N°18 / L'inconscient collectif Janvier 2011

Sociologie de l’inconscient collectif, du rassemblement à l’émeute

Alexandre Duclos

Résumé

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Si la préface de Sociologie et Anthropologiei composée en 1950 par Claude Lévi Strauss comprend un effort théorique nouveau, elle est le lieu d’une mésententeii. L’ « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » fait œuvre de création mais, sans que cela nuise à la qualité de la création, elle manque ce qui aurait pu être décisif dans une lecture fidèle de Mauss à partir de la question du symbolique. Ce point essentiel, c’est la création d’une sociologie de l’inconscient. Mauss, dans sa réflexion sur le symbolique a posé les fondements d’une sociologie de l’inconscient dont l’objet (une forme d'inconscient collectif) diffère radicalement de la perspective Lévi-Straussienne : découvrir les fondements symboliques du social.

Lévi-Strauss repousse la lecture diachronique, la primauté de l’effort théorique sociologique et la vocation politique de l’œuvre de Mauss. Ces points relèvent pour lui d’une faiblesse de cette œuvre. Il part du principe qu’une lecture audacieuse ou tronquée permet au texte de Marcel Mauss de devenir ce qu’il est en puissance. Comme si ce-dernier avait fait une œuvre inconsciente. Lévi-Strauss produit un effort pour formaliser l’inconscient alors que Mauss trace les contours d’une discipline sociologique dont l’objet serait un inconscient collectif vivant, mouvant et échappant de fait à un effort de formalisation par trop abstrait. Il conviendrait plutôt d’en prendre soin collectivement, la sociologie œuvrant pour le mettre à la disposition du sens commun, donnant à son action une valeur morale et politique.

Nous allons remonter le fil du texte de l’Introduction afin d’y distinguer les deux conceptions concurrentes de l’inconscient collectif. Munis de quelques éléments méthodologiques pour une sociologie de l’inconscient, nous pourrons ensuite envisager le rassemblement et l’émeute comme des formes élémentaires de socialisation. De ce point de vue, dans un rassemblement et plus encore peut-être dans une émeute, dans le feu de l’action, l’inconscient collectif produit un ensemble de normes et de contraintes. Il refait société au cœur de l’émeute. Dans une telle perspective, nous pouvons déjà préciser que par inconscient, nous n'entendons pas un contenu mais une disposition individuelle à faire basculer dans l'inconscient une part de ce qui a été élaboré socialement (consciemment ou inconsciemment).

I) La mésentente

a) Le point de départ : dépasser l’obstacle de l’intersubjectivité

Voici en substance le cheminement de Lévi-Strauss à travers l’œuvre de Mauss. Dans Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie, il trouve une description du social comme un monde de rapports symboliques dont la sociologie peut saisir des chaînes immenses. Les conduites symboliques ne le sont jamais par elles-mêmes : elles sont les éléments d’un système symbolique qui ne peut être que collectif. Certes, l’anormal et l’individuel peuvent accéder au symbolique mais cela n’est possible que dans un système dont ils ne sont en dernière analyse que des fonctions. Toute société est un ensemble de systèmes symboliques incommensurables les uns aux autres. Ainsi les shamans sont ceux à qui la société demande d’incarner des synthèses impossibles, des transitions imaginaires. Le symbolique dans le pathologique exprime une fonction nécessaire au symbolique normal. Il y a donc une complémentarité entre psychologie et ethnologie, psychologie et sociologie. Cette dernière jouit d’une préséance vis-à-vis de ces disciplines puisqu’une conduite symbolique ne l’est jamais par elle-même mais par son inscription dans un système symbolique qui est aussi un système social.

De là, Lévi-Strauss analyse le concept de fait social total que Mauss a forgé dans l’ « Essai sur le Don » pour décrire le potlatch et la kula. Le fait social total n’est pas seulement un type de fait exprimant toute les institutions (juridiques, politiques, philosophiques, artistiques, religieuses). Il implique le refus de la distinction entre objectivité et subjectivité. Un fait social total est toujours à la fois une chose et une représentation, un élément d’un système symbolique qui le dépasse. Le sociologue n’a pas affaire directement aux faits sociaux mais aux représentations des individus qui les produisent, aux humains totaux (Mauss écrit aussi « homme complet ») qui rassemblent en eux même la société et la produisent en acte par cette capacité de synthèse. C’est dans le psychisme de l’individu que se fait le lien entre les différentes parties du système social dans lequel il s’inscrit.

