Résumé

Principal mouvement néofasciste français, Ordre Nouveau, adepte des actions violentes, donna naissance au Front National en 1972. Cet article se propose d’étudier la manière dont il a utilisé et fait face au terme « fascisme ».  Cette étude se place dans le sillage du renouveau de l’histoire politique, en intégrant l’approche linguistique. Si ce terme renvoie à un pan du passé de l’extrême droite, c’est également le symbole et le moteur de la disqualification politique de l’extrême droite après 1945. Doté d’une importante plasticité et polysémie, il s’est prêté à des usages éminemment polémiques.

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Ordre nouveau

 

Jonathan Preda est enseignant au collège, agrégé en histoire-géographie, et doctorant à l’Institut Français de Géopolitique. Il réalise une thèse sur la mémoire et les usages des passés fascistes dans l’extrême droite française de 1945 à 1984. En abordant la mémoire avec le prisme de la culture politique au sens large, il s’agit de voir comment une contre-mémoire a pu être mise en place et utilisée dès la fin des fascismes dans une extrême droite alors largement groupusculaire, que ce soit à des fins politiques, idéologiques ou encore identitaires. Il est notamment l’auteur d’Aux Racines du FN. L’Histoire du mouvement Ordre Nouveau (avec Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard) Fondation Jean Jaurès, 2014.

 

 

Ordre Nouveau dut se positionner face à l’accusation de « fascisme » en usant de toute une langue de bois. Le terme se voit vidé de son sens, transformé ou encore dénué de son contenu sémantique pour mieux le retourner contre l’adversaire en utilisant son propre langage. Ordre Nouveau a également tenté d’imposer un récit qualifié de « nationaliste » dans lequel le passé fasciste se voit subsumé. Il devait permettre de conserver l’image de marque d’Ordre Nouveau, celle de la radicalité, tout en évitant le terme honni. Enfin, il a fallu composer avec nombre de militants pour qui ce passé, loin d’être un épouvantail, relève de la culture politique (un panthéon, une esthétique…). D’un côté, le « fascisme » synonyme de « folklorisme » est dénoncé par des cadres désireux de disposer de professionnels prêts à mener la révolution. Pourtant, de l’autre, on joue largement la carte de la provocation, que ce soit pour s’auto-représenter avec le fameux « roi noir » fasciste du GUD, branche étudiante d’Ordre Nouveau, ou encore pour faire parler de soi dans les médias par le biais d’affiches faisant appel aux références historiques fascistes. La gestion de ce passé révèle une nature oscillante entre radicalité et volonté de normalisation, une oscillation qui a été léguée en héritage au Front National.

 

 « Comme toujours, et plus que jamais, la politique étant d’abord et avant tout une guerre des signes, une guerre des modèles, des symboles, il faut se mettre d’accord sur le sens des mots » écrivait Jean-Marie Le Pen en 1991[1]. Si les mots sont une arme, « ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer » (Michel Foucault), la langue d’extrême droite apparaît à bien des égards comme singulière. Dans cette bataille sémiotique menée par cette frange politique, le mot fascisme occupe une place à part. Renvoyant à un pan de l’histoire d’une partie de l’extrême droite, le terme est également le symbole et le moteur de sa disqualification politique après 1945. Doté d’une importante plasticité et polysémie, il s’est prêté à des usages éminemment polémiques – sa délimitation dans l’espace académique même étant l’objet de controverses.

 

Né des cendres du mouvement activiste Occident (1964-1968) dissout en 1973 conjointement à la Ligue Communiste, Ordre Nouveau (ON) (1969-1973) est le principal mouvement d’extrême droite à la fois légal et violent en France de l’après-1945 et dernier groupe néofasciste disposant d’un nombre important de militants.  Dès sa naissance, le mouvement dut faire face à l’accusation de fascisme. Les raisons ne manquent pas pour établir cette comparaison, dès le premier meeting de 1970. Alors que les délégués envoyés par le MSI (Movimento Sociale Italiano), mouvement néofasciste italien, sont accueillis par des bras tendus, Jean-Gilles Malliarakis de l’Action Nationaliste glorifie la Collaboration tandis que Jean-François Galvaire, éphémère dirigeant du mouvement, appelle à « faire les comptes et peut être dresser des poteaux d’exécution » (Lebourg et Preda, 2012). La salle résonne des noms des glorieux « martyrs »,  Primo de Rivera, Laval, Pétain, Brasillach, Darnand, etc[2]. Des posters à leur effigie sont même vendus dans le hall de la Mutualité, dont celui de Mussolini (Albertini et Doucet, 2013, p.29). Pourtant, les dirigeants d’Ordre Nouveau réfutent le qualificatif de fasciste et sont même allés jusqu’à attaquer en justice ceux qui les avaient désignés ainsi.

 

L’enjeu politique autour de ce terme est de taille. Ordre Nouveau récuse l’idée d’être une simple bande violente comme son prédécesseur Occident, et affirme hautement être un parti nationaliste, terme qui sous-entend une volonté révolutionnaire sur lequel nous reviendrons plus loin. Il appartient en tout cas à la galaxie fasciste au sens donné par Roger Griffin. Trois grands axes déterminent pour lui un « minimum fasciste »: un caractère révolutionnaire en vue d’un « homme nouveau », une volonté modernisatrice au contraire mouvements conservateurs et une dimension populiste ayant pour but la mobilisation des masses une conception organique de la nation (Voir notamment Griffin, 2010).

