N°44 / Identités et Appartenances - Janvier 2024

La poétique de l'ivoironie : de la problématique de l'identité dans la poésie ivoirienne

Tié Emmanuel Toh Bi

Résumé

L’Ivoironie est un concept né de nos offices de recherche, en combinaison avec notre attachement à la patrie d’origine, la Côte d’Ivoire.  L’Ivoironie est un concept socio-philosophique indexant, sinon, prisant le consensus national, au nom de valeurs patrimoniales communément partagées. Il est vrai que l’absence de sentiment collectif d’appartenance à une mère patrie une, est un obstacle à la réalisation de projets de société et programmes d’action politique. L’Ivoironie, donc, pour que le sentiment collectif de lien à la terre ancestrale et la conscience partagée du patrimoine national, se surimposent aux opinions politiques et au sentiment ethnico-religieux. Ce faisant, l’Ivoironie, telle qu’exposée, est la visitation d’un kit ou d’un coffret comportant  les particularités de divers ordres de la vie mentale ivoirienne, que le souci de synthèse nous amène à classifier en huit modules : Module 1 : Connaissance de la nature ; Module 2 : Connaissance de l’Histoire ; Module 3 : Considération idolâtre des symboles de l’Etat ; Module 4 : Vécu intense de l’art et de la culture ; Module 5 : Passion jouissive des mets de Côte d’Ivoire ; Module 6 : Connaissance des symboles sportifs ; Module 7 : Initiation à l’univers des cultures vivrières et de rente ; Module 8 : Élan touristique aux infrastructures.  

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LA POETIQUE DE L’IVOIRONIE :

DE LA PROBLEMATIQUE DE L’IDENTITE DANS LA POESIE IVOIRIENNE

Tié Emmanuel Toh Bi est professeurs des universités, Docteur ès lettres modernes, spécialiste de stylistique et de poésie africaine. Il enseigne à l’université de Bouaké en Côte d’Ivoire. Il est l’auteur de Sueur de lune, recueil de poésies aux éditions L’Harmattan publié en 2009. Exégète de la poésie et poète.

INTRODUCTION

  L’Ivoironie est un concept né de nos offices de recherche, en combinaison avec notre attachement à la patrie d’origine, la Côte d’Ivoire.  L’Ivoironie est un concept socio-philosophique indexant, sinon, prisant le consensus national, au nom de valeurs patrimoniales communément partagées. D’ailleurs, le slogan qui le médiatise en dit long sur le contenu doctrinal du concept indiqué : « Au milieu de nos différences, soyons d’accord sur ce qui ne nous différencie pas. »[1]  Ainsi, l’on se trouve être au front d’un vœu pieux à l’apaisement de tensions politiques qui n’ont fait que trop de tort à l’unité nationale, avec leur corollaire de paix sociale précaire, au risque impénitent de troubles sociaux inopinés.  Tant il est vrai qu’aucun développement véritable ne saurait prendre forme dans un pays où les opinions politiques et clans ethnico-religieux sont objet d’idolâtrie.  Tant il est vrai que l’absence de sentiment collectif d’appartenance à une mère patrie une, est un obstacle à la réalisation de projets de société et programmes d’action politique. L’Ivoironie, donc, pour que le sentiment collectif de lien à la terre ancestrale et la conscience partagée du patrimoine national, se surimposent aux opinions politiques et au sentiment ethnico-religieux.   

Ce faisant, l’Ivoironie, telle qu’exposée, est la visitation d’un kit ou d’un coffret comportant  les particularités de divers ordres de la vie mentale ivoirienne, que le souci de synthèse nous amène à classifier en huit modules : Module 1 : Connaissance de la nature ; Module 2 : Connaissance de l’Histoire ; Module 3 : Considération idolâtre des symboles de l’Etat ; Module 4 : Vécu intense de l’art et de la culture ; Module 5 : Passion jouissive des mets de Côte d’Ivoire ; Module 6 : Connaissance des symboles sportifs ; Module 7 : Initiation à l’univers des cultures vivrières et de rente ; Module 8 : Élan touristique aux infrastructures.  

Il s’offre, tout de suite, à l’esprit, sur la base des préceptes glanés, adossés au sujet de la réflexion, le rapprochement entre Poésie et Ivoironie.   La poésie, esthétique littéraire tonifiée sans excuse par le souffle de l’Olympe, inscrit un imaginaire de mise en coexistence des entités composites de l’Univers, aux rapports dialectiques les plus inconciliables, initialement. C’est pourquoi, ledit genre littéraire est dit être celui du monde paradisiaque virtuel ou en devenir.  A juste titre, le passage d’Esaïe 6 :11 de l’exégèse biblique et le poème « A New York » de Léopold Sédar SENGHOR, nous en donnent un air-prélude.   Bien à propos, l’Ivoironie, vision d’une Côte d’Ivoire réconciliée, au diapason d’un monde sublime ou d’un espace social de charme, connecte forcément une spiritualité de l’existence humaine. Opportunément, à l’enseigne des deux passages sus-cités, Bernard ZADI ZAOUROU parle de monde parallèle de l’harmonie universelle, c’est-à-dire, un monde où, tout échappant aux principes physiques, les composantes les plus en inimitié dans le monde physique, naturel ou scientifique, y communiquent décisivement au point d’entretenir  une sympathie lyrique et fusionnelle. Sous ce rapport, on peut bien inférer que l’Ivoironie, vision fervente et positive du vécu ivoirien, est un monde parallèle de l’harmonie universelle, fût-ce en instance ou en esquisse de théorisation, et bonne matière de poésie.  Somme toute, la poésie, foyer esthético-psychique de création d’images, se plait à médiatiser tout monde qui tendrait à se superposer au monde communément vécu ou lucidement expérimental.  Sociologiquement multicolore, la Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest, relativement intégratif par la vertu de ses atouts naturels et économiques, tente de se remettre de plusieurs décennies de doute social et politique.  Une telle entité nationale a besoin, d’urgence certainement, de son Ivoironie et de sa poésie, les deux notions semblant se magnétiser. D’intellectualité attractive qu’elles sont.

N’GUETTA Saint-Joseph est un jeune poète ivoirien, prometteur de son souffle, et zélé pour sa patrie, écrit, de son optique de création ancestralement marquée,  Rhapsodies ivoironiques[2] , une œuvre dans laquelle il loue sa patrie, ses héros contemporains et historiques, ses symboles civiques, en invitant son peuple à s’affranchir tant civiquement que culturellement , afin d’être en phase avec le concept de l’Ivoironie qu’il lui demande d’ailleurs de s’approprier. Le pansement des plaies béantes dont les Ivoiriens ont hérité des récentes crises sociopolitiques, est, selon sa vision des choses,  à ce prix. Et ce, dans un lyrisme de jets de paroles saccadées, propre à la rhapsodie de la griotique négro-africaine marquée, par endroits, d’images et symboles très didactiques pour la collectivité sociale de son pays, bien entendu adossée à des référents encore frais dans les mémoires.

De souci problématique, l’on objecte que la poésie est un langage d’Universalité, au regard de la stylistique de son expression donnant au poème d’être, selon le terme de RIFATERRE, une « représentation », au sens d’un micro-univers, d’une réalité intellectuelle à laquelle se connecterait le psychisme de tout Sachant. Qu’en sera-t-il, donc, si la poésie doit avoir pour matière médiatique une identité nationale, c’est-à-dire, quelque chose de spécifique ou de particularisant, n’interpelant pas toujours la généralité universelle ? Corrélativement, la poésie, littérature sémantiquement désubstantialisée, est immatérielle et abstraite, aux contours hermétiques. Pourtant, l’identité, notion dont se réclame l’Ivoironie, est quelque chose qui est censé se vivre socio-pratiquement et se véhiculer objectivement, de toute la communicativité de sens utilitairement humain.  Visiblement, se trouve être mis en doute le sort de la perception du message.  En somme, que peut valoir l’identité dans une littérature de création invraisemblable, produite par l’imaginaire d’un pays d’actualité identitaire très sensible ?

L’esprit scientifique résout, de toute la glose ébauchée, la démarche quadripartite suivante, pour sacrifier à la problématique de la réflexion : De l’esthétique des névroses culturelles ; De la rhétorique cultuelle du civisme ; Du sacerdoce prédicatif de l’Unité ; du lyrisme d’un appel à l’ouverture.  Le tout, en évitant de raviver les plaies, précisément, en se gardant de toute prise de position ou de toute opinion, qui achopperait conflictuellement dans le corps social ivoirien.         

