AVANT-PROPOS
Nous avons choisi de relater le travail assez peu connu d’un reporter britannique qui devint un redoutable spécialiste de la Guerre subversive au service de Sa Majestéi et qui œuvra dans l’ombre pendant la Seconde Guerre mondiale et durant les quelques années qui suivirent, cet homme s’appelait Sefton Delmer. Il avait commencé sa carrière en qualité de journaliste, était devenu un véritable spécialiste des Opérations Psychologiques, et a été reconnu par ses pairs, y compris chez l’ennemi, comme le Maître de la Propagande Noire.
Pendant cette guerre totale, les Allemands furent sans doute les utilisateurs les plus efficaces de ce que l’on nomme la Propagande Blanche, c'est-à-dire la propagation d’idées visant à la fois leur propre population, leurs alliés, les pays neutres ainsi que leurs ennemis. Cette forme de propagande est classée « blanche » par les spécialistes de l’Action et de la Guerre Psychologiques car il n’y a aucun doute quant à l’origine : l’émetteur est clairement identifié et la source est bien connue, revendiquant clairement ses propos. Ce type de propagande n’était certes pas l’apanage des seuls Allemands puisqu’à la même époque d’autres nations le mettaient en œuvre à plus ou moins vaste échelle et avec une efficacité qui pouvait varier selon les moyens et la forme de gouvernance, la propagande d’Etat étant souvent liée au totalitarisme, mais pas seulement, nous le verrons.
Les Britanniques, qui étaient restés seuls en lice après la débâcle de juin 1940, firent également usage de cette sorte de propagande, que nous continuerons de qualifier de « blanche », pendant toute la durée de la guerre, avec pour objectifs de convaincre, d’informer, de désinformer, d’instruire ou tout simplement de proposer une autre version des événements, contrecarrant ainsi les bulletins officiels émis par les Allemands, maîtres du continent depuis leurs nombreuses victoires à l’ouest. Parallèlement à ce genre de propagande somme toute classique, ces mêmes Britanniques, sous l’impulsion d’un Churchill déjà bien rompu à toutes sortes de « coups tordus »ii, allaient passer très vite à l’étape supérieure, la Propagande Noire, celle qui prétend être diffusée par l’ennemi lui-même et qui vise sa propre population, ses propres troupes, dans le but de saper son moral en éloignant peu à peu les combattants de leurs chefs et les citoyens de leurs leaders politiques.
Cette autre forme de propagande, dite « noire »iii, prétendait être émise par d’authentiques « bons Allemands », civils ou militaires, qui, bien que loyaux envers leurs dirigeants, commençaient néanmoins à émettre de sérieux doutes quant à la victoire finale. En réalité, ces opérateurs étaient des patriotes allemands déçus par leur Führer, des intellectuels opposants au régime nazi, des militaires qui avaient déserté pour diverses raisons, des transfuges qui en avaient assez du rationnement et de l’Etat-policier, toujours plus répressif, voire même de plus ou moins hauts dignitaires en désaccord avec la ligne du Parti, ou simplement essayant de tirer leur épingle du jeu, parfois convaincus d’être investi d’une mission divineiv. Ces propagandistes étaient donc supposés opérer à partir du Reich ou bien des territoires occupés, en toute indépendance, à partir de stations de radio clandestines. Pour que cette vaste opération voit le jour, il convenait de réunir trois éléments majeurs : des intervenants, ou opérateurs de qualité, triés sur le volet, des moyens techniques et matériels et pour finir, un chef d’orchestre particulièrement astucieux et relativement libre d’esprit, ayant de parfaites connaissances du monde germanique en général et des sphères nazies en particulier. Il devait comprendre et s’exprimer dans un Allemand impeccable et sans accent et devait en outre maîtriser les idiomes et la culture de ses cibles. Il devait penser et raisonner comme un Allemand et connaître tous les rouages de la vie sociale et politique du pays visé. Sefton Delmer était cet homme.
L’homme de la situation : Sefton Delmer
Né le 24 mai 1904, rue Kant, à Berlin, Denis Sefton Delmer, qui n’utilisera guère son premier prénom, était le fils du Professeur Frederick Sefton Delmerv, enseignant la littérature anglaise à l’Université de Berlin. Il grandit en Allemagne, y fit ses études et ne parla qu’Allemand à la maison où sa mère et sa sœur étaient astreintes à la même exigence paternelle. Il ne découvrira la langue anglaise qu’en 1909 lors d’un voyage en Australievi. Ainsi, parfaitement imprégné de la langue et de la culture allemandes, Sefton Delmer deviendra très rapidement l’un des rares vrais spécialistes britanniques de l’Allemagnevii.
De retour en Grande-Bretagne à l’orée de la Grande Guerre, il poursuivra ses études au Lincoln College d’Oxford avant d’entamer une carrière de correspondant du Daily Express en tant que spécialiste des affaires étrangères. Il retourna vivre à Berlin entre 1928 et 1933 où il suivit de très près l’avènement du nazismeviii dont il fit le reportage pour son journal. Il s’exprimait à cette époque, à l’instar d’un berlinois cultivé, dans un excellent haut-allemand, et personne n’aurait eu l’idée qu’il fût britannique. Il passa les trois années suivantes à Paris, toujours pour le compte du même groupe de presse, avant de retourner en Angleterre où il poursuivit sa carrière de grand reporter international tout en travaillant pour la BBC qui dut s’en séparer après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale car ses chroniques humoristiques et son ton jugé très libre ne respectaient ni les directives de sa hiérarchie, ni la censure. Il fut par la suite rattaché au Foreign Office pour toute la durée de la guerre au vu de ses connaissances de l’Europe continentale en général et de l’Allemagne en particulier.ix
Après la déroute de la Bataille de France, fin juin 1940, la Propagande Blanche radiodiffusée à partir de Londres, s’adjoignit les services d’un type de propagande d’un genre nouveau. Ainsi naquit la Radio Noire, qui diffusait des émissions radiophoniques à partir de l’Angleterre et destinées à la France occupée, en prétendant qu’elles étaient émises par les Allemands. A cette époque, le responsable de la radio, Leonard Ingrams, conservateur, se méfiait de son directeur de la section allemande, un travailliste nommé Richard Crossman. Ce dernier avait déjà eu maille à partir avec ses collaborateurs allemands, tous antinazis convaincus, car ils n’entendaient pas se faire diriger par un Britannique. Ces Allemands n’étaient d’ailleurs même pas d’accord entre eux pour mener à bien la mission qui leur avait été confiée. Cette Propagande Noire embryonnaire fut un échec et Ingrams devait absolument trouver une solution rapidement. Il eut donc l’idée de recruter un journaliste britannique expérimenté pour doubler Crossman. Il fallait trouver la personne idoine connaissant à fond les affaires allemandes, et naturellement maîtrisant parfaitement la langue, sans accent. La providence allait se charger du reste puisque la BBC venait de licencier un certain Sefton Delmerx qui abusait franchement de sa liberté de parole et d’action en prenant un peu trop d’initiatives sur les ondes, donnant des frissons à ses directeurs à chaque fois qu’il était à l’antennexi. C’est ainsi qu’il reçut une dépêche d’Ingrams lui proposant de « venir me trouver le plus tôt possible car un important travail vous attend ici » et de « démissionner immédiatement du Daily Express ».
