Le viol en Algérie
Dans toutes les situations de guerre, de conflit, de terrorisme… ce sont les plus faibles et les plus innocents qui sont touchés, à savoir les femmes et les enfants. S’il est vrai que beaucoup a été dit ou écrit sur les conséquences de la violence faite aux enfants, rien ou presque n’a été fait concernant les violences faites aux femmes, notamment le viol et les violences sexuelles, tant il est vrai que le sujet n’est pas neutre, qu’il est chargé d’émotions, tant il est un sujet tabou comme tous les sujets liés à la sexualité.
Avant d’aborder la problématique du viol en Algérie, il semble nécessaire de préciser certains points. Le premier est que l’utilisation du viol et des violences sexuelles à l’égard des femmes n’est pas propre à l’Algérie ; à titre d’exemple les viols commis au Rwanda, au Kosovo…De ce fait nous pouvons dire que le viol et les violences sexuelles à l’égard des femmes sont de plus en plus utilisés à des fins de terreur politique, d’éradication d’un groupe ou d’une ethnie… En Algérie, les viols et les violences sexuelles ne sont pas la spécificité des extrémistes islamiques. Ils s’inscrivent en fait dans une continuité des violences sexuelles faites aux femmes pendant la colonisation et la guerre de libération sauf qu’au jour d’aujourd’hui, ces crimes sont commis au nom de la religion, du djihad, c'est-à-dire de la guerre sainte. Par ailleurs, ces viols n’ont pas bénéficié de la même médiatisation que les viols commis en Bosnie ou au Rwanda, d’une part en raison de la honte : ce sont bien des algériens qui ont commis ces crimes au nom de l’Islam et d’autre part en raison du silence des femmes elles mêmes qui « veulent oublier ». Cette situation fait qu’il est très difficile de connaître l’étendue exacte des viols commis à l’égard des femmes et des jeunes filles en Algérie.
Le deuxième point que nous tenons à souligner est que le viol et les violences sexuelles en Algérie ne sont pas des faits nouveaux. Déjà pendant la colonisation et la guerre de libération, les femmes étaient violées par les militaires français, violées en représailles aux attentats commis par les moudjahiddines, violées également car elles ont ou auraient participées ou fait parties du réseau de résistance….Très peu d’entre elles ont osé lever le tabou des viols commis dans les maquis aussi bien par les soldats français que par les maquisards. En fait ce n’est qu’en 2001 que Louiza Iguilahriz, ancienne moudjahida, a publié un livre sur les viols qu’elle a subi lors des séances de torture et ce malgré la désapprobation de son fils. Même en France ce n’est qu’entre février et mars 2002 que trois documentaires ont été diffusé sur les chaînes publiques françaises : « le viol des femmes algériennes » de Valérie Gajet ; « paroles de tortionnaires » de J. Claude Deniau ; « ennemi intime » de Patrick Rotman.
Nous constatons ainsi que la peur du viol est ancrée dans la mémoire collective des femmes algériennes. Par ailleurs, il nous semble également important de signaler que le viol en Algérie a surtout été signalé par le mouvement féministe et/ou associatif. Il n’existe pas d’espace de reconnaissance pour ce type de traumatisme et par conséquent pas de procédure de réparation qu’il soit d’ordre juridique ou psychologique.
