N°12 / Discours et propagande Janvier 2008

Le cinéma : un outil de propagande pour faire accepter la guerre

(Seconde Guerre mondiale)

Nicolas Mettelet

Résumé

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Le cinéma, déjà connu comme vecteur de la propagande pendant la Grande Guerre1, ne fut vraiment utilisé massivement par les institutions politiques dans ce but qu’à partir des années 1930 et surtout pendant le Second conflit mondial par les deux camps. Si les journaux et les affiches étaient les principaux convoyeurs de la propagande entre 1914 et 1918, les progrès technologiques allaient vite amener au premier plan la radio et le cinéma tout au long de la guerre suivante. Nous proposons d’analyser et de comprendre le ou les messages contenus dans une sélection de films cinématographiques réalisés pendant les années 1930 et au tout début des années 1940 ayant pour objectif de faire accepter au public l’idée d’entrer en guerre.

Tout d’abord, il nous semble opportun de rappeler quelques définitions indispensables concernant la propagande, puisqu’elles semblent différer selon les utilisateurs2. La Propagande est l’un des outils utilisés dans le cadre des Opérations spéciales, ou Guerre subversive, menées à bien par le pouvoir politique et les forces armées. Ces Opérations spéciales comprennent, mais pas seulement, ce que les militaires nomment les Opérations psychologiques. Ces dernières intègrent et différencient les Actions psychologiques, destinées aux amis, et la Guerre psychologique qui est, quant à elle, dirigée vers l’ennemi. Ceci étant posé, définissons l’Intoxication qui est l’action directe qui consiste à tromper l’ennemi en lui distillant de fausses informations. Cette Intoxication peut ou peut ne pas utiliser la Propagande comme outil. Des espions ou agents doubles, voire triples peuvent très bien suffire. Maintenant, mettons-nous bien d’accord sur les différences terminologiques de la Propagande, lorsqu’elle se décline en « couleurs ». Pour les Anglo-Saxons et gens en uniforme de tous pays, la Propagande Blanche peut être dirigée vers tous types de cibles (amis, neutres ou ennemis), mais décline clairement, implicitement ou explicitement, son origine, la source ne devant faire l’objet d’aucun doute chez le récepteur.

La Propagande Grise, pour sa part, est également dirigée vers toutes cibles, mais laisse le récepteur dans l’incertitude quant à sa source. Pour terminer, la Propagande Noire, principalement émise en direction de l’ennemi, mais pas seulement, prétend tout simplement être issue par ce dernier, en vue de le déstabiliser, de l’intoxiquer et de saper son moral. Pour les autres, moins informés, le lecteur me pardonnera, la propagande se contente de deux couleurs, la blanche et la noire. La première est dirigée vers les amis, ce que les membres du groupe précédent nomment Action psychologique, et la dernière vers l’ennemi, ce que nous appelons Guerre psychologique3. Nous nous efforcerons dans cette étude de respecter la terminologie militaire, ou anglo-saxonne pour clarifier nos explications, bien que chaque définition soit légitime et respectable selon les utilisateurs concernés. Pour illustrer ces lignes destinées à bien faire comprendre au lecteur la terminologie utilisée et la nature des opérateurs, rappelons ce que le Général britannique Wavell disait en 1942 :

«  Pour mener à bien ces missions (de guerre subversive), les postulants doivent être originaux,  ingénieux, ayant des vues militaires non conformistes et doués d’un sens pervers de l’humour, donc certainement bons pour l’intoxication. »

Nous essayerons de proposer trois parties équilibrées, tant au niveau du volume rédactionnel qu’aux origines des œuvres traitées (cette étude comparative a comme objectif de mettre en parallèle des films de nationalités différentes traitant d’une même thématique au même moment). Ainsi nous commencerons par des documents d’avant-guerre ou du tout début, axés sur la préparation du conflit et les premières réactions des différents belligérants, puis nous étudierons l’aspect plus sociologique et militaire des messages politiques distillés dans les films utilisés à des fins de propagande durant les années 1940-1942 alors que l’issue était pour tous encore incertaine, et pour finir, nous analyserons les messages délivrés par les longs métrages quand les armes semblaient avoir scellé le destin de chacun. Nous précisons que la sélection filmographique, forcément limitée pour cause de format de ce dossier, des œuvres figurant au corpus, correspond à des préférences personnelles d’approches thématiques auxquelles l’auteur a été plus sensible, et n’a en aucune façon la prétention de résumer à elle seule les évènements, ni la société, qui ont illustré la Deuxième Guerre mondiale.

Convaincre que l’on est dans son bon droit

En démocratie, les dirigeants librement élus par le peuple qu’ils représentent ont le pouvoir de déclarer la guerre ou bien de décider d’attaquer tel ou tel ennemi réel ou supposé. Ce même peuple, quant à lui, n’a en général d’autre choix que de subir ou bien d’accepter les décisions de ses édiles, auxquels il a témoigné sa confiance en passant par les urnes. Les modalités de déclaration de guerre peuvent différer d’une nation à l’autre en fonction du système politique mis en place. La constitution américaine, par exemple, ne permet qu’au Congrès4 de déclarer la guerre à un autre Etat souverain, ce qui a déjà causé problème plusieurs fois lors de conflits récents5. En effets, dans ces derniers cas, le pouvoir exécutif6 n’a eu d’autre ressource que de convaincre directement le Congrès, ou encore indirectement celui-ci par l’intermédiaire de la nation dûment préparée7, pour ne pas dire propagandée, qui a pu de fait influencer les décisions du pouvoir législatif8.

Un pouvoir en place peut également faire légitimer ses actions en faisant appel à un référendum qui consolidera  sa décision9. Lorsque la politique mise en œuvre par des dirigeants s’écarte trop des aspirations populaires, et dans le cas où ces derniers n’ont pas pris soin de bien informer et expliquer leurs intentions à leurs administrés, le couperet tombe ; soit obligation leur est faite de changer leur fusil d’épaule, bien souvent au travers d’un remaniement ministériel, ou bien c’est la révolution. Dans une démocratie, le peuple a toujours le dernier mot, à un moment ou à un autre, nous pouvons en être heureux. Contrairement aux apparences, cela n’est pas si différent dans les systèmes monarchiques ou dictatoriaux. Cela prend simplement plus de temps. L’Histoire de l’humanité regorge d’exemples depuis l’aube de la civilisation. En effet, le totalitarisme n’a jamais duré bien longtemps et si l’on considère simplement les différents régimes du vingtième siècle, force est de constater que le Reich millénaire n’a duré qu’un peu plus de douze ans, le fascisme italien environ deux décennies, le franquisme espagnol une quarantaine d’années et pour finir, le communisme soviétique à peine trois quarts de siècle. Il en va de même  pour les monarchies où qu’elles se trouvent. Là encore, les exemples sont légion quant on regarde de près les seuls pays européens du siècle dernier, avec la chute des Romanov, des Habsbourg et des Hohenzollern10, pour ne pas évoquer la Révolution Française, plus ancienne et dont il n’est pas nécessaire de retracer l’histoire.  

Ces lignes nous amènent à réfléchir aux raisons qui font qu’un régime parvient à se maintenir en place souvent plus longtemps que de raison, une fois parvenu aux plus hautes sphères du commandement. Des gouvernants peuvent très bien se faire élire ou réélire, tout à fait démocratiquement11, ou bien accéder aux rênes du pouvoir par le biais d’un coup d’Etat12 ou grâce aux désordres dus à un événement brutal et inattendu comme ce fut le cas pour l’avènement du Maréchal Pétain, suite à la défaite de la France face aux  Allemands en juin 1940. Ainsi nous verrons dans quelle mesure le cinéma a pu se tailler une part de choix comme outil majeur de la propagande politique.

Stimuler l’esprit combatif

L’industrie cinématographique a toujours su galvaniser son public avec des valeurs patriotiques et viriles, mettant en scène l’honneur et la gloire du soldat, garant de l’intégrité politique et territoriale d’une nation. Ce type de communication était bien souvent, il faut le rappeler, à la seule initiative des producteurs, ne répondant pas forcément à une commande gouvernementale,  mais simplement à la demande des spectateurs. En effet, le cinéma, comme tout commerce, se conforme à la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande et nous n’apprendrons pas à nos lecteurs qu’il en faut pour tous les goûts. De fait, les films d’action et d’aventures mêlant exotisme et romantisme trouveront toujours une place de choix dans le cœur du public. Ainsi nous citerons en préambule des œuvres classiques qui connurent un succès planétaire telles que Gone with the Wind (Autant en emporte le vent)13 , produit par la MGM et qui reçut dix Oscars et The Four Feathers (Les Quatre plumes blanches)14 , produit par London Films/United Artists qui fut également très bien accueilli par un public toujours demandeur de sensations fortes par acteurs et décors interposés.

La France n’était pas en reste puisqu’elle avait déjà produit deux ans auparavant Gueule d’amour15. Cette production de Mercury Films (filiale de l’UFA financée par Goebbels)16 allait involontairement contribuer à une forte augmentation des demandes d’engagements volontaires au sein des troupes coloniales17, ce qui ravit les autorités militaires françaises de l’époque.  Le prestige de l’uniforme a toujours suscité un vif intérêt, même si des tentatives de « propagande à l’envers » avaient tenté de pacifier, pour ne pas dire démilitariser les esprits entre les deux Guerres Mondiales18.

Une question nous vient à l’esprit : les longs métrages répondent-ils à la demande d’un public belliqueux, ou bien ce dernier le devient-il à force de voir ces films ? C’est l’éternelle question de la poule et de l’œuf. Qui est arrivé au monde en premier ? L’on pourrait se poser la même question aujourd’hui en observant ce que la télévision nous propose dans ses programmes quotidiens : les téléspectateurs « s’abrutissent-ils » au contact de « reality shows » intellectuellement très pauvres, ou ces programmations  correspondent-elles à une demande sans cesse croissante d’un auditoire de plus en plus iconoclaste ? En effet cet appauvrissement intellectuel des masses ouvre ainsi la porte aux plus malins qui s’évertueront à les manipuler avec d’autant plus de facilité, toute résistance étant atténuée si l’on se réfère aux travaux de Serge Tchakhotine. Selon lui, 90% de la population est facilement manipulable, alors que seuls les 10% restants se posent des questions, réfléchissent, pèsent le pour et le contre, et bien souvent ne s’en laissent pas conter. Cela explique la raison pour laquelle le pouvoir politique vise tout particulièrement les 90% cités plus haut afin de gagner en efficacité liée au volume, puisque dans un système libéral, au sens anglo-saxon du terme, la voix de chaque citoyen faisant partie des 90% a la même valeur que celle d’un membre appartenant aux 10% lorsqu’il s’agit de passer aux urnes19. Cela pose question sur la démocratie. Ainsi, on va davantage voter pour quelqu’un dont la verve nous aura convaincu que pour le candidat qui semble proposer le meilleur programme politique.

Tchakhotine nous rappelle en outre20 que l’exaltation des vertus guerrières n’est nullement le seul apanage des systèmes totalitaires, et que la jeunesse est très tôt formée à des activités sportives, considérées comme viriles, avant de glisser insidieusement vers une formation militaire qui n’ose s’appeler ainsi, du moins dans un premier temps.  Lisant ces lignes, on a tout de suite à l’esprit les Jeunesses Hitlériennes, mais l’on oublie les scouts de Baden-Powell21 et les Préparations Militaires  que la Troisième République mit en place après l’humiliation de 1870 face aux Prussiens. Le cinéma n’existant pas encore à cette époque, cette éducation militaire était largement diffusée sous la houlette de cadres instructeurs réservistes avides de revanche. Les vecteurs de communication étaient tous supports, allant du timbre poste à la propagande directe en salle de classe, où l’instituteur, souvent lui-même officier de réserve, se faisait pour l’occasion sergent-recruteur. La France n’aura jamais été autant « martiale » qu’entre 1870 et 1914 et il était inconcevable qu’une femme s’intéresse à un homme qui n’avait pas rempli ou n’était pas apte à remplir ses obligations militaires pendant la « Belle Epoque ». Le patriotisme allait de pair avec un nationalisme exacerbé et un militarisme sans limite. Toute l’œuvre de Charles Maurras nous le rappelle22.