Après être passé à travers le « filtre » de l’Intelligence Servicexii duquel il obtint son habilitation « Secret Défense », il fut conduit dans une énorme Rolls Royce noire arborant sur son pare-brise les lettres magiques O.H.M.S.xiii à Woburn Abbeyxiv, dans le Bedfordshire. C’est à peine arrivé dans le petit bureau de Crossman qu’il fut demandé au téléphone. Son interlocuteur n’était autre que Lord Beaverbrookxvqui prenait simplement de ses nouvelles à titre amical. Il était temps maintenant de se mettre au travail sans plus tarder. La grande question était « quel travail ? » car à ce moment précis, son nouvel employeur ne lui avait toujours pas précisé quelles seraient ses tâches. Enfin, Leonard Ingramsxvi qui était un spécialiste de la Guerre secrète psychologique, lui proposa de diriger une nouvelle « Unité de recherche », vocable assez flou désignant en fait une station de radiodiffusion dont la mission était d’émettre à partir de l’Angleterre à destination des pays contrôlés par les Allemands, tout en prétendant être basée « quelque part en Europe ». Ces émissions devaient donner l’impression qu’elles ne s’adressaient pas au grand public, mais devaient faire en sorte que les auditeurs capteraient par hasard des conversations de militaires allemands. Cette station, nommée Gustav Siegfried Eins, émit pour la première fois le 23 mai 1941 à partir d’une petite maison discrète et tenue ultrasecrète située dans un village du Bedfordshire, à Aspley Guise, plus précisément. L’orateur utilisant le sobriquet Der Chef était un berlinois du nom de Paul Sanders qui avait gagné sa vie en écrivant des romans policiers et qui avait fui l’Allemagne en 1938, écœuré par les persécutions antijuives et il avait même fait parti du Corps Expéditionnaire britanniquexvii. Sanders était à ce moment-là l’unique collaborateur de Delmer. L’équipe s’étoffa par la suite avec l’arrivée d’un journaliste, Johannes Reinholz, qui s’était réfugié en Angleterre en 1939 avec sa femme juive lorsque la guerre éclata. Par la suite arrivèrent Max Braun, un ancien leader socialiste sarrois que Delmer avait rencontré sept ans plus tôt, suivi petit à petit par des personnages aussi hétéroclites qu’improbables, techniciens radio, prisonniers de guerre « retournés », secrétaires et rédacteurs dissidents et même un officier de la Waffen SS naïvement déçu d’avoir accepté de revêtir l’uniforme de ce corps d’élite pour se trouver reléguer à de vulgaires opérations de police une fois la bataille terminée. Ce « staff » ne dépassa jamais une douzaine de personnes, toutes d’authentiques patriotes allemands néanmoins antinazis convaincus et qui ne trahirent jamais le camp qu’ils s’étaient choisi. Les affaires sérieuses allaient pouvoir commencer. La nature même et la complémentarité des équipiers de Delmer allaient s’avérer des plus fructueuses. Chacun avait son rôle selon sa spécialité et son expérience. Aux techniciens les détails matériels, aux journalistes, écrivains et sociologues le fond des discours et aux militaires la forme dans l’énonciation. Les anciens de la Wehrmachtxviii pouvaient ainsi parler en soldats à leurs camaradesxix et les unités de la Waffen SSxx avaient même droit au jargon typique usité uniquement au sein de leurs propres troupes. Le tout bien orchestré par un Sefton Delmer qui connaissait parfaitement les partitions et qui néanmoins faisait preuve de grande confiance envers ses collaborateurs, condition sine qua non de leur totale adhésion si l’opération devait réussir avec crédibilité et efficacité. Les enjeux étaient énormes et il n’y aurait pas droit à un second essai si l’on voulait pérenniser ce type d’action.
Une grande effervescence régnait au sein du groupe, chacun y mettait vraiment du sien, la motivation n’ayant d’égal qu’un véritable professionnalisme jamais démenti. L’idée générale était de diffuser des messages radio relatant des faits réels, facilement vérifiables, dans lesquels on distillait des contre-vérités à toutes petites doses, sans jamais trop exagérer. En outre, il convenait de garder un ton bien militaire en ne lésinant point sur la vulgarité (on parlait entre soldats et non pour le public), en demeurant de bons patriotes faisant leur devoir pour le Vaterland. C’est ainsi que lorsque fut connu le vol pour l’Ecosse de Rudolf Hess en 1941, les auditeurs pouvaient entendre sur les ondes des propos tels que : « Cet imbécile qui était pourtant un de nos bons camarades à l’époque des Corps Francs vient de péter les plombs. C’est vraiment typique de cette bande de mégalomanes qui nous dirigent, dès qu’ils n’ont plus les tripes pour encaisser les coupsxxi et que quelque chose cloche, qu’est-ce qu’ils font ? Ils avalent quelques pilules, emportent un drapeau blanc, volent un avion et foncent se jeter dans les bras de ce pied-plat d’enfant de putain de vieux Juif alcoolique de Churchill en oubliant qu’ils sont détenteurs de secrets d’Etat et que ces affreux Anglais finiront bien à leur faire cracher le morceau. » Puis après une petite pause bien calculée : « Et que veulent nous faire croire ces crétins de Berlin ? Qu’il (Hess) a agit sur ordre ? Jamais le Führer n’aurait permis à cet abruti de voler pour l’Angleterre… » et ainsi de suitexxii. Le but était de démontrer de façon claire et simple qu’il fallait commencer à se méfier de cette « clique de dirigeants incapables et lunatiques » sans pour autant remettre en question l’autorité de Hitler. Il fallait faire montre de mesure et de subtilité en ayant des arguments incisifs sans jamais franchir le Rubicon de la trahison. Il convenait de rester crédible tout en transmettant un message fort. Tout l’Art de la Propagande Noire était là, mis en œuvre intelligemment.
