N°8 / Violences privées, publiques et sociales Janvier 2006

L’adolescent militant : une préoccupation personnelle en écho sur la scène sociale

Xavier D’Auzon

Résumé

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Introduction

Nous nous pencherons plus particulièrement ici sur l’importance symbolique donné à l’engagement durant le temps de l’adolescence, et nous mettrons en lumière les liens entre engagement contestataire et problématique adolescente.

A Le jeu social et la scène symbolique :« l’Extériorisation de l’intériorité »

Cette expression de Vaneighem reflète le rapport chez l’adolescent entre ses contestations internes et celles qu’il exprime sur la scène sociale.

L’adolescent est dans une recherche d’affirmation de son identité et de son autonomie. Cette affirmation passe par la contestation de la figure parentale. Pour Grunberger et Chasseguet-Smirgel, la contestation permet l’évitement du complexe d’Œdipe, car le militant déplace la confrontation et permet de la nier. Sans rentrer totalement dans ce point de vue socio-psychanalytique, nous pouvons considérer après observations des revendications qu’effectivement l’engagement militant possède dans son essence des charges symboliques par lesquelles l’adolescent exprime son mal-être et ses préoccupations.

Le militantisme nationaliste donne une place très importante à la représentation de l’intégrité. Ce qui motive le militant, c’est le sentiment d’atteinte porté au groupe par l’extérieur et la crainte que le groupe ne perde de sa cohérence et de son identité.

Ce qui structure l’identité, c’est l’Histoire, réelle ou fantasmé, et c’est cette Histoire qui donne sens à leur contestation. Les adolescents nationalistes donnent au futur une valeur anxiogène car il est perçu comme potentiellement désintégrateur de leur unité. La contestation vient alors comme une lutte contre cette atteinte à l’unité du Nous. Nous ne sommes pas loin de la notion de toute puissance infantile, et de l’atteinte narcissique faite par la société.

La contestation de gauche me semble dans son ensemble plus porté sur la culpabilité et l’impuissance.

Selon Freud, Il existe des liens étroits entre le mode de déliaisons des pulsions et les modalités de déliaison sociale. Le premier lien social est représenté par le mythe du meurtre du père de la horde primitive. C’est en effet après ce premier crime ou au décours de la répétition de celui-ci, que s’est élaboré le premier lien social : l’union entre les frères, qui est le point fondateur de la civilisation. Les adolescents ou jeunes adultes du mythe sont ceux qui ont tué le père pour tenter de lui ravir ces avantages auxquels ils ont dû renoncer par la suite pour, précisément, établir ce premier lien social. Freud tente de découvrir la genèse des pulsions de socialisation, articulées dans un moment homosexuel de la libido. En s’unissant avec les pulsions du Moi, elles constituent les « pulsions sociales ». Elles représentent ainsi la « contribution de l’érotisme à l’amitié, à la camaraderie, à l’esprit commun et à l’amour de l’humanité en général ». (Freud, 1912)

Au regard des entretiens passés, il se dégage un sentiment d’impuissance face à un monde en découverte, impuissance liée à la place que l’adolescent a dans la société, avec un manque de reconnaissance, d’autonomie et de responsabilité.

Cette impossibilité génère de la frustration chez tous les adolescents. Par la contestation, les militants peuvent tenter de sublimer cette frustration, ou tout au moins y faire face et se sentir acteur face à cette incapacité sociale.

La notion de culpabilité est elle aussi très présente. Lors d’une conférence du CEVIPOF en  décembre 2004 sur les mobilisations alter-mondialistes, un intervenant qui soulignait l’importance de militants chez ATTAC issues de familles catholiques, faisait le lien avec l’idée théologique de « péché originel ». Le militant est investie par la faute de ses ancêtres, et en est donc responsable à son tour. Cette grille de lecture m’a semblé très pertinente lorsque l’on engage la discussion sur certains aspects du passé relatif à la France. Le colonialisme, l’esclavage, les guerres, ou l’antisémitisme sont pour les jeunes adolescents militants d’aujourd’hui des réalités qui bien que ne les concernant pas directement, donnent sens à leur engagement.