Ce fut également le cas pour l’Allemagne qui ne cessa de se réarmer, trichant avec les traités qui sanctionnèrent sa défaite en 1918. On voit là cet esprit combatif de revanche intrinsèque du perdant qui ne peut se résoudre à accepter son sort. A contrario, et cela paraît logique, celui qui a gagné n’aspire qu’à panser ses plaies et à cimenter cette paix qu’il a su imposer par les armes. Nous avons étudié lors de nos travaux précédents23 l’aversion bien légitime dont fit preuve, notamment, mais pas seulement, la Grande Bretagne, pour toutes les violences et atrocités liées aux horreurs de cette nouvelle forme de combat qu’avait imposées la guerre des tranchées lors du Premier conflit mondial. La France et la Grande Bretagne ne voulaient plus connaître cela, quitte à accepter l’inacceptable que leur imposera Hitler lors des Accords de Munich, qui allaient mettre la Tchécoslovaquie en coupe réglée dès 1938, et préluderaient la Seconde Guerre mondiale, inévitable. En attendant cette dernière, l’industrie cinématographique nous apportera All Quiet on the Western Front (A l’Ouest rien de nouveau), film américain produit par Universal Pictures Corporation en 193024  et Les Croix de bois, film français de Raymond Bernard sorti en salles deux années plus tard25. Il est question dans ces deux longs métrages d’illusion, de patriotisme, de courage et d’honneur, du sens du devoir, du bien fondé de sa participation à cette guerre qui ne devait durer que « jusqu'à Noël », et pour finir de la grande désillusion liée à l’horreur absolue que ne semblait pas justifier les valeurs et idéaux cités précédemment. Cela nous amène naturellement aux illusions perdues de La Grande Illusion de Jean Renoir, film considéré comme la perfection du genre et sorti en salle en 1937. Jean Gabin, Pierre Fresnay et Erich von Stroheim y tenaient les rôles principaux. La fin du film, chute dans toute l’acception du terme (en effet, le capitaine français prisonnier tombe du toit, mortellement blessé par son geôlier allemand) nous faisait clairement comprendre qu’il n’y a pas d’honneur dans la mort, juste la mort. Il en était bel et bien fini de la « guerre en dentelles » livrée entre gentlemen. Désormais les choses ne seraient plus jamais comme naguère. Les temps avaient changé et il en était de même pour les hommes. Nous pourrions sortir de notre sujet d’étude que sont les films servant volontairement ou non la propagande militariste ou antimilitariste en évoquant tous les romans et autobiographies écrits pendant cette période connue sous le vocable générique d’ « Années Folles », mais le lecteur comprendra aisément que l’espace nous est compté, ainsi que son temps de lecture…

Une simple constatation nous oblige à souligner le fait que le public ne s’intéresse que très moyennement à la littérature et au cinéma antimilitaristes mettant en exergue les horreurs et l’absurdité de la guerre, leur préférant les grandes épopées d’action et d’aventures, nonobstant toutes ces œuvres de grande qualité, que nous venons de citer et qui eurent néanmoins beaucoup de succès. Là encore, c’est toute la théorie des 90%-10% de Tchakhotine qui s’impose, même si elle nous dérange. Cela était vrai hier, cela l’est toujours aujourd’hui. Quelle en est la raison ? La violence et la quête des sensations fortes et de l’attraction des armes et des uniformes prend-elle le dessus sur la raison ? Cette tentation d’accéder au pouvoir qui peut être assouvie par la force armée est-elle inscrite dans nos gènes à ce point ? Ces questions, certes rhétoriques, nous forcent à répondre : « Oui, sans doute. », mais peut être pas pour tout le monde, mais alors l’analyse de Tchakhotine nous saute encore au visage en nous interrogeant sur la nature et les intentions des décideurs, directs ou indirects, en nous questionnant sur la légitimité du pouvoir, s’il s’appuie aussi facilement sur des électeurs aisément manipulables et manipulés par la propagande26

Rassurer la population

Tout pays ou régime belliqueux a besoin de convaincre sa population, quand ce n’est pas lui-même, qu’il est le plus fort et qu’il n’y a rien à craindre si l’inévitable devait se produire, à savoir l’entrée en guerre. En effet, après avoir conditionné les masses à accepter l’idée même d’une participation possible et éventuelle à un conflit tout en ayant œuvré pour stimuler ses facultés guerrières, il convient maintenant de démonter que cette orientation est sans danger, tant la victoire finale ne fait aucun doute. Le lecteur se souviendra de l’excès de confiance en soi, que nous n’oserions qualifier d’arrogance, d’un Paul Reynaud affirmant avec véhémence et force conviction : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts. »27

Certes de la conviction, il en fallait. Mais il y avait de quoi puisque la France possédait plus de chars et d’avions, matériels militaires dits « de rupture » indispensables au combat moderne, que la Wehrmacht28 encore quelques années avant l’entrée en guerre29. Les défilés furent sans doute le moyen le plus efficace, mêlant spectacle et exhibition de moyens, destinés d’ailleurs, aussi bien aux espions professionnels ou non, résidant dans le pays, qu’à la population locale (les moyens de diffusion télévisuels n’en étaient qu’à leurs balbutiements). Le cinéma, pour autant, n’était pas en reste, puisqu’il était la seule possibilité pour les absents à ces défilés d’en avoir tout de même sa part, en différé naturellement. Ainsi, au travers des premières parties de films à grand succès pour lesquels les spectateurs avaient payé et s’étaient déplacés, pouvait-on voir, selon l’actualité et les besoins en propagande des commanditaires, ces défilés militaires (notamment du 14 juillet pour la France), les immenses rassemblements politiques où tout le monde portait l’uniforme, symbole de cohésion bien hiérarchisée et d’appartenance à un peuple uni et homogène (des plages horaires étaient réservées dans les salles de cinéma allemandes afin de permettre à la jeunesse de bien s’identifier avec l’Ordre Nouveau30). Il y avait à cette époque plus de gens arborant bottes et baudriers que de pékins31dans cette nouvelle Allemagne. Service du Travail (Reichsarbeitsdienst), Jeunesses Hitlériennes (Hitlerjugend), Associations de jeunes filles allemandes32 (Bund Deutscher Mädel), officiels du Parti, SA, SS, et bien entendu, mais cela n’était guère différent dans les autres pays, postiers, gardes frontières, policiers et comme de juste, militaires, chacun avait son uniforme, son rang et ses décorations bien visibles aux yeux de tous. Excellente propagande silencieuse et quotidienne que l’uniforme omniprésent dans les rues, au bureau et sur l’écran. De quoi ravir les passionnés d’uniformologie et de phaléristique33.   

Le Royaume-Uni n’était pas en reste puisque les Newsreels34 montraient également la vie au quotidien de l’armée à domicile aussi bien qu’au sein de l’empire. On y voyait en outre des scènes de la vie de tous les jours, à l’usine, au bureau, dans les champs. Ces films extrêmement populaires auront beaucoup de succès. Nous citerons, pour la période d’avant guerre, Nightmail (Courrier de nuit), réalisé en 1936 et mettant en valeur le travail de nuit, comme son nom l’indique, des sans grade du Royal Mail procédant au tri du courrier dans les trains postaux nocturnes. Le thème des ouvrières à l’usine sera lui aussi exploité par les producteurs et très prisé par le public, toujours friand et demandeur de ce genre de communication. Night Shift sortira cinq ans plus tard, en 1941, et mettra en vedette une équipe de nuit  d’ouvrières  dans une usine d’armement. Ce film, réalisé par Paul Rotha et produit par Jack Chambers avait été commandé par le MOI (Ministère de l’Information, le vocable Propagande était évité) et par le Ministère du Ravitaillement, c’est souligner l’importance de ce vecteur. Il faut préciser que les Britanniques avaient à l’époque plus de dix années d’expérience en matière de films documentaires et le niveau de production était excellent35. Squadron 992, d’Harry Watt (GPO Film Unit, 1939) montrait quant à lui qu’Albion était prête à accueillir Fritz comme il se doit. En effet, ce documentaire se voulait rassurant en montrant le système de défense passive anti-aérien, composé de ballons captifs. En outre, ce moyen métrage était didactique puisqu’il instruisait la population quant à la conduite à tenir en cas de bombardement.

Les nobles valeurs de l’honnêteté et de l’orgueil national unissant la monarchie au peuple étaient rappelées sans cesse, via une propagande passive et apparemment innocente montrant par exemple le bonheur (naissances, mariages) et les malheurs (décès) de la famille royale comme nous le souligne Renée Dickason, spécialiste chevronnée des médias et de la propagande britanniques36 Ce type d’information, si on le préfère au mot propagande, plus dérangeant mais au demeurant plus adéquat, utilisait tous les vecteurs modernes à disposition. La presse, la radio et le cinéma étaient tous mis à contribution dans le cadre de cette croisade moderne visant à apaiser les doutes et rassurer sur le fait que l’on était dans son bon droit et que rien ne pourrait nous arriver de malheureux tant que le peuple se serrerait les coudes et aurait foi en ses dirigeants, ce postulat s’appliquant à l’ensemble des protagonistes pris en considération.    

Préparer la revanche

Les évènements historiques n’ont de cesse de nous rappeler que certains éléments sont essentiels si un pays veut prendre sa revanche dans le cas où le sort des armes ne lui a pas permis de remporter la victoire au premier « round ». Naturellement il doit être prêt matériellement, c'est-à-dire que s’il a la prétention de « remettre ça », encore faut-il qu’il en ait la capacité. Cela se traduit par un réarmement massif  incontournable si son industrie et ses moyens financiers le permettent. C’était le cas de l’Allemagne de la fin des années 1930. Mais cela ne suffit pas, car il faut des hommes pour mettre en œuvre ces moyens, et il faut s’assurer de l’appui total et inconditionnel du peuple. Ainsi, préparer la revanche, c’est surtout convaincre la population du bien fondé de son désir de reconquête, et c’est aussi le conditionner à accepter l’idée de la guerre en l’assurant qu’elle sera courte, peu coûteuse en pertes humaines et matérielles, et qu’elle pourra rapporter gros (fierté nationale, promesses de butin, nouveaux territoires et ressources naturelles etc.). Or il se trouve que la population allemande en grande partie n’était pas aussi revancharde que les hommes au pouvoir qui la dirigeaient, au grand dam de ces derniers37.   Pierre Nord écrit dans son ouvrage  L’Intoxication :

« C’est pourtant un fait que le peuple allemand n’était pas absolument unanime dans la volonté de guerre et de conquête  des maîtres qu’il s’était donnés. Oh, il suivait. Disons qu’en tout cas, et cela suffit à l’appui de ma thèse, les chefs nazis, qui auraient voulu entraîner soixante-dix-millions  de fanatiques aveugles, accusaient la masse de manquer d’enthousiasme. »

Il convenait, en effet, de donner un coup de fouet aux masses, pour réveiller leur xénophobie, leur agressivité et leur désir d’en découdre. Il fallait les intoxiquer politiquement pour avoir leur adhésion sans limites. Le même phénomène eut lieu au Royaume-Uni entre la déclaration de guerre et les premiers bombardements de la Luftwaffe sur les grandes villes. Le peuple britannique s’était amolli, il avait perdu tout esprit combatif. Comprenait-il les enjeux ? Les autorités n’allaient pas tarder à les lui rappeler en lui rafraîchissant la mémoire38. Le Black Record de Robert Vansittart n’avait de cesse de rappeler les atrocités perpétuées par les Huns lors de la Grande Guerre et qu’il ne fallait rien attendre de bon de ces gens-là. Pour lui, pas de détail, tous les Allemands étaient des Nazis. Cela allait forcément devenir une lutte à mort, avec un seul vainqueur possible. Son message, ayant, bien sûr, l’aval du gouvernement, était diffusé à la radio sous forme d’une émission régulière, ou bien pouvait se lire dans les journaux.   Les différents services et ministères habilités à émettre de la propagande (le MOI n’était pas le seul) utilisaient également les vecteurs classiques tels que cartes postales, dessins de presse, posters et affiches dans les rues et sur les autres lieux publics39.    

Le cas de la Grande Bretagne est différent de celui de l’Allemagne évidemment, puisqu’il n’y avait aucun objectif de conquête ou reconquête de la part des Britanniques. Le parallèle, néanmoins nous semble intéressant, car si les objectifs étaient différents, les moyens pour les atteindre étaient très analogues. Nous allons maintenant analyser quelques films et documentaires des différents protagonistes afin de mieux comprendre  le contenu de leurs messages respectifs dans le cadre de la préparation d’une revanche. Nous entendons  par revanche, aussi bien, par exemple, celle des Allemands par rapport à l’humiliation subie par le Diktat de Versailles, que le désir britannique de se venger des bombardements aériens de leurs villes-cibles. La défaite des Alliés en juin 1940 fait également l’objet d’une volonté de revanche, comme l’échec allemand lors de la Bataille d’Angleterre.  Ainsi, nous n’exclurons, à priori, aucun élément, mais nous nous focaliserons, dans un premier temps, sur la première phase de la guerre, en étudiant les films à vocation de propagande et ayant comme thématique la quête de revanche sur l’ennemi.    

Nous avons déjà évoqué Triumpf des Willens et Olympia, tous deux de Leni Riefenstahl, mais il semble intéressant d’y revenir brièvement, tant ils illustrent notre propos.  Le premier fait montre de pouvoir, de puissance et d’invincibilité au travers de défilés massifs parmi la foule en liesse. Cette dernière, littéralement en transe devant son Führer,  qu’elle ne cesse d’applaudir avec force conviction, suggère au spectateur que l’Allemagne a recouvré son honneur et sa grandeur d’antan. L’Allemagne s’est réveillée40, elle a repris le rang qui lui était dû et que le Diktat41lui avait confisqué. Le peuple allemand tenait sa revanche. Le deuxième film renforce le premier en stigmatisant la pureté de la race arienne ainsi que la cohésion du peuple allemand. Puis viendront les documentaires  longs métrages donnant raison aux deux précédents. Il s’agira de porter à l’écran les victoires militaires écrasantes apportant la revanche tant attendue au Reich. Ce seront dès les premiers mois de la guerre, et ce sans perdre de temps dans la réalisation, des films tournés partiellement sur le front même, mettant en exergue la supériorité technologique et la valeur combative de la Wehrmacht. L’anéantissement de la Pologne sera sur les bobines de Die Feuertaufe de Hans Bertman, et de Feldzug im Polen de Fritz Hippler, tous deux sortis dans les salles début 1940 et l’écrasement des armées françaises et britanniques fin juin 1940 figurera sur le plus célèbre Sieg im Westen42, semblant faire la nique à l’antimilitariste  All Quiet on the Western Front de Lewis Milestone, sorti une décennie plus tôt et dont il semblait laver la honte. Oui, le peuple allemand valait mieux que ce que voulait bien montrer ce film infâme inspiré du roman d’un traitre immonde qui faisait déjà largement l’objet d’autodafés à répétition depuis qu’un ordre nouveau avait su rendre à la nation sa dignité.    