Selon Mauss, le sociologue doit faire un effort pour rassembler après avoir divisé les faits sociaux en catégories. Ces-derniers n’existent qu’en et par les consciences. La subjectivité du chercheur doit reconstruire le fait social total, jaillissant de l’action et des représentations de l’humain total. Or si l’analyse sociologique procède d’une rencontre entre deux subjectivités, il y a un risque de malentendu, les subjectivités étant incommensurables les unes aux autres. C’est ce qui légitime le recours à l’inconscient collectif, c’est-à-dire à une dimension où se rencontrent catégories inconscientes et catégories de la pensée collective. L’inconscientiii fait le lien entre le moi profond et les autres, il nous met en communication avec des formes de pensées qui sont à la fois nôtres et autres. Jusqu’ici, l’Introduction reste fidèle à l’œuvre de Mauss.

b) Sociogenèse de l’inconscient collectif ou système symbolique à priori

Mais Lévi-Strauss conçoit le symbolique -et l’inconscient collectif- comme une structure de dépendances internes. Le signifiant est ici plus réel que le signifié et le précède. Le lien logique dans un système, la qualité opératoire du signifiant précède tout système symbolique particulier, rattaché à telle ou telle culture. Dans le symbole, il faut chercher la fonction c’est-à-dire le rapport constant entre les phénomènes et surtout pas ce à quoi sert un fait dans un système social. Il ne faut pas chercher à quoi servent la kula ou le hau et encore moins le rôle que leur attribuent les théories indigènes mais leur valeur opératoire dans le système symbolique inconscient universel. « La méthode est d’une application si rigoureuse que si une erreur apparaissait dans la solution des équations ainsi obtenues, elles auraient plus de chance d’être imputable à une lacune dans la connaissance des institutions indigènes qu’à une faute de calculiv ». La connaissance a priori du système logique est donc au principe de la recherche. On pourra appliquer la mathématique à l’intellection des cultures, non par le biais de la statistique mais par celui d’une connaissance systématique de l’inconscient, le symbolique devenant un langage formulaire de la pensée pure.

Lévi-Strauss s’efforce d’abstraire le hau et le mana des théories indigènes ou sociologiques. Une théorie est un ensemble de propositions, d’axiomes et de rapports qui rendent compte du réel quand notre auteur veut produire non pas une connaissance du réel mais le réel lui-même. Ce réel n’est pas le concret mais une réalité qui précède, un système a priori. Dans le cas du hau et du mana, on a affaire selon lui à une fonction que l’on peut identifier comme un signifiant flottant comblant un écart entre signifiant et signifié, relevant d’une fonction universelle qui permet par son vide à la pensée symbolique de reprendre son efficacité. Un signifiant « flotte » quand il n’est attaché à aucun signifié particulier. Les mots français « truc » ou « machin » ou le québécois « ostie » peuvent recouvrir un nombre indéterminé de signifiés. Dans la perspective lévi-straussienne, le « signifiant flottant » est un symbole à l’état pur. Il est une “valeur symbolique zéro” qui ne signifie rien mais qui signale la limite entre ce qui a du sens et ce qui n’en a pas. Le mana ou le hau marquent une limite au-delà de laquelle on sort du profane, du normal, de l’intelligible pour basculer vers ce qui est magique, sacré et inintelligible. Ils balisent les frontières du pensable, ce qui relève d’une fonction de délimitation à l’intérieur du système symbolique universel.

Pour Mauss au contraire, ce sont des fonctions de socialisation dans des sociétés données.Mauss interprète par exemple l’intraduisible mana essentiellement comme la force. La force répond à un besoin dans un système symbolique : faire tenir la communion. Cette fin n’est pas une fonction à l’intérieur d’un système abstrait, c’est une fonction de socialisation. Lévi-Strauss conçoit le fonctionnement du système symbolique (la valeur opératoire d’une fonction sémantique dans un système abstrait du social) quand Mauss pense le fonctionnement social ou les ruses déployées par le social pour assurer sa propre perpétuation, pour élaborer un système symbolique qui garantisse sa pérennité. En d'autres termes, pour lui, ce qui peut basculer dans l'inconscient, ce n'est pas ce qui détermine et structure la sociogenèse mais bien au contraire la sociogenèse des structures, sans cesses renouvelée et adaptée à chaque occasion de socialisation. L'inconscient collectif, c'est plutôt une manière de faire, une façon de traiter le produit de la sociogenèse et la sociogenèse elle-même.

c) Le « mythe d’origine » du structuralisme

Dans l’hypothèse lévi-straussienne, l’inconscient n’est pas un produit de l’activité sociale, sans quoi il y aurait autant d’inconscients que de situations sociales différentes. On ne peut supposer une acquisition inconsciente du symbolique, c’est-à-dire une innéité que dans le cadre d’une hypothèse théologique. Le système symbolique n’est ni inné, ni acquis, ni produit. Il précède et transcende. L’expérience lui semble démontrer qu’il existe deux registres distincts : la connaissance d’une part et le symbolique d’autre part. L’univers, d’un coup est devenu signifiant et donc symbolique. Le symbolique ne s’inscrit pas dans une évolution historique. La connaissance relève d’une continuité historique. Tout se passe comme si l’humanité avait été confrontée d’un coup à l’ensemble du système symbolique mais se composait lentement un manuel d’utilisation.