Cette culpabilité de l’adolescent occidentale se retrouve aussi dans son mode de vie. Il est pour moi, manifeste que le militantisme contestataire est alors envisagé dans le but de réduire une forte dissonance cognitive entre des idéaux d’égalité, de partage, d’écologie et de non-violence, et la réalité sociale violente dans les rapports entre l’individu et son environnement.   

B Concordance avec le vécu personnel

Le sentiment d'un devoir d'engagement apparaît presque systématiquement, de manière plus ou moins explicite, dans le discours descriptif du processus de leur engagement par les individus rencontrés. A l'origine de leur engagement, on trouve une intime exigence d'action. Ils évoquent tour à tour un « besoin », une « envie » de s'engager. Certains emploient directement le terme de « devoir »  à une cause particulière. Il s'agit en effet plus généralement d'un devoir d'action, d'un devoir d'engagement dans l'espace public. Il convient donc tout d'abord de tenter de comprendre la signification de ce sentiment de devoir.

Compte tenu du sentiment de devoir d'engagement exprimé presque systématiquement par les individus, la théorie de la « rationalité axiologique » des comportements humains, telle que la définit Max Weber1 , permet de comprendre le processus de l'engagement. Pour désigner ce moteur de l'engagement, on pourrait tout aussi bien parler de « sens moral », comme le fait Raymond Boudon2..

Ainsi, les individus rencontrés sont guidés par des « principes » et non par les « conséquences » de leurs actes. Ils ont des raisons de croire que l'engagement public est nécessaire et qu'il est donc de leur devoir de s'y conformer. Leur démarche se guide sur des systèmes de raisons non instrumentales, des convictions morales. L'engagement n'est pas le résultat d'un calcul rationnel entre les coûts et les avantages de l'engagement. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont du mal à accepter « l’inertie » des personnes qui ne sont pas engagées.

Le militant contestataire est avant tout un militant moral. Il se bat pour ses convictions, et par ce qu’il croit en son engagement. C’est une nécessité éthique pour lui, et non pas une triviale guerre de pouvoirs ou d’enjeux. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai choisie de ne pas différencier les divers sensibilités politiques, car il me semble que l’on retrouve quelque soit les clivages idéologique, une sincérité militante, qui ne se base pas sur des calculs d’influences ou d’intérêts personnels.

Ils manifestent leur souci d'autrui et leur sentiment de responsabilité vis-à-vis d'autrui. Indépendamment de leur appartenance à telle ou telle culture religieuse, laïque ou idéologique, presque tous les militants tiennent le discours de l'altruisme. Le militantisme moral n'a rien à voir avec le lobbying. Leur engagement répond à une exigence éthique.

Pour Bourdieu3 , l'engagement associatif répond au désir de reconnaissance sociale, à l'identification anticipée à la classe dominante et à la crainte de perdre ce qui a été acquis notamment à travers le titre scolaire. Le bénévolat est une arme symbolique : « dépense ostentatoire de bonne volonté » qui procure dignité (par opposition à la politique) et respectabilité (en défendant l'intérêt général), tout en promettant de satisfaire des intérêts particuliers. Cette pensée va dans le sens de ma seconde hypothèse. En effet, bien que le militant s’investisse pour des causes qui lui semblent nobles et désintéressées, celles-ci répondent à des problématiques personnelles ou familiales relativement bien conscientes.

Nous retrouvons chez deux membres nationalistes le même sentiment d’isolement et de rejet durant leur enfance qui les a conduit selon eux à militer.

Après avoir souffert de ce qu’ils appellent le racisme anti-blanc, - sujet aujourd’hui d’actualité depuis la manifestation lycéenne du 8 mars, mais qui pendant longtemps n’était évoqué ou envisagé que dans les milieux d’extrême droite4 – ces deux adolescent se sont constituée une identité face aux humiliations et à la haine qu’ils percevaient. Nous retrouvons ce sentiment, mais cette fois-ci par procuration chez les autres nationalistes.