La revanche britannique faisant l’objet de propagande sous forme de films sera quant à elle, du moins au début de la guerre, cantonnée autour de la thématique de la riposte aux attaques aériennes dont le Royaume-Uni sera la victime. En effet, beaucoup de films auront comme sujets les bombardements anti-cités, la défense passive et ce qui sera qualifié de Bataille d’Angleterre. La perfidie des attaques odieuses et sans avertissements de la Kriegsmarine sera également traitée, dans une moindre mesure, il est vrai, par  l’industrie cinématographique. Il est vrai que les combats aériens, plus spectaculaires avaient davantage les faveurs du public.  Ainsi The Lion Has Wings, docu-fiction de Alexander Korda (produit par RAF Film Unit en 1940) montre, comme l’indique le titre, que le lion - représentant l’esprit combatif des Britanniques toujours invaincus sur leur territoire, et personnifié par un Churchill pourtant plus souvent incarné par un bulldog qui ne lâchera jamais prise -  s’est doté d’ailes, à savoir la RAF, et que cette dernière est prête à lutter jusqu’à la dernière goutte de kérosène, si ce n’est de sang des pilotes.  Ce film utilisait des prises de vue réelles du ciel de la fameuse Bataille d’Angleterre où pilotes de chasseurs des deux camps s’affrontaient à l’instar des joutes médiévales. L’horreur des résultats (survivants grands brûlés) y était absente. Seul comptait le duel, extrêmement spectaculaire, on peut s’en douter. L’idée était de montrer à la population britannique que le ciel qui les surplombait leur appartiendrait toujours tant que des aéronefs arborant la cocarde rouge-blanc-bleu43 continueraient d’abattre ceux qui portaient la croix des Balkans44.     

Dénigrer l’ennemi

Nous allons voir dans cette partie qu’une fois avoir convaincu que l’on est dans son bon droit, il convient de fustiger, dénigrer et discréditer l’ennemi si l’on veut se préparer à l’idée même de la guerre45. Ceci dans un but de légitimer son envie d’en découdre, mais aussi pour motiver son propre camp, et pourquoi pas rameuter des possibles alliés encore frileux et incertains. Dénigrer l’ennemi, c’est le déshumaniser, comme le firent les Américains avec les Japonais après 1941, montrés comme des bêtes immondes, pour rester dans notre période d’étude. C’est aussi susciter la haine et le dégoût (communication de Gilbert Millat, déjà citée), cette aversion du « Boche », être sanguinaire et sans âme qui ne pense qu’à faire la guerre, c’est accuser le Juif d’être responsable de tous les maux de la Terre, c’est confondre volontairement Allemand et Nazi, c’est rappeler aux Anglais que ce sont eux qui ont inventé les camps de concentration pendant la Guerre des Boers46, c’est stigmatiser le péril judéo-bolchevique qui finira bien par vous atteindre. Bref, il faut souligner, voire fortement exagérer tous les défauts de l’adversaire dans le cadre d’une propagande efficace et bien orchestrée. A cet égard, il sera astucieux de mélanger mensonge et réalité afin de bien rendre crédible son message. Un subtil mélange d’information et de désinformation, ou intoxication sera ainsi « distillé » ou diffusé plus massivement par les différents vecteurs de propagandes blanches, grises, ou noires, selon les objectifs visés. Nous verrons qu’un bon « matraquage » politique et idéologique utilisant tous les outils (bouche à oreille, affichages, radio, presse et cinéma) sera le garant d’une propagande réussie47. L’intensité, les moyens et le message seront, nous le verrons, différents selon la nature de l’ennemi à dénigrer, fût-il politique, religieux, militaire ou idéologique. A la puissance de la rhétorique s’ajouteront tout le savoir-faire et la technique du cinéma.  Outre les œuvres tournées pendant la période 1939-1945, nous analyserons quelques autres productions datant de la décennie précédente afin de bien mettre en relation les évènements et la société de la  Belle Epoque avec ceux de la Deuxième Guerre mondiale ainsi que l’évolution des mentalités.

Ridiculiser le camp opposé

Nous allons étudier un film belge peu connu et pourtant extrêmement intéressant, Passeurs d’hommes, de René Jayet, produit en 1937 par les Productions Sobel48. Ce film, tiré du roman éponyme de Martial Lekeux, met en scène des acteurs belges et français que nous retrouverons dans d’autres films traitant du même sujet49. Certes à cette époque, la Belgique ne connait pas encore la guerre, mais déjà son spectre se profile, tant elle paraît inévitable. Il convient donc de montrer au public que si d’aventure l’Allemand voulait « remettre le couvert », il devrait se rappeler au préalable qu’il a perdu la guerre précédente. Il l’a perdue parce qu’il est bête. Aussi, il n’y a rien à craindre. Fin du message. Il est bête et nous allons vous le montrer. L’action se déroule dans la Belgique occupée de 1916. Le Prussien a mis le pays en coupe réglée et le dirige d’une main de fer. Impitoyable, il pille les maigres subsistances qui suffisent à peine à nourrir les pauvres gens restés au pays. Les hommes valides risquent leur vie à franchir la frontière solidement gardée afin de rejoindre leurs compatriotes en Hollande, pour de là rejoindre le nord de la France et continuer le combat au sein des unités françaises ou britanniques en qualité de volontaires. L’accent est mis sur le caractère honnête, brave et patriotique du Belge.

Dès la dixième minute du film, l’ennemi est ridiculisé lorsqu’une charrette de purin vient à dessein éclabousser un lieutenant de l’armée du Kaiser. Suivent des aventures rocambolesques qui n’auront de cesse de montrer au spectateur l’incompétence et la bêtise de l’occupant50 face à l’astuce et la détermination d’un groupe d’hommes qui ont préféré choisir le risque de passer la frontière pour continuer le combat ailleurs, plutôt que de subir l’occupation, choix qui sera d’ailleurs repris à moult reprises dans les productions françaises réalisées après la Deuxième Guerre mondiale. L’on voit tout au long du film les officiers de l’Armée Impériale aisément bernés à grands renforts de genièvre et autres alcools. Ces derniers d’ailleurs, à part un lieutenant qui porte un pistolet à la ceinture, ne sont jamais vus armés, préférant apparemment la boisson aux armes. Quant aux soldats, ils ne sont guère présentés sous un angle plus flatteur. Ces braves « trouffions » portant casques à pointe préfèrent s’adonner au troc (chocolat contre vin) avec les habitants locaux plutôt que de mener à bien leur mission de contrôle et de surveillance (ils sont sensés garder la frontière en vue de capturer les passeurs et leurs « clients », au sens romain du terme). Ce n’est qu’à la fin du film que sera montré le caractère sanguinaire et impitoyable du Prussien avec la mise à mort du chef des passeurs qui sera passé par les armes sans aucune forme de procès51. Ce type de film était très populaire en Belgique, en France et également outre-manche car l’adversaire y était ridiculisé à tous égards, sur le plan militaire et surtout intellectuel. Une grande quantité de longs métrages, nous le verrons, mettait en avant l’infériorité chronique de l’ennemi en matière d’espionnage et de contre-espionnage. Un détail intéressant dans ce film est la présence d’un officier du Deuxième Bureau52 (de l’Armée Française) qui semble diriger toutes les opérations de guerre subversive dont il est question dans le film. Cela augure déjà le péril nazi à venir et le besoin de la tutelle, voire de la protection du grand frère français. Comme de juste la scène finale se termine par un baiser et une proposition de mariage en bonne et due forme de la part de l’agent français à notre ravissante patriote belge qui aura à elle seule justifié la présence de la gent féminine accompagnant les spectateurs du sexe opposé. Nous retrouvons dans ce film tous les  bons ingrédients d’un film tous publics, romance et aventure, action et coups de poings, intrigue et patriotisme, courage et désintéressement, ce qui corrobore nos propos des premières pages de cette étude.

Toujours dans la rubrique « tourner l’antagoniste en ridicule », revenons sur The Life and Death of Colonel Blimp, de Michael Powell (1943). Nous voyons dans ce film, et ceci depuis le tout début, que toutes les occasions sont bonnes pour se moquer du côté « psychorigide », dirait-on aujourd’hui, du corps des officiers prussiens, montrés en train de claquer des talons à tout propos. Là encore sont soulignés le côté ridiculement théâtral et la carence intellectuelle chronique qui semble si bien caractériser ces cousins d’outre-rhin. Ce long métrage53 était la version animée d’une célèbre bande dessinée du cartoonist54 néo-zélandais David Low qui n’avait de cesse de stigmatiser le côté « culotte de peau » de ces mangeurs de choucroute décidément bien difficiles à comprendre55.

Après avoir vu comment ridiculiser le côté militaire et intellectuel de l’ennemi, nous allons voir différentes façons d’utiliser le film pour tourner en dérision sa politique et sa société. Nous évoquerons en quelques lignes, car ce film est très connu, The Great Dictator, de et avec le mondialement célèbre Charlie Chaplin, produit par United Artists et sorti en salles en 1940. Ce film américain montré pour la première fois dans les cinémas new-yorkais, nous brosse le portrait d’un barbier juif amnésique qui se réveille dans un Etat dirigé par un dictateur qui se trouve être son sosie parfait (et pour cause, les deux personnages sont campés par un impeccable Chaplin, au faîte de son art). Le barbier s’enfuit du pays pour se retrouver confondu avec le despote une fois arrivé dans sa nouvelle terre d’accueil. Il est question, tout au long du film, de mettre en exergue l’aspect grotesque de tous ces gens en uniforme, assoiffés de pouvoir et impossibles à rassasier. Toutes les mimiques sont passées en revue, soulignant la gestuelle théâtrale et ridicule des miliciens et militaires, qui, on l’a compris, représentent les SA et la Wehrmacht. Ces aventures rocambolesques dignes du meilleur Vaudeville nous entraînent dans les arcanes d’une société ubuesque et complètement loufoque où rien ne manque pour singer l’Allemagne hitlérienne montrée comme l’anti-société par excellence. Les détails uniformologiques sont remarquablement exagérés pour mieux caricaturer celui qui est déjà considéré sinon comme un ennemi (l’Amérique n’est pas encore en guerre), tout au moins comme un fou dangereux. Ainsi le public apprend à mieux connaître son adversaire de demain, au travers de l’humour et de la dérision. Nous avons bien là un exemple concret d’une production à initiative privée (l’Administration américaine n’a rien commandité)  qui va servir les desseins d’une propagande déjà larvée.

Dénoncer la félonie de l’adversaire

Nous allons analyser dans cette sous-partie le procédé avec lequel on va soustraire toute notion d’honneur et de galanterie militaire chez l’antagoniste. Force sera de  montrer qu’il n’y a rien de bon à tirer du camp opposé et que notamment leurs forces armées ne respectent en aucune façon les règles de la bienséance sur le champ de bataille. Il faut rappeler au lecteur que dans les esprits, le politique et le diplomate sont souvent considérés comme perfides, alors que le militaire, surtout sans grade, est admis comme relativement honnête, désintéressé, noble et courageux. Des règles implicites obligent, par exemple, un navire ennemi à secourir les naufragés de la marine adverse. De même, un blessé du champ de bataille terrestre peut s’attendre, à juste raison, d’être soigné et traité avec dignité avant d’être interné comme prisonnier de guerre. Les règles imposées par les Conventions de Genève ne sont pas seules à y veiller. Il en va surtout de l’honneur d’une armée, et cela n’a rien à voir avec la peur de représailles. Nous avons étudié dans notre premier opus consacré à la propagande britannique comment Lord Northcliffe s’y était pris pendant les derniers mois de la Grande Guerre pour stigmatiser la monstruosité du soldat ennemi. Mais avant de présenter l’adversaire comme étant inhumain, il va falloir tout d’abord qu’il ne respecte pas les règles du code de l’honneur, si cher aux combattants.

Ce sera la Kriegsmarine qui fera les premiers frais de cette campagne avec Men of the Lightship, de David MacDonald. Ce docu-fiction britannique, produit par Crown Film Unit en 1940 montrera aux spectateurs du Royaume-Uni et aux étrangers qui pourraient se trouver dans les salles, que la marine du Reich n’a pas hésité à attaquer un modeste bateau-phare désarmé, et qu’elle n’a en outre pas sauvé les marins de Sa Majesté de la noyade. Nous retrouverons ce thème quatre ans plus tard avec Lifeboat, long métrage américain56 d’Alfred Hitchcock tourné en 1944 pour 20th Century Fox, et dont l’action se déroule exclusivement dans une chaloupe de sauvetage avec comme unique décor la mer et ses dangers.  Le spectateur comprendra tout au long du film que même si l’ennemi (en l’occurrence ici le marin allemand) peut montrer un caractère humain, cela n’est que pour mieux duper pour profiter de la première occasion pour mieux vous amener à votre perte, ce qui est son seul objectif final. La morale clairement insufflée dans le film et surtout à la fin est qu’un bon Allemand est un Allemand mort, aussi, pas de quartier ! Il n’y a pas de temps à perdre en palabres, tout ce qu’il y a à faire, c’est tuer l’ennemi avant qu’il ne vous tue.  

