, en supposant qu’elle recèle des précisions importantes ? Doit-on, au contraire, l’écarter en suspectant qu’elle pourrait nous égarer ? En fait, une troisième voie se présente : elle consiste à tenter de distinguer dans la définition attribuée à Diderot ce qui confirme la conception de la volonté générale de Rousseau et ce qui, au contraire, l’infirme.

« Acte pur de l’entendement », la volonté générale ainsi essentialisée, procède d’une logique réflexive qui évacue fatalement la dimension d’altérité qu’elle revêt dans la théorie de Rousseau. Cet immanentisme de la volonté générale est renforcé par une logique de l’intersubjectivité qui chez Diderot décide seule du contenu des institutions sociales (« l’homme peut exiger de son semblable [...] ce que son semblable est en droit d’exiger de lui »). Bréhier estime donc à juste titre que, dans la définition de Diderot, ce que Rousseau critique : « ce n’est pas l’idée de volonté générale, c’est l’idée que par le simple jeu de l’égoïsme réfléchi, on peut en arriver à la faire triompher »35 En outre, Rousseau ne peut souscrire à cet amalgame de l’homme et de la société dans la catégorie générique de genre humain ; amalgame confirmé par la référence ultime au droit naturel. C’est semble-t-il tout le sens de la critique qu’il adresse à la définition de la volonté générale de Diderot qui, selon lui, esquive outrageusement la dimension problématique de la société en établissant la légitimité sur une prétendue évidence qui dissout le problème en ramenant la dualité à l’unité :

« Mais où est l’homme qui puisse ainsi se séparer de lui-même ? et si le soin de sa propre conservation est le premier précepte de la nature, peut-on le forcer de regarder ainsi l’espèce en général pour s’imposer à lui, des devoirs dont il ne voit point la liaison avec sa constitution particulière ? »36.

Rousseau critique en outre l'idée que la volonté générale, comme fondement de l’institution sociale, puisse procéder d’une raison que, précisément, les hommes ne peuvent acquérir que par la vie sociale. C’est ainsi que pour Rousseau le caractère intrinsèquement problématique de la société ressurgit inlassablement : « La première difficulté revient toujours [puisque] ce n’est que de l’ordre social établi parmi nous que nous tirons les idées de celui que nous imaginons »37.

Il reste la référence au « silence des passions » dont la signification peut sembler quelque peu sibylline. Dans l’esprit de Diderot, il est probable que « le silence des passions » vienne redoubler « l’acte pur de l’entendement » ; et qu’il évoque métaphoriquement la raison. Toutefois, cette notion de "silence des passions" semble suggérer une tension, un effort, qui supposerait que la raison n’apparaisse qu’à la condition de faire taire les passions qui l’empêchent de s’exprimer ; ce qui alors contredirait l’innéité de « l’acte pur de l’entendement ». C’est vraisemblablement cette contradiction relevée par Rousseau qui l’incline à demander indirectement à Diderot comment l’homme, sans expédient, parviendrait à se séparer de lui-même, à s’arracher à sa condition et à répudier la recherche de son seul intérêt pour accéder à la connaissance de l’intérêt général et à y être spontanément sensible :

« Que fera-t-il donc pour se garantir de l’erreur ? Écoutera-t-il la voix intérieure ? Mais cette voix n’est, dit-on, formée que par l’habitude de juger et de sentir dans le sein de la société et selon ses lois, elle ne peut donc servir à les établir et puis il faudrait qu’il ne se fût élevé dans son cœur aucune de ces passions qui parlent plus haut que la conscience, couvrent sa timide voix, et font soutenir aux philosophes que cette voix n’existe pas »38.

Tout en rappelant en quoi réside la dimension problématique de l’institution de la société, Rousseau confirme l’inconséquence de la définition de Diderot et nous livre par là même la clé de l’énigme. L’homme, de lui-même, ne peut se diviser ; il ne parvient à ce nécessaire prodige que grâce aux lois hétéronomes de la société. Loin donc que la volonté générale s’érige sur cette supposée séparation primordiale de l’homme d’avec lui-même, c’est elle qui est censée assurer ce clivage primordial sans lequel il n’est ni société ni humanité.