De la Radio Noire aux Opérations Subversives
Les missions dévolues à l’équipe de Delmer allaient prendre une autre tournure lorsque Rex Leeperxxiii leur demanda de fabriquer des faux documents en vue d’infléchir et d’ « intoxiquer » l’important prisonnier qu’était Hess. Armin Hullxxiv, imprimeur de talent fut joint au groupe car il s’était spécialisé dans la falsification de papiers et documents officiels allemands pour le compte de l’Intelligence Service, du SOE et du SOI. Il avait en effet réussi la prouesse d’acquérir de multiples jeux complets d’authentiques caractères d’imprimerie allemands, à la fois gothiques et latins. L’objectif était d’imprimer un Völkischer Beobachterxxv plus vrai que nature, daté de l’après départ de Hess, avec des articles indiquant qu’il était non seulement désavoué, mais désormais considéré comme traître par son Führer. De fait, n’ayant plus rien à perdre, il pouvait aussi bien collaborer en bonne intelligence avec ses geôliers qui, eux, voulaient vraiment mettre un terme à cette guerre fratricide. Malheureusement cette réussite technique réalisée en amont fut mal exploitée par les personnes qui devaient « travailler » Hess en aval et les résultats escomptés se révélèrent décevants. Ceci posé, les hommes de Delmer avaient fait leur travail.
Puis le Reich et ses alliés attaquèrent l’Union Soviétique en juin 1941 et Delmer fut convié à une réunion par Rex Leeper. Cela avait lieu à Londres avec pour participants Robert Vansittart, Valentin Williams, Leonard Ingrams, Hugh Daltonxxvi et quelques autres personnages touchant d’assez près les Opérations psychologiques. Lors de la conversation, une question destinée à Delmer fusa : « Quelle orientation va prendre Der Chef ? ». Il répondit qu’évidemment, Der Chef allait applaudir et soutenir la décision du Führer en faveur de la guerre contre les bolchéviques. « Bravo Delmer, excellent ! » lui rétorqua Vansittart avec son rire sonore. L’idée était que Gustav Siegfried Eins devait soutenir l’effort de guerre allemand contre le communisme à la fois dans les steppes et à la maison. En effet, Der Chef se donnait comme mission de faire épurer le Parti de ses dignitaires jugés trop « rouges », un peu à la façon de la Nuit des Longs Couteaux. Après avoir entamé une campagne d’ostracisme envers les Nazis fanatiques et incompétents, l’on allait maintenant séparer le bon grain de l’ivraie en faisant un tri entre les bons et les mauvais Nazis. Plus tard viendrait une véritable campagne de dénigrement dirigée vers les officiers de haut rang n’hésitant pas à sacrifier le sang des bons soldats allemands afin de s’octroyer les honneurs et les récompenses. Cette Propagande Noire radiodiffusée de façon insidieuse avait comme but de décrédibiliser les dirigeants, civils ou militaires, aux yeux du peuple en mettant en exergue la corruption, l’incompétence ainsi que l’arrogance et le mépris qu’affichait ostensiblement la caste dirigeante envers le reste des citoyens.
Ce fut la Campagne de Russie qui fit de Der Chef une vedette incontournable car à partir des premiers revers de la Wehrmacht, dès l’hiver 1941-1942, il devint un personnage totalement crédible auprès des auditeurs allemands. Les fonctionnaires du Parti Nazi furent les principales cibles des multiples critiques de l’orateur vedette, qui ne cessait de les fustiger, tout en ménageant l’autorité suprême. Par exemple, Der Chef affirmait, preuves à l’appui (il était au demeurant très bien renseigné, et ainsi glissait toujours des suppositions inventées parmi des faits réels simplement légèrement exagérés, comme l’exige cet art), que certains dignitairesxxvii utilisaient des informations confidentielles à leur disposition dans le but d’en tirer des avantages personnels au détriment de la Patrie en danger. Cela pouvait concerner le ravitaillement par exemple, et l’objectif de cette propagande était que la population suive le même exemple, dans la mesure du possible de chacun, afin de déstabiliser la logistique. Ingrams définissait cette action de « propagande opérationnelle ». Contrairement à la Propagande Blanche, largement usitée, la Noire ne s’attaquait pas aux figures plus connues, telles que Goebbels ou Goering. Il fallait rester crédible en se contentant de dénoncer les « seconds couteaux » afin de montrer que l’on était proche du petit peuple et de ses problèmes quotidiens. Les chefs de district provinciaux étaient des cibles de choix et leurs ébats amoureux extraconjugaux ainsi que leurs profits personnels étaient rapportés à maintes occasions par les ondes. La revue de presse locale corroborait l’efficacité de cette intoxication hertzienne. Puis l’effort se concentra sur l’Armée. Chaque émission martelait des prêches soulignant que cette dernière était contre le Parti, les SS et la Gestapo, l’idée était de diviser les porteurs d’uniformes. Les détails concernant les noms et adresses des cibles étaient tout simplement trouvés dans les journaux et revues édités en Allemagne, ce qui renforçait l’idée selon laquelle les informations diffusées ne pouvaient provenir que de « quelque part en Europe continentale ». Puis suivit une histoire de sang contaminé transfusé de façon négligente à des soldats allemands par la faute d’un administrateur incompétent et qui fut relatée aux familles sur les ondes avec force détails. Rien n’était oublié, le nom et le lieu de l’hôpital militaire, les dates et noms des victimes, l’identité des médecins responsables, tout cela exigeait des informations de première main, ce dont Delmer ne manquait jamaisxxviii. Après moult entreprises de cette nature, qui nécessiteraient un espace dont nous ne disposons pas, il fut enfin décidé de mettre un terme aux agissements subversifs de Gustav Siegfried Eins, et comme de juste Der Chef finit par tomber entre les griffes de la Gestapo, ce qui rendit toute l’opération d’autant plus crédible auprès des auditeurs. Une formidable pièce de théâtre fut ainsi mise en scène dans les studios, d’où des rafales de pistolets-mitrailleurs et des cris de « on t’a eu salaud ! » allaient définitivement clôturer la toute dernière émission fin octobre 1943. Entre deux, la transition avait été assurée par la mise en place de deux autres stations de radio clandestines. C’est ainsi qu’œuvraient depuis quelques mois avant « l’arrestation et l’exécution » de Der Chef, l’émetteur sur ondes courtes Deutscher Kurzwellensender Atlantik (Radio-Atlantique sur ondes courtes) et Soldatensender Calais (Radio Calais-Armée allemande) que l’on pouvait capter sur les ondes moyennes grâce à un puissant émetteur de 600 watts qu’avait obligeamment fourni la BBC. Naturellement, ce furent d’autres personnes que Sanders qui intervenaient au micro puisque Der Chef n’était plus.