1. De L’esthétique des névroses culturelles

La culture, somme toute, est la tentative du vécu des névroses enfouies dans l’inconscient. Une sorte d’idéalisation de la vie que les limites et morosités conventionnelles de la quotidienneté ne permettraient pas de dérouler amplement. Au sens de donner rituellement prise, sinon aux fantasmes sociaux, du moins à des désirs frustrés, à une vision du monde pure sans doute, dont le rythme de la vie matérialiste et raisonnable n’aurait pas permis la spontanéité usuelle. C’est pourquoi, la culture est somme de névroses ritualisées. C’est pourquoi, la culture est identitaire, spécifiante, pour un peuple ; elle est la traduction ouverte de son intimité abyssale. Dans ses Rhapsodies ivoironiques, N’Guetta Saint-Joseph la vit lyriquement, d’abord, par le chant lexical du folklore ludique (danse, masque,  chant, tam-tam…), ensuite, par la propension à la déification de la parole en tant que acte de culture et support véhiculaire de la culture, enfin, par des hommages aux hommes de culture du pays de l’Ivoironie.  Et ce, dans un style de parole propre à la rhapsodie, procédant par langage simpliste, rythme, image et jets saccadés, comme à l’ère de l’ancestralité nègre.  

   C’est un poème référentiel de l’œuvre de N’GUETTA, « cadence », qui met en vitrine l’édifiant folklore ludique ivoirien :

                     « Cadence ! Cadence !

                        Danse cadence

                        Dans tes forêts denses

                        Danse cadence

                        Retourne tes pas

                        Va pas à pas

                        Marche au son du ZAOULI

                        Suis la voix du PORO

                        Ecoute le chant du TCHOLOGO

                        Et comprends les paroles du GOLI

                        Cadence ! Cadence

                        Danse cadence

                        Masque des masques

                        Dévoile tes voies par ta voix

                             Fais entendre et comprendre

                             Le sens du chant de ton sang

                             Cadence ! Cadence !

                             Danse cadence

                             Cadence aux sourires candides

                             Cadence aux appels maternels

                             Cadence sempiternelle

                             Cadence ! Cadence !

                             Danse cadence !

                             Cadence IVOIRONIQUE.

                             Danse cadence ! » (RI,P.42)

La vérité, c’est que la culture est la cadence de l’existence, donnant rythme animatif au quotidien de chaque société.  Particulièrement, la culture ivoirienne, sous son versant traditionnel, est une culture à sonorités rythmiques variées, à la déclinaison des masques locaux, et au gré des points cardinaux du pays : "ZAOULI" (Centre-Ouest), "TCHOLOGO"," PORO" (Nord), "GOLI" (Centre), témoin de la diversité culturelle ambiante.  Le masque, même s’il est figure artistique d’exécution publique, est prioritairement foyer spirituel.  Et, donc, au-delà de leurs distinctions intrinsèques respectives, ces divinités exhortent l’humain au travail, à la persévérance, au sens de la récréation, à l’amour du prochain, à l’élévation intellectuelle, à la purification, à la sagesse, à l’unité et à la solidarité, au respect des anciens, au culte des totems et interdits, à l’initiation, à l’idolâtrie de l’art, à la magnificence de la Beauté… Toute chose désignant des valeurs partagées dans la société ivoirienne, certes, par endroits toisée par quelque menace d’éthique contemporaine corrompue.  Autant dire que la société ivoirienne, aussi bien dans ses berges de l’urbain que celles intellectualistes, est une société à masque, fût-ce sous le rapport symbolique de l’usage des mots dans la poésie locale, dans le Nouchi et l’humour urbain, dans la création des concepts culturels tels que la Drumologie de NIANGORAN Boua, la Griotique de NIANGORAN Porké, le Didiga de ZADI ZAOUROU, le Bossonisme de Jean-Marie ADIAFFI, le Kotéba de Souleymane KOLY, le Vohou vohou de Youssouf BA…  Le moins qu’on puisse dire, c’est que tous ces instincts de créativité à masque sont objet de plaisance publique, et source de rapprochement psychique en Côte d’Ivoire dont le versant traditionnel affiche que danse et masque s’unifient et se confondent.  D’où le slogan de l’Ivoironie : « Au milieu de nos différences, soyons d’accord sur ce qui ne nous différencie pas. »  La société ivoirienne, donc, est, décisivement, une société à masque. Bernard ZADI le confesse d’ailleurs dans l’une des pages préliminaires de Césarienne :

                            « Chez nous

                               même les mots portent des masques

                               à l’image des divins esprits

                              qui dansent sous le cône du raphia. »[3]

Le masque, matérialisation diplomatique des ancêtres, appelant à l’unité « essentielle » des fils et des filles du pays de l’Éléphant. Sans aucun doute, les ports traditionnel et symbolique du masque dans l’espace social de Côte d’Ivoire, répondent de la nécessité de codification des liens sociaux. Car, à la révélation, le code, d’intégration initiatique partagée, a le propre de resserrer les liens en société, de façon telle à créer une connexion psychologique fusionnelle, donc, à même de briser les barrières factices entre les citoyens.   Il se dénote, de la lancée de cette logique, que, toute société sans masque, donc, sans code, sans repères intimistes, est livrée à la dés-unité.  D’angle disciplinaire, la poésie, exercice linguistique de déstructuration et restructuration, d’écart et réduction, d’éloignement et retour au point initial, intègre, d’évidence, le dogme cultuel du masque. C’est pourquoi, ce genre littéraire a toujours eu une place de privilège dans l’esprit des Ivoiriens, peuple brillamment poète et artiste tant en paroles qu’en actes, parce que d’unité culturelle sans conteste.  C’est cette vertu humainement bonifiante qu’enseigne et attise l’Ivoironie, concept de fraternité nationale. A terme, l’Ivoironie, dans l’extrait sus-cité, est le refrain qui l’investit et le hante ainsi : "Cadence ! Cadence !/Danse cadence", et qui, par  l’aspect de ses tons syllabiques spiralés, variés et évolutifs, est tambourinement amené, et, par-delà le texte, sonorise à l’unisson le peuple de Côte d’Ivoire et son espace sociologique.  Et comme un hiérophante pastoral menant le troupeau-ivoire vers des rives paradisiaques, le poète donne l’air de s’adresser ainsi au citoyen ivoirien : «  L’Ivoironie est  "Le sens du chant de ton sang". »   C’est le sens de l’idée de nation, qui, étymologiquement, a trait au sang, de sa racine latine, natus : « formé par la naissance, « formé par la nature », d’une parenté ascendante ou ancestrale unique.   

La déification de la parole demeure un pan essentiel de l’esthétique des névroses culturelles. Selon toute vraisemblance, c’est la parole qui sert à médiatiser, fût-ce par déification, une personne ou une réalité quelconque.  Et ce, aussi bien de tournure conative que de celle référentielle, dans l’instance de la communication. Mais, ici, chez N’GUETTA Saint-Joseph, il y a que l’instrument véhiculaire de médiatisation (la parole), est lui-même cible d’adresse verbale enchanteresse. Le livre de JEAN, dans l’exégèse biblique, fait savoir, au diapason de l’évocation de la parole chez N’GUETTA, qu’ « Au commencement  était la parole, et la parole était avec Dieu, et la parole était Dieu. »[4]   Il se note, dans cette perspective, et forme réflexive, et fonction métalinguistique, au sujet de la parole. Dans le premier cas, la parole est objet de traitement de laudation ou de souveraineté par le moyen de ses propres outils et ingrédients : les mots et structures rythmiques, imagées et symboliques.  Et ce, bien que la parole ne s’évoque pas à la fonction émotive, de l’ordre d’une subjectivité intime du locuteur au centre de son propre discours.  Mais, c’en a l’air. De fait.  Dans le second cas, il y a une sorte de discours sur le discours. C’est que les outils et ingrédients de la parole sont usités ou mis en branle pour apporter des précisions configuratrices et statutaires quant à la notion de parole elle-même.  Ici, forme réflexive et fonction métalinguistique de la parole semblent se confondre dans un type de dialectique morganatique. Cette esthétique est celle d’un état d’esprit de névroses culturelles impulsant à cerner le Tout souverain de l’Etant : la Culture, appréhendée conceptuellement, et interchangeable au concept de parole. De façon idoine, l’Ivoironie est le Tout souverain de l’Etant ivoirien. L’Ivoironie est parole, parole de verbe et parole sociale, sinon, est l’allégorie sociale de la parole, en tant que Création, en tant que verbe de la Création et de l’essence de l’existence, en général, et, en Côte d’Ivoire, spécifiquement. Lucidement, la Côte d’Ivoire, produit de l’ancestralité négro-africaine, et riche de son sens intégrationniste et de ses cultures ethniques multiples, est une terre de paroles, de paroles fortes, d’entrain à interpeler l’essence des phénomènes, des êtres et des choses.  

