Récits de vie et sociologie clinique est un ouvrage dynamique qui intéressera aussi bien le lecteur soucieux de mieux comprendre l’approche clinique que les tenants d’une sociologie plus traditionnelle. On y découvre une discipline consciente d’elle-même, soucieuse de sa rigueur, de son éthique, de sa vocation politique comme de sa richesse particulière qui tient en un art de l’exégèse du sujet complet et en une forme maitrisée de pluridisciplinarité. Il y a dans cet ouvrage des résultats et un projet à la fois scientifique et politique. La perspective est étonnante et le lecteur se laisse conduire comme par la main vers l’enthousiasme de ces praticiens pour leur discipline. On y découvre notamment le témoignage d’hommes et de femmes s’engageant eux-mêmes dans la pratique du récit de vie, traçant ainsi les contours d’une nouvelle éthique du chercheur-acteur, qui se livre à un travail d’introspection avant que d’exporter son questionnement dans ses actions et ses recherches. L’approche clinique redéfinit la sociologie comme une connaissance de l’homme total, de l’humain en relation avec d’autres humains. Dans le récit de vie, l’autobiographie, on voit s’ouvrir la possibilité d’étudier les faits sociaux comme des faits sociaux totaux, à la fois faits et représentation et engageant en chacun toutes les institutions qui font société. Il s’agit de comprendre par la sociologie clinique la dialectique entre l’individu en tant que produit de la socialisation et l’individu producteur de société par sa parole et par ses actes. La discussion des différentes formes de récit de vie et des différents aspects de la sociologie clinique constitue à nos yeux une piqûre de rappel pour les praticiens de la sociologie. Elle remet en mémoire le nécessaire effort perpétuel de remise en question méthodologique afin de produire une adéquation entre l’objet de recherche et les méthodes engagées ; un fait social est toujours un fait et en même temps une représentation. On pourrait dire qu’il s’agit d’apprendre à éviter le risque de malentendu cher à Lévi-Strauss1.
Le sujet social et « l’homme total »
La première partie de l’ouvrage s’ouvre sur une entrevue avec Robert Sévigny menée par Lucie Mercier. Cette entrevue avec un des acteurs du développement de la sociologie clinique au Québec a le mérite de clarifier certains points et notamment, l’identité particulière de cette pratique. Pour décrire la pluridisciplinarité immanente à l’approche clinique, Robert Sévigny parle d’une nébuleuse au centre de laquelle on trouverait la psychosociologie, la psychologie et la sociologie accompagnées de toutes les autres sciences humaines. En s’engageant lui-même dans le récit captivant de l’élaboration de sa conception de l’approche clinique, Robert Sévigny revient à de multiples reprises sur la nécessité d’un équilibre maintenu entre les disciplines (équilibre selon lui menacé par un trop grand recours aux ressources de la psychologie). On peut retenir de la notion de nébuleuse un point intéressant. Voilà une discipline scientifique dont le but n’est pas de faire système ni de formaliser à outrance, mais essentiellement de trouver à chaque fois la forme la mieux appropriée à son objet dans le cadre de la recherche comme dans celui de la diffusion des résultats. On peut en induire un perpétuel souci d’adéquation entre les moyens et les fins qui, pour peu qu’il soit conscient, assumé et construit est susceptible de produire une herméneutique à la fois rigoureuse et féconde.
C’est d’ailleurs cette rigueur dans la pluridisciplinarité que Robert Sévigny pense comme la garantie la plus sûre d’un avenir pour la discipline. Dans la nébuleuse conceptuelle et méthodologique, tous les croisements sont possibles pour saisir au mieux le sens des actions sociales dans toute leur complexité. Un des croisements disciplinaires fondamental pour l’approche clinique engage la psychanalyse et la sociologie. Vincent de Gaulejac2 nous démontre comment on peut échapper au drame du carrefour (œdipien ou non), à la disjonctive qui séparerait ces deux disciplines et produire une synthèse nécessaire. Cette synthèse méthodologique permet d’écouter l’homme total, celui que Marcel Mauss voulait identifier. En d’autres termes, pour faire une sociologie rigoureuse, on ne peut s’en tenir à une méfiance rétrograde vis-à-vis du sujet, vis-à-vis du « vécu ». Vincent de Gaulejac écrit que l’histoire a un sens, celui qui lui est attribué par les acteurs. Il y a là une ruse. Certes, Durkheim affirme dans Les règles de la méthode sociologique que le progrès est une prénotion, rejetant ainsi un évolutionnisme a priori. Cependant, Vincent de Gaulejac propose ici une synthèse entre Durkheim et Weber, Natur wissenschaft et geist wissenschaft que Mauss et Lévi-Strauss avaient probablement anticipée. Dans la notion d’homme total pour Mauss, dans le projet de formalisation de l’inconscient collectif pour Lévi-Strauss, dans l’idée d’une nécessaire collaboration entre sociologie et psychologie pour les deux auteurs.