Le langage d’Atlantiksender, nom finalement usité par la première, était encore plus châtié et le but était de faire croire qu’il s’agissait d’une radio d’opposition intérieurexxix. Delmer recruta des prisonniers de guerre allemands antinazis pour renouveler son équipe afin de diversifier les voix et les accents qui allaient alimenter les nouveaux programmes d’Atlantiksender et de Soldatensender Calais, qui fut lancé presque aussitôt après. Goebbels lui-même reconnut l’extrême efficacité de ces stations qui parvenaient de temps à autre à pirater les longueurs d’ondes de Munich. La copie étant la forme la plus sincère de reconnaissance, ce dernier eut l’idée de créer Radio Freiheit (Radio Liberté) qui visait les ouvriers pacifistes anglais. Le style bien prolétarien n’avait rien à envier à la forme d’expression qui était de mise à la « Maison Delmer », à grands renforts de Fuck, Bloody, Bastard et autres vocables analogues qui ne semblent pas indispensables d’être énumérés plus avant et dont le lecteur familier de la langue anglaise devine la teneur. Toujours très bien renseigné, Delmer apprit la mort accidentelle de Werner Mölders, pilote de chasse et héros de la Luftwaffe, abattu par inadvertance par la FLAKxxx. La presse allemande parla d’ « erreur regrettable » et la radio de Delmer en profita pour parler d’exécution volontaire par les Nazis qui voulaient se débarrasser de ce catholique militant qui les détestait. Pour donner bonne figure à ces affirmations, Delmer alla jusqu’à rédiger une lettre en imitant l’écriture et le style de l’aviateur, qui était reproduite sous forme de tracts lancés sur le Reich. Cette lettre, adressée à un homme d’église proche du défunt, accusait « ces Nazis iconoclastes et sans Dieu qui précipitaient l’Allemagne à sa perte ». La lettre fut prise très au sérieux par des prêtres qui allèrent jusqu’à la lire durant leur sermon, à leurs risques et périls. Ainsi le travail de Sefton Delmer ne se cantonnait pas à la seule propagande radiodiffusée, il travaillait de concert avec les différents services acteurs de ce que l’on peut appeler la Guerre secrète. Ses partenaires étaient des agents des Services secrets britanniques, américainsxxxi, français ou encore belges et néerlandais, les différents réseaux de résistance présents en Allemagne et dans les pays occupés, des ouvriers du STOxxxii et des dissidents antinazis restés sur place ou qui étaient parvenus à fuir cette Allemagne qu’ils rejetaient. Cette synergie était le moteur essentiel qui allait faire se mouvoir les rouages de toutes sortes d’opérations destinées à saper l’effort de guerre nazi.
Des Opérations Spéciales pour saper le moral de l’ennemi
Parmi ce type d’opérations spéciales, nous citerons l’insolite Operation Periwig, concoctée par deux officiers du SOE nommés Potter et Templer qui vinrent consulter Delmer pour obtenir de précieux conseils. L’idée était d’expédier des mannequins qui seraient parachutés sur des points choisis afin d’ « intoxiquer » et de mobiliser des forces qui pourraient être utiles ailleurs, le but étant que la Wehrmacht soit constamment en situation d’insécurité partout, y compris et surtout sur ses arrières. Ces « parachutistes » seraient vêtus de tenues de combat et munis d’artifices pyrotechniques qui imiteraient le tir d’armes automatiques dès qu’ils toucheraient le sol.xxxiii C’est alors que le Majorxxxiv Potter eut l’idée d’utiliser également des pigeons voyageurs pour harceler la Gestapo et les autres services de police directement à l’intérieur du Reich. L’idée de départ était de donner aux Allemands opposés au régime l’opportunité de renseigner les Alliés sur les mouvements de troupes sur leur territoire à l’aide d’un questionnaire porté par le pigeon, qu’il suffirait de remplir et de réexpédier aussitôt. Un mode d’emploi préciserait comment nourrir le messager afin qu’il reparte à bon port. Delmer, en sa qualité d’expert psychologique du comité, ajouta que l’on pouvait améliorer l’opération en parachutant des pigeons portant déjà des questionnaires dûment remplis au préalable, que la Gestapo ne manquerait pas de trouver. Templer trouva l’idée excellente et régla les détails techniques avec Potter pour que les pigeons puissent mener à bien leur mission. La qualité des renseignements sur place devait être essentielle pour pérenniser l’opération car Delmer eut l’idée de compromettre quelques dirigeants mineurs du Parti en faisant en sorte que les informations apposées sur les questionnaires ne pouvaient émaner que d’eux car elles étaient confidentielles et non connues du grand public. Ainsi, les civils voyant leurs élus se faire arrêter pour trahison seraient incités à trahir eux aussi. Un formidable climat de suspicion devait donner place à une chasse à l’homme entre police allemande, membres du Parti suspectés et la population maintenant au courant. L’objectif n’était même plus de recevoir les questionnaires complétés, bien que certains leur parvinrent, mais de déstabiliser l’ennemi sur ses arrières. L’entreprise fut un succès dans la mesure où les justifications des accusés devaient néanmoins semer le doute dans les esprits de fonctionnaires de police toujours en quête de traîtres potentiels et les délations se succédaient, mobilisant ainsi des ressources humaines qui avaient sans doute mieux à faire en période de guerre. Le lecteur comprendra qu’évidemment on ne gagne pas une guerre avec ce type d’action, mais on peut limiter de façon significative le potentiel ennemi si ces opérations sont multiples et répétées. Nous sommes là au cœur même de la Guerre psychologique, dont la Propagande Noire est partie intégrante et les Britanniques excellaient dans ce domaine.