« Dans l’état actuel des choses, l’hypothèse de Lévi-Strauss est la seule qui permette de se représenter en même temps le non progrès de l’espèce une fois franchi le seuil du langage (et par conséquent l’unité de l’espèce), et la diversité, la pluralité et la progressivité (inégalement chaotique et cumulative) des développements culturels et sociaux, sans être obligé soit de ramener le passage à l’hominisation au miracle d’une révélation religieuse primordiale, soit de destituer une partie des hommes de leur humanité du fait de l’application d’un critère trop étroit d’humanité. Si on veut bien y réfléchir, ce n’est pas peu et cela mérite considération. Bien sûr, ce discours est le mythe d’origine du structuralisme de Lévi-Strauss, mais (…) l’humanité n’a avancé sur les questions de fond qu’en inventant et en changeant de mythes d’originesv ».

Camille Tarot note le caractère mythique c'est-à-dire fictif de l’explication lévi-straussienne de la naissance du symbolique, mais ce mythe permettrait de penser l’unité de l’espèce. Quelle difficulté rencontre-t-on si l’on affirme que la naissance du symbolique procède de tout effort de socialisation ? On distingue ici un symbolique produit pour les besoins d’une socialisation et un système symbolique structurant toute socialisation possible. Dans une perspective maussienne, on cherchera à découvrir, dans une perspective lévi-Straussienne, on cherchera à vérifier, à subsumer sous une catégorie universelle. Dans le premier cas, l’analyse de l’inconscient n’a pas de fin, dans le second, elle en a une. On pourra imaginer des lois de l’inconscient et y rapporter des séries de faits. Doit-on considérer qu’une discrimination par la connaissance est préférable à une différenciation par le symbolique. Pour Lévi-Strauss, les peuples se distinguent par leur degré de connaissance du symbolique quand Mauss les distinguent par leur interprétation et leur production du symbolique. On peut évaluer rationnellement une quantité de connaissance, pas la qualité d’une interprétation.

d) L’inconscient collectif comme condition a priori à l’abri de la subjectivité

L’inconscient collectif Lévi-Straussien peut faire l’objet d’une appropriation, d’une corruption mais pas d’une transformation. Il n’est ni le réservoir de toutes les pulsions, ni une instance de la psychè intercalée dans la seconde topique entre le Moi et le Surmoi. C’est essentiellement un ensemble logique composé de signifiants symboliques. Cet inconscient collectif n’est pas transmis par une mémoire reptilienne. La question de la mémoire ne se pose que pour la connaissance et pas pour le symbolique puisque ce-dernier existe a priori. Ce qui est explicitement signifié par le signifiant est secondaire et résulte d’une tentative de connaissance. Ce qui est efficace et stable, c’est la fonction du signifiant dans un système de dépendances internes. Ainsi, selon Lévi-Strauss, ce qui serait fondamental dans l’Œdipe ne serait pas le désir d’union avec la mère et de destruction du père mais la question « Comment le même naît-il du même ou du différent ?».

L’inconscient lévi-straussien est parfaitement dissocié de l’imaginaire et de l’affectif. Dans le cadre d’une anthropologie structurale -en genèse dans l’Introduction de Lévi-Strauss huit ans avant la publication du livre du même nom- seules les fonctions méritent d’être identifiés et le système logique dans lequel elles sont efficaces. Lévi-Strauss s’inspire directement de la linguistique structurale et cite les noms de Jakobson et de Troubetzkoy comme autant de nécessité de réorienter les intuitions de Mauss auquel il reproche de penser l’ordre symbolique comme une réalité matérielle contingente (substantialisme), et non pas comme un ordre immatériel a priori. Il veut opposer à théorie sociologique de la genèse du symbolique, une explication par le symbolique de la naissance du social. La linguistique appréhende la langue comme un objet autonome quand la sociologie met en relation les discours et les pratiques sociales. Le recours à la linguistique permet àLévi-Strauss de placer l’inconscient à l’abri des fracas de l’intersubjectivité, l’inconscient collectif devenant un élément asocial ou présocial. On ne peut plus agir sur ce symbolique. C’est une donnée immuable, une condition a priori de la sensibilité que l’on peut simplement mieux connaître. L’inconscient collectif devient une donnée indiscutable et il perd sa valeur proprement sociale. Tous ces points contredisent explicitement l’orientation des recherches et des conclusions de Mauss.

II) Redécouverte de l’inconscient collectif selon Marcel Mauss

a) Le symbolique comme fonction du système social

« Voilà longtemps que nous pensons que l’un des caractères du fait social, c’est précisément son aspect symbolique. Dans la plupart des représentations collectives, il ne s’agit pas d’une représentation unique d’une chose unique, mais d’une représentation choisie arbitrairement ou plus ou moins arbitrairement, pour en signifier d’autres et pour commander des pratiquesvi». La vie des symboles s’inscrit pour Mauss dans l’action d’une conscience collective ou d’un esprit collectif que Durkheim appelle parfois âme collective. L’inconscient collectif procède de cette disposition de chaque individu à la socialisation, c'est-à-dire à l’assimilation de manières d’agir, de penser et de sentir, externe et contraignantes. Cette disposition est une fonction élémentaire de socialisation qui permet à chacun de faire vivre l’âme collective.