 

Pourtant, dès 1972, le mouvement aspire à participer aux élections en donnant naissance à une formation parallèle, le Front National (FN), qui survit à la dissolution prononcée en 1973 de son mouvement géniteur. Le terme de « fascisme » peut dès lors jouer le rôle d'épouvantail pour nombre de sympathisants et potentiels électeurs. Pour Catherine Barnay, ancienne militante d’ON, le FN devait permettre de contourner ce problème : « On en a eu marre des meetings interdits, des cassages de gueule. Dès qu’on ouvrait la bouche, on se faisait traiter de fachos » (Albertini et Doucet, 2013, p.31).            

Comment un mouvement politique pénétré de culture politique fasciste et d’une pratique violente, mais aspirant à s’embourgeoiser et participer aux élections, parvient-il à manier le terme de « fascisme » ?

Tout un panel argumentatif a été déployé par Ordre Nouveau pour réfuter l’accusation de « fascisme » (I). Néanmoins, pour conserver tout un pan de ce passé et de ses figures, ON a tenté d’imposer auprès de ses militants un nouveau récit identitaire qualifié de « nationaliste » (II). Mais, comme nous le verrons, il fallut composer avec la nécessité de faire parler de soi et des militants largement pénétrés d’une culture fasciste promptes à se revendiquer comme tels (III). 

 

1. La langue de bois face à l’accusation de « fascisme »

 

Interrogés au sujet de son caractère fasciste, les dirigeants d’Ordre Nouveau n’ont eu de cesse de rejeter l’accusation. Des procès ont été intentés pour diffamation aux journaux d’extrême gauche ayant qualifié le mouvement de fasciste ou nazi. En 1972, le jugement rendu par la 17ème chambre correctionnelle de Paris condamne L’Humanité, Rouge et Lutte ouvrière pour avoir employé des expressions « de nature à nuire à l'honneur et à la considération des membres d'Ordre nouveau », notamment pour avoir annoncé la « renaissance du nazisme » (Bérubé-Sasseville, 2021, p.94). Toutefois, la relaxe est prononcée pour certains articles car, comme le note le tribunal, « on put entendre divers orateurs développer les thèses du nationalisme d'extrême droite, faire acclamer par la salle Pétain, Doriot, Salan, l'OAS [Organisation de l’armée secrète], les colonels grecs et huer Marcellin, de Gaulle, Mitterrand, Pompidou, les Juifs, les communistes, etc., tandis que retentissaient en guise de fond sonore des chants guerriers de l'Allemagne nationale-socialiste... »[3]. ON a également poursuivi Hara-Kiri Hebdo pour un article de François Cavanna dans le numéro du 25 mai 1970 où Ordre Nouveau est assimilé avec ironie au nazisme. L’article est parsemé de slogans tels « Ressuscitez Hitler », « Rejouez Leningrad » ou encore « Rependez Mussolini à l’endroit », en référence au corps du défunt Duce pendu par les pieds à Milan le 29 avril 1945[4].

 

Attaquer en justice est une pratique longue et aux succès incertains. Cela permet toutefois de trouver une tribune où s’exprimer. Cette stratégie va de pair avec une langue de bois qui use de divers stratagèmes, dont certains surtout employés à l’extrême droite. C’est le cas de la pratique de mettre entre guillemets le terme à décrédibiliser, ici le fascisme. D’ailleurs, le mot n'apparaît souvent que sous cette forme dans les publications sympathisantes et militantes. Ainsi, dans Pour un ordre nouveau, le journal du mouvement, il est écrit que, lorsque les « gauchistes » hurlent à l’ «”agression fasciste” », cela signifie qu’ils vont passer à l’attaque. Le mot est vidé de son sens, réduit à son versant d’accusation creuse. Le procédé est elliptique mais compréhensible dans cette frange politique. Fonctionnant sur la connivence, il permet de souder ceux ainsi visés, les transformant en victimes à la fois d’une violence physique et sémiotique.

Lorsqu’il n’est pas affublé de guillemets, le terme est souvent détourné, transformé par des néologismes et autres inventions sémantiques. Là encore, il s’agit d’un usage bien ancré à l’extrême droite permettant surtout de décrédibiliser  ceux qui lancent l’accusation, sans discuter du fond de l’accusation qui est passé sous silence (Krieg, 1999). Dans le bulletin de l’Union des Lycéens Nationalistes (ULN) lié à ON, on parle des « « affreux-fâschistes » », donnant une impression bêlante au terme qui est alors réduit à une accusation sans fondement ni contenu. Même François Duprat, l’un des dirigeants pourtant ouvertement néofascistes mais s’exprimant sous pseudonyme, parle avec ironie dans Rivarol de « l’hydre du “fascisme-nazisme renaissant” »[5].

 

Hors des cercles de militants ou sympathisants, la langue de bois se doit d’être plus développée, moins allusive. Face à la société, elle vide le terme « fasciste » de son contenu sémantique en le diluant pour mieux le retourner contre ses adversaires. Le 11 février 1974, François Brigneau, un des dirigeants du mouvement et ancien membre de la Milice, sommé de répondre de l’accusation de racisme développée à l’encontre d’Ordre Nouveau, déclare à la 17ème chambre correctionnelle que le judaïsme est raciste et que le seul racisme toléré en France serait celui des Juifs. Ainsi, la transmission du judaïsme par la mère serait à comparer avec l’appartenance à la race aryenne. S’en suit une comparaison : selon lui, si les théories nazies ont mené à des massacres, elles ne sont pas les seules, citant alors pêle-mêle Lénine et le léninisme, la Terreur ou encore la Vendée où « il existe 30 Oradour républicains »[6]. Même au FN, création d’ON, Jean-Marie Le Pen s’y emploie lors de sa première conférence de presse Lui, fasciste ? Sa réponse est un retournement de l’accusation dans un contexte de Guerre Froide : pourquoi ne parle-t-on jamais des violences communistes [7]?