N’GUETTA Saint-Joseph, pour sa part, déifie la parole en toisant un objet culturel très symbolique, le cor parleur, et ce, au déroulé d’un poème justement intitulé ‘’Le son du cor’’ :

     « La parole parlée a fait naître la parole écrite

        La parole chantée a fait jaillir l’eau de la grotte

        La parole vivante a fait renaître l’amour

        La parole, la belle parole, a fait renaître la vie pour toujours

        Et c’est au nom de cette parole que je viens

        Je viens de là où la vie a pris forme

        Sur les traces de mes pères, mes maîtres, mes repères, je suis

        Je suis le tam-tam parleur

        De ma voix jaillie des profondeurs de ma terre, ma mère

        Je déclame, je proclame le verbe, la parole

        C’est cela mon rôle !

        Éminentes personnalités, gens d’ici et d’ailleurs,

        Moi, Le Griot noir du soir, je vous salue

        Écoutez, écoutez, donc

        Que ceux qui ont des oreilles entendent… » (RI, P13)

Les indices de la forme réflexive et de la fonction métalinguistique de la parole, sont, ici, perceptibles à travers le pléonasme ou la tautologie "La parole parlée", "La parole chantée»… Le caractère sublime, souverain, ou créateur, de la parole, lui, se perçoit à travers les indices "a fait renaître l’amour", "a fait jaillir l’eau de la grotte", "a fait renaître la vie pour toujours", "Je viens de là où la vie a pris forme", "Je suis le tam-tam parleur"…  Le profil déclamatoire et rhapsodique, lui, se ressent à travers les rythmes structurels à l’intérieur des verbes et des phrases  "Je déclame, je proclame…", "…des profondeurs de ma terre, ma mère", " …mes pères, mes maîtres, mes repères", "Moi, le Griot noir du soir". Ces rythmes structurels, sont soit syllabiques, soit vocaliques, soit consonantiques. Ce qui importe, ici, c’est de donner à la parole d’offrir de son contenu vibratoire et fécond, pour la didactique de l’Ivoironie.  C’est que le cor, généralement constitué de corne évidée et percée, sert à produire des signaux codificatoirement sonores, lors des prestations artistiques traditionnels comme le Tohourou, en pays niamboua, wê et bété, de Côte d’Ivoire, est, à la fois, un module majeur d’instruction pour l’esprit, et un plaisir des sens, au nom d’une esthétique alliant acoustique d’évasion, intellectualisme et spiritualité.  Dans l’antre de l’exécution poétique négro-africaine, l’esprit ne se dissocie pas du sens, mieux, la sollicitation de l’esprit ne se désolidarise jamais de celle des sens ; les deux facultés étant nourries à la même enseigne et à la même occasion.  Le cor, ici, donc, est le foyer de toute la parole tambourinée et psalmodiée de la sagesse traditionnelle ivoirienne, qui donne sens à des cérémonies initiatiques, de réconciliation et de réjouissance. C’est pourquoi, le mot "cor" est très souvent accompagné du prédicat "parleur" : « le cor parleur.» C’est qu’en Côte d’Ivoire, comme dans la civilisation négro-africaine, en général, l’art, ici symbolisé par le cor, est un corps vivant en pleine et perpétuelle expression sans limitation intellectuel ni tabou mental. Et puis, au front de l’extrait analysé, ne saurait passer inaperçu ce sobriquet, révélateur de l’identité du poète : "Le Griot noir du soir", toute une mystique de la parole artistique exégétique nègre, qui, par discernement ou par intuition, pourrait se passer de commentaires non utiles. L’ Ivoironie étant un acte idéologique et socio-pragmatique, inspiré de l’ancestralité ivoirienne, et destiné à donner de la contenance intellectuelle, artistique, culturelle et diplomatique,  au communautarisme local ; le soir, dans l’espace sociologique ivoirien et en Afrique noire, étant l’instant notoire du rassemblement et de l’épanouissement artistique et intellectuel, magistralement entretenu par le barde, poète virtuose et savant.  Ce Griot est dit noir parce que troubadour captif de ses origines antico-génétiques, psychanalytiquement servile, à la verve parolière civilisationnellement codée et germinatrice.  En Côte d’Ivoire, la parole a l’apanage de dompter le fait vécu en le faisant renaître par l’ébauche d’inspiration d’idées inextricables et aussi concurrentiellement relevées les unes que les autres. Enfin, de l’exégèse de et extrait, l’esprit critique serait intéressé par le verset « Je suis le tam-tam parleur. » Le poète, sans biaiser, se confond à ses paroles métaphorisées par le tam-tam, en raison de l’impact ou de la contrepartie psychique sonore du langage poétique. C’est d’un legs négritudien, mieux, négro-africain, cette image analogique ou de ressemblance. En clair, de contenance négro-africaine, la poésie, genre littéraire initiatique, est supposée être la traduction en langage psalmodié des voix tonales codées du tam-tam. Les poètes, initiés assermentés de leurs pénates ancestraux, sont habilités et même dévoués à cette exercice de spécialité et de civilisation. La production poétique négritudienne semble, didactiquement, confesser cet axiome civilisationnellement intellectualiste. SENGHOR, l’Africain civil officie de ce mouvement, le témoigne par les titres de ses inspirations : « L’Homme et la bête/pour trois tabalas ou tam-tams de guerre », « La mort de la princesse ou tam-tam funèbre », « chant pour tama, tambour au son allègre», « Tam-tam d’amour, vif.»   C’est que, la Négritude, résolue à se fixer sur les positivités africaines, s’est fait l’écho de ce que l’Afrique a de suprême : le tam-tam, résumé de l’âme fertilisante nègre, et ancrage de production de rythmes, d’images et symboles. L’on en obtient, dialectiquement, que l’Ivoironie est une Négritude abidjanaise, se cantonnant, elle, sur les positivités ivoiriennes, issues de la négro-africanité dont la Côte d’Ivoire est l’appréhension miniaturisée.  N’GUETTA Saint-Joseph, donc, est un Négritudien des temps nouveaux, des années 2000, Un Négritudien abidjanais, un Ivoironifan ou militant de l’Ivoironie.

Le dernier pan de l’esthétique des névroses culturelles, chez le Griot noir du soir, c’est le clin d’œil honorifique aux hommes de culture de renom qu’enregistre son pays. Il  en fait la déclaration fervente à travers les textes justement titrés  « Hommage au concepteur » et « Gloire à nos héros. »

   « Chantez en leur honneur

      Un chant d’honneur

      Car ils nous ont fait honneur

      En produisant par leur vie le bonheur.

      La Côte d’Ivoire est si riche en héros

                     …

     Je veux citer Bernard Binlin Dadié,

     Bernard Zadi Zaourou

            …

     Ernesto Djédjé

     …

     Ils ont tracé les sillons

       D’une vie belle

       …

       Bomou Mamadou,

       Tiburce Koffi,

       Macaire Etty,

       Toh Bi Emmanuel

          …

       Gloire à nos héros

       Soyons fiers des ressources de notre patrie

       Soyons fiers de nos héros

       Célébrons les valeurs qu’ils nous transmettent nuit et jour

       Prenons appui sur leur bras

       Pour propulser l’ivoire nôtre

       Au sommet de la côte

       Gloire à nos héros. » (« RI, P.17)