Jacques Rhéaume synthétise ces points dans un article fort habile dans sa construction (« Au cœur de la sociologie clinique : sujet charnel, lien social et acteur sociaux »). Il part d’un effort de redéfinition du sujet dans tous ses aspects (sujet charnel, sensible, mondain, humain) pour délimiter une éthique du clinicien, respectueuse du sujet. Loin de s’en tenir à quelques réflexions éthiques abstraites, Jacques Rhéaume induit des caractéristiques de l’approche clinique une vocation politique au plus noble sens du terme. Il s’agit d’un double décloisonnement que l’on pourrait décrire comme un art de rendre des comptes au sens commun. Décloisonnement académique vertical par la multidisciplinarité et décloisonnement horizontal par la diversité des pratiques mises en œuvre dans la compréhension de l’action. Autrement dit l’être humain qu’étudie l’approche clinique et à qui elle s’adresse rétroactivement n’est pas seulement un agent économique inséré dans un marché mondialisé, c’est un humain complet, un être humain en relation. Il y a dans cette démarche un effort de réhabilitation ou pour reprendre le mot de Jacques Rhéaume, d’ « émancipation ». À ce point de la lecture, on connait au moins le projet politique et scientifique en genèse et dont les développements sont concomitants.
Baliser l’expérience du récit de vie
Le titre du second temps de l’ouvrage intitulé « Expériences biographiques : théories et pratiques » parle de lui-même. Au fil des expériences, le lecteur voit évoluer la méthode dont la souplesse relève presque, nous venons de le voir, d’une éthique scientifique. Un large échantillon de pratiques est donné, occasionnant autant de réflexions méthodologiques. On entend le sujet parler, manifestant toutes les institutions d’une société par le prisme de sa parole. Dans le cadre de la sociologie clinique, cette parole n’est pas entravée et donne un aperçu du sujet inséré, du sujet qui produit et maintient la société par sa propre parole. Elle est balisée ou accompagnée comme dans le cas de l’autobiographie comme pratique dans un cadre clinique exposé par Danielle Desmarais, Isabelle Fortier, Louise Bourdages et Céline Yelle3. L’article essaye de construire un code de bonne conduite du praticien tout en montrant l’enjeu social de cette approche : aborder le sujet non pas comme un agent économique et technique mais comme un être humain qui participe à la reconstruction de sa propre complexité dans le regard des autres mais aussi avant tout à ses propres yeux. Les auteurs pensent le développement de l’autobiographie comme un fait social massif qui trouve naturellement son écho dans la pratique scientifique. Ainsi, pour toujours correspondre à son objet d’étude, le praticien s’inspire des tendances sociales, des réactions spontanées aux situations de souffrances construites et subies collectivement. La rencontre est supposée féconde et semble l’être effectivement. Ainsi, Michèle Edmond4s’empare d’un phénomène de société récent : les romans qui mettent en scène dans une forme de strip-tease les souffrances les plus intimes de l’auteur. En étudiant les raisons du succès de Borderline de Marie-Sissi Labrèche et les codes implicites de genre d’exercice, l’auteure induit un certain nombre de principes méthodologiques. Il faut ainsi renforcer l’attention sur la question de savoir « Qui parle ?» dans un récit narratif, quelles sont les injonctions familiales et sociales à l’œuvre mais aussi et surtout considérer le récit narratif comme une forme possible de reconstruction de soi et donc comme une thérapie dans le cadre d’une action malgré la part humiliante de l’exercice. Le sujet écrasé par l’hyper modernité pourrait ainsi reprendre son autonomie.