S’efforçant, contre les simplifications de Diderot, de rétablir la vérité aporétique de l’institution de la société, Rousseau laisse deviner qu’il est le véritable théoricien de la volonté générale et que son ami de l’époque n’est parvenu à en proposer une définition – d’ailleurs embrouillée – qu’à la faveur de leurs discussions sur la question. En outre, on peut confirmer la préséance de Rousseau en remarquant à quel point la notion de "silence des passions" apparaît de manière récurrente dans l’œuvre de Rousseau, du Premier Discours jusqu’aux Rêveries. Chez Rousseau, ce silence constitue la condition sine qua non de la vertu. A ce titre, la notion, parce qu’elle confère une substance à la volonté générale, est susceptible de nous permettre de sortir du cercle vicieux d’un ordre social qui apparaît comme une création ex nihilo ; sa légitimité exige cependant qu’il préside à son propre avènement :

« Ô vertu ! Science sublime des âmes simples, faut-il donc tant de peines et d’appareil pour te connaître ? Tes principes ne sont-ils pas gravés dans tous les cœurs, et ne suffit- il pas pour apprendre tes lois de rentrer en soi-même et d’écouter la voix de sa conscience dans le silence des passions ? »39.

En outre, ce passage, dont il importe de souligner qu’il a été rédigé six ans avant les articles Droit naturel et Économie politique, apporte une précision d’importance. Pour Rousseau, la vertu, qui seule peut faire triompher la justice, réside dans la conscience et non dans la raison. L’autorité de la conscience permet ainsi de dissiper ce que l’argument d’une morale fondée sur la raison peut avoir d’anthropologiquement anachronique. Contrairement à la raison, la conscience constitue en effet une faculté dont on peut présumer qu’elle est susceptible de surgir avec l’expérience de la vie sociale. Davantage, on peut supposer que la conscience représente ontologiquement la modification qu’imprime la pitié naturelle de l’homme, à l’épreuve de l’avènement de la vie commune.

Nous sommes donc confrontés à un problème anthropologique incomparablement plus profond que celui que révèle la vulgate rousseauiste et qui consiste à tenter de résoudre l’énigme de l’institution de la société légitime et de sa conservation en ses formes légitimes. C’est ce que Rousseau a si admirablement montré en pointant, lui aussi, dans le réductionnisme psychologique, les impasses d’une justice qui s’épuiserait dans le seul postulat des bonnes intentions des hommes. Ici, aussi surprenant que cela puisse paraître, Rousseau devance, mais sans brutalité, les réserves que Nietzsche lui opposera à tort :

« A considérer humainement les choses, faute de sanction naturelle, les lois de la justice sont vaines parmi les hommes ; elles ne font que le bien du méchant et le mal du juste, quand celui-ci les observe avec tout le monde sans que personne les observe avec lui. Il faut donc des conventions et des lois pour unir les droits aux devoirs et ramener la justice à son objet. Dans l’état de nature, où tout est commun, je ne dois rien à ceux à qui je n’ai rien promis ; je ne reconnais pour être à autrui que ce qui m’est inutile. Il n’en est pas ainsi dans l’état civil, où tous les droits sont fixés par la loi »40.

De manière certes négative, Rousseau identifie ici la réciprocité comme principe cardinal de l’institution de l’état civil. C’est elle, en effet, qui scelle cette rupture d’avec l’état de nature, que l’on doit comprendre comme une configuration hypothétique où, en l’absence de morale et de droit, chacun ne considère que lui-même. Il s’agit pour Rousseau d’insister : les principes de justice ne peuvent s’établir d’eux-mêmes, sans le concours de ce qui leur confère une dimension impérieuse, c’est-à-dire éminemment morale parce que fondamentalement sociale : « sans doute il est une justice universelle émanée de la raison seule ; mais cette justice pour être admise doit être réciproque »41. La réciprocité se présente alors tout à la fois comme un principe en soi – le mutuel respect, la mutuelle reconnaissance – et plus essentiellement comme ce qui rend les autres principes de justice réellement efficients.

Le pacte social qui institue la société ne s’épuise pas dans une logique intersubjective qui supposerait précisément le congédiement des obligations sociales ; obligations dont Mauss a fort bien montré qu’elles étaient au fondement de l’échange. Autrement dit, la réciprocité n’est pas une simple règle du jeu, un simple mode de fonctionnement qui régirait les interactions ; elle constitue une véritable convention sociale. Le pacte social fondamental « dont les clauses ne sont que tacites » s’institue donc sur l’inconditionnalité des principes de justice, dont le fondement et le respect ne peuvent simplement être laissés à la discrétion des individus.