Le viol atteinte privée et destruction sociale
Pour mieux saisir le vécu de ces jeunes filles et ces femmes ayant subi le viol, il est important de situer le contexte dans lequel ces atrocités ont été commises. Le terrorisme que subit notre pays depuis plus d’une décennie a recours à de multiples actes de violence : massacres collectifs, attentats, assassinats, destruction de sites administratifs, d’écoles, de maisons… en fait, de lieux hautement symboliques. Le but recherché est de terroriser la population et par là-même de frapper l’imaginaire collectif. Une des stratégies adoptées par les terroristes est le viol systématique des femmes et jeunes filles. L’utilisation de la femme comme le dit si bien K. Guenivet « comme champ de bataille où tous les coups sont permis : viols, mutilations, esclavage sexuel… rentre bien dans le cadre des stratégies mises en place par les intégristes afin d’humilier et de détruire l’ensemble de la communauté considérée comme ennemi »*p.10
Pour la femme, pour la jeune fille, avoir été violée signifie une effraction du corps, de l’intimité, de l’intégrité physique et psychique. Le viol est un crime contre la personne, c’est un acte de domination, de destruction d’une personne, atteignant le sexe, le corps de la femme pour l’atteindre au plus profond d’elle-même, pour la réduire au rang d’objet en niant son humanité. Par ailleurs, ce qui caractérise ces viols c’est d’une part leur aspect collectif, répétitif, systématisé auprès des femmes et jeunes filles kidnappées et d’autre part la cruauté avec laquelle ils sont pratiqués. Ces viols, ces kidnappings sont en fait considérés comme une récompense offerte « aux valeureux guerriers » que sont les terroristes. Les femmes sont dès lors considérées comme un butin de guerre, une « ghanima », comme des objets sexuels pour assouvir les besoins des troupes, les « remercier » pour leurs actes. Aussi avaient-ils tous les droits sur ces femmes à qui ils faisaient subir les pires sévices : sodomie, fellation, mutilation des parties érogènes.
Pour la jeune fille ou la femme, être violée c’est être souillée, c’est avoir « el aar », c’est porter une marque indélébile sur son front, sur Soi. En effet, dans le contexte arabo musulman, la petite fille est élevée dans la mise en garde systématique contre la perte de sa virginité, de son hymen car ils sont les garants de l’honneur de la famille, voire de toute la communauté. L’hymen de la jeune fille appartient au père, au frère, à la famille…Aussi la privation de la virginité imposée par le viol constitue une destruction de la personne dans la mesure où il s’inscrit dans le registre de l’être, de l’identité « être une jeune fille vierge ». Etre ou avoir été violée, ce n’est pas seulement ne pas avoir ou ne plus avoir d’hymen mais c’est être ou ne pas être vierge.
Etre violée, c’est être souillée
Ce vécu de souillure est une caractéristique omniprésente dans la clinique du viol ; selon Ph. Bessoles « une caractéristique corporelle extrêmement prégnante reste un vécu de souillure quasi permanent ». Souvent les victimes organisent leur vie autour de cette sensation d’être sale et très souvent elles développent des comportements de type obsessionnels avec des rites de lavage compulsifs en utilisant de puissants détergents ; certaines allant même jusqu’à se lacérer le corps pour se purifier de cette souillure qui semble les imprégner. D’autres jeunes femmes prennent plusieurs bains par jours également pour se purifier. Ce désir de purification va plus loin chez certaines comme cette dame de 60 ans qui a voulu et qui est allée à la Mecque, donc les lieux saints, pour se purifier du viol qu’elle a subi.
Les adolescentes qui ont subi les viols et les violences sexuelles sont particulièrement affectées par ces actes car ces agressions sexuelles se produisent à une période de vie où le développement psychosexuel et les transformations corporelles sont en plein essor. Aussi n’est il pas étonnant de voir d’autres troubles apparaître comme les somatisations, les troubles dissociatifs voire les tentatives de suicide.
Bakhta 15 ans, Zahéra 16 ans, Amina 14 ans, toutes ont essayé de se donner la mort. (ces patientes ont été vues par Mme S.Ferhat à EHSDrid Hocine).La mort est, à leurs yeux, la seule solution possible à leur souffrance. Ces trois jeunes filles ont été hospitalisées pour état dépressif sévère. Ce qui réuni Bakhta, Zahéra, Amina c’est ce sentiment d’être « sale », « d’avoir été salie, souillée ». Elles le disent, tout comme elles ont développé des troubles obsessionnels compulsifs sous forme de rites de lavage : autant de tentatives, vaines, d’enlever la souillure. Zahéra ira jusqu’à se brûler pour se purifier. Ce qui obsédait ces adolescentes c’est l’odeur du sang mêlé de sperme... Un profond sentiment d’injustice les envahit : pourquoi moi ? Qu’ais-je fais ? Ces adolescentes étaient en pleine puberté et le viol est venu casser ce qui est en train d’éclore à savoir l’identité sexuelle. Tout ce qui a été investi par la jeune fille, à savoir une image féminine sexuée, tout ce qui a été valorisé par elle mais aussi par l’ensemble de la société, un corps de femme, une virginité… est détruit à tout jamais.
