N°9 / La citoyenneté Juin 2006

Charaudeau Patrick. Le Discours politique. Les Masques du pouvoir

Odile Camus

Résumé

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CHARAUDEAU Patrick (2005).
Le discours politique. Les masques du pouvoir.

Paris:Vuibert. 256p.

L'objet de cet ouvrage est de caractériser le discours politique du point de vue de l'analyse de discours, et d'ouvrir une réflexion sur ses évolutions actuelles. Le discours politique est un objet d'autant plus complexe qu'il résulte "d'un mélange subtil entre la parole qui doit fonder le politique et celle qui doit gérer la politique" (p.34), et sa circonscription suppose quelques mises au point conceptuelles dont on appréciera la clarté : action politique, pouvoir, valeurs… (p.11sq.)  mais aussi idéologie (145sq.), opinion publique (195) ou encore masses (202sq.), autant de notions qui convoquent différents champs disciplinaires.

Caractériser le discours politique du point de vue de l'analyse du discours, c'est en premier lieu décrire le contrat de communication politique ainsi que l'identité des acteurs de la scène politique (p.39sq.), et en particulier les différentes formes de légitimité qui peuvent être attribuées à l'instance politique. Quant aux stratégies du discours politiques (p.60sq.), centrées sur la persuasion plutôt que sur la conviction, elles ne sauraient pour l'auteur prendre un appui exclusif sur la "raison" : "Aussi la mise en scène du discours politique oscille-t-elle entre l'ordre de la raison et l'ordre de la passion, mélangeant logos, ethos et pathos (…)" (p.64). Cela dit dans l'exposé qui suit, l'ordre de la raison occupe manifestement une position subordonnée ; par exemple, les "conditions d'argumentation" se doivent d'être "simplifiées à l'extrême", l'appui sur une logique explicative ou démonstrative n'étant pas le meilleur support pour produire un "effet de preuve" (p.77). En revanche, le recours à des procédés discursifs de dramatisation paraît contractuellement requis. Et l'image que le locuteur donne de lui-même, à savoir l'ethos auquel deux chapitres sont consacrés (p.87 sq.), est au centre de la persuasion politique : "Séparer les idées de l'ethos est toujours un alibi qui empêche de voir qu'en politique les idées ne valent que par le sujet qui les porte, les exprime et les met en œuvre" (p.91). Le propos politique quant à lui est au centre de la 4° partie (143sq.), et la démarche est ici résolument interdisciplinaire. A partir d'un examen critique de la notion d'idéologie, l'auteur définit les "imaginaires socio-discursifs" (représentations repérables par des énoncés langagiers et circulant à l'intérieur d'un groupe social, p.157), en faisant référence tant aux significations imaginaires sociales de Castoriadis qu'aux représentations sociales de la psychologie sociale (entre autres). La description de quelques uns de ces imaginaires illustre la pertinence du concept ; ces imaginaires en effet traversent le discours politique plus fondamentalement que les clivages partisans (gauche-droite) ou la référence aux grandes idéologies. En même temps l'étayage empirique est un peu décevant, car c'est pour l'essentiel le contenu explicite de propos politiques qui exemplifie l'analyse. Il n'est alors pas surprenant que cette analyse mette surtout en exergue l'uniformité idéologique du discours politique actuel, uniformité résultant des inévitables compromis qu'un discours contractuellement défini par une visée persuasive visant le plus grand nombre se doit de faire, selon le point de vue de l'auteur.