C’est sur ce point que la correspondance entre l’institution du don – tel que Mauss en a fait la théorie, et le pacte social – au sens rousseauiste, trouve sa principale convergence, dans l’opposition à la logique libérale du donnant-donnant, qui pour instaurer une règle du jeu ne peut prétendre pour autant instituer une société. Toutefois – et c’est en cela que la dimension psychologique ne saurait être totalement niée – cette obligation ne peut constituer un principe effectif de justice si elle se limite à n’être qu’une mécanique inconditionnelle qui stériliserait par avance ce qui procède d’une humaine attention aux autres. L’idéal fait certes défaut quand la reconnaissance de l’autre est subordonnée aux seuls affects ; mais les principes sont impuissants s’ils n’ont aucun écho sensible qui résonne chez les individus, quand l’humanité s’abîme dans le strict respect des procédures juridiques.

Conclusion

Marcel Gauchet après avoir considéré que « l’avènement de la démocratie, c’est le passage de la société de religion, c’est-à-dire de la société assujettie, à la société sujette d’elle-même en tant que société structurée hors religion »42 illustre parfaitement l’erreur d’interprétation majeure à l’endroit de la philosophie de Rousseau, en croyant identifier le spectre de l’autoritarisme sous les traits de « ce soi social en acte sans séparation ni délai dont la doctrine de la volonté générale dessine chez Rousseau l’inoubliable visage »43. Ainsi, il ne semble pas avoir compris à quel point la volonté générale de Rousseau vérifie, tout au contraire de ce qu’il prétend, ce qu’il estime être au fondement de la société lorsqu’il insiste sur le fait que « l’élément constitutif du social, c’est sa scission par rapport à lui-même »44.

Lévi-Strauss est sans doute l’un des rares penseurs à avoir compris la subtile distinction qu’il convient de faire entre l’état de nature où « l’homme ne regarde que lui-même » et la nature de l’homme qui survit à l’état civil et constitue, dans une certaine mesure, le gage d’une attention à l’autre. En d’autres termes, le fondement de cette anthropologie qui passe de Rousseau à Lévi-Strauss réside aussi dans une posture éthique qui exige que la pitié naturelle l’emporte sur la passion sociale que constitue l’amour-propre : « la pensée de Rousseau s’épanouit donc à partir d’un double principe : celui de l’identification à autrui ; et celui du refus de l’identification à soi-même »45. De ce point de vue, ethnocentrisme et solipsisme représentent les deux expressions d’une même erreur qui consiste à ne considérer que soi. C’est aussi pour cette raison que la question fondatrice de l’anthropologie est celle du rapport entre moi et les autres : « car, pour parvenir à s’accepter dans les autres, but que l’ethnologue assigne à la connaissance de l’homme, il faut d’abord se refuser en soi »46. Ainsi, la connaissance des autres hommes – l’anthropologie – où l’on renonce à l’excès d’intérêt que l’on peut se porter, redouble la condition fondamentale de l’institution sociale.

Disciple de Rousseau, Lévi-Strauss est aussi un excellent exégète de ce que la philosophie du Citoyen de Genève a de particulièrement complexe. Il a su notamment esquiver les pièges des interprétations devenues classiques qui postulent que toute l’œuvre de Rousseau se résume à une apologie d’un retour à l’état de nature. Toute l’originalité de l’interprétation de Lévi-Strauss consiste en effet à inverser cette thèse communément admise, en insistant sur le fait que la philosophie de Rousseau ne se circonscrit pas à une quête de l’unité perdue ou de la coïncidence avec soi-même, mais tente, à l’exact opposé, de démontrer que l’altérité est la condition sine qua non de la culture. L’interprétation de Lévi-Strauss permet en outre de comprendre le sens de cette réponse énigmatique que Rousseau opposait à la définition de la volonté générale de Diderot : « mais où est l’homme qui puisse ainsi se séparer de lui-même ? »47 La volonté générale, loin de se réduire à une proposition démiurgique procédant d’un mouvement historique d’autonomie, consacre plutôt le règne de l’hétéronomie des principes communs ; la condition d’existence de toute société exigeant une « renonciation, par les individus, à leur autonomie au profit de la volonté générale »48. C’est ainsi que, d’une manière assez discrète, Lévi-Strauss livre en passant une interprétation lumineuse de la théorie de la volonté générale. Si en effet on postule avec lui que le « contrat est la matière première de la vie sociale »49, la théorie de la volonté générale accède alors à une dimension universelle et à une profondeur anthropologique que nombre d’interprètes n’ont pas su déceler : « Rousseau a admirablement vu qu’un acte d’unanimité est la condition théorique de l’existence d’une société, principe que des sociétés très humbles ont su mettre méthodologiquement en pratique ».50