Mauss utilise la notion de fonction dans un sens que Durkheim n’aurait pas contesté. Il ne s’agit pas d’une explication finaliste mais elle décrit simplement l’efficacité propre d’un fait social. Ainsi, un crime a pour fonctionvii de délimiter l’identité d’une société et de permettre son édification et sa pérennité. Pas de toute société possible mais de toutes celles données dans l’expérience. Rechercher la fonction de la division du travail, c'est se demander à quel besoin elle correspond pour la société.Le hau et la kula ont pour fonction de maintenir l’échange dans une dimension de sens qui transcende le simple échange commercial et qui fait de l’échange-don un fait social total structurant. La fonction n’est pas un élément d’un système symbolique abstrait mais s’inscrit dans un système social concret. On a besoin de symbole pour communier, pour faire exister le tout dont nous faisons partie.

b) Diachronicité du symbolique

Le système social évolue de même que le symbolique et les fonctions engagées dans le symbolique. Mauss écrit avec une lucidité remarquable : « Toutes les catégories ne sont que des symboles généraux qui, comme les autres, n’ont été acquis que très lentement par l’humanité. (…) ce travail lui-même fut complexe, hasardeux, chanceux. L’humanité a édifié son esprit par tous les moyens: techniques et non techniques, mystiques et non mystiques; en se servant de son esprit (sens, sentiment, raison), en se servant de son corps; au hasard des choix, des choses et des temps (…) ce sentiment de la relativité actuelle de notre raison qui inspirera peut-être, la meilleure philosophieviii ».

Par conséquent, l’élaboration du symbolique est diachronique et relève à la fois du hasard et de la ruse des humains. Mauss ne sépare pas hermétiquement les processus de connaissance et de genèse du symbolique contrairement à Lévi-Strauss. Il y a sociogenèse des symboles, du symbolique et d’une certaine manière, sociogenèse des fonctions, d’abord parce que c’est l’affect (le besoin de communion) qui exige le symbole, d’autre part parce qu’une fonction correspond à une conscience collective déterminée, bien que l’on puisse s’en inspirer pour restaurer une société en proie à l’anomie. Les sociologues ou les anthropologues peuvent identifier des éléments et proposer d’y revenir pour palier à une situation d’anomie. Une telle démarche doit rejeter l’hypothèse d’un symbolique a priori. « L’Essai sur le Don », « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de moi », « Les techniques du corps » sont autant de tentatives de mieux appréhender une réalité symbolique non seulement pour augmenter les connaissances mais aussi et surtout pour faire une œuvre utile moralement et politiquement. En d’autres termes, le symbolique évolue mais qui plus est, on peut et parfois l’on doit le faire évoluer. Certes le symbolique procède d’une pensée qui classe mais cette pensée classe comme elle veut et non selon un ordre préétabli qui relèverait d’un entendement a priori.

« Les techniques du corps » expriment selon Mauss une intention sociale qui en se modifiant au fil du temps, bouleverse le système symbolique et donc l’inconscient collectif. Mauss nous dit que de tels symboles sont des « montages psycho-physico-sociologiques » mais il reste clair à ce sujet : « C’est grâce à la société qu’il y a une intervention de la conscience. Ce n’est pas grâce à l’inconscience qu’il y a une intervention de la société. C’est grâce à la société qu’il y a sûreté des mouvements prêts, domination du conscient sur l’émotion et l’inconscience. C’est par raison que la Marine française obligera ses matelots à apprendre à nager ». Certes la société agit et existe par des faits sociaux qui peuvent être inconscients, mais c’est une activité consciente qui élabore l’éducation des corps. Il s’agit d’une intention sur laquelle on peut intervenir. L’idée même du moi a évolué comme une construction historico-sociologique et juridique à partir du ressenti immuable d’une certaine unité du corps et de l’espritix.

L’ordre symbolique est donc modifiable en fonction des réquisits de la socialisation. Cette diachronicité nous mène comme par la main au point suivant : le symbolique comme objet d’une responsabilité collective. Mauss propose comme un devoir moral le fait de retourner à des éléments proches de l’échange-don pour modeler des formes de mutualisation dans l’économie moderne -le travail du chercheur consistant à mettre à disposition du sens commun des éléments-. « Ainsi, on peut et on doit revenir à de l’archaïque, à des éléments… ce sera un grand progrès fait, que Durkheim a souvent préconisé x». Ici, l’anthropologique rejoint immédiatement le politique ou plutôt ce que Durkheim aurait appelé la morale c'est-à-dire ce qui permet à une société de rester cohérente.

c) Éléments de méthode

Lorsque Mauss affirme que le symbolique est plus réel que le réel, il faut peut-être éviter de comprendre que le signifiant est plus réel et plus important que le signifié. Peut-être faut-il comprendre au contraire qu’un symbole est tout à la fois signifiant et signifié et que cette distinction n’est pas probante à cet endroit de la réflexion. En d’autres termes, le symbole complet est un objet à part entière, possédant son efficacité propre. Il est à la fois signifiant et signifié parce que son corps (son ou matière) est par lui-même efficace. On pourrait postuler que le Hau, le mana, le totem comme l’idée de mort sont des signifiants-signifiés (même si Mauss ne franchit jamais ce pas) dont l’efficacité sur des consciences humaines se passe de matérialité.