 

Le retournement se fait parfois plus personnel, avec des attaques ad hominem. En 1973, une affiche du FN, encore lié à ON, montre ainsi Georges Marchais, alors secrétaire général du Parti Communiste Français (PCF), en « collabo » ayant travaillé volontairement en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale[8]. De même la dissolution prononcée en juin 1973, suite aux violences ayant émaillé le troisième meeting du mouvement néofasciste, donne lieu à un véritable chassé-croisé d’attaques usant du souvenir de l’Occupation et du fascisme dans le Monde du 2 juillet 1973. Le ministre de l’intérieur Raymond Marcellin, ancien pétainiste mais aussi résistant, renvoie dos à dos extrême droite et extrême gauche en reprenant à son compte cette rhétorique : « À la vérité, le combat pour la liberté, c'est la majorité qui le mène, le combat pour la défense de la République, c'est le gouvernement qui le mène. Les gauchistes qui s'emploient à dénoncer le racisme et le fascisme, utilisent les méthodes d'action violente inspirées par la même intolérance politique fasciste »[9]. François Brigneau déclare, lui: « J'ai fait jadis des conférences avec M. Marcellin. Il ne me trouvait, à l'époque, ni néo-nazi ni néo-fasciste. En tout cas, ce n'est pas à l'extrême gauche de dire qui est fasciste et qui ne l'est pas, ou d'interdire la tenue d'une réunion »[10]. Si l’extrême droite reprend le langage « dominant » pour qui le fascisme est le « mal » absolu, elle le fait selon un schéma récurrent pour elle, celle d’une attaque personnelle qui ne cesse de traquer les « girouettes » après 1945, ceux qui auraient retourné leur veste à la Libération pour se mettre dans le camp des « vainqueurs ». 

 

La langue de bois a également pris des contours plus « habituels » pour repousser l’accusation de fascisme. L’interview donnée par l’éphémère dirigeant d’Ordre Nouveau au journal Minute, où officie François Brigneau, en est la quintessence. L’entretien commence autour du nom du mouvement. Selon Galvaire, le choix aurait été dicté par la volonté de faire quelque chose de nouveau, contre la société technocrate, marxisée et bourgeoise. Nulle évocation de la référence à la Collaboration ou au mouvement néofasciste italien contemporain, Ordine Nuovo. Et ce n’est pas le journaliste de Minute qui va le relancer sur ce sujet, permettant une langue de bois par omission. Elle se mue en réponse pour le moins obscure lorsqu’il est question de la présence des militants du Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD) allemand néonazi et du MSI néofasciste. Ce sont des partis « avec lesquels d’ailleurs nous ne sommes pas d’accord sur tout mais qui sont plus près de nous que les autres ». Une autre question porte sur les noms scandés lors du meeting, les Pucheu (secrétaire d’Etat à l’intérieur de Vichy, fusillé à la Libération), Pétain et Primo de Rivera, mais en interrogeant sur le seul « passéisme » de ces noms, ce qui est déjà un moyen d’évacuer la teneur politique des références. Pour les jeunes militants, scander ces noms ferait partie, selon lui, d’une offensive contre « l’histoire telle qu’elle a été racontée par les vainqueurs » et d’une sensibilité des jeunes aux « maudits » comme Drieu la Rochelle et Brasillach, d’autant que cet opprobre leur semble « injustifiable et injustifiée ». Et de continuer sur sa propre personne, son jeune âge en 1940 et sa famille résistante, passant sous silence les membres d’Ordre Nouveau au passé fort chargé comme François Brigneau ou encore Victor Barthélémy, respectivement ancien milicien et ancien membre du Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot. De plus, il feint de croire que seuls les « anciens » ayant vécu le fascisme peuvent s’en revendiquer en parlant de « collaborationnisme » et de « pétainisme », c’est-à-dire des phénomènes datés et finis, et non de « fascisme » ou « néofascisme ».

 