Une autre opération que nous allons relater de mémoire nous fut rapportée par un officier du MI 6 lors d’une conférence à huis clos au Centre de formation des Forces spéciales de L’OTAN située à Bad Tölzxxxv, en Haute Bavière dans les années 1980. Ce colloque était destiné à des personnes, civiles et militaires travaillant à des degrés divers dans le cadre d’Opérations psychologiquesxxxvi. Ce colonel britannique avait bien connu Sefton Delmerxxxvii et se faisait fort de nous rappeler que ce dernier était le vrai inventeur de la Propagande Noire, alors qu’il était pratiquement inconnu de la plupart d’entre nous. Or, ses enseignements pouvaient largement nous inspirer dans le cadre de notre travail. C’est ainsi que nous apprîmes qu’une vaste opération d’intoxication avait été menée à bien par le biais de la Radio Noire du temps de guerre. Il nous expliqua que les Allemands, très méticuleux, diffusaient sur leurs radios les identités des blessés et les lieux où ils étaient soignés, dans le but de maintenir le moral de leurs proches. Ces informations étaient triées et classées par l’équipe de Delmer en vue d’exploitation immédiate. Quelques jours plus tard, les familles, dûment localisées, recevaient un courrier anonyme, bien sûr posté à partir de la ville où était sis l’hôpital, stipulant que les objets de valeur avaient été soigneusement « prélevés » qui par un membre du Parti, qui par un officier supérieur, et que c’était pour cette raison que l’épouse ou la mère n’avaient reçu que des effets personnels insignifiants. Le tout était « cimenté » par l’interception desdits objets par un agent sur place, afin d’accréditer cette accusation. Ce genre d’opération était au demeurant jugé assez indigne par certains décideurs du SOE, mais on n’en était plus à la guerre « en dentelle », et des Gentlemen devaient se comporter accordingly face à un ennemi qui, lui, ne respectait rien ni personne. «A bon chat bon rat » était la maxime qui était d’usage dans cette guerre sans règle, où seule la fin justifiait les moyens. Soldatensender corroborait l’information sur les ondes dans le but d’éloigner petit à petit la population de ses dirigeantsxxxviii. Notre colonel-conférencier eut néanmoins l’honnêteté intellectuelle de nous avouer que l’efficacité d’une telle opération de dénigrement ne pouvait jamais être confirmée et qu’il fallait simplement se contenter de subodorer qu’au pire cela ne pouvait qu’aider, même modestement, les coups portés à l’ennemi, et que cela était toujours bon à prendre…
Sefton Delmer lui-même a écrit à maintes reprises dans ses mémoires que la Propagande Noire n’était efficace qu’avec le temps et qu’une seule opération portait rarement ses fruits. Il ajoute qu’une coopération avec les organes de Propagande Blanche et les organes d’action subversive était autant indispensable que le recours aux faussaires et même aux astrologues. Delmer jouissait d’un très grand respect de la part de ses pairs, et notamment des « opérationnels », c'est-à-dire des personnels travaillant directement au contact de l’ennemi. Aucun d’eux ne manquait de puiser auprès de lui des précieux conseils dans le but d’exploiter leurs opérations de façon optimale. Par exemple, quand l’assassinat d’un dirigeant nazi était programmé dans le Reich ou dans un pays occupé, il leur conseillait de faire en sorte de faire croire que c’était l’œuvre d’un Allemand antinazi pour maintenir la pression sur les services de sécurité en instaurant un climat permanent de paranoïa. Un autre stratagème consistait à fabriquer des affiches pour les apposer ensuite sur des emplacements choisis du continent. Elles montraient un officier allemand, SS ou autre, qui était clairement nommé en précisant que ce traître avait déserté et qu’il tentait d’aller livrer des secrets militaires à l’ennemi. Un texte très court ordonnait à tout soldat croisant son chemin de l’abattre immédiatement sans chercher à communiquer avec. Les résultats donnèrent satisfaction dans la mesure où les populations constataient que des soldats allemands tiraient sur leurs cadres et que les soldats se considéraient trahis dans une ambiance de semi-anarchie latente. Tout était bon pour déstabiliser la machine de guerre allemande réputée infaillible. Ainsi, Delmer sollicita les services du Docteur McCurdy, un psychiatre de l’Université de Cambridge pour l’aider à concevoir des documents expliquant aux soldats du Reich comment tirer au flanc en se faisant porter malade de façon crédible et répétée. Ces instructions allaient ensuite être glissées dans les paquets de cigarettes, livrets d’instruction physique, livres de cantiques, horaires de train etc. qui seraient ensuite acheminés là où des troupes étaient présentes.