Les premiers rapports sexuels qu’elles ont subi se sont fait sous la contrainte, avec violence, aussi vont-elles vivre cette première rencontre avec la sexualité comme quelque chose de sale, de violent, de destructeur d’où leur état dépressif, leur tentative de suicide, l’état de déréalisation et de dépersonnalisation présenté par Zahéra. Ce qui a aggravé la situation de ces adolescentes, au delà du viol subi, c’est l’attitude de l’entourage immédiat à savoir la famille et notamment les mères. Celles-ci, dans le souci de sauvegarder l’honneur de la famille, imposent le silence et font comme si rien ne s’était passé. C’est ainsi que la mère de Zahéra, elle-même violée, interdit à sa fille d’en parler, quitte le village et vient s’installer avec sa famille dans la capitale où personne ne les connaît.
Il en est de même pour Djoher qui était fiancée à un émir. Celui-ci l’épouse de force après avoir rejoint le maquis. A sa mort et alors qu’elle est enceinte, ses parents la ramènent à la capitale et après son accouchement retournent au village ; sauf que l’enfant est porté sur le livret de famille des parents. Son fils devient ainsi son frère. Quel peut être le devenir de cet enfant dont la naissance est entouré de secret ? Quel peut être l’avenir de cette mère dépossédée de son enfant ? Le plus important ici n’est pas la souffrance de leur fille mais la sauvegarde de l’honneur de la famille.
Outre le viol et les violences sexuelles, des mutilations sont souvent commises comme les ablations des seins, des organes génitaux ; mutilations qui visent à détruire le corps de la femme, de la défigurer ; en somme de «la diaboliser » car le corps de la femme est pour les intégristes une représentation du mal.
Par ailleurs, souvent l’égorgement a été utilisé et pas seulement contre les femmes. L’argument économique a été souvent mis avancé. Il en est de même pour l’argument sécuritaire. Mais en fait l’égorgement est un rituel « une pratique sacramentelle » selon Benchikh. En effet, et au niveau de l’inconscient collectif, l’égorgement, faire couler le sang, est lié à l’idée de sacrifice ; il s’agirait alors d’une offrande mais aussi d’un acte de purification.
L’égorgement, les mutilations, les viols sont donc choisi pour leur retentissement psychologique. Le choix des femmes, des jeunes filles, comme celui des enfants représente les victimes les plus émouvantes ; elles sont donc plus efficaces en matière d’impact psychologique.
Ces viols et ces violences sexuelles en plus de l’atteinte narcissique des victimes, sont soumis au regard de l’autre lorsque les corps sont mutilés ou les femmes mises enceintes. Ils contaminent en fait l’ensemble de la famille, de la communauté. Ils touchent, ils tâchent les vivants, ils souillent les ancêtres, en fait toute la filiation. La victime de viol devient ainsi la porteuse de honte du groupe communautaire.
En effet, dans la culture arabo-musulmane, l’honneur de la famille voire de l’ensemble de la communauté est placé dans le corps de la femme : celle-ci devient la garante de l’honneur de la famille, du village. Ceci nous amène à considérer ces viols et ces violences sexuelles comme l’expression de l’utilisation du viol comme « une arme de guerre » particulièrement sournoise et redoutable car ce qui est visé ce n’est pas uniquement l’avilissement des femmes mais c’est aussi casser la fierté masculine, l’honneur de la famille, la destruction des liens d’alliance, de filiation, d’appartenance au sein de l’ensemble de la communauté. Le viol apparaît ainsi comme une profonde atteinte à toute la communauté à qui elle fait porter la honte. Il s’agit là d’une véritable destruction de l’identité de la famille, du groupe social, de la communauté. Cette stratégie de la honte atteint son apogée quand les femmes sont relâchées lorsqu’elles sont à un stade avancé de leur grossesse. Pour la femme, pour la famille c’est avoir la honte mais c’est aussi porter la honte.