Avocat de métier, l’éphémère dirigeant Galvaire use de stratagèmes tous droits sortis de L’art d’avoir toujours raison de Schopenhauer, notamment en écartant ou restreignant à volonté la définition du fascisme. Devant répondre de l'existence d’une possible internationale fasciste : « Ça existe, l’internationale fasciste ? Mais de quel fascisme s’agit-il ? Du fascisme de M. Castro ? Du fascisme de M.Nasser ? Du fascisme des nouveaux Etats africains créés avec la bénédiction du général De Gaulle et de M.Focard ? Du fascisme que les communistes russes ont fait tomber sur la Tchécoslovaquie avec l’aide des communistes français ? Tout le monde est le fasciste de quelqu’un aujourd’hui. On traite même Moshe Dayan de SS. Tout cela est risible. Je n’ai pas été fasciste. Je ne suis pas fasciste. Je crois que les conditions qui ont amené Mussolini au pouvoir sont différentes des conditions politiques actuelles. Nous sommes de 1970 et non de 1920. Cinquante ans ont passé qui pèsent dans l’Histoire le poids de plusieurs siècles. Assez de folklore, de carnaval et de jeux nègres ! Que cesse son enfantillage qui est de l’infantilisme et qui consiste à déguiser le présent avec les défroques du passé ». Il élargit la définition de fascisme en reprenant, sans l’évoquer explicitement, la thèse du « fascisme rouge », très répandue à l’extrême droite. Pour finir par une acceptation très restreinte du terme fasciste réduit à sa seule réalité mussolinienne, ce qui lui permet, sans vraiment mentir, de dire que dans ces conditions, lui et son mouvement ne sont pas fascistes[11].  Cette interview est qualifiée par René Monzat et Jean Yves Camus de « malheureuse » car Me Galvaire était apparu comme trop « modéré » (Camus et Monzat, 1992), une langue de bois trop réussie en quelque sorte ou arrivant à contretemps, en avance sur la création du Front National. En effet, la nécessité de réfuter une assimilation infamante se conjugue avec la nécessité de conserver une image révolutionnaire qui est consubstantielle de ce que se veut être le néofascisme. Obtenir la radicalité sans l’opprobre en quelque sorte. Une quadrature du cercle à l’extrême droite ?

 

2. Le fascisme dans un récit identitaire « nationaliste »

 

En mai 1970, Galvaire quitte la présidence d’Ordre Nouveau. Au journal Rivarol, il affirme ne plus supporter « les accusations d’antisémitisme injustement proférées ». Il se prête même à une dernière pirouette rhétorique : « En outre, comment peut-on nous traiter sérieusement de “ nazis ” alors qu’aucun d’entre nous n’avait plus de trois ans quand la Wehrmacht pénétra en France ? En toute logique, nous ne pouvons être nostalgiques d’un régime que nous n’avons pas connu », faisant mine de ne pas connaître la réalité du néofascisme et du néonazisme. Pourtant, il ne peut qu’admettre que les militants d’Ordre Nouveau ne s’offusquent pas de ce qualificatif, eux qui se veulent « révolutionnaires »[12].

 

Cette radicalité cultivée chez les militants doit composer avec la stratégie électorale menée conjointement où la référence fasciste est suicidaire politiquement. Pour résoudre ce dilemme, Ordre Nouveau met en avant un terme mobilisateur, en lieu et place de fascisme : le nationalisme. Ce qui peut apparaître comme un passe-passe sémantique devait permettre de conserver l’image de marque, à savoir un mouvement synonyme d’anticonformisme, de révolution et de jeunesse, en un mot néofasciste, en accord avec l’un de leurs slogans : « Europe ! Jeunesse ! Révolution ! » (Chanclu et Mayadoux, 2019, p.75). Cette auto-définition se déploie dans les prises de parole à destination de l'extérieur. Ainsi, ON se présente lors de son troisième congrès comme un « parti nationaliste révolutionnaire »[13], au contraire du FN qui affirme officiellement représenter « la droite nationale, sociale et populaire », reprenant là un slogan du MSI italien[14]. Présente depuis 1928 en Allemagne, cette division entre « nationaux » et « nationalistes » fait sens à l’extrême droite, où elle succède à celle entre collaborationnistes fascisants se revendiquant révolutionnaires et pétainistes conservateurs. Elle perdure d’ailleurs après la scission entre les militants du mouvement dissous qui continuent de s’autodéfinir comme des nationalistes révolutionnaires et le FN passé sous le giron exclusif de Jean-Marie Le Pen, qui représenterait les « tares éternelles des nationaux », à savoir un goût du bluff, pour les combines douteuses[15], une droite de l’argent, jugée réactionnaire. Elle se double d’un clivage générationnel, entre ces jeunes se revendiquant révolutionnaires et ceux qu’ils appellent les « vieux cons », la « vieille droite » conservatrice (Albertini et Doucet, 2013, p.25). Là encore, on use de la référence fasciste. « Les vieux du FN nous voyaient comme des sales gosses et des fascistes » se souvient un ancien militant d’ON, tandis que du côté lepéniste, Roger Holeindre parle de « ces mecs qui se prenaient pour des nazis » (Albertini et Doucet, 2013, p.40).

 

Imposer le terme de nationalisme n’est pas qu’affaire de façade politique. En interne, les cadres usent et abusent de ce terme à destination des militants. On prend soin de se différencier du FN. Dans une lettre envoyée aux militants ON du 17ème arrondissement le 7 mars 1973 au sujet de la première participation du nouveau parti frontiste aux élections législatives, le secrétaire général parle bien pour ce dernier de la « Droite Nationale ».

 

S’auto-définir « nationaliste » permet à ON de taire le fascisme en le subsumant sous ce nouveau terme syncrétique qui résume le récit identitaire proposé aux militants. La référence, honnie par la société, vient s’enchâsser dans une histoire longue. A ce terme à vocation identitaire est adjoint un symbole, la croix celtique, qui joue le même rôle de radicalité sans porter la marque infamante de la Seconde Guerre mondiale. Peu présente en France avant le XXème siècle, elle apparaît après la Première Guerre mondiale et est également reprise par des organisations de jeunesses sous Vichy. Après 1945, elle est choisie comme emblème du groupe néofasciste Jeune Nation puis par Occident. Sur la porte blindée noire du siège rue des Lombards, une grande croix celtique s’étale en blanc (Albertini et Doucet, 2013, p.21). D’ailleurs, si elle est utilisée dans les tracts d’ON, elle ne l’est pas par le FN qui adopte lui la flamme tricolore. Les contours de ce  « nous », de cet « univers de reconnaissance » selon le terme de l’anthropologue Marc Augé (Augé, 1994) ainsi dessiné par ce terme concerne les militants d’ON, et non les électeurs.