Le tournant de la guerre
Cette année 1943 avait permis à Delmer de recevoir des moyens matériels significatifs puisqu’il avait désormais le soutien politique et logistique de l’Amirauté depuis que le Général Dallas Brooksxxxix était devenu directeur adjoint de ce service. C’est ainsi qu’un énorme émetteur identique à celui de 600 watts prêté par la BBC fut finalement construit par les propres services de Delmer et put opérer à partir de Crowboroughxl en plus de celui déjà situé à Milton Bryan, près de Woburn. Pendant ce temps-là, néanmoins, les Allemands n’étaient pas restés les bras croisés, puisqu’ils étaient parvenus à brouiller les émissions des Radios Noires britanniques, tout au moins dans les grandes villes. Aussi Delmer eut l’idée de collaborer étroitement avec la Royal Air Force chargée de bombarder les sites industriels et les cités situés au cœur du Reich. En effet, les Allemands coupaient toutes leurs émissions radiodiffusées dès que des bombardiers alliés étaient en approche de leur territoire afin de ne pas signaler la position des zones sensibles la nuit, tandis que le Blackout était de rigueur. Cela laissait environ 45 minutes entre l’acquisition radar des aéronefs aux abords des côtes, le survol des cibles et la livraison mortelle, ce qui permettrait à la Radio Noire de se substituer ne serait-ce que trois quarts d’heure au programme officiel normalement émis par la Rundfunk. Les autorités allemandes ne comprirent jamais comment la synchronisation de ce piratage hertzien pouvait être aussi parfaite dans la précision. En fait, Delmer se faisait tout simplement remettre les plans de vol de la RAF au jour le jour, dans le plus grand secret. Cette synergie entre les différents décideurs œuvrant en bonne intelligencexli dans le même sens caractérisait la volonté des Britanniques d’optimiser autant que possible toute les compétences dont leur nation ne manquait pas.
Les actions de Delmer étaient vraiment très diversifiées, puisque la radio, nous l’avons compris, n’était pas sa seule arme. Il avait eu l’idée, aidé en cela par son chef-faussaire Armin Hull, de déstabiliser le système de ravitaillement allemand en faisant forger, puis imprimer pour être diffusés par la suite, des quantités impressionnantes de coupons alimentaires, textiles et tous autres produits contingentés, tous plus vrais que les originaux. Le succès fut tel que Goebbels s’étant vanté que ces derniers étaient parfaitement infalsifiables, ils ne pouvaient de fait venir de Grande-Bretagne. Aussi, pour accréditer cette affirmation, ses services durent fabriquer des faux d’assez mauvaise facture, mais pas trop afin de rester crédible, pour démontrer que les « faux » britanniques étaient de telles mauvaises reproductions qu’il était facile de les déceler. Il était important pour les services de propagande allemands de ne pas perdre la face, surtout lorsqu’il semblait évident d’avoir affaire à un ennemi particulièrement retors et plein de ressources. La population quant à elle continuait d’utiliser ces coupons qu’elle savait venir de l’ennemi nonobstant les démentis officiels, sans la moindre vergogne, car il fallait bien manger et se vêtir, du moins tant que l’intendance pouvait encore honorer ces tickets de rationnement. Après tout, les hauts dignitaires ne se privaient pas, si on se référait à la radio (forcément noire), alors il était temps pour le petit peuple de se servir maintenant. Et puis, Goebbels n’avait-il pas affirmé que tous les carnets étaient authentiques ?xlii
C’est après le « complot des généraux » fomenté contre Hitler et rendu public après l’attentat manqué de Stauffenberg en juillet 1944, que les Radio Noires se déchaînèrent contre le régime nazi en général et contre la personne d’Hitler en particulier, chose qui avait été soigneusement évitée jusqu’alors. Mais le fruit était mûr, l’opportunité était parfaite pour stigmatiser avec encore plus de virulence l’écart entre l’armée et les Nazis, d’une part, et la population et les politiques, d’autre part. Soldatensender Calais qualifié de « porte parole du brave combattant de première ligne » en profitait pour supplier de mettre fin immédiatement à la guerre qui devenait insupportable au soldat ordinaire, alors que d’aucuns se vautraient dans la débauche en attendant le Crépuscule des Dieux. Les services de Goebbels prétendant que la bombe contenue dans la serviette du courageux martyr qui avait essayé d’éliminer le Führer lui avait été fournie par les Alliés, reçurent un démenti formel de la Radio Blanche, cette fois, qui ne manqua pas de préciser que Hitler devait rester en vie car il était le meilleur allié que l’on puisse espérer avoir, étant donné qu’il précipitait l’Allemagne à sa perte de façon irrémédiablexliii. Cette Propagande Blanche dirigée vers l’Europe continentale devait donner encore plus de raisons aux Allemands de tout mettre en œuvre pour se débarrasser de leur tyran et de la clique qui le soutenait encore. Pendant ce temps-là, les « soldats dissidents » de la Radio Noire défendaient le Corps des Officiers de la Wehrmacht tout en fustigeant avec la plus grande véhémence les leaders nazis qui « s’engraissaient de façon honteuse alors que les enfants crevaient de faim ». L’on ne manquait pas de diffuser les noms de propriétaires de logements dans des rues entières (en précisant les adresses), qui refusaient de les laisser à des sinistrés dont les logements avaient été détruits par ces « cochons d’Anglais ».
Nous pourrions encore énumérer des dizaines d’opérations de ce genre, directement imputables au seul Sefton Delmer, et nous renvoyons volontiers le lecteur qui veut en savoir plus, vers les ouvrages cités. Nous précisons qu’il est extrêmement difficile de quantifier les résultats de ce type de propagande avec précision. Delmer lui-même ne put en avoir une idée que bien des années après la fin des hostilités, lorsqu’il retourna en Allemagne pour retrouver des gens qu’il avait connus avant la guerre. Ce Corsaire des ondes que fut Delmer fit des émules dans le Monde entier puisque des « hommes noirs » se retrouvèrent à la tête d’opérations analogues, avec plus ou moins de succès, dans des endroits aussi éloignés que l’Inde, le Népal, le Congo, à l’époque de la sécession du Katanga dans les années 1960, et même à Berlin-Est où une station émettait de fausses informations prétendument diffusées par la radio des forces armées américaines, avec des résultats probants selon les spécialistesxliv.