Le lecteur attentif remarquera sans doute, une fois rendu à ce point, une petite lacune de l’ouvrage. La notion d’hyper modernité est souvent présente de façon explicite ou implicite. Elle permet de décrire ou de postuler l’existence d’une réalité oppressante pour chacun qui caractériserait les sociétés modernes. Or ce contexte reste flou, mal défini malgré la puissance évocatrice du terme hypermoderne. S’agit-il de décrire une aliénation, un effondrement des liens sociaux, une société liquide selon l’expression de Zygmunt Bauman ? S’agit-il encore de décrire le monde social comme un espace immatériel surgissant de l’intensification des relations entre des agents économiques, produisant une humanité sans liens ? On ne le saura pas et c’est dommage car ces aperçus de la réalité sociale prendraient une puissance politique et une efficacité sociale toute différente, passant d’une échelle microsociologique à une échelle macrosociologique, ou pour le dire autrement, culturelle. On s’en formaliserait presque si les trois articles suivants n’introduisaient pas une tonalité radicalement différente. Danielle Poupard5, Djamel Messikh6 et Maurice Legault7apportent une parole engagée. Ils témoignent littéralement, dans un registre qui leur est propre à chacun.
C’est en tant que psychothérapeute que Danièle Poupard témoigne de la transformation de sa vie professionnelle, occasionnée par la participation aux séminaires « Roman familial et trajectoire sociale ». Ici la rencontre de la sociologie et de la psychologie est mise en scène dans l’interprétation directe des récits de patient. C’est le cabinet du psychothérapeute qui se transforme par le nouvel aspect multi dimensionnel de l’écoute (psychologique, sociologique, familial). Ce détour nous permet de constater au cœur d’une expérience professionnelle personnelle l’efficacité de l’association des deux disciplines. La complémentarité aperçue par Mauss8devient dans ces lignes un fait réel. Djamel Messikh nous entraine pour sa part dans une sphère plus intime sans pour autant que sa parole perde en efficacité ou en sensibilité. Au cours d’un récit autobiographique mêlant guerre d’Algérie, parcours scolaire, relation avec un père proviseur, exigence pour soi ou portée par les autres, parcours professionnels (…), Djamel Messikh témoigne de ce que le récit de soi peut devenir un vecteur d’une liberté particulière. On ne peut pas être totalement à l’origine de soi mais on peut du moins être à l’origine de la compréhension de soi, du regard que l’on portera sur les processus d’identification qui ont jalonné l’édification de la personne complexe que l’on constate être devenu. La démarche aurait quelque chose de sentimental et d’intimiste si elle ne s’inscrivait pas dans la recherche générale de l’ouvrage. Il s’agit de constituer une connaissance la plus fine possible des dispositifs permettant à la parole individuelle (qui est toujours en même temps sociale) de s’exprimer le mieux possible afin de pouvoir recueillir cette parole mais aussi et surtout de lui ménager une place dans les pratiques sociales.
La dernière parole fait la synthèse. Maurice Legault y livre un témoignage très personnel sur le chemin qui l’a mené à s’approprier la technique du récit de vie. On y découvre ce que le chercheur peut approfondir dans un séminaire d’implication ou un montage photographique. De la construction consciente et réflexive de son propre regard sur son histoire familiale, l’auteur peut tirer des enseignements utiles pour l’interprétation des trajectoires sociales qu’il sera amené à étudier. On pourrait même se demander si l’isomorphie qu’il identifie dans sa démarche de montage photographique sur son histoire de vie ne pourrait être considéré comme une maxime par provision pour tout sociologue. Construisant un montage photographique, il adopte le caractère et les méthodes de son père comme pour lui rendre hommage. Tout se passe comme si la construction du récit était déterminée par son objet. On côtoie ici de près le problème de la relation entre le sociologue et ce qu’il étudie. Il s’agit toujours de la rencontre de deux subjectivités incommensurables. A ceci près que dans l’expérience de Legault, l’interaction est consciente, formalisée et mise à profit.