 

Le fascisme intégré dans ce récit nationaliste est un phénomène présenté comme passé, clôt. C’est un fascisme sans guillemets, c’est-à-dire considéré par l’extrême droite comme une idéologie sur laquelle on ne porte pas de jugement moral. Le premier tome des cours de formation dispensés aux militants d’ON a pour thématique le nationalisme, sa doctrine et ses incarnations à travers les âges. Le fascisme italien y est évoqué, surtout à travers ses « réalisations » et « solutions » politiques révolutionnaires, mais également Hitler ou encore le phalangisme espagnol de José Antonio Primo de Rivera. Ils côtoient les ancêtres revendiqués du nationalisme, les Taine, Renan ou encore Drumont et Barrès[16]. Le fascisme est surtout réduit à un « idéal », une vision du monde, une « philosophie fasciste » selon le titre d’une formation donnée par Duprat au centre de formation d’Assas (Lebourg et al., 2014, p.51), passant sous silence les violences et l’Extermination des juifs d’Europe qui lui sont ordinairement liées. D’ailleurs, dans l’un des rapports de la section du XXème arrondissement, il est noté qu’un certain Hussenet, 17 ans, aurait des « penchants nazis (mauvais sens du terme) trop marqués. Ne s’intéresse qu’à la violence sans but vraiment politique. Désire S.O [Service d’Ordre] »[17]. Même en interne, la différence est faite entre un nazisme qui correspondrait à l’image donnée par la société, synonyme de violence, le « mauvais sens du terme », et un hypothétique « bon » qu’on imagine être celui d’un régime meilleur qu’un autre.

 

Si les membres du bureau politique d’ON refusent les étiquette nazie, fasciste ou nostalgique, Léandri, ex-OAS et responsable de la documentation, se plaît à dire : « Nous devons construire un parti de tendance dure en nous inspirant des éléments positifs que nous ont légué les mouvements nationalistes d’avant-guerre »[18]. Ordre Nouveau se place là dans les pas de la génération néofasciste née avec la guerre d’Algérie et l’échec de l’OAS.  L’un de ses plus influents théoriciens est alors Dominique Venner qui appelle à construire une véritable force révolutionnaire et nationaliste en se détachant de l’activisme jugé stérile de nombreux militants pour l’Algérie française dans son opuscule Pour une critique positive. Il y expose alors la division entre « nationaux » et « nationalistes » et une théorie de ce dernier qui hériterait de Taine, de Renan et surtout Drumont, Barrès, Maurras, mais aussi José-Antonio Primo de Rivera et Brasillach (1962).

 

Ordre Nouveau s’est employé à inculquer cette « longue mémoire » du nationalisme. D’ailleurs, ce mouvement fait la jonction entre les anciens militants ayant vécus la Seconde Guerre mondiale et celle des jeunes baby-boomers marqués par l’empreinte de la Guerre froide et la guerre d’Algérie.  D’anciens collaborationnistes membres d’ON ont été sollicités dans le cadre de « Lundis nationalistes ». Une note des Renseignements Généraux signale qu’une réunion d’information aurait été organisée le 14 février 1972 sur le thème des événements du 6 février 1934, date mythique à l’extrême droite. La conférence et le débat devaient être animés par Gabriel Jeantet, ancien membre de la Cagoule, pétainiste puis résistant, ainsi que deux miliciens, François Brigneau et Henry Charbonneau. Selon le rapport établi, elle était susceptible de réunir 200 à 250 personnes[19]. En avril 1972, c’est le « Parti Populaire Français, sa doctrine, ses chefs, l’actualité de ses thèmes. Doriot et le socialisme fasciste » qui est choisi comme thème par Victor Barthélémy, secrétaire administratif du FN et ancien dirigeant du PPF[20]. C’est d’ailleurs à cette occasion que le chant du PPF, « France libère-toi ! », a été distribué aux militants présents (archives personnelles).

 

Le terme de nationalisme, lesté de tout ce passé fasciste, est peuplé d’une galerie de références et de « martyrs » censés donner une direction et un sens au combat mené. Le 13 février 1973, Ordre Nouveau hebdo se fend d’un article en hommage à Brasillach à l’occasion de l’anniversaire de sa mort. Il n’y est nulle part question de fascisme mais bien de « nationalisme », un flambeau du nationalisme qu’ils se disent prêts à reprendre : « Notre combat est de demain, mais le Nationalisme est de toujours »[21]. De même à la mort de Lucien Rebatet, également ancien collaborationniste membre de Je suis partout et antisémite forcené, Ordre Nouveau présente ses condoléances à un homme « fidèle à ses idéaux », des « idéaux » qui auraient consisté à réveiller le peuple et avertir la France du danger. Une mission qu’ON affirme poursuivre[22]. Ce sont avant tout des fascistes « littéraires » qui sont célébrés ou des leaders qui ne sont pas parvenus à prendre le pouvoir comme Primo de Rivera. Comme nous le confiait une ancienne militante : « J'imagine que pour la plupart d'entre nous, Primo de Rivera était un grand ancien, un maître, un héros ; Brasillach, un martyre et Drieu, un mythe, plus éloigné, plus intello. »[23]. Le choix de ces figures permet d’intégrer un fascisme réduit à une idéologie désincarnée sans le poids des violences et crimes commis, un fascisme révolutionnaire avec une vision « européiste », en lien avec ce que ce que souhaite être le néofascisme. Cela offre également l'avantage de ne pas reprendre les figures mises en avant par la société, Hitler en tête.