Ce que semble avoir compris le poète N’GUETTA, et qu’il évoque du lyrisme de son souffle célébratif de rhapsode nègre, c’est qu’un peuple a besoin de se forger ses propres mythes et symboles, véritables modèles d’éthique sociale selon divers ordres de distinction. Le cas échéant, le livre, la parole, la culture. A la vérité, au prétexte de célébrer des personnes physiques, périssables, au demeurant, ce sont des valeurs pérennes qu’on institutionnalise. La société en a besoin, celle ivoirienne, notamment, qui sort de plusieurs décennies de crise sociopolitique. La poésie, langage de souveraineté, est reconnue pour sa capacité de résilience aux crises sociales, par une spiritualisation des consciences humaines, grâce à des mots et syntaxes métaphysiquement structurés, témoignant de l’émotivité sacerdotale du locuteur poète.  L’Ivoironie, vécu social de poésie, s’offre la routine d’encenser les sommités de divers domaines d’activité, à la gloire de la nation ivoirienne, et dans l’enjeu de susciter le sens de l’émulation chez les jeunes. Autant dire que la célébration des ressources humaines de pointe, est un réflexe de vie identitaire nationale, qui date de tous les temps. Un siècle avant les chansons de geste du moyen-âge français, le Turc Firdousi écrivait Le livre des rois, un texte dans lequel, à l’enseigne des Odes de l’antiquité grecque qui louaient la bravoure de ses héros ,  il chantait la gloire des héros ou légendes humaines de son peuple, dans un ton de paroles lyriquement souverain où sentimentalisme, sensations, émotions et rêves, se mêlent à la prégnance du devoir civique.  On comprend, dans ce sens, ce dithyrambe forcené que N’GUETTA, le Griot noir du soir, adresse au concepteur de l’Ivoironie :

         «   Temple vivant, vivifiant, bras levés

               Ornement sacré, couronne divinement révélée

               Héros donné par le ciel

 

               Bras qui fait naître le miel

               Infatigable combattant

 

              Terre fertile, saveurs innombrables,

              Inébranlable indomptable

              Éléphant aux ivoires dorées

 

              Érudit de l’art poétique

              Maître aux symphonies prophétiques

              Mains aux ardeurs bienfaisantes, aux heures éclatantes

              Airain durement conçu par le père céleste

              Noble, majestueux, grand fleuve et montagne robuste

              Ubéreux cœur duquel jaillissent de vives sources

              Écrivain grand, fort riche

              La pénombre, l’aube et le jour vous saluent.

 

              Éminence !

              Moi Le Griot noir du soir, je vous salue. » (RI, P.16)

Les prédicats "Temple vivant", " ornement sacré", " couronne divinement révélée", "Héros donné par le ciel", "Bras qui fait naître le ciel", "Terre fertile", "Inébranlable indomptable Eléphant  aux ivoires dorées", " Érudit de l’art poétique", " Airain durement conçu par le père céleste", "Noble", "majestueux", " grand fleuve et montagne robuste"… achèvent de convaincre, indépendamment d’un culte, fût-ce euphoriquement raisonné à la personne du concepteur de l’Ivoironie, que, chez  le poète des Rhapsodies, l’art et la culture sont enrobés de mythologies créatrices et de relents  de la divinité fondatrice. C’est le gène de la négro-africanité antique où art et culture avaient rang d’autorité cosmique phénoménale, sinon, étaient le signe de la descente ou des mêlées des divinités aux humains périssables, de l’ordre d’une visitation spirituelle sans pareille. C’est, donc, à dessein que l’Ivoironie célèbre dévotement l’art et la culture, en tant que tunnel souverain qui mènent les humains ivoiriens, finis et divisés, vers la Divinité Unificatrice.  Et ce, dans le seul but de l’entretien et de la pérennité du legs ancestral concurrentiel que désigne le royaume ivoire.  

L’Ivoironie, ainsi que le poétise le Griot noir du soir, n’est pas qu’une esthétique des névroses culturelles, elle est, aussi, une rhétorique cultuelle du civisme.

2. De la rhétorique cultuelle du civisme

Le civisme, chez le Griot noir du soir, se vit par des notes ferventes repérées dans l’apostrophisation de la patrie, l’hommage lyrique au père fondateur, le clin d’œil stylistico-initiatique aux personnalités sportives, la métaphorisation de la bravoure de l’Ivoirien, la révérence littéraire des symboles civiques. Tant il est vrai que la poésie est l’expression verbale du dévouement civique à la cité de l’Olympe et que l’Ivoironie est la disposition civique du mental de l’Ivoirien qu’il vit par des actes d’émotivité métaphysique et qu’il traduit par des mots empreints de subjectivité élitiste. 

N’GUETTA Saint-Joseph toise amoureusement, comme à la déraison, sa patrie, d’une mystique créatrice actée stylistiquement par la prosopopée :

     « Tu es ma terre de douceur

        Oui ma Noble terre de bonheur

        De tes entrailles naissent toujours les bonnes heures

 

        Ö que je t’aime !

        Ma vie fleurit aux sources de tes ombrages

        Ta vigueur m’a ouvert le passage

        Et moi, je veux te défendre avec rage

 

       Ö que je t’aime !

       Tu es ma lumière, ma lueur

       Ton bras de mère a su ôter ma peur

       De moi, reçois des louanges, des honneurs

 

       Ö que je t’aime !

       Ma chère patrie

       Tu es mon paradis

       Et je te serai loyal à vie

 

       Ö que je t’aime !

       Je suis PATRIOTE

       Ai-je le défaut de l’être ?

       Je suis prêt à bien te SERVIR

       Donc je suis PATRIOTE

       Pour toi, je suis prêt à PÉRIR

       Et vous ?

                  Qui êtes-vous ?

        Que la culture du patriotisme soit notre impératif commun. » (« Ma patrie » in RI, P.25)

La structure exclamative " Que je t’aime !", l’indice majeur de la fonction conative "tu" naturellement connecté à  sa particule siamoise du pronom personnel complément "te" et  de  l’adjectif possessif "ta" , des adjectifs possessifs  "mon", " ma", indice de la fonction émotive,   témoignent de l’ambiance subjective et  émotionnelle du discours du poète s’adressant affectueusement à une entité non humaine, abstraite, sinon, non matériellement constituée sous ses yeux de l’ordre d’une interface de communication, entité interchangeable à un legs communautaire, patrimonial, qu’il s’approprie intimement : la patrie ivoirienne. C’est la parenté élitiste et métaphysique du poète et de son discours. On en comprend la réitération ininterrompue du verset "Que je t’aime ! » Ce qui paraît littérairement créateur, ici, c’est la combinaison, mieux, la conjonction des sentiments d’amour fusionnel ("Tu es ma lumière, ma lueur", "Ma vie fleurit aux sources de tes ombrages", "Ta vigueur m’a ouvert le passage") et de ceux d’amour filial : "Ton bras de mère a su ôter ma peur", "De tes entrailles naissent toujours les bonnes heures", "Tu es mon paradis", "Et moi, je veux te défendre avec rage".  D’ailleurs, le discernement des constituants de chaque ordre de sentiment dévoile que, de part et d’autre, chaque constituant textuel repéré concentre l’idée des deux ordres de sentiment : fusionnel et maternel. C’est ce talent d’écriture, certainement inspiré de l’attachement du poète à sa terre natale, que synthétise intuitivement le refrain "Que je t’aime !". D’où cette résignation elliptiquement discursive du poète : "Je suis PATRIOTE."   Ici, donc, la terre natale fait office de mère, "assiè", chez les Akan de Côte d’Ivoire, dont est d’ailleurs issu le poète lui-même.  Opportunément, la poésie, support véhiculaire de l’Ivoironie, est la mère de tous les arts de parole, et même, de tous les arts, du fait qu’il fut l’art d’orchestration de la Création. L’Ivoironie, à l’enseigne de la poésie, répond d’un désir de civilité et du devoir accompli à l’endroit de la mère patrie.  La poésie est le verbe du devoir dans l’enceinte de la cité locale tout autant que l’Ivoironie est l’acte du devoir dans l’enceinte de la cité ivoire, la terre d’éburnée : "Et moi, je veux te défendre avec rage." Le verbe "défendre", ici, se comprendrait dénotativement et connotativement : se braquer contre les attaques de divers ordres dirigées contre la mère-patrie, figure de mère biologique, d’une part, et inventer, multiplier les initiatives pour son honneur et sa gloire, de l’autre. De cet ordre de perception, l’on argue que, de la poésie à l’Ivoironie, l’on passe du verbe à l’acte, dans une instance dialectique de frontière poreuse. En définitive, d’adaptation républicaine. Le civisme, dont relève la poésie et l’Ivoironie, se réduit à un état d’esprit religieux de vénération d’une divinité, le cas échéant, la mère-patrie. Logiquement, les symboles civiques que sont l’hymne national, le drapeau, les armoiries de la nation, les emblèmes, sont l’exécution déclinante de la piété du dévot citoyen patriote. En la matière, le Griot noir du soir est un dévot citoyen patriote.