Ce parcours dans l’œuvre de Marcel Mauss peut nous offrir ce qui s’apparente à un cadre théorique et méthodologique pour une sociologie de l’inconscient collectif qui, à notre connaissance, n’a pas encore été formalisée. Elle serait basée sur les éléments suivants :

  • L’inconscient collectif surgit dès qu’il y a un groupe. C’est une fonction élémentaire de socialisation qui permet à chacun d’incorporer consciemment ou inconsciemment un ensemble de normes et de contraintes collectives qui fondent l’unité et l’identité du groupe et de les mobiliser inconsciemment. Cette disposition permet à la fois l'acquisition de catégories sociales de l'entendement et leur appropriation à l'intérieur d'une synthèse individuelle.

  • Il permet aux individus de communier sans fusionner en créant, dans un système symbolique, les éléments de la distinction (clan, famille, individu, hiérarchie…).

  • Il est le point central des relations intersubjectives et accessoirement de celles qui caractérisent la rencontre entre le chercheur et l’humain total

  • Il est induit par le besoin de communion et doit être considéré comme un produit du social.

  • Il est changeant, modelable, et son analyse livre des formes élémentaires de socialisation.

  • Son étude requiert la suspension de l’utilisation des cadres théoriques pour écouter la théorie indigène.

  • Son évolution est diachronique.

  • L’inconscient collectif peut être élaboré consciemment.

  • Il ne sert de rien de présupposer sa modélisation.

III) Du rassemblement à l’émeute

a) Inconscient collectif et effet de foule

Durkheim, probablement influencé sur ce point par son neveu, pense la naissance de la religionxi dans le rassemblement de clans à l’occasion d’une cérémonie religieuse dans une tribu aborigène. Le sentiment religieux proviendrait de ce que le groupe perçoit la puissance du social, la totalité des normes exprimées en même temps et interprète cette puissance comme une manifestation du transcendant. Mauss nous permet de préciser ce postulat. Le rassemblement est ici pensé comme un moment où s’exprime un besoin ou un désir de communion. L’inconscient collectif pourrait être conçu comme ce qui, dans la communion, apporte les normes, les contraintes et les statuts qui permettent de maintenir des différences et d’éviter que la communion ne devienne fusion. L’inconscient collectif serait alors l’ensemble des normes acceptées implicitement pour faire naître une scène sociale. Élaborer un système symbolique serait, dans une telle hypothèse, une étape nécessaire pour maintenir la différence, la pluralité des individus dans le mouvement de communion. Un système symbolique serait ainsi en même temps la condition de possibilité et la limite de toute communion et de tout rassemblement, le point d’équilibre entre intégration et régulation. La norme permet d’établir la hiérarchie, les différents statuts, les frontières et ainsi de maintenir la pluralité des êtres humains.

Dans une telle perspective, on doit considérer le moment du rassemblement comme celui de la création ou du renouvellement des normes. Tout se passe comme si ces dernières étaient naturellement induites par le rassemblement pour permettre au groupe de se maintenir, d’intégrer sans assimiler, de concilier en chacun le semblable et le différent. D’un point de vue sociologique, l’inconscient collectif relèverait donc moins du ça que du surmoi. Pour qu’une scène sociale soit vivante, il faut que tout ou partie des normes soient implicites, inconscientes et ne doivent pas faire l’objet d’une renégociation avant chaque action sociale. C’est parce que la norme est intégrée et inconsciente qu’elle s’apparente à un fait social et pas à un choix individuel. L’inconscient collectif produit immédiatement de la norme. Il permet au rassemblement de ne pas devenir une transe dans laquelle tous les rôles sociaux seraient suspendus, les identités devenant instables, la fusion et la confusion devenant la règle. Il institue la scène sociale et le jeu social. De là, on devrait penser que ce dont la foule s’émeut lors d’un rassemblement, c’est de sa faculté à produire un système de normes inconscientes qui permettent à chacun de demeurer unique tout en appartenant au groupe.

Cette puissance du collectif n’agit pas que sur l’esprit mais encore sur les corps par le biais de l’inconscient collectif. Un système symbolique peut même tuerxii. Les humains se sont mélangés grâce aux symboles et leur existence physique et psychique en dépend maintenant. Le symbole peut n’être qu’un mot, une formule magique. Mauss rapporte le cas d’individu mourant réellement d’avoir seulement transgressé un interdit en tuant un animal totem hors des règles prescrites. Le symbole qui est la partie immergée de l’inconscient collectif a une puissance létale. L’inconscient collectif peut exiger ou induire la mort d’un membre du groupe sans que le groupe ait à intervenir explicitement. Il laissera l’inconscient agir à sa place (i.e. il l'agira).

b) L’émeute anti-institutionnelle : une appropriation de la création de normes ?

