N°7 / Musiques et politique Juillet 2005

Metal et politique : pour une compréhension sociologique des références aux extrémismes politiques dans la musique metal

Alexis Mombelet, Nicolas Walzer

Résumé

Mobilisant des références qui évoquent implicitement et explicitement des extrémismes politiques, le fait social metal interpelle et retient l’attention de l’observateur. En l’occurrence, il s’avère qu’au-delà des idées reçues, les acteurs de ce fait social populaire, les métalleux, cultivent une esthétique du choc qui procède de la recherche de puissance et non de pouvoir. Les métalleux et l’esthétique qu’ils mobilisent, en « bricolant » avec des interdits sociétaux, et plus particulièrement en « bricolant » avec la symbolique et l’iconographie du régime nazi, s’érigent culturellement en marge de la société. Cette mise à l’écart est source de narcissisme chez les métalleux et est pourvoyeuse d’une pensée « élitiste ». In fine, l’instrumentalisation des extrémismes politiques par les métalleux procède majoritairement de la logique de subversion jusqu’au-boutiste consubstantielle à la musique metal.

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Mettre à jour les motivations et les objectifs des métalleux eux-mêmes quant aux rapports que le phénomène metal, dont ils sont les acteurs, entretient avec les extrémismes politiques est l’objet de cet article. Pour ce faire, c’est dans le cadre d’une sociologie d’inspiration à la fois phénoménologique et compréhensive, que nous interprétons nos matériaux d’analyse. Plus précisément la problématique est la suivante : dans quelle mesure les métalleux instrumentalisent les extrémismes politiques, étant donné la logique de subversion afférente au metal ? Une telle problématique appelle des précisions quant au choix des termes retenus. La suite de l’article tâchera d’apporter son lot d’éclaircissements.

Le metal désigne, avant tout, une musique qui naît dans les années 1970 sous l’impulsion de groupes anglais tels que Black Sabbath ou Led Zeppelin. Aujourd’hui, il est représenté par des groupes internationaux tels que AC/DC, Marilyn Manson, Metallica, Slayer, Iron Maiden, Satyricon, Dimmu Borgir, Morbid Angel, Deicide, Nightwish, etc. Le metal est un terme générique, d’origine anglo-saxonne, comme le rock ; il désigne un style musical où sont présents guitares électriques et sons saturés. A cet égard, il est une radicalisation de la musique rock, à la fois sur le plan musical et sur celui des pratiques sociales qui l’accompagnent. Or, ces dernières, en France, ne font, à ce jour, l’objet d’aucune recherche sociologique.En outre, le metal rassemble un nombre important de styles et de sous-styles musicaux (heavy metal, hard rock, speed metal, thrash metal, death metal, black metal, black metal symphonique, black metal brutal, grind1, etc.) porteurs en eux-mêmes de singularités  musicales, comportementales et sociales.

Excursus heuristique : comment connaître le positionnement idéologique d’un groupe de musique metal ?

Le positionnement relève, hormis les rares cas explicites émis par les groupes musicaux2, de l’identification subjective promulguée par la « tribu » metal elle-même. Tout d’abord, un initié opère un recoupement et une analyse souterraine (implicite) des différents supports (CD, tee-shirts, interviews où il est confronté aux titres d’albums, aux paroles, à l’iconographie) sur lesquels l’artiste se diffuse. Ensuite, cette analyse est confrontée, lors de rassemblements spécifiques (concerts, festivals, soirées dans un bar metal, etc.), aux différentes analyses du même ordre, effectuées par ses pairs. Il en ressort une opinion arrêtée sur le positionnement idéologique d’un groupe de musique metal. Opinion qui fait l’objet d’un consensus souterrain au sein du fait social. Notons que cette identification subjective promulguée par les métalleux recoupe en partie la définition de la représentation sociale, énoncée par Denise Jodelet et repris par Gilles Marchand (Marchand, 2002, pp. 92-93). En outre, de par notre connaissance aiguë de l’écologie du metal, fait social que nous côtoyons depuis plus de 13 ans, nous sommes au fait des positionnements identitaires, estampillés par les métalleux, quand ceux-ci sont identifiables. Or, il n’en est pas toujours le cas, et c’est bien cela qui constitue le nœud gordien de l’étude.