Nous citerons pour conclure le vrai précurseur moderne de la Propagande Noire que fut Denis Sefton Delmer, dit Tom, qui expliquait qu’elle était aussi éloignée de la guerre en dentelle que de la chevalerie. Tout le travail de Delmer nous renvoie vers les préceptes de base du Chinois Sun Tzu, les stratagèmes utilisés par Jules César lors de sa conquête des Gaules, les complots et affaires ténébreuses ourdis par Nicolas Machiavel, jusqu’à la propagande éhontée de Lord Northcliffe qui n’hésita jamais à fabriquer des fausses vérités vraiment très exagérées dans le but de dénigrer l’adversaire vers la fin de la Grande Guerre. Nous avons la conviction, certes très subjective, ayant lu beaucoup d’ouvrages de ou sur Sefton Delmer, qu’il était un Gentleman, dont la mission était de mener à bien une guerre subversive qui ne pouvait souffrir aucune règle car il allait devoir œuvrer dans les méandres des eaux troubles d’un conflit qui n’avait vraiment plus rien à voir avec les batailles auxquelles avait pris part la chevalerie de jadis. Les temps avaient changé, les protagonistes aussi, et la radio avait été son épée.
i Il fut en effet rattaché au Foreign Office (Ministère des Affaires Etrangères britannique) pendant la durée de la guerre et reprit ses activités journalistiques à l’issue de celle-ci, ce qui fit de lui un serviteur de l’Etat au moins durant ces six années. Lire le résumé de sa biographie dans Sefton Delmer, La République de Weimar, Lausanne, Editions Rencontre, 1971, p. 127 (traduit de l’anglais par F. Didier-Lauber).
ii Nous citerons par exemple ses actions de guérilla et de contre-guérilla alors qu’il servait comme jeune lieutenant pendant la Guerre des Boërs en Afrique du Sud (1899-1902). Johannes Meintjes, The Anglo-Boer War, 1899-1902, Londres, MacDonald and Janes, 1978, p. 49.
iii Nous utiliserons à dessein, la terminologie anglo-saxonne, en vigueur dans les milieux militaires, pour désigner différentes formes de propagandes lorsqu’il s’agit de leur adjoindre des « couleurs », à savoir qu’elles ne définissent pas leurs objectifs, contrairement aux définitions usitées par certains spécialistes (la blanche viserait, selon eux, les amis et la noire l’ennemi), mais la source. En effet, sur le plan opérationnel, la Propagande Blanche décline clairement sa véritable origine et vise tous objectifs, amis, neutres ou ennemis, la Noire prétend être émise par l’ennemi et le vise, la Grise laissant les récepteurs dans le doute quant à sa source. Note de l’auteur qui fut jadis ORL (Officier Renseignement Langues), diplômé de l’Ecole Militaire des Armes Spéciales et spécialiste de la Guerre subversive et des Opérations Psychologiques, détaché auprès de l’OTAN (Etat-major du Général Rogers) en qualité de Conseiller Spécial Militaire et d’instructeur au Commandement des Opérations Spéciales.
iv Le lecteur aura à l’esprit l’escapade aérienne nocturne de Rudolf Hess, dauphin de Hitler, qui tenta de négocier une paix séparée avec les Anglais en 1941. Capturé en Ecosse, Hess fut pris pour un fou et passa par la suite le reste de sa vie emprisonné. Pour en savoir plus, se reporter aux ouvrages suivants : David Irving, Hess, The Missing Years 1941-1945, Londres, MacMillan, 1987, Charles Gabel, Conversations interdites avec Rudolf Hess, Paris, Plon, 1988 et Eugene Bird, Rudolf Hess dévoile son mystère, Paris, Gallimard, 1975 (traduit de l’Anglais par Jane Fillion).
v Frederick Sefton Delmer quitta l’Allemagne au déclenchement de la Première Guerre mondiale et devint reporter pour le Daily Mail avant de faire partie, en tant qu’officier britannique, de la Commission de Contrôle interalliée qui devait superviser le désarmement de l’Allemagne vaincue.
vi Sefton Delmer, Trail Sinister, an autobiography, Londres, MacDonald, 1961.
vii Lire notamment La République de Weimar, op. cit.
viii Il fut le premier reporter britannique à avoir eu une interview de Hitler pour le compte du Daily Express en 1931. Jacques Parrot, La Guerre des ondes, de Goebbels à Khadafi, Paris, Plon, 1987, p. 162.
ix Le format de ce dossier ne nous permet pas de pousser plus avant le détail de sa biographie, étant donné que le sujet traité porte sur les opérations spéciales menées à bien par ses services dans la cadre de la Propagande Noire et de la guerre subversive. Le lecteur pourra néanmoins se référer à Trail Sinister pour en savoir plus.
x Qui avait toujours sa carte de journaliste puisqu’il était également reporter au Daily Express à ce moment-là.
xi Indiscipline innée, esprit d’initiative démesuré, goût de la désobéissance chronique, intelligence insolente, leadership charismatique naturel, imagination débordante et quasi perverse, extrême professionnalisme, discrétion absolue, faculté d’être sérieux sans jamais se prendre au sérieux, désir de travailler en marge des carcans réglementaires, volonté d’être « à part » sont les qualités intrinsèques qui caractérisent les personnels intégrant les Forces Spéciales (ou les Services Spéciaux) dont Delmer aurait été incontestablement une recrue de choix si son physique le lui avait permis (les candidats à ce type d’unités militaires doivent suivre un entrainement physique et psychique impitoyable, dans le but d’éliminer au préalable tous les éléments qui pourraient flancher quand vient le moment d’en découdre). Cette lacune avouée par le protagoniste lui-même le plongea corps et âme dans les Opérations subversives à distance, par le biais de la radio. Détails rappelés à plusieurs reprises dans son ouvrage aujourd’hui épuisé que nous avons pu trouver chez un bouquiniste un peu par hasard. Sefton Delmer, Opération Radio Noire (titre original : Black Boomerang), Paris, Stock, 1965 (pour la version française traduite de l’anglais par Michel Chrestien).
xii Services de Renseignement britanniques, ou Services Secrets, ce qui revient au même.
xiii On His Majesty’s Service, signifiant « Au Service de Sa Majesté », macaron placé sur les véhicules officiels.
xiv Résidence officielle des Ducs de Bedford servant d’école d’équitation en temps de paix et transformée pour la durée de la guerre en base opérationnelle de transmission radio.
xv Proche de Churchill, Beaverbrook était à l’époque (1941) Ministre de la Production aéronautique avant de devenir Ministre de la Production de Guerre un an plus tard. Mentionnons qu’il avait été le Ministre de l’Information lors de la création du MOI (Ministry of Information) en février 1918. Il était également le propriétaire d’un important groupe de presse incluant le Daily Express dont Delmer venait de démissionner.