Les institutions matérielles ou immatérielles peuvent être à l’origine de faits sociaux inconsciemment produit et incorporés, consciemment produit, consciemment incorporés et inconsciemment reproduit... Mais il est peut-être plus fécond (parce que plus inhabituel) de considérer des faits sociaux construits dans des rapports spontanés et éphémères (hors institution). Les phénomènes de foules sont intéressants à cet égard. Dans notre perspective, ils seraient le lieu d’une réappropriation de la norme et de sa production. Dans le cas d’une émeute, l’équation pourrait sembler paradoxale. Des émeutiers s’insurgeant contre un ordre établi produiraient en réalité un nouvel ensemble de normes et de contraintes. Ils se réapproprieraient la production de normes et ce à la fois consciemment et inconsciemment. Ainsi, les émeutes spontanées dans les banlieues française relèveraient moins d’une contestation de l’ordre que de la création de nouvelles contraintes et chemin faisant, d’une nouvelle société. Comme si le désordre exalté induisait mécaniquement un nouvel ordre symbolique. Ce dernier n’est pas difficile à concevoir, et il se laisse observer même (et surtout) dans le feu de l’action. Ainsi, une première distinction s’opérera entre « eux » et « nous », ceux qui sont ligués contre et ceux contre qui on lutte. Cette distinction impliquera des codes vestimentaires, verbaux et des manières d’agir, de sentir... A l’intérieur du groupe agissant se créera presque immédiatement une hiérarchie basée sur l’âge, l’aura, l’audace, l’expérience, l’habileté, l’affection, les habitudes (…). Cette hiérarchie impliquera des solidarités et des connivences différenciées. De même, il se créera des normes définissant ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. On peut brûler une voiture, caillasser un car de police, mais pas tuer son camarade de lutte. On n’agira pas de la même manière avec une femme, un homme, un voisin, un fonctionnaire, une personne âgée, un journaliste (toutes ces frontières évoluant)...

Même dans une émeute, il y a ce qui « se fait pas » et ce qui se fait. Que l’on prenne l’exemple des émeutes de novembre 2005 dans les banlieues françaises. La Fédération Française des Sociétés d’Assurances estime qu’à travers la France, 10 000 véhicules ont été brûlés, 233 bâtiments publics et 74 bâtiments privés ont été dégradés dans 300 communes, des policiers ont été la cible de balles réelles de Brest à Saint Denis en passant par Montfermeil. « Une remarque s’impose : la rareté (voire l’absence), généralement passée sous silence par les médias, de prédations (…) Il y eut des saccages (et en l’occurrence des incendies) mais très peu de pillagexiii». S’agissait-il d’une pratique concertée consciemment par des émeutiers dans 300 communes, d’une communauté de culture, de but (utiliser l’image et attirer l’attention plus que s’enrichir) ? Sans une enquête détaillée sur ces évènements, nous ne pouvons répondre à ces questions. Mais nous pouvons déjà établir que, dans la pratique de ces émeutes, une norme s’est imposée dans les comportements, que celle-ci ait ou non une visée politique, morale, technique, religieuse… Même dans le feu de l’action, on peut distinguer une norme éphémère. Cette distinction relève de manière obvie d’une réappropriation de la production de normes (ces-dernières ayant toutes les chances d’avoir été non-concertées i.e. inconscientes).

On peut postuler que l’assimilation rapide de règles implicites participe de l’euphorie ou de l’excitation que l’on peut ressentir lors d’une émeute. Elle participerait aussi de l’intégration efficace que produisent ces phénomènes de foules. Aller au feu, au combat, ne créé pas une communauté d’identité par l’accumulation de souffrances partagées. Cette identité commune se construit par l’aptitude inconsciente à assimiler l’ensemble des règles que le groupe d’émeutiers produit au cœur même de son action.

Cette normalisation peut résulter d’une culture de lutte ou de protocoles bien établis. Lors de l’occupation de la Sorbonne pendant le mouvement du CPE du 08 au 10 mars 2006, nous avons été témoin de la rapide organisation d’un mode traditionnel de régulation des conflits afin de produire les règles qui régiraient l’occupation et une tentative de mise au pas des quelques individus récalcitrants qui projetaient l’incendie de la bibliothèque de l’École des Chartres. La pratique de l’assemblée générale organisée par une foule qui bouscule une institution témoigne activement de ce qu’un mouvement anti-institutionnel peut-être, en même temps, immédiatement producteur d’institution. Le système symbolique et l’inconscient collectif, s’ils agissent directement dans ces actions y sont en même temps particulièrement disponibles et malléables.

La connaissance de l’action de l’inconscient collectif permettrait d’améliorer la compréhension d’une émeute. « Pour rechercher une issue à ces querelles sur la « vérité de l’émeute », on peut bien sûr songer à demander aux émeutiers d’arbitrer ces luttes symboliques. Mais les classes dominées jusque dans la production de leur image du monde social ne parlent pas, elles « sont parlées » comme dit Pierre Bourdieuxiv ». La simple production d’une émeute indique déjà, dans notre perspective, un effort de réappropriation de la production de normes, la création d’un nouveau système symbolique, d’une nouvelle socialisation. Considérer la violence anti-institutionnelle comme productrice d’institution pourrait être un point de départ fécond pour interroger les émeutiers.