    Dans une autre forme de félonie militaire, c’est Yellow Caesar, de Michael Balcon (Ealing studios, 1941), qui montrera la lâcheté de l’Armée Italienne en soulignant qu’il n’y a franchement rien de bien glorieux57 à conquérir des territoires défendus par des Bédouins

armés de vieux fusils à poudre noire et à chargement par la bouche (muzzle-loaded single shot rifles) et montant des dromadaires, lorsqu’on les attaque avec des chars et des voitures blindées. Ce sera une autre paire de manches quand il faudra en découdre avec l’Armée Britannique. A l’instar de The Great Dictator qui singeait la gestuelle d’Hitler pour le tourner en ridicule, Yellow Caesar profitera de toute la durée du film pour se moquer des gesticulations58 du Duce59 lorsqu’il s’adressait à son peuple ou à ses militants60.

Outre la félonie des militaires, celle du pouvoir politique sera également passée en revue afin de bien montrer les coups bas à attendre de l’adversaire. Confessions of a Nazi Spy, film américain d’Anatole Litvak et produit par Warner Bros. en 1939, deux années avant l’entrée en guerre de ce pays, avait pour vocation de créer une atmosphère de paranoïa totale et absolue en montrant des espions partout. Cette thématique faisant l’objet d’une analyse au sein d’un chapitre ultérieur, nous soulignerons que ces types de films mettaient en garde la population de la mise en place par l’ennemi d’une cinquième colonne destinée à miner les structures économiques et sociales du pays. Cette utilisation sans vergogne d’espions et de traitres à outrance mettait en exergue la facette amorale de l’ennemi, n’hésitant jamais à faire appel à des procédés jugés infâmes et irréguliers. Ces « coups sous la ceinture » seront un thème récurent des producteurs américains dans leur filmographie pour signifier au public que l’entrée en guerre des Etats-Unis s’avère de jour en jour de plus en plus inévitable. Les initiatives privées iront davantage dans le sens de la propagande pro-guerre61 que les campagnes gouvernementales.  La félonie de l’adversaire sera traitée par les Allemands principalement sur le plan racial et politique jusqu’aux premiers bombardements anglo-saxons des villes du Reich vers 1942-1943 où ils ne cesseront de s’intensifier jusqu’à la fin de la guerre. Force est d’admettre que d’une manière générale, même les services de Goebbels considéraient que l’ennemi se comportait relativement loyalement (et pour cause, puisque la Wehrmacht dominait pratiquement tous les champs de bataille à cette époque). Point n’était donc besoin de dénigrer l’adversaire sur ce plan. Ce  sont  plutôt des films historiques destinés à lapropagande  comme Jud  Süss,  (Le Juif  Süss) de Veit Harlan  (Terra, 1940) et Der Ewige Jude, (L’Eternel Juif) de Fritz Hippler, produit la même année qui seront tous deux abondamment diffusés dans les salles du Reich et de leurs alliés ainsi que dans celles des pays occupés afin de bien conditionner les spectateurs pour qu’ilsacceptent de considérer que le Juif est indigne de toute confiance et ne mérite que d’être traité en Untermensch (sous-homme). Cette forme de propagande latente contribuera à dissocier les émigrés juifs des habitants de leurs nouveaux pays d’accueil, ce qui aboutira aux délations et dénonciations qui suivront pendant les « années noires ».  

Appeler à la haine en suscitant horreur et dégoût

Il est important pour des dirigeants de bien maintenir la pression sur le public, qu’il soit civil ou militaire, pour que ce dernier conserve son esprit combatif. En effet, la population peut se relâcher, par lassitude ou fatalisme, alors que sa motivation, voire dans certains cas son fanatisme pouvant aller jusqu’au sacrifice, souvent inutile, est essentielle pour mener à bien le combat jusqu'à son terme, selon les objectifs finaux définis par ceux qui tiennent les rênes du pouvoir. Le cinéma est un puissant vecteur pou appeler à la haine car les images parlent pour elles mêmes et n’ont besoin que de peu de commentaires. Quoi de plus naturel que d’être haineux envers un adversaire qui mitraille des prisonniers sans défense ou qui enferme des civils dans une église avant d’y mettre le feu ? Bien sûr, dans la plupart des cas, il n’y a pas de fumée sans feu, mais parfois, faute de preuves filmées, l’on va s’évertuer à reconstituer la scène macabre ou bien simplement l’inventer. Cela est sans risques puisque l’on ne demandera pas à l’ennemi de se justifier ou d’infirmer les faits. L’industrie cinématographique avait déjà fait montre de toute l’horreur des champs de batailles de la Grande Guerre en stigmatisant l’ennemi, source de mort et désolation, mais les films de la guerre suivante allaient montrer du doigt non pas la guerre elle-même mais directement l’adversaire comme étant seul responsable de cette boucherie humaine des temps modernes. Les horreurs faisant l’objet des différentes productions seront essentiellement celles du champ de bataille, des bombardements aériens et des exécutions sommaires au sein de la population civile des pays conquis. Le thème des camps de concentration sera très peu traité, celui des camps d’extermination encore moins62, au grand dam des réfugiés politiques.

Ainsi les horreurs et crimes commis par Reinhard Heydrich63 en Europe occupée n’allaient pas tarder à se trouver sur les écrans des salles obscures. Fritz Lang réalisa Hangmen also die (Les Bourreaux meurent aussi) en 1943 pour le compte du groupe américain United Artists. Ce film dénonçait tous les crimes dont Heydrich et ses sbires étaient responsables. La Grande Bretagne pour sa part, et nous l’avons traité sous d’autres approches thématiques, mettait l’accent sur les bombardements lâches et meurtriers de la Luftwaffe, ainsi  que sur le non respect des règles des Conventions de Genève. Dès 1941, ce fut Target for Tonight, documentaire long métrage de Harry Watt (CFU, 1941) suivi de London can take it, (Londres peut encaisser), docu-fiction de Humphrey Jennings et de Harry Watt (Crown Film Unit, 1942) qui relataient les horreurs et le dégoût de cet acte de guerre qui consistait à lâcher des bombes explosives ou incendiaires sur la population civile et désarmée. La thématique du Blitz64 fut abondamment traitée pour plusieurs raisons propagandistes. Tout d’abord, il convenait d’exacerber la haine envers l’ennemi auprès des habitants qui n’avaient pas directement souffert de ces attaques aériennes, en les informant de ces faits par le biais du cinéma. Ensuite, il fallait que le peuple soit soudé, les épargnés aidant les sinistrés. Des images montraient notamment la famille royale portant aide et soutien directement sur sites. L’autre but était de bien montrer que la population ne cèderait pas sous le chantage et encore moins sous les bombes. Elle ne se rendrait pas, elle saurait encaisser. Pour finir, un formidable travail pédagogique était fourni par les autorités quant à la conduite à tenir en cas d’une telle attaque. Là était le rôle « positif » de la propagande filmée. Ces longs métrages, parmi tant d’autres que nous ne pourrons étudier faute de place, montraient aux spectateurs comment s’organiser en comités de défense passive, ralliés autour qui d’un chef de block, qui d’un responsable de rue ou d’immeuble entrainés par les autorités en cas de telles attaques. Bien sûr les moyens manquaient, mais pas les bonnes volontés et encore moins cette capacité d’adaptation qui faisait des Britanniques un grand peuple. On rappelait la façon d’utiliser son bon sens et les maigres moyens dévolus à la lutte anti-incendie. Avoir un seau d’eau handy (à portée de main), toujours plein au cas où, des récipients remplis de sable et une cloche pour appeler du secours et si possible un tuyau d’arrosage toujours branché et prêt à servir. Les mêmes instructions étaient données à la lettre (il est vrai qu’il n’y a pas des milliers de solutions pour combattre un incendie  avec des moyens de fortune)  par les autorités du Reich dès les premiers bombardements alliés qui suivirent65.

Ces films britanniques étaient la réponse du gouvernement pour contrecarrer le « stoïcisme passif »66 de la population qui aspirait à voir des actions plus agressives. Etait-ce vraiment une demande de la population ou bien une supposition des dirigeants ? C’est là que toute la propagande trouvait son sens et sa raison d’être. Nous revenons brièvement sur la production américaine d’avant leur entrée en guerre avec Crisis (Crise), d’Herbert Kline et Alexander Hamid (1939), qui décrivait la mainmise allemande sur les Sudètes comme une démonstration de la brutalité nazie qui n’allait pas tarder à s’étendre sur le Monde libre, et Lights Out in Europe (Des Lumières s’éteignent sur l’Europe) d’Herbert Kline (1940) qui dénonçait les atrocités allemandes sur la population civile polonaise dès le début de l’invasion qui déclencha la guerre. Ces initiatives privées, non commanditées par l’Administration étatsunienne, avaient pour but de faire basculer l’opinion des Américains en faveur d’une entrée en guerre auprès des Alliés67 devenant plus inévitable que jamais, les Etats-Unis se voulant les champions des démocraties libres. Nous réserverons d’autres films à d’autres thématiques afin d’essayer autant que faire se peut, de respecter la chaîne chronologique que nous allons essayer de suivre afin de rendre plus lisible cette analyse. Nous allons utiliser ces deux films pour faire la transition vers notre thème suivant, puisqu’après avoir dénigré l’ennemi en se gaussant de lui et après l’avoir accusé des pires horreurs, il va falloir tout mettre en œuvre pour faire rallier les neutres à sa propre cause. C’est ce jeu subtil qui va faire pencher la balance de plus en plus vers son côté, le but étant d’affaiblir l’adversaire en le décrédibilisant, pour ensuite le couper de ses sympathisants et pour au final lui damer le pion en lui interdisant des alliés que l’on va essayer de récupérer pour son propre compte.

Faire rallier les neutres à sa cause

L’Histoire de l’humanité ne saurait être écrite sans la moindre référence guerrière, les groupes d’individus se sont toujours regroupés au sein d’alliances, souvent temporaires et dénoncées le lendemain, lorsque les évènements ou l’adversité leur imposait cette union. Les choses ne sont pas différentes aujourd’hui, pas plus qu’elles ne l’étaient pendant la première moitié du XXème siècle. Le lecteur aura à l’esprit le simple incident que fut l’assassinat en pleine rue d’un archiduc autrichien, au demeurant haï par tous, y compris ses pairs, par un anarchiste serbe, anecdote (sur l’échelle du temps, du volume et de l’espace, au vu des génocides perpétués depuis que l’homme a découvert, puis perfectionné l’arme dans un but offensif) qui jettera dans l’abîme la quasi-totalité du monde industriel de 1914. C’est le jeu des alliances qui permit cette cascade macabre (la théorie des dominos étant réservée à l’expansionnisme communiste en Asie du sud-est pendant la Guerre Froide). En effet, des pays qui n’avaient pas de griefs particuliers à l’encontre d’autres se virent précipités dans un conflit qui ne les concernait pas forcément et qu’ils auraient sans doute évité s’ils avaient su qu’il allait être aussi meurtrier. Ainsi tous les pays membres du Commonwealth se trouvèrent de facto en guerre au côté du Royaume-Uni, bien souvent très enthousiastes (du moins au début), il faut bien l’admettre68. D’autres nations quant à elles, durent déclarer la guerre à d’autres tout simplement parce qu’elles avaient signé des accords dans ce sens. Nous retrouverons le même phénomène lors du déclenchement de la guerre suivante. La France et la Grande Bretagne qui avaient abandonné la Tchécoslovaquie à Hitler en 1938, n’eurent d’autre alternative, maintenant qu’il semblait évident que les ambitions nazies ne s’arrêteraient pas là,  que de déclarer la guerre deux jours après l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes.  On peut faire rallier des pays neutres, ou pas encore bien prononcés, à sa cause non seulement pour attirer les forces vives des autres (hommes, matériels, ressources), mais aussi et surtout pour en priver l’adversaire. C’est la démonstration simplifiée des vases communicants, l’un se remplit au fur et à mesure que l’autre se vide.