A gauche, le rejet et l’exclusion vont se ressentir aussi par procuration, mais cette fois-ci par une identification de compassion pour ceux qu’ils considèrent comme victimes de la société.

Si l’identité de la victime est globalement la même pour tout le monde, il s’agit d’une personne en souffrance et qui subit les persécutions d’une personne, d’un groupe social ou d’un système, l’identité du bourreau est plus riche car plus chargé symboliquement. Pour Chasseguet-Smirgel et Grunberger (2004), il s’agit pour les contestataires de gauche d’une figure paternelle. En effet, l’ennemi représente l’autorité contraignante. Le patronat, la classe politique, les forces de l’ordre sont régulièrement cités comme des instances persécutrices. Mais si pour toutes les tendance confondues, nous pouvons rajouter à la liste les médias, les multinationales et de façon périodique un certaine anti-américanisme , il est à noter l’importance donnée aux groupes boucs émissaires chez les nationalistes. Les francs-maçons, les juifs, les communistes, les musulmans, les arabes et les noirs sont vus comme des communautés dotées d’une volonté de nuire. A l’inverse, il est vrai que la figure de l’ordre est bien plus sacralisée. Nous pourrions envisager chez les nationalistes le besoin d’un recours à l’agressivité envers un groupe tiers comme bouc émissaire pour ne pas avoir à porter atteinte à la figure paternelle. 

Cette place du bourreau et de la victime, donc d’un certain manichéisme entre le bien et le mal, pourrait signifier une régression dans le développement de la personnalité, avec un attachement à la figure du bon et du mauvais sein. Il est à noter que la victime est parée des vertus de l’innocence, ce qui encore une fois est une caractéristique du militantisme. En effet, nous sommes dans une société ou l’empathie envers la victime semble peu investie5, et comme j’ai pu le constater durant mes groupes de paroles auprès d’élèves en ZEP, la victime est même parfois dénigrée chez certains adolescents, car elle est celle qui a montré sa faiblesse, et sa fragilité. Nous pouvons alors considérer que si les militants acceptent de s’identifier en tant que victime, ce n’est pas tant pour se mettre en position de soumission, mais au contraire, par ce que par leur contestations, ils peuvent accepter de concevoir comme victime en marche pour une réparation. Leur activisme leur permet de réparer l’injustice qui leur a été faite à eux ou à la victime dont ils se sentent dépositaires de la cause.

En analysant les entretiens, ils nous semblent important aussi de mettre en avant l’importance du militantisme sur l’estime de soi. En effet, les adolescents sont dans un passage de constitution de l’identité délicat, ou se développe généralement une fragilité narcissique de par le manque de réponses aux questions qu’ils se posent sur leur propre personne. L’engagement contestataire semble valorisant pour ces jeunes, car il permet de répondre à certaines questions de l’identité et de proposer un cadre renvoyant au jeune militant une image positive de lui-même.

Nous pouvons considérer que la question de la contestation et du militantisme dépasse largement la simple revendication sociale et à pour but de se reconnaître et de se revendiquer en tant que soi à travers une cause ou des valeurs qui ne sont qu’un moyen d’accéder à sa propre identité.

1  Weber M, 1971 Economie et société, Paris, Plon

2  Boudon R, « Le sens moral », Commentaire, n°73, 1996, pp. 23-36.)

3  Bourdieu P, La distinction, critique sociale du jugement. Paris, Editions de Minuit, 1979, pp. 528-533

4  La notion de  « racisme anti-blanc » confronte globalement, à droite la vision éthnique d’une société communautariste, et à gauche une vision socio-économique de revendication de classes. Complexe et fortement idéologique, la difficulté à aborder le racisme anti-blanc, et un certain déni teinté de politiquement correct de la société française ont donné aux mouvements nationalistes des arguments pour recruter chez les personnes qui ne se sentaient pas reconnus.

5  Cette idée de « statut de victime » est sa reconnaissance ou non est très débattue dans la conception du judiciaire en France et dans les différents types de prise en charge « d’aide aux victimes ». Nous ne pouvons ici rentrer dans les détails de ce débat

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