A cet Autre : la famille, le groupe social, la communauté… est renvoyé l’image de quelqu’un d’impuissant, incapable de protéger les siens : ses femmes et ses filles. Les jeunes filles, les adolescentes, les femmes le disent « on n’a pas été protégé ». Ces viols apparaissent comme le souligne si bien R. Brauche, cité par J. Lilly « comme moyen d’affirmer la légitimité du maître et soumettre l’adversaire dans sa totalité : les femmes par la souffrance et la honte qu’on leur fait subir ; les hommes de n’avoir su et pu les protéger ». Il s’agit là d’une volonté de destruction de l’autre dans ce qu’il a de plus profond : son identité.
Face à la honte, à la culpabilité, au sentiment d’impuissance… des attitudes de rejet, de déni… apparaissent faisant place ainsi à une autre violence en direction de ces femmes meurtries au plus profond de leur Etre. C’est là une violence traumatique impensable, indicible, innommable, inavouable. Il s’agit en fait d’un traumatisme sidérant auquel il est impossible de survivre. Les seules issues possibles sont le rejet de la communauté ou la mort.
La mort plutôt que la honte
Aïcha, 40 ans, mère de sept enfants, a été enlevée puis violée par des terroristes durant plusieurs jours. De retour à la maison elle est accueillie par son fils aîné qui lui reproche son retour et sa survie « tu n’aurais pas dû revenir, tu aurais dû mourir ». La mort plutôt que la honte. Le mari la répudie car il ne supporte plus de la voir et de savoir que d’autres hommes ont eu des rapports sexuels avec elle, même si cela s’est fait sans son consentement, même si cela a pris la forme du viol et s’est réalisé dans la violence. Etant renié par sa propre progéniture qui souhaite sa mort, par son mari avec qui elle a eu tant d’enfants, que reste-t-il à Aïcha bannie par sa famille et la communauté sinon la mort ? C’est ce qu’elle a essayé de faire avec une tentative de suicide.
Non seulement elle ne pouvait pas survivre aux atrocités qu’elle a subies mais aussi et surtout à l’exclusion dont elle a fait l’objet. Se sentant incomprise, rejetée, elle tente de se donner la mort ; sans doute essaye-t-elle de répondre, inconsciemment à l’attente du groupe familial et social. Ne dit-on pas que la mort est une « soutra ». Ayant survécu puis prise en charge sur le plan psychologique, Aïcha travaille actuellement dans une ville loin des siens : elle s’occupe en fait des enfants d’une arrière cousine. A la frustration de ne plus pouvoir s’occuper de ses enfants, un profond sentiment d’injustice envahi Aïcha qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Une autre forme de violence lui est faite : devoir s’occuper des enfants des autres ; « mon cœur se déchire mais que faire ? ».
Nous constatons ainsi que les viols et les violences sexuelles à l’égard des femmes et des jeunes filles ont un impact aussi bien individuel que collectif. Il s’agit en fait d’un véritable meurtre « qui laisse la victime vivante » Ph. Bessoles, meurtre du sujet mais aussi meurtre identitaire du groupe social auquel appartiennent ces femmes et ces jeunes filles.
En effet, ces viols apparaissent comme une transgression de l’ordre social qui codifie les relations sexuelles ainsi qu’une « abolition du consensus social et valeurs qui ordonnent les liens entre les individus et structurent la communauté ». Que reste-t-il ? La mort et le silence car tout un chacun se sent lié à la loyauté familiale et culturelle. Le silence apparaît ainsi comme un moyen de se prémunir de la honte sociale sauf que ce silence fait l’impasse sur le vécu et la profonde détresse dans lesquels se retrouvent enfermées ces femmes. Ce silence constitue en fait une véritable négation des traumatismes psychiques et physiques subis.