Montrer que l’ennemi ne s’arrêtera pas là

Nous avons vu en fin de titre précédent qu’il était facile de montrer que l’appétit et la soif de sang de l’ogre ne seront jamais assouvis ni étanchés. Les conditions du déclenchement et des premières étapes de la Deuxième Guerre mondiale furent presque immédiatement portées à l’écran par des professionnels de l’industrie cinématographique parce qu’ils pressentaient déjà que les dirigeants de l’Axe ne se contenteraient pas de ces quelques victoires faciles et rapides. Siege (Le Siège), de Julien Bryan, film américain de 1939 fut filmé à partir des toits de Varsovie afin de bien dépeindre la destruction systématique et ordonnée de la capitale polonaise. The Rape of Czechoslovakia (Le Viol de la Tchécoslovaquie) de Jiri Weiss, film britannique tourné la même année, montrait la mise en coupe réglée du pays  par les hordes nazies, la brutalité policière qui suivit l’invasion, tout en mettant en garde le reste de l’Europe que leur tour viendrait inexorablement, la faim du loup étant insatiable. Nous verrons que les Allemands feront la même chose quelques années plus tard pour justifier l’Opération Barbarossa69. De vastes campagnes de propagande antibolchévique orchestrées à travers l’Europe occupée et même au-delà  auront pour but de montrer que si le Reich n’avait pas eu le courage d’envahir l’URSS, c’est elle qui non seulement aurait écrasé l’Allemagne tôt ou tard, mais aussi tout le reste du continent européen70. Cette vaste « croisade européenne contre le bolchévisme » permit de recruter notamment plus d’un million de non-Allemands71 pour aller faire la guerre sur le front de l’est  contre l’allié d’hier72. GPU, ou Guepeou, film produit en 1942 par l’UFA et mis en scène par Karl Ritter, réalisateur de choc de Goebbels73 , aura pour objectif de montrer le côté abject de l’ennemi en soulignant que l’expansionnisme communiste ne s’arrêtera jamais si l’on n’y met pas un terme tout de suite et tous ensemble. Mais l’Allemagne n’avait pas attendu le déclenchement des hostilités pour mettre en garde le Monde contre le péril communiste, avec Weisse Sklaven (Esclaves blancs, ou Le Croiseur Sébastopol), de Karl Anton, produit en 1936. Ce film relatait les aventures de l’équipage d’un cuirassé entrant dans la rade de Sébastopol tandis que la révolte grondait dans la Russie de 1917. On aura rapidement fait le parallèle avec Le Cuirassé Potemkine, film soviétique de Sergei Eisenstein (1925) qui relatait les évènements de la Révolution Russe de 1905 sur mer (mutinerie de l’équipage se plaignant de la nourriture avariée) et sur terre (émeutiers civils fusillés par les troupes du Tsar et célèbre scène du landau dévalant l’escalier). Si le second film justifiait pleinement à lui tout seul le besoin de changer la société, le premier quant à lui dénonçait cette « peste rouge » qui ne pouvait que contaminer la race humaine toute entière. Il convenait de stopper la maladie.    

    Toujours dans la rubrique « hégémonie et éternelle soif du pouvoir », il peut être intéressant de noter l’existence d’un dessin animé de Tex Avery intitulé Blitz Wolf (Le Très méchant loup), qui sortit dans les salles en 1942. Les protagonistes sont bien sûr le loup et les trois petits cochons, incarnant Hitler (le loup se nomme Adolf Wolf) et Sergeant Pork74 pour l’ainé des cochons. Le film dénonce la naïveté de ceux qui peuvent avoir confiance dans un traité de non-agression signé par Adolf Wolf (le loup arbore ostensiblement la célèbre moustache de Hitler ainsi que sa mèche de cheveux si typique), tout en montrant la résolution d’un Sergeant York qui ne s’en laisse pas conter… C’est donc sous l’humour et la dérision qu’Avery s’attaque, au travers de ces personnages populaires que sont le loup et les cochons, à la perfidie hitlérienne et à l’objectif final des Nazis qui est de grignoter tous les pays du Monde afin d’accroître son empire du mal.  C’est juste après la tentative infructueuse des Alliés de débarquer à Dieppe en 1942 (Opération Jubilee) et les premiers débarquements américains à Guadalcanal qu’Avery eut l’idée d’utiliser les personnages de Walt Disney pour réaliser son propre dessin animé75. Il en profite pour annoncer en préambule : « Le loup qui apparaît dans le film n’est pas fictif. Toute ressemblance entre ce loup et cette canaille d’Hitler est parfaitement intentionnelle. » Voilà qui était parfaitement explicité.

    L’étape qui suivra logiquement l’avertissement selon lequel cela sera bientôt le tour des neutres et des tièdes de se faire attaquer, puis envahir avant de subir le joug de l’ennemi, sera de  démontrer que ces craintes étaient bien fondées puisqu’elles se sont réalisées, peut être pas chez l’interlocuteur directement, mais du moins chez ses voisins ou amis. Aussi bien l’on vous a laissé mener la lutte seul, et même si vous avez fait de votre mieux pour tenir bon et sauver l’honneur, maintenant il est temps de démontrer que vous ne pourrez guère continuer seul car vos moyens commencent à faire défaut.

Solliciter de l’aide en mettant en avant son propre sacrifice

Les Britanniques, derniers défenseurs de la démocratie face à l’Allemagne nazie dès la fin de la Bataille de France (mi-mai à fin juin 1940), se trouvaient être le seul et unique rempart narguant encore la Wehrmacht. En effet, les forces armées allemandes avaient réussi à bouter les débris des armées françaises et britanniques grâce à une doctrine d’emploi appelée Blitzkrieg76 . Une fois le continent débarrassé de ces dernières, il serait possible d’accomplir le grand rêve de Napoléon qui ne consistait pas moins à envahir l’Angleterre77. L’Opération Seelöwe78 allait pouvoir démarrer à condition  d’avoir la maîtrise du ciel avant de procéder à un débarquement du gros des troupes par moyens amphibies. Cette maîtrise du ciel, condition sine qua non du succès de l’entreprise, fut contrecarrée grâce à la détermination et l’extrême courage des pilotes de la RAF, dont les effectifs commençaient très sérieusement à être saignés à blanc79. Ce fut donc un combat diplomatique de longue haleine que mena le gouvernement de Sa Majesté dans le but de faire entrer les Etats-Unis dans cette guerre qui de toute façon allait bien finir par les toucher. L’étape intermédiaire pouvait être une aide financière ou matérielle, cela n’était pas si mal. De toute façon, l’Amérique était le grand frère idéologique et était déjà venu au secours de la vieille Europe lors du conflit mondial précédent. Il était notable qu’il n’y avait aucun doute quant à l’hostilité des Américains envers le régime hitlérien. Le légendaire isolationnisme des Américains allait bien céder la place à une conscience nationale qui ne pouvait pas laisser les coudées franches aux hordes nazies. C’est donc Churchill qui mena à bien personnellement les discussions avec le Président américain afin de faire basculer ce pays aux ressources semblant être sans limites. Nous ne rentrerons pas trop dans les détails de ces tractations car cela nous éloignerait de notre sujet d’étude que sont les films de propagande80.

Ainsi, des films que nous avons déjà évoqués pour illustrer d’autres approches thématiques furent largement distribués afin de bien montrer le sacrifice des Britanniques face aux assauts répétés des Allemands. Outre The Lion has Wings81, London Can Take It et Target for Tonight, déjà cités, ce furent The Dawn Guard, documentaire de Ray Boulting, commandé par le MOI et sorti en salles en 1941, Listen to Britain, docu-fiction de Humphrey Jennings, produit par Crown Film Unit la même année, qui montraient le sacrifice et la détermination du peuple britannique, tout en montrant qu’il ne pourrait guère continuer ainsi le combat seul bien longtemps. Le chef-d’œuvre du genre, en matière de propagande, si l’on se réfère à Goebbels lui-même, fut Foreign Correspondant, d’Alfred Hitchcock, produit en 1940 par United Artists. Ce film relatait les aventures d’un journaliste américain envoyé par son journal pour couvrir la guerre qui faisait rage en Angleterre (bombardements aériens) sur toile de fond de cinquième colonne et d’activité d’espionnage de la part des Allemands établis sur l’île qui contribuaient ainsi au sabotage et à la destruction de l’intérieur même du pays. La fin du film résume bien le but inavoué du film lorsque le reporter américain décrit à sa rédaction new-yorkaise par téléphone le chaos qui règne sur l’Angleterre, apocalypse dont il est le témoin direct, sinon une des futures victimes potentielles. Ce dernier lance une supplique désespérée en adjurant les Etats-Unis d’entrer en guerre immédiatement sans quoi l’Angleterre sera rayée définitivement de la carte, laissant ainsi le champ libre à ces barbares que sont les Nazis. Il est à noter qu’à l’origine le scénario de ce film avait été écrit pour sensibiliser les Américains à ce qui se passait pendant la Guerre d’Espagne qui prit fin avant que le scénario ne fut achevé. Ainsi l’histoire se répétait. Le message était fort et clair. Ce film était le préféré du maître de la propagande allemande. En effet, Goebbels y voyait là une production de première classe qui ferait sans aucun doute beaucoup d’effet sur les pays neutres ou ennemis du Reich82. Un tel hommage de sa part montre l’efficacité de ce film en matière de propagande.

Exhorter les neutres à choisir leur camp

Ainsi que nous l’avons énoncé, il est important pour les belligérants de s’assurer, au moins la neutralité bienveillante d’un pays tiers, au mieux son aide ou son ralliement. Ce sera un travail de longue haleine mené à bien par les deux partis tout au long de la guerre.

La jeune République d’Irlande, nous le savons, était neutre durant ce conflit, tandis qu’encore sous la coupe des Britanniques, elle n’avait eu d’autre choix que de combattre du côté de la Triple Entente durant la Grande Guerre. Néanmoins, la fidélité des Irlandais pour la Couronne dépendait surtout de leur couleur politique, à savoir, orange ou vert. Le leitmotiv des troupiers irlandais était d’ailleurs le suivant : « We do not fight for King nor for Kaiser, but for Ireland ! 83». Ces soldats (quel qu’en fut le bord politique) pensaient s’affranchir de la tutelle britannique en contribuant à la lutte commune. Du moins commencèrent-ils la guerre avec un enthousiasme relatif qui s’estompera au fur et à mesure que la guerre se transformera en boucherie générale. Cet intérêt somme toute moyen à participer à cette guerre qui ne les concernait guère (même si pour certains une bonne instruction militaire est toujours bonne à prendre, le maniement des armes est toujours très utile  pour un pays en proie à une guerre civile larvée) sera encore atténué à partir de 1916 qui allait apporter les premiers signes d’insurrection généralisée en Irlande84.

D’autre part, il faut garder à l’esprit que partant du principe que les ennemis de vos ennemis sont vos amis, précepte largement compris par le Kaiser85 durant la Guerre des Boers (1899-1902), mais aussi pendant les premières années de lutte des indépendantistes, ou patriotes, irlandais souhaitant rompre avec la Couronne. Ce furent des caisses entières de fusils Mauser et de munitions qui parvinrent clandestinement aux insurgés par voie maritime. Tout était bon pour déstabiliser l’autorité de la Grande Bretagne sur différentes parties du Monde. Cela n’allait être guère différent pendant la Seconde Guerre mondiale, les bonnes recettes pouvant toujours être réchauffées. Cela ne serait pas bien compliqué d’attiser la haine des Irlandais pour les Anglais encore une fois, puisque mêmes indépendants, du moins au sein de la République, d’aucuns ne se satisfaisaient pas de la partition qui avait laissé l’Ulster86 dans le giron de Sa Majesté.

Les Allemands se faisaient fort d’exploiter l’hostilité de l’étranger pour un ennemi commun87 et tout fut mis en œuvre par les services de propagande nazis pour stigmatiser le mépris de l’Anglais pour ce pauvre Paddy88. Les Allemands avaient compris que bien que neutre, la République d’Irlande avait néanmoins donné son accord pour que ses ports soient utilisés par les Alliés, en outre le Royaume-Uni était le premier partenaire commercial du pays. Ainsi, ce furent Der Fuchs von Glenarvon (Le Renard de Glenarvon), et Mein Leben für Irland (Ma vie pour l’Irlande), tous deux réalisés par Max Kimmich, respectivement en 1940 et en 1941 qui allaient rappeler aux Irlandais qui était leur ennemi de toujours. Il était principalement question dans le premier film de perfidie et de trahison (de la part des Anglais et des « loyalistes ») et d’esprit de sacrifice et de pureté d’âme pour leurs opposants. Le second film, « Recommandé pour sa valeur politique, artistique et à la jeunesse » par les services de Goebbels, met en exergue les mêmes valeurs citées plus haut, tout en allant plus loin dans le descriptif et dans le suggéré. On y trouve davantage de scènes de torture (bourreaux anglais, victimes irlandaises, cela va de soi), et l’idée de don de sa personne pour la cause, d’honneur, de respect de la parole donnée est particulièrement soulignée. Force est de constater, néanmoins, que ce type de propagande destiné au peuple irlandais où qu’il se trouve au moment de la projection de ces films, n’eut jamais le résultat escompté. La République d’Irlande allait camper sur ses positions, d’autant que l’immense armada américaine allait commencer à utiliser de plus en plus ses bases navales et aériennes.

La Grande Bretagne voulant se montrer comme le berceau de la démocratie à laquelle étaient liés, du moins culturellement, sinon idéologiquement, les Etats-Unis, ne sera pas en reste pour propagander la bonne parole pour amener ces derniers à rejoindre leur camp. Des films tels que Night Train To Munich, de Carol Reed (1940), In Which We Serve, de Noel Coward et David Lean, 49th Parallel, de Michael Bolton, Dangerous Moonlight, de Brian  Desmond  Hurst , tous  trois  de 1941 avaient comme but principal de

faire entrer en guerre les Etats-Unis89.  Les thèmes abordés par ces quatre œuvres  sont à nouveau le péril nazi, le sacrifice et l’aide  nécessaire pour poursuivre la lutte, devenue de plus en plus difficile lorsque l’on se retrouve seul face à un ennemi puissant et acharné. Le dernier film cité fait montre d’une thématique originale que d’aucuns pourraient qualifier de chantage à la conscience, ou aux consciences pour reprendre une expression de Jean-Luc Leleu90, déjà cité en référence dans nos travaux précédents. En effet, il s’agit d’un Britannique marié à une plantureuse Américaine qui va tout faire pour empêcher son époux de partir au front, ce qui semble normal de prime abord, de la part d’une épouse tenant à la vie de son mari. Nonobstant l’amour, les femmes britanniques sont montrées avant tout comme patriotes et feront tout pour motiver au contraire leurs conjoints pour aller se battre afin de défendre leur liberté, contrairement à cette Américaine opulente et égoïste qui ne pense qu’à sauvegarder ses intérêts personnels. Tout est dit. Tout est montré, car c’est l’Amérique entière qui est personnifiée au travers de cette femme. Comme toujours, il est très difficile de qualifier et de quantifier les résultats de la propagande, quel qu’en soit le vecteur, mais l’on peut gager que ce film a dû avoir un impact, même minime à lui tout seul. La propagande est un travail de fourmi qui nécessite énormément de temps et de travail acharné. C’est mettre bout à bout de façon récurrente un maximum de moyens et d’outils dont les aboutissements ne sont jamais mesurés avec précision, même a posteriori.