Notre analyse n’est pas fondée sur un jugement de valeur. Les régimes fasciste ou nazi ont été construits par des individus qui se comportaient comme des émeutiers (la marche sur Rome, les chemises brunes ou noires, le putsch de Munich, les pogroms…). Ils ont su par la suite produire une esthétisation de la politiquexv qui consistait essentiellement en une glorification de la foule et de la guerre. Les grands rassemblements de Nuremberg en eux même et par leur utilisation médiatique agirent sur l’inconscient collectif, notamment en diffusant le sentiment de la refondation d’un collectif uni, bien délimité et purifié par un effort continu d’intériorisation de l’ordre puis d’éradication du différent (du désordre). La pratique du défilé fut d’ailleurs généralisée dans les jeunesses hitlériennes. La fanatisation procède dans ces cas d’une intention consciente mais participe d’une utilisation de l’inconscient collectif dans laquelle l’individu disparaît presque totalement. Ces exemples donnent une idée de la puissance intégratrice et régulatrice des rassemblements et de la mise en scène de la foule. L’inconscient collectif s’en trouve durablement modifié (non pas en tant que contenu -nous ne comprenons pas l'inconscient comme contenu- mais en tant que lieu de production et d'incorporation de la norme).  

c) L’anomie, ou la métis de la norme

Jean Duvignaud dans Le don du rienxvi donne une interprétation du mana qui peut nous intéresser ici. Cette sensibilité est pour lui une place laissée à l’autre versant du social, son contraire, l’anomique absolu, la puissance immaîtrisée de la nature et de la matière. Il y voit la disponibilité humaine au sublime, un retour à un tête-à-tête avec une nature infinie, immaîtrisable. L’immaitrisable se trouverait borné tout en restant disponible. Cette hypothèse n’est pas antinomique avec les nôtres. Il faudrait simplement considérer que la place laissé à l’anomique dans les « rituels » de transe ou d’émeute correspond à une ruse de certains peuples. En plaçant de l’anomique au cœur de la norme, ils rendraient le système symbolique plus cohérent, plus facilement appropriable.

Si l’on peut parler de ruse ou de métis (l’intelligence rusée des grecs), c’est parce que l’inconscient collectif, si l’on suit les intuitions maussiennes, est consubstantiellement un produit conscient et une fonction inconsciente. On notera au passage que Durkheim dans Les Règles de la méthode sociologique donne l’exemple des effets de foule pour décrire l’essence du fait social. Il s’agit bien d’un évènement circonscrit dans le temps et l’espace dans lequel, par une alchimie étrange, tous font ce que personne n’aurait fait individuellement. L’identité collective née du rassemblement et de l’action collective transcende immédiatement, inconsciemment les individualités ainsi que les contraintes relevant d’autres groupes plus pérennes. Cet exemple a ceci de décisif que la contrainte y est à la fois construite et inconsciente. « L’histoire abonde à ce sujet. Il suffit de penser à la nuit du 4 aout, où une assemblée fut tout à coup portée à un acte de sacrifice auquel chacun de ses membres se refusait la veille et qui furent tous surpris le lendemain. C’est pour cette raison que tous les partis politiques, économiques, confessionnels prennent soin de provoquer périodiquement des réunions où leurs adeptes puissent revivifier leur foi commune. Pour raffermir des sentiments qui, abandonnés à eux-mêmes, s’étioleraientxvii». Il s’agit bien là de ruse, d’un savoir-faire qui participe pourtant d’une fonction symbolique, d’une disposition à l’inconscient collectif. Cet exemple illustre le génie propre de l’intersubjectivité. Suivre Mauss, c’est s’astreindre à respecter cette complexité irréductible.

En franchissant avec lui l’idée d’un inconscient collectif, consistant en un système symbolique construit, modelé et agit en grande partie inconsciemment, en nommant ce dont on s’occupe lorsque l’on fait des Sciences Sociales, on ouvre une nouvelle perspective : une politique consciente du symboliquexviii. La perspective maussienne transforme la socialisation en problème simultanément politique et psychique, collectif et individuel. Elle exige que l’on considère cette part inconsciente de la vie sociale qui donne du sens au rassemblement, au groupe, à la vie au-delà de la solitude individuelle. La disposition à l'inconscient collectif, c'est aussi probablement la chose qui rapproche le plus les membres d'une communauté tant l'essentiel des faits sociaux incorporés, des manières de sentir ou d'agir qui rapprochent les individus sont acquis et et produits inconsciemment -ce qui donne lieu à des théories indigènes sur l'innéité du groupe, l'essence, la puissance ontologique du « nous ».

Conclusion

Dans ces lignes, nous n’avons fait que poursuivre analytiquement le propos de Mauss. Cet effort permet de parler avec sincérité de l’objet de toute sociologie s’inspirant de cette tradition. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’absence de la formule « inconscient collectif » dans la méthodologie classique en sociologie. Il est envisageable que l’anthropologie structurale en soit en partie responsable.