Conséquemment, le père fondateur de la nation ivoirienne moderne, le Président FELIX HOUPHOUET BOIGNY, reçoit, avec air de lyrisme, les hommages du dévot citoyen patriote indiqué :

   « La Côte d’Ivoire est si riche en héros

      Je veux citer FELIX HOUPHOUET BOIGNY,

      Un père qui a l’amour d’une mère

      homme de paix

      Le père des repères de notre nation. » (« Gloire à nos héros » in RI, P.17)

C’est très lyrique que ces deux versets : "Un père qui a l’amour d’une mère…/Le père des repères de notre nation." La rime interne, au premier verset  « Ɛ R » dans "Un père qui a l’amour d’un mère", par-delà l’amour filial, désignerait l’élan de création ou de procréation-ivoire, dont Félix HOUPHOUET BOIGNY est politiquement l’auteur  sous la version moderne du pays, est éveilleuse d’émotions fortes, d’amour intense et de rêve métaphysique, en direction du premier Président de la République de la Côte d’Ivoire, qui, l’ayant, au prix de mille luttes avec ses camarades, fait passer de la colonisation à l‘indépendance, a présidé à ses destinées de 1960 à 1993. Naturellement, Félix HOUPHOUET BOIGNY est, non négligeablement, sinon, principalement, pôle de célébrations énamourées de l’Ivoironie, concept socio-philosophique assoiffé de la restauration de l’atmosphère sociale, culturelle, politique et économique, d’antan, en Côte d’Ivoire, sous le père fondateur.  Le second verset "Le père des repères de notre nation" affiche également la même rime, riche, presqu’ interne, suffisante, « ƐR », dans "Le père des repères». Tant il est vrai qu’un père est toujours un repère pour ses enfants. C’est que l’Ivoironie, doctrine de vie sociale où la personne du Président HOUPHOUET a psychiquement rang majeur, est le repère intellectuel des Ivoiriens qui, éprouvés par plusieurs décennies de crise, aspirent à une vie stable, citoyenne, intégrée et homogène, pour servir de berceau au développement. En outre, la rime interne abordée se justifie en ce que l’Ivoironie est une contemplation de l’interne, un projet de développement procédant par un regard sur soi. 

Des gloires historiques du sport ivoirien trouvent fortune sous la plume et la voix rhapsode du Griot noir du soir. Ce sont : Didier DROGBA et Laurent POKOU. Le sport, en effet, se loge au module 6 de l’Ivoironie, « Connaissance des symboles sportifs.» Selon la vision idéologique de l’Ivoironie, le sport, en marge de la relaxation mentale et physique qu’il procure à l’être humain, est, sous son vocable de compétition, source de gloire pour une nation, à même de lui glaner des lauriers incorruptibles et de lui tisser une bonne étoffe diplomatique. D’ailleurs, le sport est fondamentalement facteur de rapprochement. Et l’Ivoironie, cantique idéologique du vivre-ensemble, s’intéresse à tout ce qui peut rassembler.  Son slogan en dénote : « Au milieu de nos différences, soyons d’accord sur ce qui ne nous différencie pas. »

   Ce faisant, le poète métaphorise la bravoure de l’Ivoirien pour son sens au civisme :

  

      «  Torse bombé

          Bras bandé

          Regard plongé

          Dans les eaux de ta destinée

 

          Marche sur les paroles du tam-tam

          Sur les eaux tumultueuses rame, rame

          Suis l’odeur de tes terres

          Source où ont puisé toutes les mères

 

         Ö fier guerrier

         Fils du géant DADIÉ

         Ö fier guerrier

         Brandis ton bouclier d’osier

         …

         Fier guerrier écoute,

         Ecoute les soupirs de ton sang

         Ton sang, sang qui sent de mon sang » (« Fier guerrier »in RI, P.26)

                      …

Les traits de puissance physique, ici, ne sont que figuraux : Torse bombé/Bras bandé/Regard plongé/Dans les eaux de ta destinée... Il s’agit, en réalité, d’une pugnacité mentale liée à la résilience de l’Ivoirien, et inspirée de l’hymne national, l’Abidjanaise ainsi stipulé en quelques uns de ses versets : Tes légions remplies de vaillances/Ont relevé ta dignité/Fiers Ivoiriens le pays nous appelle/.. .  Sans biaiser, le "fier Ivoirien" est un "fier guerrier", métaphore de résilience désignant le citoyen d’un pays d’Afrique de l’Ouest s’étendant sur 322.462 Km2, frontalier, au Nord par le Burkina Faso et le Mali, à l’Ouest, par la Guinée et le Libéria, à l’Est, par le Ghana, au Sud, par le golfe de Guinée.  Le guerrier, on le sait, s’identifie plus par son mental ou sa psychologie que par son physique. Mieux, sa prégnance physique est censée être le reflet d’une force mentale inoxydable. Cette qualité donne à l’Ivoirien, transcendant les épreuves de circonstance, d’être arc-bouté à l’accomplissement de sa destinée prophétique : "De l’espérance promise à l’humanité", selon un des versets de l’Abidjanaise. Et comme le Griot des rhapsodes l’intime ou l’approuve chez son compatriote, "Regard plongé/Dans les eaux de ta destinée".  Il est un principe de la vie humaine qui est tel que la fixation mentale à une destinée de gloire, sinon, la certitude d’un avenir meilleur, l’intégration psychique d’une promesse, sans doute, inspire courage, hargne, persévérance, de façon telle à impulser une multiplication d’initiatives et à banaliser les anicroches sociales du présent. Ce sont ces initiatives multiples, œuvrées par les fils et les filles de Côte d’Ivoire, qu’indique symboliquement le terme "vaillances" dans "Tes légions remplies de vaillances" ; le mot "légions", d’ailleurs, convoque la notion d’une myriade de troupes au combat. Conséquemment, les moyens de lutte sont purement d’ordre intellectuel : la culture ("Fier guerrier, Marche sur les paroles du tam-tam") et la littérature : "Ö fier guerrier/Fils du géant DADIÉ…" ; la seconde étant partie intégrante de la première. L’Ivoirien, en effet, a compris que les vécus culturel et littéraire servent de souffle aux luttes associative, politique, idéologique : "Marche sur les paroles du tam-tam/Sur les eaux tumultueuses rame, rame" ; "les eaux tumultueuses" symbolise, ici, le caractère épineux et âpre des luttes soulignées. L’on en résout que les grands révolutionnaires qui ont marqué ce monde ont toujours eu un profil d’homme de culture et d’homme de littérature : MUHAMAR Kadhafi, Martin Luther KING, Ernesto Che GUEVARRA, Magmat   GANDI, Félix HOUPHOUET BOIGNY, NELSON Mandela, Thomas SANKARA, Kwame N’KRUMAH, Patrice LUMUMBA…  Aussi vrai que l’idéal de l’inscription de l’identité est indubitablement œuvre de combat.  L’Ivoironie en tient.

Le drapeau tricolore ivoirien, Orange-Blanc-Vert, constitue, chez le poète étudié, un gage des symboles civiques de l’Etat que tout Ivoirien se doit d’intégrer. Son poème « Je tiens le drapeau » expose la piété escomptée :

   «  Sur la montagne je me tiens

       Grande campagne pour rassembler les miens

       J’ai un message très clair

       Sortons de nos cœurs les sombres éclairs

 

       La main sur le cœur

       Le lendemain doit être sans rancœurs

       Les regards fixés à l’horizon

       Pour donner place à la neuve saison

 

       Je tiens le drapeau

       Oui le drap de notre peau

       Qui sent encore la sueur

       De toutes nos labeurs

 

           Je tiens le drapeau

           Qui identifie nos saveurs

           Préparées par nos mères

           Aux douceurs de nos terres

 

           Je tiens le drapeau

           Me présentant au soleil

           Voici pour vous mes mots

           Il est temps de nous tenir en éveil

           Pour vivre le véritable réveil

           J’ai parlé ! » (« RI, P34)    

Les réflexes langagiers du rhapsode N’GUETTA sont visibles : la désarticulation sémantique et lexicale du mot "drapeau" dans "le drap de notre peau", désignant la couverture civique de l’identité ivoirienne, assimilable aux symboles que sont, entre autres, l’hymne national l’Abidjanaise, la photo du chef de l’Etat, l’emblème l’éléphant, la devise Union Discipline Travail, les armoiries de la nation que constituent le soleil levant, les palmiers, la tête de l’éléphant ; la  phrase courte "J’ai parlé" , servant de clôture au texte ; les phrases simples syntaxiquement et sémantiquement reliées ou interconnectées par les rimes qui jonchent le texte ;  les phrases d’élision verbale comme " Voici pour vous mes mots"… Le tout, dans une posture de scène typiquement ancestrale : "Sur la montagne je me tiens."