La Suisse deviendra très vite un « théâtre d’opérations psychologiques »91, même avant le déclenchement des premières hostilités, avec notamment des diffusions pléthoriques des fameuses UFA Wochenschau (l’équivalent Allemand des Newsreels britanniques, c'est-à-dire des courts documentaires d’informations diffusés dans les salles de cinéma). Le but sera de démontrer l’écrasante supériorité économique et militaire du Reich, afin de bien montrer aux résidents étrangers de la Communauté Helvétique qu’il valait mieux être du côté de l’Allemagne que contre elle.  Même la Commission de censure fédérale, active pendant toute la durée de la guerre, ne pourra  s’opposer à la projection de 2266 numéros d’actualités cinématographiques issus de l’UFA. Les titres les mieux distribués seront diffusés à raison d’une vingtaine de copies par semaine et seront d’autant plus « appréciés » que  la  production suisse , n’ayant  nullement  les  mêmes  moyens , ni les mêmes objectifs, demeurera de piètre niveau92.  Les Britanniques quant à eux préféreront diffuser en Suisse des longs métrages comme In Which We Serve, Coastal Command, de G.B. Holmes (1942), Flying Fortress, de Walter Forde (1942) et Ships With Wings, de Sergei Nolbandov (1942).  La propagande sur ce  support sera également  utilisée par les Italiens dans  ce pays  avec notamment  Uomini  sul  fondo, de  Francesco de  Robertis et La nave bianca, de Roberto Rossellini (1941) et Bengasi, d’Augusto Gennina l’année suivante. Ces deux pays voudront aussi montrer que les armes leur seraient forcément favorables.  

L’objectif des protagonistes de diffuser de la propagande dans les salles obscures helvétiques n’était bien sûr pas de convaincre la Suisse de se joindre à eux, tout le monde était bien convaincu de sa neutralité séculaire. Le but était double : montrer aux spectateurs que l’on allait gagner (intimidation des autochtones et des étrangers) et surtout convaincre le pays de demeurer un bon fournisseur (la Suisse était en effet fournisseur ou courtier en matières premières rares auprès des Allemands, des Britanniques et plus modestement des Italiens).  La Suède fut également bien fournie en matière de films de propagande par les deux camps à tel point que le gouvernement suédois expliqua qu’en présentant simultanément les actualités allemandes et anglaises, mais sans le son, la neutralité était respectée93.

    Nous avons essayé de comprendre dans cette étude comment chacun essayait de justifier ses actes, à domicile ou à l’étranger, chaque camp reportant la faute sur l’autre94 en essayant de convaincre que ses actions ou décisions n’étaient que des réactions logiques et normales imposées par l’adversaire. Ces quelques fractions95 de films que nous avons analysées nous ont montré comment les images pouvaient soustraire tout respect de l’ennemi, et au final dans quelle mesure l’on pouvait essayer d’obliger les pays neutres à prendre fait et cause pour son propre camp.  Nous allons constater une évolution dans l’utilisation de l’industrie cinématographique à partir du moment où les Etats-Unis vont entrer en guerre. Ces derniers mettront à disposition tout leur savoir et leurs immenses moyens techniques et financiers pour faire du cinéma une formidable machine de guerre, comme les Nazis en avaient fait un puissant outil politique. Ainsi nous pouvons lire dans La Seconde Guerre mondiale, vie et société96 :

« Un vent de panique souffle sur Hollywood, mais il sera de courte durée. Dès avant l’attaque surprise de Pearl Harbour, le mauvais sort est conjuré. L’intensification de la production reçoit une aide massive de la part du public qui s’agglutine devant les guichets des salles de cinéma et fait grimper le chiffre des recettes. L’Amérique entre en guerre : le cinéma sera l’appui moral des combattants et des civils. Roosevelt va nommer un ambassadeur à Hollywood, Lowell Mellit, véritable trait d’union entre la Maison Blanche et les Major Companies, qui veillera au développement des deux séries de films que le président recommande : une série pour distraire, une autre pour exalter. »

En effet, le déclenchement des hostilités incitait les spectateurs à fréquenter les salles obscures et l’argent rentrait à flots. Jamais la popularité du cinéma n’avait été aussi grande. Le cinémaappelait à la guerre et la guerre nourrissait le cinéma.

1  Le commandement militaire allemand avait déjà décidé d’utiliser le cinéma à des fins de propagande dès 1917 alors que la victoire devenait de plus en plus improbable. Monika Bellan, 100 ans de cinéma allemand, Paris, Ellipses, 2001, page 23 relative à la création de l’UFA.

2  L’expérience et le passé militaires de l’auteur permettent l’assertion de ces affirmations qui peuvent être aisément corroborées par d’autres spécialistes du renseignement et des opérations spéciales ou occultes (voir les titres d’ouvrages cités à la fin de ce dossier).

3  Maréchal Nikolaï Boulganine (1895-1975), homme politique soviétique et ancien Premier Secrétaire du Parti écrivit dans sa thèse de doctorat en sciences militaires : « La guerre moderne est une guerre psychologique. Les armées ne servent qu’à détourner une attaque ou, le cas échéant, à occuper un territoire déjà psychologiquement conquis. »

4  Aux Etats-Unis, le Congrès (Congress) est composé de la Chambre des Représentants (House of Representatives), correspondant plus ou moins à notre Assemblée Nationale, et par le Sénat (Senat), ayant à peu près les mêmes fonctions que son homologue français. Les représentants sont élus pour une période de deux ans, au prorata de la population de chaque Etat, et les sénateurs pour quatre ans, à raison de deux par Etat quelles qu’en soient sa taille et sa population.

5  Nous avons évoqué le sujet, notamment relatif à l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1941, ainsi que pendant la guerre du Vietnam et l’invasion récente de l’Irak, dans nos travaux précédents (TER M1).

6  En l’occurrence, ici, le Président et son gouvernement.

7  Le lecteur aura à l’esprit les fameuses « discussions au coin du feu » (fireside chats) du Président Roosevelt lors de la mise en place de la politique du New Deal dans les années 1930..

8 Détenu par le Congrès.

9  Nous citerons à titre d’exemple le référendum organisé en France par le Général de Gaule au début des années 1960 pour mettre fin à la Guerre d’Algérie (1954-1962), et plus récemment celui destiné à recueillir l’avis des Français concernant les statuts de l’Union Européenne.  

10  Frédéric Mitterrand, Les Aigles foudroyés, Paris, Editions Robert Laffont, 1997 ; Edvard Radzinsky, The Last Tsar, New York, Doubleday, 1992.

11 [11] N’oublions pas que Adolf Hitler fut élu Chancelier avant de se proclamer Führer (Guide en Allemand), poste combinant pour le cas, les rôles de Président et Chancelier, jusqu’alors dévolus à deux personnes différentes  jusqu’à la mort du Président Paul von Hindenburg en 1934.

12  Comme cela fut le cas avec les deux empereurs qui dirigèrent la France pendant le XIXème siècle, Napoléon Bonaparte, et plus tard son neveu, Napoléon III, qui notamment passa de Président élu à Président à vie avant de se faire couronner empereur à son tour. André Castelot, Bonaparte, Paris, Perrin, 1967, pages 13 à 36 et Georges Pradalié, Le Second Empire, Paris, PUF, 1957, pages 5 à 25.  

13  Film américain de Victor Flemming, George Cukor et Sam Wood (1939) qui situe l’action dans les Etats du sud des Etats-Unis à l’orée de la Guerre de Sécession. Ce long métrage, tiré du roman de Margaret Mitchell, connut un vif succès international grâce à la présence de tous les ingrédients qui font qu’un film devient un chef d’œuvre reconnu, attirant un vaste public.  Chacun y trouvera son compte : histoire d’amour, respect des valeurs traditionnelles d’antan, dépaysement historique et géographique, exaltation du mythe guerrier, rappel du code de l’honneur et de la fidélité, patriotisme, honnêteté intellectuelle et courage, par exemple.   

14  Ce film britannique d’ Alexander Korda (1939) qui mit en exergue les mêmes valeurs que celles citées précédemment,  relate les aventures d’un officier britannique (Harry Faversham, interprété par John Clements)  dont l’honneur a été bafoué, et qui n’aura de cesse de le recouvrer au travers de moult péripéties qui l’emmèneront jusqu’au Soudan de 1885 en pleine révolte derviche (le scénario était tiré du roman éponyme de A.E.W. Mason, paru en 1902, juste après la victoire britannique sur les Boers en Afrique du Sud).  Le spectateur y retrouvera la noblesse du combattant qui lutte pour une juste cause, l’honneur et la fidélité, et bien sûr une bonne et suffisante dose de romantisme pour attirer la gente féminine dans les salles obscures. Ce long métrage fut l’un des tout premiers films britanniques à être tourné en Technicolor, un procédé nouveau pour l’époque.   

15 [ Film français de Jean Grémillon (sorti dans les salles en 1937), qui plus modestement relatait les aventures militaires et romanesques d’un sous-officier (les héros des films américain et britannique cités plus haut étaient tous deux officiers) de la Coloniale. Lucien Bourrache, Spahi campé par un Jean Gabin qui allait connaître un immense succès par la suite, naviguait ainsi entre gloire militaire et déceptions sentimentales. Le scénario était inspiré du roman d’A. Beucler qui connut un fort succès dans les pays francophones.

16  Le Cinéma français sous l’occupation, (ouvrage collectif), Paris, René Château, pages 19 et 20.

17  Aujourd’hui appelées « Troupes de Marine » dans l’Armée Française (US Marines chez les Américains ou Royal Marines dans l’Armée Britannique), ces forces armées interarmes (on y trouve fantassins, artilleurs, sapeurs et cavaliers, par exemple) étaient destinées a être « projetées », selon l’expression consacrée, sur les théâtres d’opérations extérieurs, en l’occurrence à l’époque, les colonies. De nos jours, ces unités sont envoyées en priorité vers des missions militaires ou humanitaires en outre mer.      

18  Nous citerons à titre d’exemple les travaux de recherche de Claire Bowen (université du Havre), qui est spécialiste de l’image pendant la Grande Guerre, relatifs à Ernst Friedrich, qui fut l’avocat de l’anti-guerre en montrant notamment toute son atrocité au travers de photographies de soldats mutilés. Ces travaux nous furent présentés lors d’un séminaire pluridisciplinaire sur les propagandes le 3 mai 2007 à l’université de Caen.

19  Serge Tchakhotine, Le Viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952, page 261 et passim où il nous fait part d’une expérience menée par lui lorsqu’il était directeur de la propagande pour le Parti Socialiste dans l’Allemagne des années 1920, pendant l’avènement du Nazisme. Son étude porte notamment sur un échantillonnage de villes allemandes de 60.000 habitants environ où, selon lui, « On peut constater que dans une ville de 60.000 électeurs, il n’y a que 4 à 5000 personnes environ qui peuvent être considérées comme éléments actifs, et cela, compte tenu des partis politiques. Cependant, les 55.000 personnes passives ont le même droit de vote que les autres. C’est donc d’eux, au fond, que dépend le résultat politique des élections. La propagande aura pour tâche de les influencer pour les gagner à sa cause car ces 55.000 passifs ne viennent pas aux assemblées et ne lisent pas les journaux politiques.»   

20  Idem, page 201.

21  Recrutés et formés par ce dernier pour servir de navettes et d’agents de liaison pendant le siège de Mafikeng (déformé et appelé à tord Mafeking par les Anglais) lors de la Guerre des Boers (1899-1902) en Afrique du Sud, pour évoluer et devenir le mouvement international que nous connaissons aujourd’hui.

22  Eugen Weber, Action Française, Stanford, Stanford University Press, 1962, pages 19 à 109 relatives à la préparation physique, politique, militaire, matérielle et intellectuelle à la guerre de la France.  

23  Notre TER Master 1 intitulé The Vagaries of British Propaganda (1939-1945), session 2006-2007 où nous traitions en préambule des généralités de la propagande sous diverses formes utilisée avant, pendant et après la Grande Guerre avant d’analyser notre corpus traitant des films de propagande britanniques de la Deuxième Guerre mondiale en dernière partie. .

24  Réalisé par Lewis Milestone avec dans les rôles principaux Lew Ayres et Louis Wolheim, d’après le mondialement célèbre roman éponyme d’Erich Maria Remarque, traduit en Français par Alzir Hella et Olivier Bournac la même année pour les Editions Stock, Paris. Ce roman sera le premier d’une série de cinq traitant de la Grande Guerre et des années qui suivirent.

