N°8 / Violences privées, publiques et sociales Janvier 2006

Internet, adolescence et communauté de contestation

Xavier D’Auzon

Résumé

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Cette note est issue d’un travail de recherche sur la contestation militante à l’adolescence. Nous nous pencherons plus particulièrement ici sur l’importance de l’outil Internet dans la construction identitaire de l’adolescent militant.

L’étude de la contestation adolescente ne pouvait faire l’impasse sur les nouvelles technologies. Nous verrons d’abord que les adolescents, dans leur recherche de liens et d’identité, trouvent sur la toile un lieu permettant en partie de répondre à leurs attentes. Puis nous étudierons comment le militantisme et la contestation sont modifiés et modifient le réseau planétaire par cette interconnexion de savoirs et de communications.

1 La toile, un lieu pour adolescent, par excellence

A Un lieu de découvertes

L’utilisation d’Internet permet l’accès à des connaissances sans l’obligation de s’affilier à un adulte détenteur de savoirs. A cet âge de recherche d’autonomie, la toile procure un sentiment d’indépendance et de toute-puissance, d’une part par l’instantanéité du savoir qu’apporte les moteurs de recherche, et d’autre part, par le sentiment de possession de ses savoirs, accessibles et stockés dans un sentiment d’infini. L’Internet comble certaines attentes adolescentes en termes de cultures et de connaissances, et donne l’illusion d’une égalité en niant la différence des générations, voire même en plaçant l’adolescent en position de détenteur du savoir informatique. L’adolescent est alors celui qui est en capacité de savoir, et celui qui permet à l’adulte d’accéder à ce savoir.  

B Un lieu de sociabilité

L’adolescent alterne entre des moments de communications et des moments de repli social. Animé par des forces centrifuges et centripètes, la vie sociale de l’adolescent est très reliée à sa relation avec ses pairs. Internet facilite cette alternance et l’encourage. Quatre grands types d’outils sont privilégiés par les adolescents pour cette socialisation à géométrie variable.

Les forums : Très utilisés par les adolescents, les forums permettent le partage d’opinions dans un cadre sécurisé par la préservation de l’anonymat, et le retrait physique. La confrontation des idées, l’échange d’opinions, le jeu des alliances et des rivalités s’organisent de façons parfois virulentes sans pour autant mettre en jeu l’intégrité des posteurs de messages. Les utilisateurs de forums s’expriment, testent leurs représentations, jouent à se mettre en scène sur une scène sociale plus ou moins clairement défini selon le thème du forum. Le forum est un espace qui parle à l’adolescent car le cadre est explicite, le principe est contenant pour la pensée qui se retrouve matérialisé, critiqué, approuvé, ou dénigré. Les règles sont fixes et acceptés de tous, au risque de bannissement de celui qui les transgresse. Il me semble que le forum est avec ses transactions, ses principes et ses règles, un espace transitionnel riche en construction identitaire pour le jeune internaute.

Les messageries instantanées : L’échange en messageries instantanées favorise le lien social. Trois types de relations s’élaborent par ses messageries.

Tout d’abord, la continuité d’un lien fort entre deux ou plusieurs personnes proches qui sont déjà dans une importante proximité, et pour qui la messagerie permet d’alimenter cette proximité. La messagerie est investit comme un médium parmi d’autres (téléphone, rencontre, activités communes).

La seconde relation est moins forte, elle se rattache plus à l’idée de relations sociales à entretenir. Les personnes sont liées par un attachement moins soutenu, qu’il s’agisse de personnes qui se connaissent de vue, ou qui se voit de loin en loin, la messagerie permet de continuer à garder le contact qui se serait sans doute rompu autrement.

La troisième relation est plus vaste et concerne tout le champs de la rencontre. Les personnes ne se connaissent pas autrement que par ce support, et investissent plus ou moins ce lien en projetant dans la relation entre soi en tant qu’utilisateur de la messagerie et l’autre tout un imaginaire permise par la nature virtuelle du médium.

Les sites ou blogs : On ne différenciera pas véritablement le site Internet fait par un adolescent et un blog, car tous deux, moyennant une conception technique et graphique différente, ont le même objectif : représenter son créateur.

Ces sites jouent sur les limites entre exposition et anonymat, secret et divulgation, dans un mouvement entre ce que l’adolescent souhaite montrer de lui, et ce qui lui semble être du domaine de l’intime. C’est un moyen d’expression, comme une vitrine de soi, ou l’adolescent se montre tel qu’il est ou voudrait se concevoir. Les blogs donnent une grande place aux commentaires des visiteurs dans une demande de réassurance et de reconnaissance. Comme pour le forum et la messagerie instantanée, cette socialisation passe avant tout par les pairs.  

C Un lieu d’identités choisies

Le système des avatars, des pseudonymes et le relatif anonymat permet aux internautes de se choisir une identité en fonction de l’humeur du moment –comme cela se pratique couramment sur les messageries instantanées-, les convictions ou l’image que l’on veut montrer de soi. Le pseudonyme est alors un masque et un étendard. Les termes et les images utilisées sont en lien avec l’idéal du Moi. L’internaute a la possibilité de contrôler ce qui le représente au regard des autres, et, alors que la situation de dialogue est assez factice et paraît peu impliquante, l’avatar virtuel est très investi par l’adolescent.      