Dans cet extrait, donc, la désarticulation sémantique et lexicale " le drap de notre peau", déclinant créativement le drapeau, s’interchange à "nos saveurs" ("Je tiens le drapeau/ Qui identifie nos saveurs"), métaphorisant tous les symboles civiques ivoiriens sus-cités, en tant que couverture mentale de l’identité locale.  C’est à bon droit que l’Ivoironie les exalte.   

Naturellement, ce projet d’essence communautaire instigué par la culture, la littérature, le civisme, ne saurait se réaliser sans le préalable de l’unité des citoyens ivoiriens ; civisme et unité s’interactivant, l’un conditionnant ou impliquant l’autre, et vis-versa.  Comme un prêtre de sa race, le Griot noir du soir y offre sa prédication.

3. Du sacerdoce prédicatif à l’unité

Au terme du poème « Fier guerrier », cité plus haut, l’on peut lire ceci : "Ton sang, sang qui sent de mon sang".  Cette allitération en "Să", donnée par la répétition des mots "sang" et "sent", traduit, structurellement, le caractère impérieux, évident et coercitif de l’unité, plausible, ici, et à l’unisson, en la sublimation des valeurs essentielles du pays au détriment des particularités égocentriques ou options partisanes. La mêlée du sang, en certains rituels de réconciliation ou de quête de soudure du tissu social, sert de pacte d’unité à vie. Ils sont légion, les travaux d’ethnologie qui le consacrent.  Le sang est la substance vitale du corps humain et même animal, colorée par les globules rouges, et qui comporte un peu de tous les nutriments utiles à l’organisme : le sel, l’huile, l’eau, le sucre. Ce n’est pas en vain que le sang, dans le cadre d’un diagnostique de santé, est recueilli pour examen.  Il y a à objecter, ici, que la spiritualité de l’usage du sang a, de logique, une contrepartie scientifique qui en sert de vitrine. Ainsi, le pacte que le Griot noir du soir scelle avec ses compatriotes est chargé de sens et lourd de symboles : "Ton sang, sang qui sent de mon sang." II s’agit d’une unité à base mystiquement solide, parce qu’entérinée de l’ancestralité. En marge des offrandes de sang routinièrement perçues lors des immolations rituelles d’animaux dans nos contrées d’Afrique, l’impact spirituel du sang est manifeste sur les esprits les plus ingénus de l’univers. Dans l’exégèse biblique, l’on note le sacrifice du Christ au prix de son sang, conçu comme étant le sang de l’alliance nouvelle et éternelle pour le salut des croyants ; dans le livre de Samuel, le pacte de sang entre David et Jonathan pour une unité à vie des deux personnages, ayant même une incidence de non-agression  et de services rendus entre leurs descendances, à l’image du rite initiatique de l’U’buntou chez les Zulu d’Afrique du Sud. A contrario, on ne s’en étonne pas, le sang est utilisé, tristement, pour des desseins occultistes d’envoûtement.

   « ZEKIA, Femme-Serpent !

 

      Le tien jaloux de moi

      ne voulait pas de notre union

      D’où cette offrande de mouton blanc et de cauris

      Maintes fois tes sommes adultères

      avec ton amant perfide la nuit

      qui te violentait sur mon lit de Géhenne

      Ton sang rouge de vice ! »[5]

Le "mouton blanc", ici, hostie non expiatoire mais, plutôt, condamnateur, est le signe indicatif du sang innocent à sacrifier. Et tout porterait à croire que c’est la personne-cible du rituel ignoble et infâme, qui est identifiée ou assimilée à l’animal, le cas échéant, le poète, citoyen spirituellement ingénu, mais, cible de toutes les persécutions contemporaines, le tragos des temps infestes modernes. Et ce, quand ce n’est pas le propre sang du sujet mystiquement attaqué, qui, dénotativement, est intercepté. Même dans la lutte marxiste, le sang, cette fois, signe d’engagement et prix de victoire, est célébré. BOHUI DALI nous en édifie encore artistiquement :

                « Ce que j’ai toujours haï

                   Ton sang servira de levain

                   Mon sang aussi… "»[6]        

Au total, la poétisation du sang par le griot, née de la valeur initiatique du sang en tant que substance vitale du corps humain, aura favorisé, à succès, l’allitération savamment structurelle sus-énoncée : "Ton sang, sang qui sent de mon sang", pour la gouverne de l’unité instinctive des fils et des filles de Côte d’Ivoire. C’est que le sang qui coule dans les veines de tous les Ivoiriens, est censé suinter la même odeur, au nom de la parenté unique de la génétique ancestrale. C’est d’ailleurs le fondement étymologique du concept de nation, natus, d’un même sang ancestral.  L’Ivoironie en est la consécration systématique pour la nation ivoirienne. Et le Griot, d’humeur folâtre et de transport endiablé, le chante à l’unisson, de concert avec ses compatriotes, comme d’une chorale ancestrale :

   « Nous sommes les fans de l’Ivoironie

      Nous sommes des adeptes de l’Ivoironie

      Notre combat, tuer l’agonie

      Par nos Orange-Blanc et Vert unis

 

      Nous sommes tous fils d’une même terre, rappelons-le

      Terre de nos dynamiques mères

      Terre de nos vaillants pères

      Terre nôtre, belle terre

      Terre couleur d’ébène

      Terre, notre père,

      Terre, véritable repère

        Terre d’Ivoironie !

         Et c’est de bonne heure

         Que nous chantons tes valeurs

         Oui tes valeurs, et c’est avec clameurs

         Que nous accueillons aux portiques de nos cœurs

         Cette belle lueur, lueur d’espoir               

         Ivoironie !

         Un soleil nouveau

         Qui produit le renouveau

         C’est la renaissance de la Renaissance

         Ivoironie !

        J’ai parlé ! » (« Chant » in RI, P.20)

Les anaphores " Nous sommes", "Terre", le refrain "Ivoironie !", établissent la contenance de ce chant de l’unité, signifié par des versets-clés : " Notre combat, tuer l’agonie", "Nous sommes tous fils d’une même terre", "Par nos Orange-Blanc et Vert unis". L’unité avisée se trouve être renforcée textuellement par la rime /ƐR/, dans les versets cités. Et c’est de bonne heure/Que nous chantons tes valeurs/Oui tes valeurs, et c’est avec clameurs/Que nous accueillons aux portiques de nos cœurs/.

C’est le culte stylistique de la résistance aux divisions ethniques, régionales, politiques et religieux, dont le lit de la tentation semble être posé par les crises à répétion enregistrées par la Côte d’Ivoire. L’Ivoironie en est, certainement, la panacée idéologique. La poésie, littérature d’inspiration olympienne et ancestrale, est le mode le langage de l’unité. Sous le rapport de la poétique de son énonciation, sa capacité à briser les barrières entre les Étants au nom du libéralisme sémantique du mot poétique se baladant impunément à travers les champs lexicaux, en est un repère intellectuel probant. Dans nos contrées traditionnelles, les griots et bardes, dans l’évacuation sans rythme de leurs névroses, n’ont de cesse d’incanter, litaniquement, l’unité des familles et des tribus : « Au milieu de nos différences, soyons d’accord sur ce qui ne nous différencie pas. »  

   En gros, les prédicats d’appel à l’unité, à l’aune du poème « Chant », se dressent comme suit : "les fans de l’Ivoironie", "les adeptes de l’Ivoironie", " tuer l’agonie", "la renaissance de la renaissance", "terre d’Ivoironie", " avec clameurs", " lueur d’espoir", " chantons tes valeurs", " Un soleil nouveau", "de bonne heure", " aux portiques de nos cœurs", " nos dynamiques mères", " nos vaillants pères", "belle terre", "fils d’une même terre",  "nos Orange-Blanc et Vert unis",  "nous accueillons"…  Au discernement, l’on est au front d’un éventail de termes, de tout acabit de nature grammaticale, et d’expressions, courtes ou phrastiques, renvoyant tous à une instance de prêche usant de mots touchants, émouvants, et idées persuasives, à même de faire parvenir aux fins de l’Unité, rêvée, du reste, par le poète. Jean COHEN parle, à juste titre, de phrase nominale prédicative[7]. Dans le sens où, dans un texte quelconque, un indice lexical, qu’il soit adjectif, verbe, adverbe, locution adverbiale ou circonstancielle, substantif, peut renseigner sur une spécificité ou traduire une qualité quelconque d’une notion essentielle en situation de comparant majeur à poétiser. Le prédicat, donc, dans la logique de Jean COHEN, est un mot de relent grammatical varié, certes, mais qualificatif, tout de même, systématisant intellectuellement un trait définitoire d’un référent médiatique au centre de l’activité de poétisation. D’authenticité de création, ici, ce n’est pas une notion ou une entité qui est à prédiquer, mais, plutôt, une scène de contexte : l’appel à l’unité, en instance ou en cours d’exécution et de réalisation. Le prête-héraut ou hiérophante d’initiation, c’est le poète, le rhapsode, le Griot noir du soir, l’Ivoironifan assermenté, leader racial d’essence…    

L’Ivoironie, en dépit de sa piété ou de sa frénésie de célébration intimiste, n’est pas une claustration des Ivoiriens dans leur tour d’Ivoire. Elle est, aussi, ouverture au monde.