25  D’après l’œuvre de Roland Dorgelès, Les Croix de bois, Paris, Albin Michel, 1919. Le film mettait en scène Pierre Blanchar, dans le rôle de Gilbert Demachy et Charles Vanel, dans celui du Caporal Féval.

26  Nous renverrons le lecteur qui s’intéresse davantage à l’aspect psychosociologique qu’historique des médias du sujet traité vers des œuvres citées dans la bibliographie figurant à la fin de cette étude, afin d’éviter une présentation qui ressemblerait trop à un catalogue. Nous ajoutons que cette bibliographie, non exhaustive mais néanmoins assez complète pour ce qui concerne notre sujet, a été et demeure l’ossature essentielle de nos travaux et nous en recommandons la lecture pour en élargir le spectre d’analyse.     

27  Partie d’un discours de Paul Reynaud adressé à la population française au début de la Campagne de France, en mai 1940. Il était Président du Conseil à l’époque. Nous avons déjà évoqué ce discours dans nos travaux antérieurs, en toute première partie.

28  Nom de l’Armée Allemande qui avait remplacé la Reichswehr dès l’accès au pouvoir des Nazis. Elle se décline en trois armées, la Heer, ou Armée de Terre, la Kriegsmarine, Marine de guerre, et la Luftwaffe, Armée de l’air. Jacques Benoist-Méchin, Histoire de l’Armée Allemande (10 volumes), Paris, Albin Michel, 1936 et 1964. Cette œuvre de référence est l’une des plus complètes sur les forces militaires allemandes.  

29  Les principes mêmes de la Blitzkrieg (Guerre éclair) démontreront que la Doctrine d’emploi de ces matériels est bien plus importante que leur quantité. Charles de Gaulle, Vers l’Armée de métier, Paris, Berger-Levrault, 1934, pages 131 à 180.

30  Des documentaires montrant la puissance et la supériorité du matériel et de l’Armée Allemande ainsi que du peuple allemand précédaient toujours les longs métrages, quand ce n’étaient pas des films complets destinés à des buts de propagande pure comme par exemple les monumentaux Triumpf des Willens (Le Triomphe de la volonté) de Leni Riefenstahl, égérie du Führer, qui montrait l’accès au pouvoir de ce dernier en faisant montre de rassemblements et défilés gigantesques ne pouvant que susciter l’adhésion totale et sans limite de la population rassurée (tant de gens ne peuvent quand même pas se tromper) et Olympia, sorti également en 1936, qui soulignait la supériorité de la race aryenne en général et de la germanique en particulier par le biais des Jeux Olympiques de Berlin de 1936. Ces deux films avaient été commandés en direct par le NSDAP pour être très largement diffusés en Allemagne, et bien sûr à l’étranger.  

31  Terme peu flatteur désignant un civil.

32  George L. Mosse, Nazi Culture, London, W.H. Allen, 1966, pages 41 à 55.

33  Spécialité traitant de l’étude des médailles et autres décorations militaires. Philippe Lamarque, historien militaire de grande renommée a écrit beaucoup d’ouvrages sur le sujet.

34  Documentaires filmés qui étaient insérés dans les programmes plus ludiques présentés dans les salles de cinéma britanniques.

35  Anthony Rhodes, La Propagande dans la Seconde Guerre mondiale, Paris, Presses de la Cité, 1989, page 297 où il nous rappelle que la Grande Bretagne, ayant dix années d’expérience antérieure des films documentaires, était mieux préparée que tout autre pays à utiliser ce moyen au cours de la guerre.

36  Renée Dickason et Xavier Cervantes (coordonné par), La propagande au Royaume-Uni, de la Renaissance à l’Internet, Paris, Ellipses, 2002, page 163, chapitre 5 intitulé Propagande, publicité, communication culturelle : le cas du XXème siècle, de Renée Dickason.  

37  Pierre Nord, L’Intoxication, Paris Editions Rencontre, 1971, page 127. Pierre Nord reste aujourd’hui le  spécialiste français de référence en matière de Guerre subversive. Officier de Renseignement entre les deux guerres mondiales, lors de la Seconde Guerre mondiale et pendant la Guerre Froide, il a jeté les bases du Renseignement militaire moderne. Ses travaux sont toujours en 2007 au programme de la Special Warfare School de Fort Bragg, en Caroline du Nord. Cette école n’est autre que le Centre de formation des fameux Bérets Verts, les Forces Spéciales de l’Armée Américaine.

38  Marion Yass, This is Your war, London, Her Majesty’s Stationary Office, 1983, pages 10 à 18.

39  Gilbert Millat nous a fait une communication particulièrement intéressante sur le sujet le 21 octobre 2006 à la MRSH de Caen. Son intervention était intitulée Figures de haine dans le dessin de presse britannique. Gilbert Millat est responsable de l’Atelier Septentrional d’Etudes et de Recherches en Civilisation Britannique, à l’université de Lille 3 Charles de Gaulle.   

40  La mention Deutschland Erwache (Allemagne Réveille-toi) figurait sur les bannières SA qui étaient présentes à toutes les manifestations nazies. Frédéric Reider, L’Ordre SS, histoire de la SS par l’image,  Paris, Editions de la Pensée Moderne, 1975, page 26.

41  Les Allemands faisaient ainsi référence au Traité de Versailles, tant honni, qui les avaient humiliés et ruinés à l’issue de la Grande Guerre. La signature de cet armistice avait été vécue par une partie du peuple allemand, et en particulier par une grande partie des combattants, comme un « coup de poignard dans le dos »,  acte fomenté par les socialistes alors que les militaires étaient encore convaincus d’être victorieux.  

42  De Svend Nolan, produit par Deutsche Filmgesellschaft et sorti en salle en 1941.

43  A l’inverse de la bleu-blanc-rouge peinte sur les ailes et empennages des avions français, dont les pilotes se sont battus avec courage et jusqu’au sacrifice ultime, il faut le rappeler, pendant la Bataille de France.

44  Croix de Saint Georges (Saint Patron de la Russie et de la Grèce orthodoxes, d’où le nom Croix des Balkans…et de l’Angleterre, puisqu’il y terrassa le dragon, selon la légende consacrée) de couleur noire, pour les engins terrestres et aériens de la Wehrmacht, et ourlée d’un fin contour blanc. Ce marquage, s’apparentant avec une Croix de Fer stylisée et simplifiée, avait été choisi par les Allemands pour sa facilité d’identification. Cette symbolique avait déjà été utilisée pendant les années de lutte d’un Parti Nazi en quête du pouvoir dans les années 1920, puisqu’elle figurait sur les camions transportant les militants prêts à « donner le coup de poing ». Les Corps-Francs allemands (Freikorps) l’utilisaient également sur leurs véhicules dès 1919. Ernst von Salomon, Die Geächteten (Les Réprouvés), Paris, Plon (pour l’édition française), 1930, page 76 et passim.    

45  Sun Tzu, L’Art de la guerre, écrit probablement il y a vingt-cinq siècles en Chine, Paris, ISC-Economica, 2004, préceptes tirés par des commentateurs postérieurs et cités dans Vladimir Volkoff, La Désinformation, arme de guerre, Paris, Julliard/L’Age de l’Homme, 1986, pages 25 et 26 (chapitre 1 intitulé Le Prophète de la désinformation, Sun Tzu).

46  Comme le fit non sans aplomb Herman Göring à un Chamberlain médusé lors de la signature des Accords de Munich en 1938, affirmant avec véhémence que contrairement aux Anglais qui avaient parqué les familles boers pour les affamer afin de briser le moral des combattants, le Reich, quant à lui, enfermait les « éléments antisociaux et inadaptés » dans des lieux sûrs afin de les soustraire à la vindicte populaire.

47  Goebbels écrivit à moult reprises dans ses Mémoires qu’une propagande efficace était celle qui ne se remarquait plus tellement elle était « fondue dans la masse ». Joseph Goebbels, The Goebbels Diaries, London, Hamish Hamilton, 1948.

48  Ce film était sorti en salles en couleur mais n’est malheureusement disponible en vidéo qu’en noir et blanc.

49  Il s’agit de Constant Rémy, Jean Galland, Paul Azay, Junie Astor et Hubert Daix que nous reverrons dans 2ème Bureau contre Kommandandur, mis en scène par René Jayet, et bien d’autres films d’espionnage.

50  Thématique que nous retrouverons à grand renfort de productions d’après guerre (la Deuxième). Nos camarades militaires allemands s’en offusquent d’ailleurs en voyant les Mur de l’Atlantique, Grande Vadrouille et consorts en nous rappelant sans cesse qu’une armée présentée comme si stupide n’aurait jamais tenu en haleine aussi longtemps la quasi-totalité de l’Europe continentale, une partie de l’Afrique du Nord et la Russie jusqu’aux portes de Moscou.  Nous les rassurons en leur expliquant que ces films d’humour sont très populaires en France et qu’ils tentent de faire oublier les « années noires » et la honte de la collaboration. Il est intéressant de constater que les films allemands traitant du même sujet montrent à contrario un ennemi toujours plus fort et digne d’être combattu par la Wehrmacht car les Allemands ne voient pas l’intérêt de montrer leur supériorité devant un ennemi faible, filmographie d’après guerre s’entend.

51  C’était le sort réservé à l’époque aux espions ou autres francs-tireurs qui ne revêtaient pas d’uniforme clairement identifiable tout en menant une action de lutte, considérée comme subversive. Nous nous sommes amusés à déceler les anachronismes et autres petits détails erronés (déformation professionnelle) et n’en avons relevé qu’un digne d’être rapporté. Il s’agit du fusil utilisé par les troupiers prussiens ; ils ont tous, sans exception (on en voit des douzaines), des fusils Mauser belges modèles 1889 de 7,65 mm en lieu et place du plus règlementaire Mauser Gewehr  d’ordonnance modèle 1898 de 7,92 mm utilisé par les armées du Kaiser à l’époque. Mais ne chipotons point, le film est excellent et nous sommes sûrs que le public n’aura pas remarqué ce petit détail technico-militaire.   

52  Dans l’Armée Française, l’on trouve des « bureaux », de l’échelon du bataillon jusqu’à celui de l’Etat-major des Armées. Le Premier Bureau s’occupe des personnels et de l’administration, le Deuxième, le lecteur l’aura compris, du Renseignement (espionnage et contre-espionnage), il est l’œil et l’oreille du Troisième Bureau, qui est lui le cerveau car il s’occupe des Plans et Opérations, le Quatrième traite de la logistique et pour finir, le Cinquième Bureau (créé en 1915 et dont la mission fut modifiée à la fin des années 1930 pour être finalement dissout après la Guerre D’Algérie, en 1962) se spécialisait dans la Guerre Psychologique (actions et opérations occultes et subversives). Ce bureau relève aujourd’hui de l’Etat-major directement. Il n’existe officiellement pas sur le papier et tous ses personnels sont « détachés » d’unités extérieures, comme c’est le cas dans la plupart des armées modernes.    

53  Ce film, tout comme Passeurs d’hommes, cité plus haut est disponible en prêt gratuit à la médiathèque du Musée Mémorial pour la paix de Caen dans le rayonnage consacré aux films de guerre.

54  Dessinateur de dessins humoristiques, dans la langue anglaise.

55  Nous renvoyons le lecteur qui souhaite en savoir plus vers notre TER M1, page 114, le travail présenté ici n’ayant pas pour vocation d’être la version française de notre dossier précédent.

56  Ce film figure à la collection des œuvres en prêt gracieux au Musée Mémorial pour la paix de Caen.

57  Un dicton populaire très répandu en Grande Bretagne depuis la Deuxième Guerre mondiale disait à qui voulait bien l’entendre, que la liste des héros militaires italiens de cette guerre pouvait tenir sur un timbre poste (souvenirs personnels de l’auteur qui vécut en Angleterre de 1976 à 1982 quand cet adage était devenu une forme de Joke, c'est-à-dire une blague, encore bien en vogue de nos jours). Les légendes sont parfois tenaces, même si elles peuvent être, souvent, exagérées et pas toujours vraiment fondées.

58  Terme utilisé par Philippe Pilard, Histoire du cinéma britannique, Paris, Editions Nathan, 1996, page 43.

59 [ Guide, en Italien. C’était le titre officiel donné à Benito Mussolini.

60  Le lecteur aura à l’esprit les images (photos ou films) montrant Mussolini branler du chef en exhibant un menton volontaire, les poings martialement enfoncés sur les hanches.

61  La plupart des dirigeants des « major compagnies » étaient d’origine juive et avaient fui le nazisme et de fait connaissaient la menace que faisait peser la politique hitlérienne sur le Monde libre. Patrick Brion, Le Cinéma de guerre, Paris, Editions de la Martinière, 1996, pages 83 et 85.

62  Les officiers SS responsables des exécutions massives n’hésitaient pas à filmer leurs forfaits pour la postérité, sûrs de leur bon droit. C’est seulement vers la fin de la guerre, voyant leur cause perdue et les Alliés approcher, qu’ils décidèrent de détruire leurs collections cinématographiques privées. Quelques unes furent néanmoins retrouvées et furent utilisées contre eux lors des procès de Nuremberg.   