2 Un outil militant

Selon Boltanski et Ève Chiapello, [(1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris :Gallimard] Le militant  est  un facilitateur de réseaux dont une des activités dominantes est d’assurer la circulation de l’information. Les interfaces d’échanges et plus particulièrement les listes de diffusion sont alors le lieu privilégié où se révèlent ces nouveaux intercesseurs dont le rôle essentiel est de transmettre, de rapporter, de créer et/ou de commenter des informations variées, supposées servir d’une façon ou d’une autre les luttes en cours. L’objectif principal de ces médiateurs est donc de faire partager aux communautés militantes des données dont il sont les détenteurs sans toutefois en être nécessairement les auteurs.

3 Discussions et propagandes

A Cibles potentielles

Les jeunes sont des cibles privilégiées pour les mouvements contestataires. D’une part, ils sont considérés de façon Rousseauistes comme des êtres innocents à éduquer ou à ré éduquer face à une société aux influence néfastes, d’autre part, il est bien évident que dans une démarche de recrutement, les jeunes sont plus influençables et n'ont ni l'expérience ni la connaissance de tous les faits qui leur permettraient de réfuter les mythes et les idéaux qui leur sont présentés.

B Stratégies de recrutement

Les techniques utilisées par les groupes contestataires pour rejoindre les jeunes sur Internet reproduisent leurs méthodes de recrutement habituelles.           
Musique.La musique est un moyen tout indiqué pour les jeunes. Un adolescent naviguant sur le Web en quête de musique peut se retrouver sur un site qui vend, ou offre de télécharger gratuitement, de la musique. Ces sites proposent souvent une série de liens vers des brochures, des tracts, des listes de diffusion, des forums et d’autres sites depropagande.         
 « Rif » (Rock identitaire français), « Rac » (Rock against communiste) ou « musique identitaire » pour les mouvements nationalistes, punk anti-facho, ska, Oï, reggae, rap, pour l’extrême gauche, la musique est au cœur des pratiques militantes, nous y reviendrons dans la partie empirique.

Jeux. Une autre stratégie utilisée pour rejoindre les jeunes est la production et la diffusion de versions idéologiquement très prononcées de jeux d’ordinateur populaires. Cela signifie qu'un adolescent peut chercher le dernier jeu vidéo à la mode sur Internet et trouver, à la place, une version détournée de celui-ci.         
 

4 Les militants du virtuel

A Monde virtuel, militantisme virtuel

Selon Granjon [(2001) L'Internet militant : Mouvement social et usage des réseaux télématiques. Apogée Paris] La légitimité des militants-internautes ne peut être uniquement déterminée par leur présence sur la toile. Il considère qu’effectivement les listes de diffusion constituent bien des espaces militants d’échange et de rencontre où s’expriment, se négocient et s’actualisent des affiliations centrées sur la critique sociale, permettant même à quelques-unes d’entre elles de trouver une certaine permanence mais que la toile ne suffit pas à créer des réseaux sociaux véritablement inédits ; Ils ne font que renforcer ceux sur lesquels ils s’appuient pour exister. Les formes de militantisme exprimées sur l’Internet ne se constituent donc pas en ces lieux, mais bien en référence à la force du social qui investit le réseau et s’approprie cet espace de communication.

Cependant, il ne faut pas négliger l’impact d’Internet sur la sensibilisation des causes contestataires et le recrutement dans les organisations existantes ainsi que dans la construction ou l’alliance de nouveaux groupes qui n’ont parfois d’existence que sur la toile. D’autre part, il existe de nombreux adolescents pour qui la toile est le principal lieu de formation, d’échange et de relation avec les mouvances contestataires. Le militantisme virtuel, très mal perçu par les gens de terrain à qui il est reproché son aspect fainéant, mensonger, lâche, est parfois une première étape vers un activisme plus soutenu, parfois au contraire un retrait après une période plus militante, mais il est plus généralement le signe d’un engagement d’idéal peu investie, engagement servant à réduire une dissonance cognitive ou à satisfaire à peu de frais son idéal contestataire.     

B Les forums contestataires

Ce sont des lieux de discussions par affinités idéologiques. Ils permettent d’échanger les vécus, les expériences et les idées entre personnes ayant sensiblement les mêmes représentations sociales. Ces sites sont parfois rattachés à des associations ou à des partis reconnus, mais ils sont le plus souvent le point de rencontres entre militants d’organismes différents se retrouvant autour d’un même « totem », malgré certaines divergences

Si ces forums ont chacun leurs spécificités, les thèmes abordés sont régulièrement les mêmes, avec souvent même un  copier-coller de l’avis du site adverse. (Exemple avec le Redforum et le forum Garde Franque). Nous pouvons parler en effet de site adverse, car, et c’est là un intérêt du militantisme pour l’adolescent, les forums permettent un certain manichéisme sociale, structurant le monde entre l’in-group et l’out-group. On assiste alors à un clivage sociale entre le bon groupe porteur des valeurs acceptables, et le mauvais groupe, dangereux et néfaste.

Le militantisme adolescent est donc dans une profonde mutation en terme d’acquisition des connaissances et de formation du réseau des luttes. Les nouveaux médias accélèrent l’apprentissage et la mise en relation des jeunes avec la culture contestataire, avec toutefois une certaine désincarnation de la lutte avec une mise à distance du terrain par les représentations virtuelles qu’elles procurent.

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