4. Du lyrisme de l’appel à l’ouverture

Le colloque international organisé par l’O.N.V.D.P (Observatoire national pour la vie et le discours politique), les 8,9 et 10 Décembre 2023, à l’Université Alassane OUATTARA de Bouaké, autour du thème « De l’Ivoironie, artistisation du civisme et symbiose des identités plurielles », a achevé de convaincre du profil d’ouverture du concept de l’Ivoironie. Certes, intimiste, mais très inclusif, donc, loin d’être exclusionniste. Donc, loin d’être fermeture.  L’Ivoironie, en vérité, en tant que laboratoire idéologique, est le microcosme ivoirien de l’Universel. Son slogan en atteste : « Au milieu de nos différences, soyons d’accord sur ce qui ne nous différencie pas. » Tous les hommes et tous les peuples du monde ayant forcément des traits idéologiques en commun.  Le concept appelle, en effet, à l’ouverture des portes hermétiquement fermées des partis politiques, une communication entre clans religieux, ethniques et régionaux. En onction de ce que la Côte d’Ivoire brille de sa vocation intégrationniste dans la sous-région ouest-africaine, en particulier, et, africaine, en général. La Côte d’Ivoire, c’est au moins vingt six pour cent (26%) d’étrangers sur son sol, vivant en bonne intelligence avec les Ivoiriens, sociologiquement établis en plus d’une soixantaine d’ethnies. Le thème du colloque organisé par l’O.N.V.D.P, dans l’angle de sa problématisation stipulée par le formulé structurel ou syntaxique du thème suggéré, évoque lyriquement l’imaginaire de l’ouverture dévolue au concept de l’Ivoironie. D’abord, « artistisation du civisme », traduction ou conversion du civisme, pendant élitiste de vie éthique dans la cité, en lettres et arcanes de l’art, littéraire, pictural, musical, cinématographique, poétique. Cette conjonction créatrice de deux ordres d’élitisme (art et civisme) frise le rêve indexant, entre autres, la connexion avec les esprits de la sphère métaphysique, gage d’affranchissement du psychisme et de béatification de l’être. Ensuite, « symbiose des identités plurielles », donnant libre cours à une cité idéelle et idéale, qui serait celle du cumul des identités de sources diverses, entremêlées, combinées, produisant une supra-identité inspirant aisance d’existence, et prélude à la cité céleste de suggestion biblique, qu’ENO BELINGA poétise dans le chant VIII de son texte La Prophétie de Joal[8]. C’est l’espace symbolique d’échanges culturels et d’expulsion des tabous intellectuels, source d’essor économique et politique. Voilà, en quelques mots, approximativement s’entend, le festin scientifique auquel l’O.N.V.D.P a dû convier les Sachants de Côte d’Ivoire, d’Afrique et du monde.

Chez le poète N’GUETTA, l’artistisation du civisme et la symbiose des identités plurielles reconnues à l’universalité ou à l’ouverture du concept de l’Ivoironie, se résument au langage rassembleur des couleurs du drapeau ivoirien, très symboliques, au demeurant. Au gré de la création du Griot noir du soir, en effet, les couleurs ORANGE-BLANC-VERT, auxquelles tout Ivoirien est idolâtre au sens d’y développer une sensibilité religieuse, sont, en soi, une lettre à l’ouverture. Car, pour lui, ces couleurs ne sont pas que celles de l’unité de la nation ivoirienne, mais aussi, celles de l’ouverture aux autres peuples. Et ce, en conjonction mentale avec des versets de l’hymne national, influent. Soit ces quelques vers du poème « Qu’elles sont belles ! » :

   « Qu’elles sont belles nos couleurs !

       Couleurs d’espoir

       Couleurs porteuses d’amour

           Et de vie

           Qu’elles sont belles, les belles de chez nous ! » (RI, P18)               

L’exclamation emphatique "Qu’elles sont belles nos couleurs !", en réalité, en marge du lyrisme structurel de l’exclamation, constitué de la conjonction d’exclamation "Que", en début de vers et du point d’exclamation ( !) ponctuant le ponctuant, est une invitation aux voisins périphériques de la Côte d’Ivoire, à migrer vers le pôle-ivoire pour profiter de ses charmes naturels : étendues d’eau, forêts, terres… Ce sont ces faveurs, symbolisées par les couleurs du drapeau, qui sont "porteuses d’amour". Et l’amour, dans son acception agape, celui du faible pour son prochain, pour son semblable, est difficilement limitatif ou circonscriptible. Autant dire que le poète se comporte, ici, comme dans un cadre de marketing de communication valorisante, mais, non d’intéressement personnel, plutôt, pieusement, dans le sens de la pure humanité bienfaisante. A la vérité, c’est toujours par l’entonnement de l’hymne national qu’un citoyen ou des citoyens observent le salut aux couleurs, le cas échéant, ORANGE-BLANC-VERT. Quatre verstes référentielles de l’Abidjanaise l’expriment, cordialement : "…Terre d’espérance", "Pays de l’hospitalité", "De l’espérance promise à l’Humanité", "La patrie de la vraie fraternité." Sans fard, la fraternité ivoirienne n’est pas qu’une affaire entre Ivoiriens, mais, clairement, entre Ivoiriens et étrangers vivant sur leurs sols. Les témoignages abondants proférés par le fort taux d’étrangers visitant ou résidant en Côte d’Ivoire, en font foi. On en conclurait que l’hymne national ivoirien, ancestralement, olympiennement ou divinement inspiré et dicté, suinte la prophétie. Opiniâtrement, le texte prophétique, soufflé par la muse et par des esprits tant totalitaires que fondateurs, est forcément épinglé de notes lyriques stylistiquement approuvées, consacrant sa littérarité poétique, sinon, honorant sa poéticité. L’Ivoironie, sans aucun doute, est le vécu d’une poésie de l’ouverture. La poésie, texte d’enchantement névrotique à l’extraversion, est un texte d’ouverture, fondamentalement. C’est tout logiquement que ce genre littéraire a bon succès en terre ivoirienne, terre d’intégration, et, donc, d’ouverture. Axiomatiquement, tout se passerait comme si  « pas d’ouverture intégrationniste ou universaliste, pas de poésie, du moins, pas à rayonnement. » La prolixité et le foisonnement lumineux de la poésie ivoirienne depuis Bernard DADIÉ, le Seigneur des lettres locales, ne se démontrent plus, depuis « Afrique debout », le/son premier texte poétique (ivoirien) en 1938, édité en 1950. La symbolique des couleurs ivoiriennes est bien témoin d’ouverture : l’Orange, couleur de la terre, gardien ou locateur  de nos ancêtres, et support d’existence ouverte et intégrée ; le Blanc, couleur de paix, de quiétude, d’innocence et d’hospitalité ; le Vert, couleur végétative de verdure écologique, cadre de culture agricole abondante, sphère d’oxygénation, et signe d’humanité intense. Ce n’est pas en vain que l’évocation des couleurs identitaires Orange-Blanc-Vert, revient à carillon agressif dans le recueil du poète N’GUETTA. S’étant aperçu de la haute humanité de la rhétorique actant le drapeau ivoirien, le poète intime au peuple " …une invitation Solennelle au mât"  (« Le messager » in RI, P22.)