63  Son grade était celui de Général SS et son titre Reichsprotektor de Bohême-Moravie, où il résidait dans un château non loin de Prague. Ses fonctions étaient larges et vastes, son pouvoir quasi sans limites. Seul Hitler ne le craignait pas. Il était pressenti pour remplacer le Führer un jour ou l’autre. Il avait des dossiers extrêmement compromettants sur tout le monde, y compris les plus hauts dignitaires du parti. Il était le chef de la toute puissante RSHA et de fait contrôlait tous les services de sécurité du Reich et des territoires occupés. C’est lui qui mit en place la « solution finale de la Question juive » lors de la conférence de Wannsee en 1942 (vidéo disponible au Mémorial de Caen). Il était appelé par les habitants des territoires occupés le « boucher de Prague », ce qui lui a valu d’être exécuté par un petit commando de partisans tchèques parachuté par les Britanniques en 1942. Il avait 38 ans. La petite ville tchèque de Lidice fut intégralement rasée et définitivement rayée de la carte et tous ses habitants impitoyablement massacrés en représailles.  Ce soudard machiavélique (il raffolait de femmes, de bagarres et de soirées bien arrosées) était  un sportif accompli : meilleur escrimeur d’Europe en son temps, il était également tireur émérite, pilote de chasse confirmé, marin expérimenté (il avait commencé sa carrière dans la marine de Weimar), il était aussi musicien (il jouait du violon). Ses détracteurs le qualifiaient d’intellectuel très moyen, ce qui est tout à fait faux car il était d’une intelligence redoutable et était particulièrement instruit. D’aucuns ont même affirmé qu’il était d’ascendance juive, ce qui est peut être vrai pour un de ses grands-parents, mais il est vrai qu’il était bien placé pour occulter ce détail. Il portait en outre le sobriquet de violoniste de la mort. Georges Paillard et Claude Rougerie, Reinhard Heydrich, le violoniste de la mort, Paris, Le Cercle du nouveau livre, 1973 ; André Brissaud, Les Agents de Lucifer, Paris, Librairie académique Perrin, 1975.

64  Nom donné a l’ensemble des opérations de  bombardements allemands sur les villes de Grande Bretagne, cela signifie éclair en allemand et fait à la fois référence aux éclairs dues aux explosions, et aux éclairs (flash en anglais, bien que le vocable allemand était usité) sortant des bouches à feu de la DCA britannique.

65  L’auteur tient à disposition en prêt toute sa collection privée d’Histoire Parallèle enregistrée il y a une quinzaine d’années sur Arte / La Sept (il y avait une émission toutes les semaines où Marc Ferro interviewait une personnalité de chaque pays concerné, historien ou témoin), montrant les informations filmées et diffusées en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie et en France durant cette époque. En effet il sera difficile de tout faire figurer en annexes (il y a plus de quarante vidéocassettes de deux à quatre heures chacune).

66  Anthony Rhodes, La Propagande dans la Seconde Guerre Mondiale, op. cit., page 227.

67 [67] C'est-à-dire du seul Royaume-Uni quand le film sortira.

68  Bernard Porter, The Lion’s Share, London, Longman, 1997 pour la troisième édition, pages 239 à 264.

69  Opération Barberousse en français, c’était le nom de code donné par les Allemands à l’invasion de l’Union soviétique par la Wehrmacht en juin 1941.

70  Cinéma et Histoire, Marc Ferro, Paris, Gallimard, nouvelle édition refondue en 1993, pages 127 et 128. Marc Ferro fut le premier historien occidental à avoir accès aux archives soviétiques et il a ainsi pu renouveler l’étude de l’histoire de l’URSS de façon significative.  

71  Presque un million rejoignirent les rangs de la trentaine d’unités Waffen SS réservées aux étrangers. D’autres unités furent également mises en place dès 1941, comme par exemple l’Armée de Vlassov (100.000 cosaques anticommunistes qui avaient déserté les rangs de l’Armée Rouge), la Division Azul, composée de volontaires espagnols envoyés par Franco (il devait bien cela à Hitler), la Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme, appelée simplement LVF, une Légion Indienne, etc.…   

72  Le Pacte de non agression signé par Molotov et von Ribbentrop en 1939 était de fait devenu caduc.

73  Nous reprenons ici l’expression utilisée par Francis Courtade et Pierre Cadars dans leur ouvrage très complet intitulé Histoire du Cinéma Nazi, Paris, Eric Losfeld, 1972, page 185.   

74  Sergeant Pork en référence à Sergeant York, personnage et héros mythique américain de la Grande Guerre qui alimenta moult bandes dessinées et fut porté à l’écran par Howard Hanks en 1941 sous le titre éponyme. Le héros, bien malgré lui, Alvin York fut campé par un Gary Cooper qui commençait à être connu des cinéphiles outre-Atlantique. Ce sergent devint célèbre par un acte de bravoure exceptionnel lorsqu’il prit à parti un nid de mitrailleuse ennemie pour ensuite donner l’assaut et faire 132 prisonniers avec l’aide de sept de ses camarades. Sergeant York représente dans le légendaire militaire américain la volonté intrinsèque de ne jamais accepter la défaite. Il incarne tout ce qui est honorable dans la monde militaire : courage, bravoure, respect des ordres reçus et de l’adversaire, ténacité et esprit de sacrifice. L’Armée Américaine commanda la fabrication d’un char antiaérien doté de  canons jumelés de 40 mm à tir rapide auprès de General Dynamics en 1978 et de Ford en 1980, lesquels sont toujours en service de nos jours. Cet engin s’appelle le Sergeant York. F.M. von Senger und Etterling, Tanks of the World 1983, London, Arms and Armour Press, 1983, pages 540, 541 et 542.    

75  Patrick Brion, Le Cinéma de Guerre, op. cit., page 103.

76  Tactique opérative qui consiste à attaquer le front faible de l’ennemi avec ses forces les plus vives, utilisant notamment le couple char-avion comme moyen de rupture. Ce mot signifie Guerre-Eclair en Allemand. Plus de détails sur l’origine de cette forme de combat figurent dans nos travaux antérieurs de Master 1.

77  L’historien ne peut manquer de comparer ces deux conquérants que furent Hitler et Napoléon. Tous deux étaient d’origine modeste, devinrent caporaux, puis chefs d’Etats commandant en chef leurs armées respectives. Ils voulurent tous deux envahir l’Angleterre, échouèrent dans ce projet et se « rabattirent » sur une attaque de la Russie avant d’être vaincus tous deux par le « Général Hiver ». Desmond Seward, Napoleon & Hitler, A Comparative Biographie, London, Harrap, 1988.

78  Nom de code donné par les Allemands à l’opération qui devait consister à envahir la Grande Bretagne par ses côtes sud. Seelöwe signifie Otarie, ou Lion de Mer, qui est un mammifère maritime à poils longs.

79 Les pilotes sont normalement des officiers, alors qu’un énorme nombre de ceux de la RAF étaient sous-officiers pour pallier le manque d’effectifs. Il faut ajouter à leur nombre un fort contingent de pilotes chevronnés ayant réussi à fuir leurs pays vaincus par les Nazis. Aussi, les pilotes britanniques combattirent avec à leurs côtés des Belges, des Français, des Norvégiens et des Polonais, pour ne citer qu’eux et il y avait également des pilotes américains, engagés à titre privé avant l’entrée en guerre des Etats-Unis.

80  Le lecteur pourra se reporter à l’ouvrage de Nicholas Cull, The British Propaganda against American Neutrality, London, OUP, 1995 et à celui de Jon Meacham, Franklin and Winston, London, Granta Books, 2003. Ce dernier donne beaucoup de détails sur les discussions des deux hommes d’Etat concernant l’entrée en guerre des Etats-Unis au côté des Britanniques, ainsi que toute l’aide que pourraient accorder les premiers aux seconds.

81  Ce film avait d’ailleurs bien amusé Hitler et ses complices lorsqu’ils se l’étaient fait projeter  à Berlin. Philippe Pilard, Histoire du cinéma britannique, Paris, Nathan, pages 36 et 37.

82  Joe Morella, Edward Epstein et John Griggs, Films of World War II, Secausus, Citadel Press, 1984, page 38.

83 ]«  Nous ne combattons ni pour le Roi (d’Angleterre), ni pour le Kaiser (Guillaume II), mais pour l’Irlande ! » Cette phrase figure sur tellement de documents que nous n’allons pas en énumérer un catalogue. Cela n’apporterait rien à l’Histoire.

84  R.F. Foster, Modern Ireland 1600-1972, London, Penguin Books, 1989, pages 461 et suivantes ; Charles Townsend, Ireland, The 20th Century, London, Arnold, 1998, pages 68 à 86.

85  L’Armée des Boers avait reçu des canons des Français et d’énormes quantités de fusils Mauser allemands avec les munitions correspondantes. Les Allemands avaient très largement contribué financièrement et matériellement à l’équipement et à la subsistance des Afrikaners (ou Boers) qui menaient une lutte acharnée contre l’envahisseur britannique. Les fusils fournis par les Allemands étaient ultra modernes pour l’époque puisqu’il s’agissait du fusil à répétition (5 coups) et à chargement rapide par lame-chargeur (les Anglais devaient introduire leurs cartouches une à une) modèle 1896. Ce fusil et ses avatars resterons en service jusqu’en Yougoslavie qui fut le tout dernier pays à encore utiliser ce type d’arme dans les années 1990, parmi des armes plus modernes bien entendu. L’armée Yougoslave fut en outre la dernière à utiliser le calibre allemand de 7,92 mm déjà utilisé pendant la Grande Guerre. Les Boers utilisaient du  7mm.

86  Nom de la province du nord-est, appelée, à tord selon beaucoup d’Irlandais, Irlande du Nord.

87  Francis Courtade et Pierre Cadars, Histoire du cinéma nazi, op. cit. page 72.

88  Nous utilisons cette antonomase à dessein puisqu’il est usité par les Britanniques pour nommer, avec mépris ou condescendance, les Irlandais.    

89  Julie Zaugg in Gianni Haver (dir.) La Suisse, les Alliés et le cinéma, Lausanne, Editions Antipodes, 2001, pages 35 à 46 du chapitre intitulé : La guerre se gagne avant tout « à la maison » : le cinéma de fiction anglais.

90  Historien de la Deuxième Guerre mondiale au Centre de Recherche en Histoire Quantitative à l’université de Caen. Il a récemment écrit un ouvrage très complet sur le recrutement de la Waffen SS.

91  Comme le deviendra l’Autriche, véritable nid d’espions, au tout début de la Guerre Froide. L’Autriche fut la seule concession que refusèrent les Alliés à Staline, suite aux accords de Yalta, puis de Potsdam.

92  

 Gianni Haver, op. cit., pages 82 et 83 du chapitre intitulé : Images de guerre sur les écrans suisses.  

93  Marc Ferro, Cinéma et histoire, op. cit., page 66. Cet historien du cinéma nous précise dans son ouvrage (pages 35 à 40) que le cinéma était considéré comme un « art mineur » et que l’image n’était aucunement considérée comme « preuve valable » contrairement au texte (époque du cinéma muet ou les dialogues étaient inscrits sur des « cartons » et avaient, eux, plus de valeur que l’image au niveau des droits d’auteur). Cet a priori resta valable dans les années qui suivirent, ainsi, les Suédois avaient l’impression d’éviter toute forme de propagande en supprimant le son (on était à l’époque du cinéma parlant). C’est bien là que le « sacré de l’écrit » prend tout son sens puisque Ferro nous explique que l’image était qualifiée d’ « information prostituée », pouvant être facilement tronquée, alors que l’écrit était quelque chose de fiable. Or chacun sait que le papier ne refuse pas l’encre comme nous le rappelle l’adage populaire et il est évident que les écrits peuvent très bien falsifier la réalité, d’ailleurs certainement plus aisément que l’image, d’où notre étonnement face à cette évocation.

94  L’historien britannique A.J.P. Taylor nous explique dans son ouvrage The Origins of the Second World War, London, Penguin, 1991, page 265, qu’Hitler fut contraint par les événements de conquérir la Pologne et qu’en aucune façon cette attaque faisait partie d’un plan programmé à l’avance. Selon Taylor, il ne souhaitait que le retour de Dantzig à la mère patrie. Il précise également (information corroborée par Ferro qui eut accès aux archives soviétiques, nous l’avons déjà évoqué), que l’Allemagne se lança à l’assaut de l’Union Soviétique en juin 1941 car il semblait évident que Staline avait prévu d’attaquer le Reich en 1942-1943. En effet, ce dernier avait même anticipé une attaque allemande puisqu’il avait fait construire une grande quantité d’usines de chars et de canons en Sibérie, loin de toute attaque immédiate. Il faut souligner que Taylor fut largement critiqué et accusé de révisionnisme lorsque son livre fut publié pour la première fois en 1963 (édition originale) à cause de ces affirmations. Ferro ne fut guère mieux loti avec ses travaux dont l’édition originale date de 1977. Il s’est explique d’ailleurs dans son édition refondue de 1993. C’est seulement quand parut Le Brise glace de Victor Souvorov (Paris, Plon) en 1989, que l’ « Histoire officielle » reconnut ces faits.

95  Nous n’avons choisi que des extraits illustrant la thématique abordée par chaque section.

96  Jean-Loup Passek, dans le chapitre intitulé La vie culturelle, section Le cinéma, in La Seconde Guerre mondiale, vie et société, présenté par Guillaume Prevost, Paris, Larousse, 1992, page 119.

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