 

3. Ordre Nouveau et la tentation de la référence « maudite »

 

La volonté de créer une force politique néofasciste doit composer avec la réalité militante à Ordre Nouveau qui est loin de l'ethos révolutionnaire rêvé. Avec la création du FN, c’est une véritable ligne de crête qui est suivie, les dirigeants affirmant que seuls « les militants qui savent faire face au combat électoral sans sombrer dans l’électoralisme, en gardant toutes les vertus révolutionnaires, méritent [...] le titre de révolutionnaires » (Bérubé-Sasseville, 2021, p.153). A l’approche des élections législatives de 1972, les directives à l’adresse des militants les enjoignant d’éviter tout « ”activisme intempestif” » et pratiquer plutôt un « fascisme souriant » sont parfois mal accueillies[24]. C’est d’ailleurs à cette occasion que le FN a été créé pour  « sortir l'opposition nationale de son ghetto » et « rallier l'électorat traditionnel de droite qu'on retrouve en particulier chez certains gaullistes et centristes »[25]. Là où les cadres souhaitent un fascisme relégué à un passé nationaliste pour un présent néofasciste débarrassé des signes extérieurs compromettant, bras tendus et symboles nazis en tête, il n'en est pas forcément de même pour les militants. Le risque est, par excès d’activisme,  de coller à l’image donnée par la société qui est résumée dans Pour un ordre nouveau sous le terme de « nazis-fascistes-casqués-bottés-armés-brutes-sanguinaires » (Dézé, 2012, p.40).

 

Dans une lettre interne du 8 février 1972, le constat fait par le dirigeant du secteur couvrant les VIe, VIIe, XIVe et XVe arrondissements de Paris est sans appel. Tandis que beaucoup de militants d’extrême gauche resteraient des heures à étayer la doctrine, « il n’est guère de militants d’Ordre Nouveau qui se battent en sachant clairement pourquoi il le fait… Il ne fait aucun doute que nous puissions – enfin ! –, et à court terme, établir des points certains d’une doctrine, puis une doctrine toute entière ». Pour nombre de jeunes militants, le fascisme est surtout synonyme de romantisme, une esthétique de réprouvés selon le titre d’un livre d’Ernst von Salomon contant l’aventure des corps-francs, très lu dans les rangs d’ON. Le GUD reprendra d’ailleurs ce titre pour sa revue en 1992. Le néofascisme fondu sous le terme de nationalisme a bien du mal à être intégré par les militants.

 

La reprise de références fascistes a pourtant fait partie de la stratégie d’ON dès sa naissance afin de bénéficier d’une forte couverture médiatique. Certaines affiches mettent en avant la main tendue ainsi que l’intitulé « Europe libère-toi ! », référence explicite à l’hymne du PPF, « France libère-toi ». « On doit reconnaître à François Duprat un coup de génie, s’amuse Jack Marchal, qui fut un cadre essentiel, celui d’avoir mis ON en orbite ex nihilo, juste avec une affiche provocatrice à souhait, alors que nous n’avions alors ni journal, ni local, ni boîte postale. L’hégémonie remportée d’emblée dans notre camp a été un coup de bluff dont on ne remerciera jamais assez Duprat » (Lebourg et al., 2014, p.23).

 

Là est le nœud du problème, quand bien même Alain Robert affirme lors d’un meeting du FN en 1973 que « Nous ne sommes plus le camp des réprouvés, des nostalgiques. Nous sommes le camp des battants »[26]. Le bulletin interne du parti proclame qu’« être révolutionnaire, ce n’est certainement pas vivre casqué et botté, prêt à prendre les armes contre l’adversaire. Trop de jeunes, par romantisme, se laissent encore prendre à cette image caricaturale de l’action révolutionnaire »[27]. Ce romantisme avait pour objet les combats pour l’Algérie française et le Baltikum (les corps-francs) selon Pascal Gauchon (Chanclu & Mayadoux, 2019), mais aussi le Front de l’Est et la lutte des derniers Waffen SS français autour du bunker d’Hitler, ainsi que les écrivains Drieu la Rochelle et Brasillach, suicidé pour le premier et fusillé pour le second. Des « martyrs » et des « maudits ». Un romantisme de vaincus en somme. 

 

Les mots prononcés par Alain Robert lors du second congrès de 1972 sont durs. Les « militants viennent à nous de manière épidermique et non réfléchie et ne trouvent pas d’explication de la ligne politique », sans oublier le « problème de l’image de marque qui n’est pas bonne », un « problème de vocabulaire inadapté » ou encore « pas de folklore, de tourisme »[28]. Ce qui est étrillé relève surtout du goût de la provocation qui a poussé certains à se revendiquer comme fasciste. On peut en partie mettre cela en parallèle avec l’âge des militants. La plupart sont fort jeunes, 40 % ayant entre 18 et 25 ans, la plupart des militants venant alors du GUD (Bérubé-Sasseville, 2021).