   L’attente du poète, messager des dieux, c’est l’unité fraternelle universelle :

 

       « Un jour, les uns s’aimeront

          Un jour, les autres se pardonneront

        Un jour, tout le monde s’unira

        J’attends ce jour… » (« Un jour » in RI, P.28)

L’anaphore « Un jour », marque d’un état d’esprit de persévérance et d’obsession, exprime la piété du poète pour le règne de la fraternité universelle. Il en découle conséquemment cette verve à l’onirisme de cet instant sublime du monde, comme parodié de Marthin LUTHER KING, de son patrimonial « I have a dream » :

 

   « Je rêve au vent de l’amour,

      D’un dîner avec le Temps

      Et d’une bonne rencontre de sang

      Je rêve, mon âme plongée

      Dans cette vie future ?

      Où seule une saison règnera,

      Celle de l’AMOUR

      Je rêve de brandir la PAIX

      Je rêve à l’AMOUR.

      Je rêve… » (« Je rêve » in RI, P32)

C’est que, la poésie, support véhiculaire de l’Ivoironie, est le compte rendu de l’esprit humain qui s’introduit dans un monde de rêve.  C’est pourquoi, la répétition forcenée de "Je rêve", fait acte de lyrisme, ici, dans la poétisation de l’ouverture, à l’actif de cette "Terre aux multiples saveurs" (« Pays de rêve » in RI, P.41), de sensibilités culturelles et idéologiques, conglomérées, donc. Et le civisme, l’art, la littérature, et la culture, dont la Côte d’Ivoire est l’antre de production, en sont le reflet.  

CONCLUSION

L’Ivoironie pose la problématique de l’identité en Côte d’Ivoire, et, peut-être, en général.  Pour un pays qui se remet, à peine, de longues années de crise dites à soubassement identitaire, l’Ivoironie est-elle un ravivement des plaies en cours de cicatrisation ou l’acte idéologique de leur extinction totale et immédiate ? Selon toute vraisemblance, la question du vécu de l’identité n’a jamais été un mal pour le développement, ni pour la cohésion sociale, ni même pour la paix. L’identité, au contraire, sert d’humus au développement social et économique.  Toutes les grandes nations qui font office de modèle de développement dans le monde, n’ont pas été à ce niveau de leur existence en ayant fait l’économie de leur identité ou en y ayant manifesté de la honte ou de la gêne.  Elles, ces grandes nations, se sont manifestement célébrées, en ayant fait, médiatiquement la promotion de leur label identitaire. On a encore, à l’esprit, les cultes du mirage du pays de l’oncle SAM, de la nipponité  japonaise,  de la francité, du sionisme, de la race aryenne de la germanité…  Résolument, l’identité, c’est la faculté, pour un peuple, de s’accepter comme tel. D’entrain logique, on ne peut se développer si on a honte de soi ou si on se nie. L’identité, pour un peuple, c’est la conscience du destin lié et le sentiment d’appartenance au sort du collectif, d’atavisme ancestral. L’identité, pour un peuple, c’est la conscience de ce qu’il a, de communément valorisant, fût-ce touristiquement et infrastructurellement, et qu’il se doit de préserver et d’entretenir. Et c’est tout cet état d’esprit et de ressenti qui spécifie ou distingue ce peuple dans son rapport au monde. L’identité, donc, parce que, dans un espace communautaire donné, la possibilité de s’épanouir à titre personnel et d’avoir de la contenance, sans conscience des entourants et de l’environnement, est une pure vue de l’esprit.  C’est pourquoi, Auguste COMTE, dans l’élaboration de l’outillage conceptuel  de sa science, "la sociologie", au début du XXe siècle, lui a trouvé comme objet, le fait social, se rapportant à l’interconnexion incontournable et coercitive  des sorts individualisés dans un milieu de vie. On en résout que l’identité est un paramètre au développement.  L’identité, donc, soit qu’elle se construit, soit qu’elle se dégrade. En Côte d’Ivoire, désormais, la propension à inscrire, à construire et à entretenir le paramètre de l’identité a un nom : Ivoironie, bonne conscience de vie communautaire des Ivoiriens, dans leur rapport au monde. Rien, donc, d’indécent, ici. C’est, plutôt, la fragilité du mental politique dans les Etats d’Afrique qui met en déroute ce qui devrait être à l’abri de toute dissension, et à même d’être un atout de vie pour le climat social. Malheureusement, tous les moyens étant bons, ici, pour parvenir à ses fins dans nos États en déliquescence, la mauvaise foi et les raccourcis saccagent nos atouts et valeurs idéologiques propres. Pour aseptiser le mauvais sort, il faudrait aider à la construction d’une conscience nationale. L’Ivoironie s’y propose.

Décisivement, si tant est que c’est à une crise, mieux, à une polémique d’ordre identitaire que certains observateurs imputent les récents tumultes tragiques en Côte d’Ivoire, le parallélisme des formes historiques auraient voulu que ce soit par un autre label identitaire, bien conceptualisé et mieux formulé ou élaboré, que les lésions antiques soient pansées. C’est dialectiquement imparable. Le contrat de base, dans le cadre de l’Ivoironie, c’est la Côte d’Ivoire, fondamental, du reste, substrat de nos honneurs, de nos quiétudes et de nos intérêts. Ce contrat accord de magnificence du produit Côte d’Ivoire rapprocherait quelque individu vivant sur le sol ivoirien.  L’identité est culture et civisme, paravent de toute vie sociale et politique. C’est le lieu, peut-être, de gloser sur la parenté scientifique entre culture et identité ; la seconde s’extrayant et répondant de la première.  Sous ce rapport, l’identité, c’est un ensemble de phénomènes culturels se rattachant à une notion, un référent, une personne, une région, une nation, un continent, une race.  En ce qui la concerne, l’Ivoironie se hisse au pan nation, ivoirienne, précisément.  C’est grâce à l’appréhension de l’identité, des identités, que le monde a connu cette évolution observée, et tient encore de ce relatif équilibre.  Car l’identité, appréhendée intellectuellement et pratiquée socialement, est source de contenance psychique et de clarté dans la perception intellectuelle. Autrement, ce serait la déconfiture, le désordre ou le chaos dans le contrat social, au risque d’état de nature, selon les  lettres ferventes, civiques et intellectualistes,  de Jean-Jacques ROUSSEAU. En marge de la dialectique conceptuelle Identité/Culture modestement éludée, qu’en est-il, éventuellement, de celle Art/Culture ? Et ce, parce que l’Ivoironie est art et culture. Elle est un art, au sens de la production créatrice et civique de l’esprit, en plus d’être un art de vie.  En réalité, la culture est l’ancrage de l’art. Tout simplement, l’art repose sur la culture dont elle relève et procède. Explicitement, l’art est la mise en scène, de formules multiples et compartimentées, de la culture en tant que large vision du monde d’un peuple. L’Ivoironie, en même temps qu’elle se propose d’être le vécu de la large vision du monde ivoirienne, elle la met aussi en scène, ici, au moule poétique que nomment Les Rhapsodies ivoironiques du Griot noir du soir. Poésie et Ivoironie, se conciliant au pôle de l’imaginaire ravissant

L’étude de l’œuvre du poète N’GUETTA aura démontré que la spécificité de la notion d’identité ne l’empêche nullement de donner à l’ouverture.  Ainsi, l’apparentement de l’Ivoironie à la poésie, littérature d’esthétique identitaire et d’universalisme, ne souffre d’aucune cohérence intellectuelle. En outre, il y a que la complexité stylistique disciplinaire de la poésie, n’entame, en rien, au ressenti intelligible du texte poétique, notamment, quand il arrive que l’identité soit sa toile de fond médiatique. La poésie étant elle-même la représentation symbolique verbale de la culture.

En définitive, l’étude de l’Ivoironie, dans le texte poétique de N’GUETTA, avec toutes ses implications scientifiques, littéraires, philosophiques, civiques et culturelles, ne ferait-elle pas du  concept étudié, la matière de notoriété de la poésie ivoirienne pendant de longues années encore ?

 

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[1] Toh Bi Emmanuel : Le manifeste de l’Ivoironie, Les Editions matrices, Abidjan, 2018, P.94.

[2] N’Guetta Saint-Joseph : Rhapsodies ivoironiques, Les Éditions du makri, Abidjan, 2023.

[3] Bernard Zadi Zaourou : Césarienne, CEDA, Abidjan, 1984, P.8.

[4] La Bible, version Louis Segond, l’évangile de Jean, verset 1.

[5] Joachim Bohui Dali : Maïéto pour ZEKIA, CEDA, Abidjan, 1988, P21.

[6] Bohui Dali, op.cit, P.20.

[7] Jean COHEN : Structure du langage poétique, Ed Flammarion, Paris, 1966.

[8] Eno Belinga : La Prophétie de Joal, Ed CLE, Yaoundé, 1975.

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