1 E. Cassirer, Le problème Jean-Jacques Rousseau, Paris, Hachette, 1990, p. 11

2 Dans les nombreux ouvrages qu’il lui a consacrés, Jean Starobinski s’est efforcé de ramener la pensée de Rousseau à la quête du principe unique de la coïncidence avec soi-même. Il estime ainsi que cette nécessité de « rentrer en soi-même » est à comprendre au sens littéral d’une séparation d’avec les autres et d’un congédiement de la société qui ne saurait produire que désolation et corruption : « Rousseau invoque avec confiance une nature que rien ne détruit, il devient le poète de la permanence dévoilée. Il découvre en lui-même la proximité de la transparence originelle, et cet homme de la nature qu’il avait cherché dans la profondeur des âges, il en retrouve maintenant les traits originels dans la profondeur du moi. Celui qui sait rentrer en soi-même peut voir resplendir à nouveau le visage du dieu submergé, délivré de la rouille qui le masquait ». J. Starobinski, La transparence et l’obstacle, Paris, Paris, Gallimard, 1971, p. 31. Pourtant, dans son dernier ouvrage, loin d’opposer cet individualisme achevé à la démiurgie révolutionnaire, Starobinski les relie directement, accréditant ainsi l’interprétation d’un Rousseau précurseur de la Terreur, « Saint-Just, le théoricien jacobin, dira que « le bonheur est une idée neuve en Europe ». Trente ans auparavant, pour ses correspondants, Rousseau en détient la formule : elle consiste à rentrer en soi-même ». J. Starobinski, Accuser et séduire, essais sur Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, 2012, p. 27.

3 J.-J. Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Edition thématique du tricentenaire, Œuvres complètes, Paris Genève, Champion Slatkine, 2012, tome VI, p. 297. Abrégé par la suite ET-OC.

4 H. Arendt, Essai sur la Révolution, Paris, Gallimard, 1967, p. 110.

5 Ibid., p. 115

6 J.J. Rousseau, Discours sur l’économie politique, ET-OC, tome V, p. 483.

7 .J.J. Rousseau, Du contrat social, ET-OC, tome V, p. 483.

8 Ibid., p. 471.

9 S. Freud, L’avenir d’une illusion, Paris, P.U.F, 1995, p. 8.

10 Une telle interprétation consiste pour l’essentiel à confondre, à dessein ou non, la souveraineté et son usurpation. Benjamin Constant distinguait quant à lui très clairement la légitimité et l’usurpation. Il définissait en effet la légitimité politique de cette manière : « En un mot, il n’existe au monde que deux pouvoirs, l’un illégitime, c’est la force ; l’autre légitime, c’est la volonté générale ». B. Constant, Principes de politique, Œuvres, Paris, Pléiade, 1957, p. 1103. Mais il précisait un peu plus loin : « C’est en vain que vous prétendez soumettre les gouvernements à la volonté générale. Ce sont toujours eux qui dictent cette volonté, et toutes les précautions deviennent illusoires », Ibid., p. 1108.

11 J.-J. Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Op. cit., p. 456.

12 A. Camus, L’homme révolté, in : Essais, Paris, Pléiade, 1965.

13 Ibid., p. 534. Barbara Robisco recourt à l’argument opposé de la désacralisation pour démontrer la responsabilité de Rousseau Jean- Jacques Rousseau et la Révolution française, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 330.

14 A. Camus, L’homme révolté, Op. cit., p. 525.

15 J.-J. Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., p. 498.

16 Ibid., p. 566. Nous soulignons

17 Ibid., p. 526. Yves Vargas confirme cette fonction de séparation du gouvernement : « si le peuple est souverain, quel besoin y a-t-il de se gouverner ? Si gouverner, c’est suivre en tout la volonté générale, que ne se suit-elle pas toute seule ? Pourquoi faut-il un intermédiaire entre la volonté du peuple et le peuple ? […] gouverner c’est ramener le peuple à sa volonté, le faire être ce qu’il est en supprimant la distance qui le sépare de soi. Le gouvernement est négatif, il n’a pas de but propre dont il serait l’auteur ; il n’est que la gestion d’un décalage ». Y. Vargas, L’article de 1755 et son contexte, in J.-J. ROUSSEAU, Economie politique, Paris, P.U.F, 1986, p. 19. Toutefois, on notera que l’expression de Vargas demeure ambiguë dans la mesure où, selon Rousseau, la mutuelle correspondance entre les sujets et le souverain exige moins de supprimer la distance qui sépare le peuple de lui-même que de la maintenir.

