Le terme évoque en premier lieu la religion, puis secondairement la politique. Mais peut-être serait-il intéressant de réfléchir si on ne peut trouver d’autres domaines (sciences, littérature, arts etc...) d'autres exemples aussi significatifs. Lorsqu’un chercheur abandonne la théorie à l’intérieur de laquelle il a travaillé pour en adopter une autre, est-ce une conversion ? Le problème n’est pas seulement de terminologie, ce qui serait de peu d’intérêt. Il s’agit de savoir si les mêmes mécanismes ou les mêmes facteurs sont en jeu, ce qui suppose des recherches comparatives. D’où l’intérêt de rapprocher et de confronter des recherches qui peut-être s’ignorent.
Les réflexions qui suivent ne se veulent en aucun cas limitatives. Elles visent seulement à cerner le champ et à proposer quelques pistes.
Des Grecs à nos jours
Selon sa signification étymologique, conversion (du latin conversio) signifie retournement, changement de direction : le mot a fini par désigner toute espèce de retournement ou de transposition.
En fait le mot latin conversio correspond à deux mots grecs de sens différents,
d'une partqui signifie changement d'orientation et implique l'idée d'un retour (retour à l'origine, retour à soi),
d'autre partqui signifie changement de pensée, repentir, et implique l'idée d'une mutation et d'une renaissance.
Il y a donc, dans la notion de conversion, une opposition interne entre l'idée de « retour à l'origine » et l'idée de « renaissance ».
Cette polarité fidélité-rupture a fortement marqué la conscience occidentale depuis l'apparition du christianisme.
Dans la langue classique nous trouvons
« CONVERSION,1 s. f.
1°. Changement, transmutation. La conversion des métaux.
2°. Simple changement de forme: Conversion d'une rente du cinq au quatre pour cent.
3°. Mouvement que l'on fait faire aux troupes. Conversion à droite, à gauche: quart de conversion.
4°. Changement de croyance, de mœurs, de mal en bien. Dans tous les sens, et surtout dans celui-ci, conversion a un sens passif; il se dit de celui qui est converti, et non pas de celui qui convertit: la conversion des infidèles, des hérétiques, des pécheurs. Conversion ne se prend qu'en bonne part, dans ce dernier sens. Rollin dit (Hist. Anc.): « Les Soldats de Syrie furent les principaux ministres, par le moyen desquels se fit la conversion des Juifs, à la religion du Prince (Antioche.) Cette conversion était une véritable perversion: la première est du mal au bien, la seconde, du bien au mal »
Dans la langue contemporaine
On retrouve de nos jours cette diversité de sens dans Le Petit Robert,
Tout d’abord, c’est le fait de passer d’une croyance considérée comme fausse à la vérité présumée.
En second lieu, c’est le fait de se changer en autre chose, en d’autres termes : métamorphose ou transformation. (la conversion hystérique)
Finalement, elle désigne une adaptation d’une personne à une nouvelle activité économique par suite de la suppression ou de la disparition de l’ancienne on parle ainsi de « pôle de reconversion »
La conversion politique
Les premières conversions se rencontrent dans la philosophie grecque. Elles sont le produit des débats. La pratique de la discussion judiciaire et politique, en démocratie, a révélé aux Grecs la possibilité de « changer l'âme » de l'adversaire par le maniement habile du langage, par l'emploi des méthodes de persuasion : les techniques de la rhétorique,
On peut, dans ce registre considérer la philosophie platonicienne comme une théorie de la conversion politique : pour changer la cité il faut transformer les hommes. On retrouve ce trait dans les grands courants de la philosophie antique (stoïciens, épicuriens) : l'homme doit retrouver sa nature originelle dans un violent arrachement à la perversion où vit le commun des mortels et dans un profond bouleversement de tout l'être
Mais la conversion politique est aussi une apostasie : l’apostasie [du grec ancien ἀπόστασις « se tenir loin de », a le sens de « désertion, abandon »] s’employait en grec classique pour parler des défections politiques,
La conversion religieuse
Dans le judaïsme (Dieu demande souvent à son peuple de se « convertir » : c'est à dire de revenir vers lui) et dans le christianisme ces notions de « retour » et de « renaissance » sont omniprésentes ;
La conversion religieuse peut être :
soit le choix d’un sujet en quête d’un perfectionnement ou d’un retour à la source de son système de croyance
soit subie dans le cadre d'un processus de conquête et de domination. C'est la conversion forcée où l’on demande à la personne de renoncer publiquement à une doctrine ou une religion d’apostasier celle-ci, et d'embrasser celle du vainqueur. Mais ce type de conversion restera longtemps suspect à ceux mêmes qui la promeuvent : le nouveau converti doit sans cesse faire la preuve de l'adhésion à sa nouvelle foi. Le sujet concerné risque alors de devenir un redoutable zélote, voire même un inquisiteur implacable. Ce dont l'histoire nous a montré plusieurs exemples.
