N°7 / Musiques et politique Juillet 2005

Musique underground, stratégie souterraine et acteurs de l’ombre : des différentes tentatives de construction d’une culture d’extrême droite. (Rythmes noirs, acteurs bruns et musique blanche)

Gildas Lescop

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Rock et extrême droite : de prime abord, l’association de ces deux termes ne se pose pas comme une évidence et semble même relevée de l’oxymoron.

Il est vrai que la musique rock en général et son univers culturel composé en grande partie d’un imaginaire ou se mêlent des notions de liberté et d’indépendance, de mélanges et d’échanges, de contestation et de provocation, de révolte et d’insoumission, ne semble guère pouvoir être associer à des courants de pensée autoritaire et réactionnaire, plus ou moins nostalgiques d’un ordre fasciste et ségrégatif.

Il est également vrai que ces idéologies n’auront jamais fait preuve de modernité et d’ouverture d’esprit en matière musicale. Dans les années 1930, elles auront d’abord condamné le jazz comme étant une « musique de sauvages », jugeant les origines noires de ces nouvelles sonorités comme inconvenantes, les danses indécentes et le tout, comme portant atteinte à l’héritage culturel de ce continent. De la même façon, après la guerre, les rescapés idéologiques de ces régimes et leurs proches continuateurs condamneront pareillement le rock, qualifié à nouveau de « musique de sauvage », dont l’écoute, selon eux, ne pouvait que s’avérer moralement, socialement et politiquement subversive. Durant les années 1970, le développement de la musique folk et du mouvement hippy ne fera qu’accroître l’hostilité de l’extrême droite envers tous ces milieux musicaux considérés comme permissifs et pernicieux et se résumant à un enchevêtrement de cheveux longs, d’idées libérales et de drogues

Pourtant, le temps passant, les différentes mouvances fascisantes, animées par des cadres vieillissants, vont se trouver eux-mêmes confronter, dans leur propre camp, à une nouvelle génération de militants qui, ayant grandi avec tous ces rythmes rock, pop ou folk, les auront non seulement intégrés mais encore adoptés. Ces jeunes militants, ayant pu éprouver et apprécier par eux-mêmes, en tant qu’auditeurs ou spectateurs, l’énergie communicative et le pouvoir de séduction de ces différentes musiques, penseront que le temps pourrait être venu pour eux de passer d’une façon ou d’une autre, à la pratique afin de pouvoir diffuser, à leur tour et par ce biais, leurs propres idées. Tout cela devant néanmoins se réaliser malgré les réticences de leurs propres dirigeants, malgré une absence de relais et de sympathie dans le monde de la musique en général et malgré la faible audience de leur discours politique. C’est pourquoi nombre de projets resteront le plus souvent cantonnés à une diffusion, pour le moins, confidentielle.

Toutefois, il en ira autrement en l’Italie puisque va s’élaborer et se structurer dans ce pays, au cours des années 1970, durant les « années de plomb », dans un climat de tension, d’affrontement et de violence, la première scène musicale nationaliste d’importance. Cette dernière émergera à l’occasion de larges rassemblements organisés par des mouvements de jeunesse liés à l’extrême droite italienne et connaîtra un développement durable et un succès certain. Diffusée par le biais de radios libres tenues par des sympathisants nationalistes, cette musique d’influences folk et rock et d’inspiration national-révolutionnaire prendra en Italie le nom de « rock alternatif ».

C’est ensuite en Angleterre, au milieu des années 1980, que se développera, d’une manière bien différente de l’Italie, une nouvelle scène musicale nationaliste. Scène d’un autre genre, à la fois plus radicale sur le fond et sur la forme, mais qui connaîtra pourtant un très grand retentissement et dans ce pays et dans le reste du monde.

Ces années 1980 verront la Grande-Bretagne sombrer dans une crise économique sans précédent, crise d’où surgira le mouvement punk mais qui contribuera aussi à faire sortir de son isolement politique un parti d’extrême droite, le National Front. Profitant du marasme présent et se nourrissant de cette ambiance délétère, ce parti ambitionnera bientôt de devenir la troisième force politique du pays. Aussi, il lui semblera d’abord nécessaire de « donner un coup de jeune » à sa formation alors essentiellement composée de militants âgés. Par l’intermédiaire du Young National Front, il mènera alors une intense, et plutôt habile, campagne de séduction envers la jeunesse en investissant stades de football et lieux de concerts, pour finalement jeter son dévolu sur le mouvement skinhead, mouvement qu’il contribuera ainsi à fasciser en grande partie.

S’ensuivra une étroite collaboration entre le National Front et les plus déterminés de ces « naziskins », le NF offrant à ceux-ci les moyens financiers et techniques nécessaires à la mise sur pied d’une scène musicale nationaliste susceptible d’exercer un ascendant sur la jeunesse britannique. Dans une semi-clandestinité, sans publicité si ce n’est celle indirecte des médias et de la presse à sensation, cette scène parviendra pourtant à se développer notablement, trouvant un public d’inconditionnels et faisant émerger dans son sillage de nouveaux groupes. Mais cette scène parviendra surtout à s’exporter et à s’implanter, d’abord en Europe puis dans le reste du monde, diffusant et popularisant au passage la figure du naziskin qui fera bien des émules au sein et en dehors des mouvances d’extrême droite.