« Une pensée du symbolisme, qui est une pensée de ce qui unit de manière transversale les plans apparemment disjoints de la totalité sociale empirique, doit rester hermétique et irrécupérable par toutes les formes de pensée disciplinaire. (…) Mais il est une autre manière de le manquer, partiellement cette fois, c’est de ne s’intéresser qu’à la seule forme — abstraite de surcroît; à l’abstraction de la forme — de l’union transversale. Et d’en manquer ainsi à coup sûr la chair, aurait dit M. Merleau-Ponty, qui avait sans doute placé trop d’espoirs dans le structuralisme naissant. Car c’est bien dans ce défaut, en effet, qu’est tombé largement le structuralisme aussitôt qu’il a posé que le signifiant précédait, voire remplaçait le signifié, et que, du même coup on pouvait se dispenser de s’intéresser à l’activité, à la lutte concrète des hommes concretsxix »

Mauss échappe aux deux obstacles et fournit une troisième voie. On conçoit avec difficulté une méthode plus pluridisciplinaire que celle de Mauss qui veut engager dans le même effort scientifique sociologie, anthropologie, ethnologie, psychologie, linguistique, sémiologie, philologie, droit, philosophie et histoire. Il est le promoteur d’une méthode éclectique et soutient qu’une méthode n’a de valeur qu’en tant qu’heuristique. Mauss n’a pas renoncé à l’homme total, ou pour reprendre l’expression de Tarot, l’homme « feuilleté » qui n’est pas un homme complexe mais un être synthétique a priori, un être qui par sa capacité de synthèse produit du social. Dans fait social, il y a faire société et c’est toujours de cela dont il est question avec Mauss. Ce faire société dépend d’une disposition de chacun à l’assimilation consciente ou inconsciente de normes, à leur mise en jeu consciente ou inconsciente dans l’action sociale et son corollaire, la constitution d’un inconscient collectif. Cette disposition est contenue implicitement dans la notion même de fait social. Les humains sont disposés à adopter des manières de penser, de sentir et d’agir qui leurs sont externes et qui les contraignent. Cette faculté d’absorption, d’accumulation et de synthèse dans l’action structure le groupe et rend possible la pérennité du rassemblement d’entités différentes. On peut décrire l’inconscient collectif comme un entre-nous et sur ce point, l’inconscient collectif n’est pas très différent de l’inconscient des théories psychanalytique, toujours à la fois en nous et hors de nous. C’est la trace en nous de notre appartenance au groupe. Ce surmoi ne renonce cependant pas à sa « chair » et reste la grande affaire de ceux qui se rassemblent, et notamment de la foule qui produit instantanément un ensemble de normes nouvelles afin de se maintenir, de se vivre en tant que nouveau groupe.

Lévi-Strauss dans l’Introduction a délimité un champ autonome, un inconscient collectif universel, a priori, transcendant la réalité sociale. Mais le pas extraordinaire initié par Mauss fut de constituer le symbolique comme un objet à la fois social, politique, religieux, scientifique et esthétique, mais aussi et surtout comme un registre en partage, en travail, capable de transformer radicalement la pensée collective et par conséquent une société. Il décèle dans la puissance de ce registre la voie la plus simple d’atteindre au cœur du social. Le penser en anthropologie, c’est le remettre en discussion pour le sens commun, le rendre disponible à la controverse et c’est faire une œuvre morale et politique.

i  Mauss, Marcel, P.U.F, Paris, 2004, première édition en 1950.

ii  Cf. Rancière, Jacques, La Mésentente, Paris, Galilée, 1995.

iii  Le terme est utilisé par Mauss comme par Lévi-Strauss, cf. Introduction, pp. XXXI.

iv  Cf. Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, pp. XXXIV.

v  Cf. Tarot, Camille, De Durkheim à Mauss, l’invention du symbolique, Paris, 1999, La découverte/ M.A.U.S.S, pp. 635.

vi  Cf. Mauss, Marcel, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », in Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F, 2004, pp. 294.

vii  Cf. Durkheim, Émile, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F, 2002, pp.67.

viii  Cf. Mauss, Marcel, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », in Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F, 2004, pp. 309.

ix  Cf. Mauss, Marcel, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de moi », in Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F, 2004.

x  Cf. Mauss, Marcel, « Essai sur le Don », Sociologie et Anthropologie, P.U.F, 2004, pp.263.

xi  Cf. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, P.U.F, 1960.

xii  Mauss, Marcel, « Effet physique chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité », in Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F, 2004.

xiii  Cf. Mauger, Gérard, L’émeute de novembre 2005, une révolte protopolitique, Editions du Croquant, Broissieux, 2006, pp. 53.

xiv  Ibid, pp. 132.

xv Cf. Benjamin Walter, L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique, Traduction de Maurice de Gandillac, Paris, Editions Allia, 2007, pp 75.

xvi  Éditions Téraèdre, Paris, 2007, pp. 91, 93

xvii  Cf. Les formes élémentaires de la vie religieuse, P.U.F, 1960, pp.300.

xviii  Sur ce point, les séminaires d’Olivier Clain à l’Université Laval, sur le symbolique ont nourri notre réflexion, ses recherches visant plutôt une politique inconsciente du symbolique.

xix  Cf. Alain Caillé, Présentation, Revue du Mauss, n°12, « Plus réel que le réel, le symbolisme »

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