18 J.-J. Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., p. 480.

19 Ibid., p. 484.

20 J.-J. Rousseau, Les Confessions, ET-OC, tome II, p. 543.

21 J.-J. Rousseau, Discours sur l’économie politique, Op.  cit., p. 309

22 J.-J. Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., p. 507.

23 L. Dumont, Essais sur l’individualisme, Paris, Seuil, 1983, page 119.

24 A. Honneth, Ce que social veut dire, Paris, Gallimard, 2013, p. 156.

25 J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, ET-OC, tome V, p. 166.

26 Cl. Levi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 467.

27 D. Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, Paris, Pléiade, 1951.

28 Ibid., p. 970. Nous soulignons.

29 J.-J. Rousseau, Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Op. cit., p. 199.

30 Ibid., p. 132, Nous soulignons. Voir sur ce point notre article « Rousseau, la propriété et l’origine du mal », in Rousseau et la propriété, Rousseau studies 2, Genève, Slaktine, 2014.

31 D. Diderot, Droit naturel, Encyclopédie 1, Paris, Garnier Flammarion, 1986, p. 338

32 Ibid., p. 339.

33 J.-J. Rousseau, Discours sur l’économie politique, Op. cit., p. 304.

34 J.-J. Rousseau, Du contrat social (1ère version), ET-OC, tome V, pp. 383‑384. Nous soulignons.

35 E. Brehier, Histoire de la philosophie, Paris, P.U.F, 1988, p. 422.


36 J.-J. Rousseau, Du contrat social (1ère version), Op. cit., p. 384.

37 Ibid. La critique qui consiste à reprocher à Rousseau de ne pas prendre en considération l’aporie que représente l’avènement de la raison et de succomber ainsi trop aisément à la facilité de l’idéalisme est infirmée par ailleurs dans Du Contrat social : « Pour qu’un peuple naissant pût goûter les saines maximes de la politique et suivre les règles fondamentales de la raison d’État, il faudrait que l’effet pût devenir la cause, que l’esprit social, qui doit être l’ouvrage de l’institution, présidât à l’institution même, et que les hommes fussent avant les lois ce qu’ils doivent devenir par elles ». J.-J. Rousseau, Du contrat social, Op. cit., p. 509.

38 J.-J. Rousseau, Du contrat social (1ère version), Op. cit., p. 384. A propos de Grimm, Rousseau écrit dans Les confessions : « Je me rappelai le sommaire de sa morale, que Madame D’Epinay m’avait dit, et qu’elle avait adopté. Ce sommaire consistait en un seul article ; savoir que l’unique devoir de l’homme est de suivre en tout les penchants de son cœur. Cette morale quand je l’appris me donna terriblement à penser, quoique je ne la prisse alors que pour un jeu d’esprit. Mais je vis bientôt que ce principe était réellement la règle de sa conduite, et je n’en eus que trop dans la suite la preuve à mes dépens. C’est la doctrine intérieure dont Diderot m’a tant parlé. Mais qu’il ne m’a jamais expliquée ». Jean-Jacques Rousseau, Les confessions, Op. cit., p. 614.

39 J.-J. Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, ET-OC, tome IV, p. 431.

40 J.-J. Rousseau, Du contrat social, Op. cit., pp. 502‑503.

41 Ibid., p. 502.

42 M. Gauchet, Le désenchantement du monde, Op. cit., p. 248.

43 Ibid., p. 250.

44 M. Gauchet, « La dette du sens et les racines de l’Etat », in Libre 2, Paris, Payot, 1977, p. 21

45 Cl. Levi-Strauss, Anthropologie structurale II, Paris, Plon, 1973, p. 51

46 Ibid., p. 48

47 J.-J. Rousseau, Du contrat social (1ère version), Op. cit., p. 384.

48 Cl. Levi-Strauss, Tristes tropiques, Op. cit., p. 374.

49 Tristes tropiques.

50 Cl. Levi-Strauss, Entretiens avec Georges Charbonnier, Paris, Plon, 1961, p. 40.

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