Fort de cette première avancée, les acteurs et militants de cette scène rock nationaliste vont alors tenter, par un effort de diversification, d’élargir encore leur audience afin de ne pas être restreint à la seule mouvance skinhead, certes assez dynamique, mais par trop marginale. De nouveaux projets musicaux vont donc s’élaborer d’une manière opportune en direction de nouveaux styles jugés prometteurs tel que le métal ou la musique industrielle en même temps que se construira un rock identitaire moins radical sur le fond et sur la forme, susceptible, par là même, de se diffuser plus largement et plus facilement.

Ces tentatives de construction d’une contre-culture d’extrême droite connaîtront, selon les pays, les époques et les contextes, diverses fortunes, prenant bien des chemins, empruntant bien des formes. Néanmoins, ce qui apparaîtra toujours, qu’elle soit, comme en Italie, le fruit d’une émanation directe des mouvances nationalistes, ou, comme en Angleterre, le résultat d’une captation d’un phénomène de mode, c’est le caractère profondément opportuniste de la scène musicale d’extrême droite. En effet, loin d’innover dans quelque domaine que ce soit, cette dernière ne se présentera que comme investissant, s’appropriant, détournant ou subvertissant des genres musicaux déjà existants, afin d’y insérer, in fine, son propre discours.

Cette stratégie de la récupération tous azimuts, pratiquée au détriment de la création pure, n’aboutissant qu’à proposer du folk d’extrême droite, du rock d’extrême droite, du métal d’extrême droite…  en limitera donc fortement, sur le plan strictement musical, non seulement l’intérêt mais encore et surtout la portée. Ne se distinguant ni sur le plan de la qualité et encore moins sur celui de l’originalité, ces versions, fonds sonores mis au service d’un discours politique, ne pourront guère, en se limitant à cette fonction, prétendre sérieusement intéresser un public autre que celui des convaincus d’avance, ne suscitant au-delà de ce cercle de connivence que de la réprobation ou, au mieux, de l’indifférence.

Ainsi, et c’est un fait, ces groupes auront beau changer de noms, changer de style, se démultiplier sous une forme ou sous une autre, leur public restera globalement le même. La fidélité de ce public sera à la fois, pour la scène musicale d’extrême droite, une chance et un inconvénient. Une chance puisque, pour peu que le message soit clairement identifiable, les militants et sympathisants nationalistes se montreront volontiers consommateurs de toutes productions proposées, permettant ainsi à cette scène d’exister d’une manière autonome, ou plutôt, de subsister en vase clos. Mais ce sera également un inconvénient, car les groupes appartenant à cette mouvance, trouvant là un espace sécurisant, parfois même à la mesure de leurs ambitions, auront dès lors le plus grand mal à s’en extraire, à dépasser ce milieu et, n’ayant ni concurrence interne ou externe à affronter, à se dépasser eux-mêmes.

D’ailleurs, tous ces groupes musicaux d’extrême droite, aussi divers soient-ils dans leurs styles, pourront-ils réellement songer rencontrer un succès d’importance tant que leurs opinions n’auront pas la sympathie du grand public ? Aussi longtemps qu’il en sera ainsi, il semble bien qu’en la matière, la recherche de la notoriété ne puisse s’envisager que sous le biais du renoncement feint ou consenti à toute forme de radicalité. Notoriété contre intégrité, succès contre sincérité, c’est le débat commun à toutes les scènes dites underground. Le fait est que les très rares groupes issus de mouvances radicales nationalistes et fascisantes qui ont pu ou su accéder à une certaine renommée, loin de conserver une quelconque démarche militante, ont souvent eu, au contraire, pour soucis premier d’occulter leur passée et de passer sous silence leurs sympathies premières.

Quelles que soient les formes qu’elle a pu prendre, la scène musicale d’extrême droite a finalement échoué à n’être qu’autre chose qu’une contre-culture très marginale. Faut-il conclure sur l’échec prévisible de ce genre de musique et plus largement sur l’échec probable de toutes musiques politiques ? En tous cas, ironie de l’actualité récente et pied de nez adressé à tous les militants d’extrême droite qui se sont beaucoup investis pour pouvoir exprimer leurs idées au travers de la musique, les deux courants musicaux réputés actuellement comme étant les plus dynamiques et les plus marqués à l’extrême droite, faisant office de marqueur ethnico-musical dans le nord et le sud de l’Europe, sont le Gabber hollandais et la Makina espagnole, courants tous deux issus de la scène techno hardcore, c’est-à-dire issus d’une scène musicale n’offrant ni paroles ni discours.

Seca Jean-Marie, 2001, Les musiciens underground, Paris, Presses Universitaires de France.

Carlet Yasmine, 2004, Stand down Margaret,Clermont-Ferrand, Mélanie Séteun.

Lescop Gildas, 2003, « Honnie soit la oi! », Copyright Volume ! Autour des musiques actuelles, vol. 2, n° 1, pp. 109-128.

Hein Fabien, 2003, Hard Rock, Heavy Metal, Metal, Clermont-Ferrand, Mélanie Séteun/Irma, pp. 188-191.

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