 

Cette auto-désignation est largement synonyme de violence, dans un contexte où les oppositions sont fortes avec une extrême gauche qui use de la mémoire de la Résistance et de l'antifascisme. En face, l’extrême droite rejoue le Front de l’Est sur les campus. Cette provocation a été poussée à l’extrême par le mouvement lié à ON, le GUD, qui a pris comme emblème le « rat noir ». L’ancien militant d’ON Olivier Grimaldi nous avait confié : « On a repris le fascisme ? On a dit qu’on était des fascistes, soit ! On dit qu’on est des rats, soit ! On a ressorti le rat noir, on a en a fait un symbole. [...] Vous savez d’où ça vient, la vermine fasciste ? [...] La vermine fasciste, c’était une affiche en sérigraphie faite par un groupuscule d’extrême gauche, je ne sais plus lequel. Elle était géniale cette affiche ! On les décollait, pas pour les foutre dans le caniveau mais pour les garder ! C’est ça qui nous a fait un peu réagir, notamment Jack Marchal : “Il est sympa ce petit rat !” »[29]. Le rat noir mis en scène et dessiné par Jack Marchal est exposé dans le hall de l’université d’Assas où sévit le GUD. Ce personnage est colérique et ne cesse de battre et gagner, même à un contre dix, accompagné de l’omniprésente croix celtique, s’auto-définissant comme « vermine fasciste ». Les jeux de mots du GUD accentuent cette provocation, notamment « Waffen Assas », sans oublier les maximes SS parfois gravées sur les matraques. Là où un François Duprat met en avant les mouvements fascistes d’entre-deux guerres pour les intégrer, via l’ « idéal », dans un récit identitaire, les militants du GUD proches du néonazi et collaborationniste Pierre Clémenti voient en ce fascisme avant tout les Etats totalitaires de l’Axe (Lebourg, 2020).

 

La reprise en interne de ce terme tient en partie du contexte de la mode « rétro » de l’époque durant laquelle les productions culturelles ont largement mis à l’honneur les années sombres et le nazisme (Ory, 1981). La construction de ces récits identitaires se fait en parallèle avec « l’Autre », l’adversaire qu’on nomme « bolcho » (Chanclu & Mayadoux, 2019). Et cet autre se revendique antifasciste à une époque où ce clivage revient sur le devant de la scène chez les jeunes militants. Selon une ancienne militante, « certains d'entre nous pouvaient effectivement se dire néofascistes, en privé et entre nous, au cours de discussions "sérieuses" ; en fait, ils se voulaient néofascistes ou plutôt se rêvaient fascistes... Dans la vie militante de tous les jours, nous adoptions sans état d'âme les appellations de "fachos" ou de "faf", sans me semble-t-il faire de différence entre les deux termes »[30].

 

Pour Ordre Nouveau, on peut y voir un constat d’impuissance, l’incapacité de se doter, même en interne, d’une identité « positive » qui serait largement partagée. Le terme quitte les rivages strictement politiques pour structurer un entre-soi minoritaire. Il n’est pas un programme politique ni une idéologie au sein de la grande famille nationaliste mais un activisme débridé, un « romantisme de la barre de fer ». Ordre Nouveau s’est fracassé sur une équivoque qui est celle de nombreux groupes radicaux d’extrême droite après 1945, entre jouer sur un terme de manière provocatrice pour faire couler de l’encre mais qui, de fait, lui interdit de se développer réellement sur la scène politique voire porte en lui le risque d’être dissout.

Conclusion


« Fascisme », fascisme ou facho. L’usage du terme révèle réalités et contradictions d’ON. Par le récit nommé « nationaliste », il se place dans une démarche néofasciste dans un sens politique. Le but est de proposer une offre se voulant autre que celle du fascisme historique, plus révolutionnaire et avec l’Europe comme horizon (Lebourg, 2006). Le récit ainsi forgé permet de faire le choix d'un panthéon allant dans ce sens, avec Brasillach et son « fascisme immense et rouge » et le « socialisme fasciste » de Drieu la Rochelle en tête. Mais la frontière est ténue entre subversion révolutionnaire et identité de réprouvés usant du terme « maudit » comme d’un stigmate que l’on s’approprie pour forger un entre-soi et faire parler de soi (Goffman et Kihm, 2015). A travers l’analyse linguistique se dessinent les tiraillements à l'œuvre dans le mouvement, partagé entre le désir bravache de jouer les « réprouvés », pour mieux supporter les accusations de résurgences brunes, et les nécessités du combat politique, qui impliquent de bannir ce terme honni.

 

Plus largement, c’est une langue typiquement d’extrême droite face à l’accusation de fascisme qui a été mise à jour. Depuis 1945 au moins, elle use de retournements d’accusations, de comparaisons historiques, de néologismes ou encore d’accusations ad hominem (Preda, 2021). Que reste-t-il de celle-ci ? La tradition de provocation demeure chez certains militants, notamment au sein de petits groupes activistes néonazis. D'ailleurs, le GUD et son « rat noir » ont accouché d'un véritable « mythe » qui perdure à l’extrême droite, celui d'un néofascisme provocateur, que d'aucuns cherchent régulièrement à faire renaître de ses cendres. Les retournements de l'accusation de fascisme sont toujours d'actualité, comme en témoigne entre autres le livre du très droitier Gilles-William Goldnadel, Manuel de résistance au fascisme d’extrême gauche (2021).