Un constat préalable : le metal comme reflet de l’électorat national

D’emblée, tâchons d’insister sur la diversité des positionnements idéologico-politiques ou idéologiques, pour parler plus compendieusement, dans le metal. En effet, considéré dans son entièreté, on ne peut que constater l’extraordinaire pluralité de ceux-ci. A cet égard, en ses rangs d’une part, le metal compte des groupes estampillés par les initiés comme majoritairement apolitiques. Aussi, il est des groupes dits anti-politiques, des groupes de gauche, voire d’extrême gauche, mais aussi de droite et d’extrême droite. D’autre part, le public metal, à l’image des groupes, offre un positionnement pluriel. On constate également un désengagement avéré teinté d’une critique acerbe à l’égard de la politique. De fait, le metal ne serait que le juste reflet de l’électorat national3

Les faits : des références à des idéologies extrémistes

Fort de ce premier constat fondamental mis à jour, on peut se centrer plus précisément sur l’objet de notre article : les extrémismes politiques dans le metal.

On constate en de nombreuses occurrences que musiciens et auditeurs affichent des symboles militaires mais aussi des symboles et une iconographie militaristes ou martiaux d’une manière générale qui évoquent implicitement mais aussi explicitement le régime nazi. Tout d’abord, le groupe américain de thrash metal Slayer propose un logo dont le graphisme de la lettre « S » n’est pas sans rappeler celui des lettres « S » de la Schutzstaffel ou SS du parti nazi en Allemagne. Il en est de même pour le groupe américain Kiss.

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Ensuite, de nombreux métalleux et, plus précisément, une part significative des métalleux qui appartiennent au public metal extrême4, portent le temps des rassemblements « tribaux » des treillis ainsi que des grosses chaussures du type rangers ou Dr. Martens. A ces premiers effets, certains y ajoutent une croix de fer, distinction militaire allemande, ou encore une cartouchière. Par conséquent, ils affichent une allure martiale. En outre, des figures charismatiques tels que Lemmy Kilmister du groupe anglais Mötorhead ou Jeff Hanneman du groupe Slayer, une nouvelle fois, sont des collectionneurs notoires d’objets nazis. On pourrait aussi ajouter à cette liste, le populaire Marilyn Manson, qui est un adepte de la mise en scène troublante.

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Enfin, la musique métronomique, aux accents militaires du groupe allemand Rammstein, musique accompagnée d’un chant allemand précisément, rauque et sévère, à laquelle il faut ajouter la diffusion d’un clip intitulé Stripped, qui reprend des images de propagande nazi de la cinéaste Leni Riefenstahl, suscitent la polémique.

Pour un observateur lambda, de tels faits et il en est beaucoup d’autres semblables, sont les indices d’un engagement identitaire extrémiste. De fait, les métalleux qui mobilisent de telles références sont-ils d’extrême droite, sont-ils des nostalgiques d’un passé porteur d’idéologies totalitaires ? Il s’avère que la réalité du terrain exclut une telle lecture unilatérale des choses. La réalité est bien plus complexe.

De la recherche de puissance via un bricolage subversif extrémiste et jusqu’au boutiste

D’après nos investigations diverses et  multiples, il s’avère que lorsqu’un métalleux affiche un symbole faisant référence au régime nazi cela ne signifie pas qu’il adhère à l’idéologie correspondante. De la même manière, écouter un groupe tel que Burzum dont le leader se réclame néo-nazi ne prédispose pas d’un engagement identitaire extrémiste de la part de l’auditeur. En effet, en règle générale, mus par une recherche de puissance et non de pouvoir, les métalleux jouent avec les interdits sociétaux. En l’occurrence, la distinction opérée est de taille. Dans son ouvrage La Violence Totalitaire, Michel Maffesoli précise les notions de pouvoir et de puissance. De fait, alors que « le champ du pouvoir est celui du politique » (Maffesoli, 1999, p. 77), la puissance de son côté participe de la vitalité sociale, elle s’inscrit dans « la part d’ombre de la réalité sociale, elle s’affirme comme vie » (Ibid., p. 83). Il précise que les caractères essentiels de la puissance sont le collectif, l’anomique, la violence, la force… A cet égard, il parle de « pouvoir politique » et de « puissance sociale » (Ibid., p. 61). Et c’est bien de cela dont il est question dans le cas des métalleux : de la recherche de puissance, via un bricolage subversif, plutôt qu’une revendication politique. « Subversif » étant entendu comme le fait de mettre en avant des valeurs, une esthétique qui diffèrent de celles communément admises. En ce sens, la symbolique du régime nazi et son svastika est un « impossible à dire », et plus encore un « impossible à afficher » en Occident. En mobilisant de tels interdits, les métalleux s’inscrivent de fait culturellement en marge de la société. Et l’esthétique à part qu’ils affichent, le fait in fine de se ressentir différent de la « masse », est source de narcissisme :