Le drame des femmes algériennes peut se résumer comme suit :
Le viol en lui-même qui est une atteinte à l’intégrité physique et psychique des femmes ;
L’humiliation car souvent elles sont maltraitées, battues, kidnappées de leur maison et en présence des autres membres de la famille ;
La honte qu’elles portent et qu’elles font porter à l’ensemble des membres de la famille et de la communauté ;
L’esclavage sexuel auquel elles sont soumises car dans les maquis elles « servent » souvent plusieurs hommes ;
L’esclavage tout court car en plus d’assouvir le plaisir des ravisseurs, elles devaient accomplir plusieurs tâches ménagères : préparer les repas, laver le linge, coudre les tenues, ramasser le bois…
Le silence dans lequel elles se sont enfermées et auquel elles sont condamnées ;
Le rejet de la communauté car l’existence même de ces femmes renvoie en miroir l’impuissance des hommes à les protéger.
L’absence de reconnaissance et de prise en charge à quel que niveau que se soit.
L’impossibilité de faire témoigner les victimes.
L’impossibilité de faire une évaluation exacte des victimes.
La violence du traumatisme dû au viol apparaît ainsi comme impensable, innommable, indicible aussi bien pour les psychés individuelles que groupales car difficilement métabolisable. Les questions qui se posent : comment apporter aide et soutien à ces femmes et à ces jeunes filles dés lors que nous savons que le viol subi entraîne des conséquences tant au niveau individuel que familial, social et communautaire ? Comment gérer la honte ? Comment accompagner l’atteinte narcissique et identitaire du groupe social ?
Quelle reperation ?
Bayle, cité par J. Gortais, recommande d’aider les femmes violées à « élaborer l’inélaborable, reconstruire ou retrouver une identité impliquant à la fois un travail de deuil, une réhabilitation de soi et de sa propre parole et la restauration des pôles masculin-féminin ». Cette démarche, pour objective qu’elle soit, ne prend pas en considération le contexte socioculturel auquel appartiennent ces femmes et surtout ne prend pas en compte le contexte sociopolitique dans lequel ces crimes ont été commis.
Il est indéniable que ces femmes doivent trouver des espaces pour s’exprimer, pour parler de leur drame, de pouvoir rencontrer des personnes à même de les écouter. Personne dont, nous semble-t-il, le rôle principal est de les aider à se donner le droit d’exprimer leur douleur, leur souffrance, leur colère, leur doute ainsi que le droit de désigner le ou les coupables. Or concrètement que trouvent-elles ?
- Une absence de structure d’accueil. La seule mise en place à une cinquantaine de kilomètres d’Alger n’a pas eu l’effet escompté car personne n’a voulu être stigmatisée encore plus en allant dans une structure spécialisée.
- La non reconnaissance des crimes commis : comme dans tout trauma psychique, nulle « guérison » n’est possible si les coupables ne sont pas nommés et si la justice ne joue pas son rôle. Or souvent ces viols ont été commis par des inconnus ou alors ils sont introuvables. Et combien même les coupables seraient connus, l’amnistie qui a été décrétée ne permet pas à la justice de les condamner. En fait l’amnistie, qui est une des revendications des islamistes, fait que leurs crimes vont rester impunis. En effet et dans un souci de trouver une solution à ce qui se passe en Algérie, les gouvernants n’ont pas pris en compte les viols et les violences faites aux femmes, voire à toute le population.
Ce déni face à la violence faite aux femmes trouve son apogée dans le refus de leur octroyer la moindre indemnisation, alors que les familles des terroristes en bénéficient, sous prétexte « qu’elles vont se considérer comme des prostituées si on leur donnait de l’argent ».
Par ailleurs et dés 1998, un débat a été soulevé à propos des femmes enceintes suite au viol terroriste. Le Haut Conseil Islamique a estimé que ces viols « ne constituent pas une atteinte à l’honneur et à la chasteté des victimes qui ne sont ni à blâmer ni à châtier et rappelle que la sauvegarde de la vie de la mère et l’enfant, quelles que soient les conditions dans lesquelles ils se trouvent est une référence impérative et que l’interruption de grossesse ne peut se pratiquer que dans des conditions extrêmes pour sauver la mère du danger de mort et à condition que le danger soit médicalement établi ». K. Guenivet. Ceci alors que la loi sanitaire de 1985 permet l’avortement à la victime d’agression sexuelle si l’équilibre physiologique ou mental de la mère en dépend. Par la suite le HCI revient sur sa décision et a publié une fetwa autorisant les femmes violées par les terroristes à avorter dans certaines conditions comme par exemple être munies d’une attestation du préfet les identifiant formellement comme victimes des groupes armés ; attestation délivrée après étude de leur dossier qui doit inclure les rapports des forces de police mais aussi des témoignages.