La lecture se poursuit autour de l’histoire de Jean9. Cette histoire contée à trois voix (Vincent de Gaulejac, Lucie Mercier et Jean) nous plonge dans les coulisses d’un groupe d’implication et de recherche (Roman familial et trajectoire sociale). L’action, la rétroaction, l’analyse à chaud et l’évolution de la réflexion, tout y est. La forme narrative et l’implication totale de tous les acteurs permettent de comprendre l’intérêt pratique, théorique et clinique d’une telle démarche. Une fois encore, c’est la force cathartique du récit qui est mise à profit à cette nuance près que l’écriture se fait à plusieurs mains, en prenant le temps de la pensée et les détours de la sensibilité de chacun. On voit dans cet exercice une cohabitation exemplaire entre sociologie, psychologie et psychanalyse. Cette symbiose disciplinaire se crée au cœur du récit et paraît offrir plusieurs types d’efficacité. C’est à la fois une herméneutique, une thérapie et si l’on transcrit cette pratique dans un discours social élargi, un effort politique. Le récit de vie organisé collectivement permet encore de rapprocher éléments qui tout en étant organiquement sociaux sont profondément intimes et personnels. Ainsi, une histoire de vie permettra de mieux appréhender des trajectoires sociales, des parcours spirituels comme en témoigne l’article de Diane Laroche et Céline Yelle10. C’est un véritable travail anthropologique auquel on assiste, dans des modalités exigeantes. S’il fallait transcrire cette pratique dans une anthropologie contemporaine, il faudrait imaginer que l’anthropologue qui part étudier le candomblé au Brésil s’astreigne à la discipline suivante : obtenir et écouter le roman familial des interviewés. Ces derniers deviennent des acteurs à part entière de la construction de la recherche. Ils ne doivent plus seulement répondre mais encore s’engager dans un témoignage. Par ailleurs et simultanément, l’anthropologue devrait s’inclure personnellement dans l’action et tenir compte de cet engagement personnel dans l’interprétation des résultats. Rares sont ceux qui se sont engagés sur cette voix, à part peut être le regretté Jean Duvignaud11 pour qui la recherche doit se construire sur le mode du récit sans que jamais, le narrateur n’oublie sa condition d’homme sensible interagissant avec son environnement.
Cette partie de l’ouvrage consacrée aux expériences biographiques trouve assez naturellement son aboutissement dans l’article de Lucie Mercier et Jacques Rhéaume12consacré à des ateliers sur la retraite. Cependant, cette nouvelle expérience de la pratique du roman familial laisse perplexe. S’agit-il de mieux connaitre le comportement d’individus engagés dans ce type d’atelier ? Est-ce bien ce type de connaissance sur les personnes que l’on recherche ? Ou bien est-ce une thérapie de groupe ? Ou encore une démarche collective engageant tous les participants sur un pied d’égalité et permettant d’obtenir dans un même temps des connaissances scientifiques, des enseignements éthiques et politiques et des expériences profitables pour chacun ? On voit ici en même temps la qualité et la limite de la démarche des récits de vie en sociologie clinique. En faisant participer si activement les personnes qui fourniront la matière des recherches par leur témoignage, on prend le risque de s’intéresser aux réactions des sujets plus qu’à leur propos, ou en d’autres termes de focaliser son attention sur l’efficacité du dispositif sur le « cobaye » et donc de sortir du cadre clinique pour les besoins de la cause théorique. Nous faisons par cette remarque un procès d’intention un peu malhonnête. Il permet cependant de penser une balise d’une pratique qui, si grisante qu’elle soit, n’en est pas moins capable de constituer le sujet intime et charnel en objet consentant d’une étude scientifique, en acteur de sa propre objectivation. Le point qui paraît ici essentiel est de concentrer l’essentiel de l’effort de recherche sur le récit, dont la puissance paraît extraordinairement féconde dans une perspective clinique. Le roman mais aussi le conte et le mythe sont de tels éléments de partage et de construction d’identité collective que l’on devine intuitivement la puissance du récit et surtout du récit partagé, ritualisé, pour intervenir dans les logiques de groupe.
Au-delà du récit de vie, « L’approche clinique en milieu organisationnel et éducationnel ».
La sociologie clinique ne se limite pas à l’expérience du récit de vie et l’ouvrage s’achève avec trois articles consacrés à l’approche clinique dans des contextes particuliers, complexes, engageant non seulement des individus mais aussi des institutions. Ainsi, une étude sur la toxicomanie13 en milieu de travail démontre en combinant les méthodes de la psychodynamique du travail et du récit de vie l’importance pour la sociologie clinique d‘agir, au-delà de l’individu, sur l’organisation du travail. Celle-ci se révèle pathogène : une gestion du personnel brutale, dégradante pouvant renforcer la consommation de substances psycho-actives. L’étude a ceci de particulier qu’elle conçoit le milieu de travail à la fois comme un milieu pathogène et comme le lieu où l’on trouvera les ressources pour améliorer la condition des travailleurs. Cet article a surtout le mérite de démontrer la compatibilité de la technique du récit de vie avec des enquêtes nécessitant une approche plus large que le vécu individuel.
« Ces effets de convergence entre la dynamique individuelle et la dynamique sociale au travail, en toute cohérence avec une approche clinique des situations sociales, obligent à penser l’action sous ce double registre : il y a une part nécessaire d’action collective pour changer l’organisation du travail, réduire l’arbitraire, redonner du sens au travail, retrouver de la solidarité et une part tout aussi nécessaire de travail sur soi, d’estime de soi, d’engagement créatif face à son travail ».