xvi Ce personnage haut en couleurs cumulait plusieurs hautes fonctions. Outre son poste de chef de service au SOI (Special Operations Information, chargé de la propagande dirigée vers le continent), il détenait un emploi-clé au Ministère de la Guerre économique et avait un rôle non moins important au sein du SOE (Special Operations Executive, c’est à dire les Services Spéciaux chargés de sabotage et subversion dans les territoires occupés par les Allemands).
xvii Il avait participé à la campagne de France comme caporal du Génie (Armée britannique) et s’était porté volontaire pour des missions de sabotage derrière les lignes ennemies (allemandes) après le désastre de Dunkerque (juin 1940). Il fut finalement « rapatrié » en Grande-Bretagne.
xviii L’Armée régulière regroupant les trois services, la Heer (Terre), la Luftwaffe (Air) et la Kriegsmarine (Mer).
xix Par exemple, on dit Otto lorsque l’on a besoin de carburant et Hermann quand on manque de munitions.
xx Corps d’élite purement militaire et indépendant des services de sécurité et de répression, rattaché aux forces armées opérant sur les théâtres d’opérations jugés « chauds ». Il y avait jusqu’à 38 divisions totalisant plus d’un million d’hommes de toutes nationalités déployées sur les divers fronts. Jean-Luc Leleu, La Waffen SS, Paris, Perrin, 2007 (Prix d’Histoire militaire du Ministère de la Défense).
xxi Il s’agissait ici de la Bataille d’Angleterre qui s’était achevée au bénéfice de cette dernière.
xxii Opération Radio Noire, op. cit., pp. 82-83.
xxiii Responsable des Opérations psychologiques et subversives du SOE.
xxiv Certains l’orthographient Hall, nous conserverons néanmoins Hull, puisque Sefton Delmer l’a écrit ainsi dans ses ouvrages, mémoires et autres documents que nous avons pu consulter.
xxv Le journal officiel du Parti Nazi.
xxvi Vansittart était Sous Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, Williams était responsable des Opérations Psychologiques au SOE et Dalton était en charge de la propagande dirigée vers l’ennemi au moment des faits.
xxvii Ils étaient choisis à dessein en fonction de leur propension à la corruption et étaient bien sûr nommés explicitement ou bien suffisamment décrits pour que les auditeurs puissent savoir de qui on parlait.
xxviii Car en effet, plus cette Propagande Noire se révélait efficace et plus Der Chef devenait crédible et réel, plus les mécontents donnaient des informations (par le biais de canaux occultes et de réseaux divers) qui parvenaient toujours à Delmer pratiquement en temps réel. Le renseignement était ensuite confirmé sur place par un maillage efficace d’agents, de résistants ou de travailleurs forcés.
xxix Jacques Parrot, La Guerre des ondes, op. cit., p. 163.
xxx Nom de la DCA (Défense anti-aérienne) allemande signifiant Flüger Abwehr Kanone.
xxxi L’OSS (Office of Strategic Services) avait également recours à ses services et à son expertise.
xxxii Service du Travail Obligatoire, personnels contraints à travailler pour le Reich dans les usines allemandes.
xxxiii Nous précisons que l’idée fut reprise et exploitée efficacement par l’Armée américaine sur les arrières allemands à Omaha Beach durant la nuit du 5 au 6 juin 1944 avec grand succès. Ce furent en effet des milliers de mannequins qui furent parachutés 40 km en arrière du front, ce qui obligea les Allemands à envoyer presque la moitié de leurs troupes disponibles à cet endroit pour aller à la poursuite de cette importante unité fantôme. Ce subterfuge mobilisa ainsi des combattants toute la nuit alors qu’ils auraient pu être utiles quand les alliés débarquèrent à l’aube. Par la suite, les Allemands hésiteront de se faire leurrer par le même stratagème alors que d’authentiques parachutistes seront envoyés pour sécuriser des points sensibles. Sur une plus grande échelle, c’est l’ Operation Fortitude qui sera mise en œuvre pour faire croire à un débarquement allié dans le Pas de Calais, mettant en scène la « division fantôme » de Patton, allant jusqu’à utiliser son sosie pour rendre les préparatifs plus crédibles. Ce subterfuge retardera considérablement les renforts puisque Hitler croira jusqu’à la dernière minute que le débarquement sur les plages normandes ne pouvait être qu’une diversion. Quand il réalisera son erreur, les Alliés auront eu le temps d’établir une solide tête de pont de laquelle les Allemands ne pourront plus les déloger.
xxxiv Commandant dans l’Armée britannique, grade situé entre celui de Capitaine et celui de Lieutenant-colonel.
xxxv Le paradoxe est que cette caserne fut jadis l’Ecole des officiers SS, créée par Henrich Himmler en 1933.
xxxvi Précisons qu’elles comprennent l’Action psychologique, qui vise les amis, et la Guerre psychologique, qui elle vise exclusivement l’ennemi, ce que d’aucuns nomment à tort Propagande Blanche et Propagande Noire.
xxxvii Sefton Delmer est décédé en 1979.
xxxviii Ces détails sont rappelés bien que relatés quelque peu différemment dans un chapitre dévolu à Sefton Delmer dans Vladimir Volkoff, La Désinformation, arme de guerre, Paris, L’Age de l’Homme, 1986, pp. 82-83.
xxxix Il était Major-General du corps des Royal Marines, commandos destinés aux opérations extérieures nécessitant un débarquement, l’équivalent des Troupes de Marine (anciennement Troupes Coloniales) de l’Armée Française.
xl En Anglia, région située dans le sud-est de l’Angleterre, dont le Bedforshire fait partie.
xli A comprendre dans les deux acceptions (ingéniosité et renseignement militaire).
xlii On peut parler ici de propagande à double tranchant, magnifiquement orchestrée.
xliii Sefton Delmer, Opération Radio Noire, op. cit., pp. 232-233.
xliv Jacques Parrot, La Guerre des ondes, de Goebbels à Khadhafi, op. cit.
Bibliographie sélective et non exhaustive :
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