Or qualifier le viol comme une atteinte à l’honneur et à la chasteté est une violence en soi car c’est une non reconnaissance de la violence subie, de crime commis. « Elles ne sont ni à blâmer, ni à châtier comme si c’étaient là des comportements attendus et sous entendus ».
Par ailleurs, certains responsables religieux ont été jusqu’à déclarer illicite l’avortement thérapeutique des femmes violées par les intégristes car cet acte signifie « tuer un musulman ». Nous retrouvons là une des stratégies des terroristes islamistes à savoir ensemencer des femmes considérées comme impies afin de les purifier quand elles vont accoucher d’un musulman.
La nécessité d’une prise en charge psychologique s’impose d’elle-même face à la détresse extrême de ces femmes. L’écoute, l’accompagnement, le soutien, la revalorisation de soi, la restauration narcissique… dans un cadre accueillant, la présence de thérapeute femme, équivalent d’une image maternelle, sont autant de contenants à ces jeunes femmes, à leur désarroi et les aident à se reconstruire en tant que sujet et non plus en tant qu’objet sexuel.
Mais comment les aider à réinvestir leur sexualité alors qu’elles viennent de subir une terrible effraction dans leur corps, alors que culturellement la sexualité est un sujet tabou ? Comment vont-elles la vivre plus tard alors que pour elles la vie « est terminée » ? Comment les aider à devenir sujet/acteur de leur avenir quand elles sont représentées, au niveau de l’inconscient collectif, comme des porteuses potentielles de honte : « une fille est une bombe ».
Ceci nous amène à dire que la prise en charge psychologique à elle seule est insuffisante voire caduque si, parallèlement, une dynamique n’est pas impulsée aussi bien au niveau familial, social, communautaire que juridique et politique. La gestion du traumatisme dû au viol passe par la reconnaissance officielle des faits incriminés ; or, à ce niveau, on s’inscrit dans le déni le plus total. Par ailleurs, la jeune fille ou la femme violée doit fournir les preuves de la réalité de l’événement ce qui implique des démarches auprès des autorités judiciaires, médicales… qui sont autant d’épreuves, voire d’humiliations qui constituent des risques de traumatisme certains. Sur le plan juridique, il leur est certes reconnu le statut de victime, toutefois elles ne perçoivent aucune indemnisation, ceci étant encore à l’étude. Et enfin aucune réparation juridique n’est possible dans la mesure où les violeurs sont dans la majorité des cas des inconnus.
Ceci nous amène à parler des limites de notre démarche clinique. Il est vrai que notre action auprès de ces jeunes filles donne des résultats mais combien d’entre elles consultent-elles ? Celles que nous avons rencontrées en consultation sont des personnes qui sont arrivées à un niveau extrême de la souffrance d’où leur tentative de suicide. Combien sont-elles à souffrir enfermées dans leur maison, dans leur silence, dans le déni des autres ? Que faire pour mobiliser l’entourage autour d’elles quand on n’arrive pas à avoir accès au reste de la famille parce qu’elle refuse de s’impliquer dans la prise en charge tant le sujet est douloureux ?
Souvent, nous sommes confrontés à un profond sentiment d’impuissance face à l’ampleur et la complexité du problème. Ces jeunes filles et ces femmes nous renvoient en miroir notre propre image de femme, les paradoxes d’une société qui se cherche… Comment dans ces conditions garder sa « neutralité », son objectivité pour accomplir au mieux le travail d’accompagnement ? Afin de pouvoir soutenir ces femmes, tous les intervenants, qu’ils soient thérapeutes ou pas, doivent s’investir dans la sensibilisation de l’ensemble de la société afin de lever les tabous et briser les murs du silence dans lesquels elles se sont enfermées et où elles ont été enfermées et de mettre en place une dynamique à même de favoriser leur insertion sociale.
Le viol est silencieux
Le silence viole
La parole de vérité viole le silence
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