« Passer pour effrayant aux yeux de la presse (et donc du grand public) nous est particulièrement jouissif... » (Necrowarrior, musicien au sein du groupe de black metalDuael)

Comprendre la logique des métalleux, quant à l’usage, essentiellement iconographique on le constate, de symboles interdits, est essentiel. Comprendre cela, c’est mettre à jour ce qui meut et émeut les métalleux dans leur approche du metal, en l’occurrence la subversion esthétique source de puissance. Être subversif, c’est rompre avec l’esthétique mondaine, c’est tendre vers un ailleurs, alors que l’on vous impose un ici. « Éclatement » versus assujettissement identitaire.

En outre, Philippe Rigaut, qui a mené une étude sur le monde fétichiste et sadomasochiste (SM) pointe du doigt une précaution fondamentale qui vaut aussi pour les métalleux et qu’il est de bon ton de répéter. Il écrit : « Les mises en scène disciplinaires et les symboles militaires, et notamment ceux évoquant explicitement le régime nazi, appartiennent au bagage stylistique du SM. Cependant, cette présence n’autorise pas de généralisation trop hâtive dans la mesure où il est sans doute question davantage d’un jeu de subversion de valeurs, d’un habillage symbolique, que d’une réelle adhésion idéologique5 » (Rigaut, 2004, pp. 107-108). Il ajoute de manière magistrale que : « Le SM se révèle à nouveau comme inséré dans un ensemble pratico-intellectuel plus large, en l’occurrence dans une tendance généralisée à considérer que les symboles du Mal […] peuvent être légitimement intégrés aux champs de la création et de l’esthétique67» (Ibid., p. 108).

Conclusion

Au total, en premier lieu, depuis le début des années 1970, date de son apparition, le metal a toujours proposé et renouvelé une esthétique du choc. Les métalleux bricolent avec les interdits sociétaux : le sexe, la mort, le Mal, etc. (Mombelet, 2004, pp. 67-78). Il est, en règle générale, question de heurter l’auditeur par le truchement d’une musique alternative, associée à la mise en scène d’interdits ou de symboles tabous. Aussi, le fait d’afficher des symboles qui évoquent le régime nazi procède majoritairement de cette logique subversive jusqu’au boutiste ou extrémiste consubstantielle au metal. Il est question de jeu subversif et de théâtralité. Il s’agit d’une recherche de puissance et non de pouvoir. Nécessairement, le fait de jouer avec ces symboles peut déconcerter et apparaître dangereux ou, a contrario, puéril pour l’observateur extérieur, mais il faut bien comprendre que c’est cela qui est recherché : choquer autrui. De plus, par une telle instrumentalisation, le metal se constitue une esthétique à part, source de narcissisme pour celui qui se l’approprie et générateur en de nombreux cas d’une pensée « élitiste ». En mobilisant ce que tout le monde ne veut ou ne peut pas voir ou entendre, une part significative de métalleux éprouve un sentiment de jouissance et de supériorité. En second lieu, le fait social metal, à l’instar de l’électorat national, compte en ses rangs une part infime de fervents défenseurs de régimes totalitaires, nationalistes voire fascistes ou nazis. On constate à cet égard l’expansion d’une frange extrémiste, condamnée par la majorité des acteurs de la « tribu » : le NS BM, le National Socialisme Black Metal. Une part significative de celle-ci franchit le jeu de la subversion symbolique et prône alors, par l’intermédiaire du média « musique », des idées racistes. Au-delà de l’instrumentalisation et du jeu subversif, opérés par une large frange de la jeunesse anticonformiste, c’est davantage la banalisation d’une iconographie et d’idées extrémistes qui interpellent véritablement l’observateur avisé.  