Les chemins de la conversion
Phénomène psychologique
Les premières études psychologiques du phénomène de la conversion remontent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. La conversion était interprétée, dans la perspective des théories d'alors, comme un remaniement total du champ de conscience, provoqué par l'irruption de forces émanant de la conscience subliminale (W. James).
Ne peut-on la considérer comme une modification plus ou moins rapide du champ des croyances ?
Dans ce cas quel serait le rôle des identifications précoces surtout lorsqu'elles se font sur des personnes ayant des convictions divergentes ?
Ne résulterait t’elle pas, peut être aussi, d’une fascination pour le point de vue adverse surtout lorsqu’on s’est longuement fixé dessus pour le combattre ou simplement le réfuter ?
Là aussi n'y a t'il pas, parfois, identification à un groupe discriminé dont on embrase la cause ?
Evolution cognitive
La conversion rationnelle est une critique : elle opère un jugement sur une tradition jusque-là considérée comme vénérable et sacrée, vis-à-vis de laquelle elle prend de la distance. Elle rejoint alors ce que C. Castoriadis désigne comme étant le passage de l'hétéronomie à l'autonomie.
Il y a des stéréotypes de la conversion qu’il s’agirait d’interroger :
Elle est traditionnellement représentée selon un schéma opposant les longs atermoiements, les égarements précédents la transformation à la révélation reçue tout un coup : il s'agira alors d'un changement d'ordre mental, qui pourra aller de la simple modification d'une opinion jusqu'à la transformation totale de la personnalité (Cf. Paul sur le chemin de Damas)
Il y a un changement du registre de référence Mais ne peut on aussi considérer qu’il s’agit d’un retournement du cadre avec conservation de l’intensité du rapport à l’objet ?
La conversion participe t’elle de la soumission au pouvoir dominant ?
Ou de la révolte contre l’idéologie ambiante ?
Est-ce une même quête ? ou l’inversion de celle-ci ?
Ou ne serait ce pas, au sein des phénomènes de croyance, la découverte par certains des opportunités offertes par l’ascendance et les phénomènes de pouvoir entraînant dès lors le choix d’autres alliances, d’autres références pour accéder au pouvoir
Autre interrogation possible : quand il ne s’agit pas d’une quête de pouvoir, ce passage d'une communauté à une autre s'accompagne souvent de scrupules moraux résultants de l’impression de trahir et d'abandonner une tradition, de perdre ses amis, son réseau de socialité : (voir par exemple les témoignages des militants qui ont rompu dans les années 50 avec le P.C. F.), Cela entraîne des difficultés d'adaptation (impression de dépaysement, d'irréalité ...).
Il est possible d'autre part que les individualités déracinées, celles qui, pour une raison ou pour une autre, sont arrachées momentanément ou définitivement à leur milieu natal, soient plus disposées que d'autres à la conversion.
Voici quelques une des pistes de recherches qui s'offrent à la réflexion sur cette thématique
1 Jean-François FÉRAUD: Dictionnaire critique de la langue française. Marseille, Mossy, 1787-1788,