On pourrait appliquer cette vocation de la clinique à l’éthique du praticien. Il faut toujours souhaiter agir sur la situation tout en pratiquant une introspection rigoureuse. Ce faisant, les praticiens payent de leur personne et s’astreignent à une ascèse, ils font de leur métier une vocation. Les risques et les effets positifs de l’action sur des groupes (enseignants et organisationnels) font l’objet des deux derniers articles. Serge Lapointe, Jeanne Marie Rugira, Denise Pilon et Jean Philippe Gauthier14 nous livrent une réflexion presque poétique sur la construction d’un entre-nous par un récit de vie collectif dans un contexte pédagogique (formation universitaire de second cycle). On voit ici certains aspects concrets de la transformation du groupe engagé dans la pratique du récit de vie. L’action est à la fois formatrice et solidarisante. L’ouvrage se clôt sur une mise en garde, un garde-fou utile et clair. Violaine Crevier15 livre une réflexion précise et exigeante sur le devenir de la sociologie clinique et la technique du récit de vie. Poursuivant une réflexion d’Eugène Enriquez, elle montre la déformation de ces pratiques lorsqu’elles servent des fins gestionnaires. Une entreprise pourra ainsi susciter une identité professionnelle ad hoc pour les seuls besoins de sa rentabilité. En lectrice de Foucault, elle identifie tout nouveau savoir à un pouvoir. La construction des identités individuelles et collectives devient un enjeu de pouvoir. Il y a là une frontière à ne pas franchir pour conserver à l’approche clinique sa validité scientifique et sa vocation politique première. Une discipline prévenue en vaut peut être deux.
En guise de conclusion, on recommandera la lecture de ce livre qui offre à la fois un état des lieux et une mise en perspective d’un ensemble de pratique. Les problèmes soulevés par le récit de vie et les autres méthodes de la sociologie clinique touchent à un des enjeux fondamentaux pour la sociologie en général : comment cerner, décrire, fréquenter l’homme total. Par ailleurs l’approche clinique est un exemple de collaboration réussie entre la psychologie et la sociologie. C’est une expérience de pluridisciplinarité qui prend de l’âge et de la profondeur. Enfin, cette démarche prend, dans la prose de certains des auteurs de cet ouvrage le visage d’un projet politique visant à restaurer une certaine humanité en chacun. Une humanité qui prend son temps, cherche à se connaître elle-même, à conter sa propre histoire, bref cette humanité faite de culture que tout oppose aux interactions entre agents économiques dans un monde mondialisé. En sus, on pourra toujours se réjouir, s’étonner ou se distraire du travail de ces auteurs qui écrivent à la première personne du singulier, sacrifiant les normes académiques sur l’autel de leur passion pour la recherche.
1 « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in Marcel Mauss, Sociologie et Anthropologie, PUF, 1950.
2 « La construction du sujet au croisement des approches sociologiques et psychanalytiques ».
3 « La démarche autobiographique, un projet clinique des enjeux sociaux ».
4 « Reconstruction de soi dans un récit de souffrance : Borderline de Marie Sissi Labrèche. »
5 « L’écoute du sociologique et de l’intergénérationnel dans le contexte de la psychothérapie. »
6 « Fragments de vie et parcours d’étude ».
7 « Démarche d’appropriation du récit de vie : témoignage ».
8 Marcel Mauss, Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie, in Journal de psychologie normale et psychologique (1924) ou in Sociologie et Anthropologie, PUF, 1950.
9 « Jamais tu ne prendras ma place, l’histoire de Jean » (volet 1), Vincent de Gaulejac ainsi que « La question de la place dans l’histoire de Jean » (volet 2), Lucie Mercier.
10 « Histoire de vie et trajectoire spirituelle, réflexion sur une pratique »
11 Cf. Le Don du rien, Éditions Téraèdre, Paris 2007.
12 « Au tournant de la retraite, explorer son histoire et définir un nouveau sens ».
13 « Récit de vie et psychodynamique du travail, une étude sur la toxicomanie », Marie-France Maranda, Jacques Rhéaume, Lucie Mercier et Christian Genest.
14 « Sa vie, notre histoire : le récit de vie collectif, une pédagogie soignante ».
15 « Pratique de l’histoire de vie et acquisition de compétences : enjeux de pouvoir ».