Toujours est-il que le discours politique ne saurait être ce qu'il doit paraître, le masquage étant finalement contractuellement contraint ; il ne saurait être discours de conviction, et les valeurs dont il se revendique ne valent que par l'efficacité de leur mise en scène. D'ailleurs la raison d'Etat, évoquée de manière récurrente, justifie le "mentir vrai" (p.80sq.). Et il s'agirait là non pas de caractéristiques conjoncturelles, mais bien semble-t-il de l'essence même du contrat de communication politique : "La parole politique ne peut être que tactique, et l'oublier au nom d'un purisme excessif peut être contre-productif" (p.224). La question d'une éventuelle dégénérescence du discours politique, largement relayée par le discours social circulant d'avec lequel l'auteur prend distance, est néanmoins posée (p.193sq.) ; mais l'auteur en conclut plutôt à une "transformation de la conscience citoyenne de notre époque", "plus éclairée mais en même temps plus complexe" (p.203). En somme, la démocratie ne se porterait pas si mal que d'aucuns l'affirment. Le débat démocratique est toutefois mis en péril par la soumission des hommes politiques "aux conditions du discours médiatique" (p.229), conditions dont l'auteur avait fait une analyse remarquable dans un ouvrage précédent1. En effet, visée de captation du plus grand nombre, idéologie de la dramatisation, confusion des espaces public et privé, construction d'une cible non dotée de conscience politique, exacerbation d'un "individualisme individualiste", etc… produisent un "effet de brouillage de la conscience citoyenne" (p.216sq.) Il en résulte un glissement du discours politique : la politique a pris le pas sur le politique ("La politique en tant que lieu d'exercice du pouvoir et d'influence pour faire partager les idées de la gouvernance ; la politique en tant que gestion des relations sociales se préoccupant de l'impact des discours. Celle-ci dominerait le politique, lieu des valeurs symboliques où s'élaborent les projets d'idéalité sociale, le politique qui est tourné vers la fabrication des idées et qui ne se préoccupe pas – ou bien peu – de leur impact." p.236). Et l'auteur de constater que "ce n'est pas le logos qui pour mieux passer serait habillé d'ethos et de pathos, mais l'ethos et le pathos qui fabriquent du logos" (ibid.) pathos » et « ethos ». L’ « ethos » participant à la construction de l’image de l’homme politique qui plonge ses racines dans les imaginaires populaires et les désirs tels qu’ils peuvent être appréhendés  dans une culture particulière à un moment donné. L’image ainsi fabriquée n’est pas indépendante de la  volonté de disqualifier l’adversaire politique par la mise en cause de sa personne, de ses actions et de ses idées.

Mais vérité ou mensonge ne se peuvent comprendre que, dans une situation de communication  et de gouvernement, comme l’entendaient déjà Machiavel  ou de Tocqueville. L’image des acteurs  politiques se construit au travers de l’ethos comme stratégie du discours politique. Pour provoquer l’admiration, le respect ou encore l’identification, l’homme politique fait aussi appel à des procédés linguistiques comme « le bien parler » ou le « parler local » dans le registre de l’expression ; et aussi à des procédés énonciatifs articulant habilement le « je » le « tu » et le « nous » ou encore le « vous ».

Reprenant la notion d’imaginaire social emprunté à Castoriadis, l’auteur propose celle d’imaginaire sociodiscursif. La description de ces imaginaires qui faisait fonction de grilles d’intelligibilité du champ social pour Foucault sont aussi aux yeux du linguiste instrumentalisés à des fins de persuasion. Ces imaginaires de la modernité, de la tradition ou de la souveraineté  populaire souvent incompatibles doivent être utilisés dans un discours apparemment cohérent, fruit de compromis divers.

En dépit de ma pleine adhésion à ces conclusions, j'avoue éprouver un certain malaise : n'y a-t-il pas quelque paradoxe à présenter comme dérives issues de la médiatisation ce qui, au regard des caractéristiques du discours politique telles que précédemment décrites, apparaît somme toute comme contractuellement conforme ? D'ailleurs l'auteur semble ne considérer comme discours politique, dans l'ensemble de l'ouvrage, que les discours politiques médiatiques – discours émanant de "l'instance politique", caractérisés par le compromis, et discours des "extrêmes", caractérisés par la "radicalisation essentialisante" qui serait typique du populisme (terme non défini dans l'ouvrage, mais dont la valence est clairement négative). Bref, la conception normative du discours politique et finalement, de la politique, qui est présentée ici, me semble sous-tendue par un point de vue relevant du politique et qui demandait à être problématisé.

1  CHARAUDEAU P. (1997), Le discours d'information médiatique. La construction du miroir social. Paris : Nathan-Ina. Repris en 2005 sous le titre Les Médias et l'Information. L'impossible transparence du discours. De-Boeck-Ina

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