Photographies référencées

« La photographie, qu’on l’utilise ou non, nous donne une leçon irremplaçable d’écriture »

F. Laplantine, La description ethnographique

Les photographies sont ici classées et numérotées par ordre d’apparition dans le déroulement de l’article.

- N°1 :Le logo du groupe Slayer, groupe de thrash metal américain. Ce logo est tiré de l’album Live Decade Of Aggression. Cf. Slayer, 1991, Live Decade Of Aggression, American Recordings.

- N°2 :Affiche de propagande SS.

- N°3 : Marilyn Manson dans le décorum de l’une de ses tournées. Photographie disponible à l’adresse suivante : http://www.mansonfr.com

1  Cf. (Mombelet, 2004, p. 147), un arbre généalogique proposé par Eric Lestrade, fan de musique metal, y est présenté. On y constate plus d’une trentaine de styles métalliques. Le foisonnement est saisissant.

2  En effet, rares sont les groupes de metal qui proposent explicitement une étiquette politique aux auditeurs. Cet état de fait procède sans doute d’un désengagement politique avéré de la plupart des groupes. Désengagement qui en règle générale n’empêche pas une critique virulente de la société.

3  Ce constat est d’ailleurs corroboré par F. Hein, auteur de la première étude ethnographique sur le metal en France. Il écrit : « Attribuer au monde du metal une orientation politique unilatérale est une réduction attestant d’une méconnaissance manifeste de son écologie […]. La diversité du monde du metal et des individus qui le composent, n’est donc que le reflet de la diversité du corps social » (Hein, 2003, pp. 188-191).

4  Cette photographie porte le numéro 1 du fait de son ordre d’apparition dans ce développement, elle sera référencée de la façon suivante : (N°1). Il en sera fait de même dans la suite du développement pour toutes les photographies. La liste complète des photographies se trouve en fin d’article.

5  Le public metal extrême regroupe les métalleux férus avant tout des styles musicaux les plus « violents » du metal : black metal, death metal, grindcore, thrash. Dans nos précédents travaux, nous avons distingué trois publics différents au sein du metal : le public metal alternatif, le public metal souche ainsi que le public metal extrême. Ces trois publics se différencient selon des affinités singulières : styles musicaux, tenues vestimentaires, âges des publics, etc. (Mombelet, 2003).

6  Souligné par nous-mêmes.

7  Souligné par nous-mêmes.

Hein Fabien, 2003, Hard Rock, Heavy Metal, Metal… Histoire, cultures et pratiquants, Paris, Musique et Société.

Maffesoli Michel, 1999, La violence totalitaire. Essai d’anthropologie politique,Paris, Desclée de Brouwer, Collection Sociologie du quotidien, [1979].

Marchand Gilles, 2002, « Représentations sociales. Un ciment pour les relations humaines », Sciences Humaines, Hors-série n°38, pp. 92-93.

Mombelet Alexis, 2003, Les concerts de musique metal : approche anthropologique Tome 1 et Tome 2, mémoire de Maîtrise mention « éducation et motricité » (sous la direction de M.-J. Biache), Université Blaise Pascal, UFR STAPS, Clermont-Ferrand 2.

Mombelet Alexis, 2004, La religion metal. Secte metal et religion postmoderne, mémoire de DEA de sociologie (sous la direction de M. Maffesoli et de M. Hirschhorn), Université René Descartes, Paris 5, La Sorbonne.

Rigaut Philippe, 2004, Le fétichisme. Perversion ou culture ?, Paris, Belin, Collection Nouveaux Mondes.

Walzer Nicolas, 2003, L’imaginaire satanique et néo-païen dans la musique metal extrême depuis les années 90, mémoire de Maîtrise d’histoire culturelle (sous la direction de P. Ory), Université de Marne-La-Vallée, UFR Sciences humaines et sociales.

Walzer Nicolas, 2004, L’imaginaire et les parcours des musiciens de black metal : des acteurs underground travaillés par le religieux, mémoire de DEA de Sciences sociales des religions (sous la direction de J.-P. Willaime), Ecole Pratique des Hautes Etudes, Section des Sciences religieuses.

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Introduction au dossier « Musiques et politique »

Jean-Marie Seca

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