 

Avec la dissolution d'Ordre Nouveau et surtout les premiers succès électoraux en 1984 du FN s'ouvre une autre époque pour l'extrême droite largement rassemblée au sein du parti frontiste. L'heure n'est plus à la révolution nationaliste dont la perspective s'éloigne mais au national-populisme dans le cadre d'une société post industrielle. Pourtant, les enjeux demeurent proches, dans une dialectique mettant aux prises d’une part les entreprises médiatiques de dédiabolisation, en excluant régulièrement devant les caméras certains militants pris à user de signes extérieurs de « folklore » fascisant, d’autre part avec une image anti-système qui fonde la spécificité du parti lepéniste dans le paysage politique. Le but est la radicalité tout en apparaissant comme prêts à gouverner. Au FN est d’ailleurs léguée cette tension entre radicalité et normalisation (Lebourg, 2017).

 

Encore récemment, le fascisme a été un sujet à l’extrême droite. Sur le plateau de CNews le 22 juin 2021, Eric Zemmour renvoie le fascisme et surtout le national-socialisme à ses supposées racines socialisantes pour mieux attaquer ses adversaires de gauche. La référence, létale politiquement, a même servi aux luttes fratricides avec sa concurrente du RN. Lorsque Marine Le Pen le renvoie à la présence de néonazis dans leurs rangs[31], les partisans du polémiste ricanent, l’ancien membre de RN passé à Reconquête, Gilbert Collard, affirmant au micro de RTL le 3 février 2022 : « C'est quand même extraordinaire de voir qu'elle utilise (...) des arguments que les bobos de gauche utilisaient contre le Rassemblement national ». Telle est l'équation, en partie sémantique, de l'extrême droite dont le fascisme, au sens large, est encore une variable indépassable.

 

 

 

[1] Le Pen, J-M. (1991, 10 octobre). J'accéderai au pouvoir par la voie démocratique. Aspects de la France (220).

[2] Note des Renseignements généraux. (Sans date). Fond Jacques Delarue, F delta rés 851, La Contemporaine, Nanterre, France.

[3] (1972, 28 janvier). Quatre journalistes sont condamnés pour diffamation envers Ordre Nouveau. Le Monde

[4] (1971, 1 octobre). Ordre Nouveau contre “Hara-Kiri Hebdo”. Le Monde.

[5] Solchaga, F., pseudonyme de Duprat, F. (1970, 26 février). Nouvelles du “Front”. Rivarol.

[6] (1974, mars). Déclaration faite par François Brigneau à la 17ème chambre correctionnelle le 11 février. Faire Front.

[7] (1972, 9 novembre). Première conférence de presse. Rivarol.

[8] (1973, 8 mars). Rivarol.

[9] (1973, 2 juillet). M. Marcellin : le gouvernement mène le combat pour la défense de la République. Le Monde.

[10] (1973, 2 juillet). M. François Brigneau : ce n'est pas à l'extrême gauche de dire qui est fasciste. Le Monde.

[11] (1970, 14 avril). “Ce que je veux faire avec « Ordre Nouveau » : remobiliser la droite contre la dictature marxiste”. Minute.

[12] Galic, C. (1970, 4 juin). Où Me Galvaire “ prend du champ ”, Rivarol.

[13] Cg, S. A son 3e congrès, Ordre Nouveau demande l’arrêt de l’immigration. La Croix

[14] (Sans date). Tract du comité du IXème arrondissement, Front National, archives privées.

[15] Le comité de rédaction de « Faire Front ». (1974, 4 avril). Note spéciale d’information.

[16] (1964). Cours de formation d’Ordre Nouveau. Fol Wz 1964, BNF, Paris, France.

[17] Rapport pour la réunion du 28 mai 1972 de la section du XXème arrondissement, archives personnelles.

[18] (1971, 3 avril). Dossier sur Ordre Nouveau. 19900045 art n19 groupements à but politique, Archives Nationales, Paris, France.

[19] (1972, 10 février). Rapport des RGPP GaO3, Archives de la préfecture de police de Paris, Paris, France.

[20] (1973, 9 mars). Rapport des RGPP. GaO3, Archives de la préfecture de police de Paris, Paris, France.

[21] (1973, du 13 au 19 février). 6 février. Robert Brasillach. Ordre Nouveau Hebdo.

[22] (1972, 7 septembre). Rivarol.

[23] (2022, 20 mars). Email de Véronique Péan à l’auteur.

[24] (1971, 31 décembre). Notes hebdomadaires des Renseignements Généraux, F7/15574, Archives Nationales, Paris, France..

[25] N. J.-B. (1972, 13 juin). Ordre nouveau jouera désormais la "carte de l'ordre et de la sécurité". Le Monde.

[26] Ch. S. (1973, 19 janvier). M. Le Pen : « L’UDR vend la patrie en viager aux communistes ». La Croix.

[27] (1972, 2 septembre). Ordre nouveau hebdo.

[28] Document à la main anonyme pour le 2ème congrès d’ON de 1972. Archives personnelles.

[29] (2011, 24 mai). Entretien de l’auteur avec Olivier Grimaldi à Paris.

[30] (2022, 20 mars). Email de Véronique Péan à l’auteur.

[31] Sapin, C. et Zennou, A. (2022, 3 février). Marine Le Pen: «Je suis lassée du bruit et de la fureur. J’ai envie d’efficacité ». Figaro.

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