N°18 / L'inconscient collectif Janvier 2011

Entre agir et institution : quelle place pour l’inconscient collectif ?

Céline Attard, Jean-Louis Pedinielli

Résumé

L’agir dans l’institution est envisagé d’une part, dans sa fonction substitutive de la pensée, en rapport à l’inconscient collectif et aux manifestations transférentielles et d’autre part, dans sa position carrefour entre l’intérieur et l’extérieur, en rapport à l’articulation entre réalité psychique et réalité sociale. (Chasseguet-Smirguel, 1987, Balier, 1998) L’institution, dans sa conjugaison du singulier au pluriel, constitue un support privilégié où l’agir vise la restitution d’une maîtrise sur la réalité sociale, par l’exercice d’une emprise sur l’objet sujet. L’inconscient collectif s’illustre dans cette part de la vie sociale lorsque, au-delà du sujet, la mise en acte s’inscrit dans une alliance collective et lorsque l’aliénation institutionnelle est proposée comme perspective idéologique, interrogeant ainsi le sujet de droit, le sujet social et le sujet de l’inconscient. (Castoriadis, 1975, Foucault, 1976)

Acting within institution is seen on one side as a function substitutive of thought, in relation with collective unconscious and expressions of transference and, on the other side, as a crossroad positioning between inside and outside, related to the link between psychological and social realities (Chasseguet-Smirguel, 1987; Balier, 1988).
Institution, either as one or as a plurality, is a privileged basis in which the purpose of acting is to re-establish control of social reality, by exercising influence over the object as a subject. In this part of social life, collective unconscious is highlighted when, beyond the subject, acting is associated with collective alliance and when institutional dependency is presented as an ideological perspective, therefore questioning the subject as regard the law but too the social subject and the subject of unconscious. (Castoriadis, 1975, Foucault, 1976)

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1.- Histoire du concept : de l’hypothèse de l’inconscient à celle de l’inconscient collectif

L’inconscient collectif est un concept ancien qui recouvre un large champ théorique, le situant au sein d’un carrefour pluridisciplinaire. Né de la psychologie analytique et introduit par Carl Gustav Jung (1900), ce concept est rejeté d’emblée par la communauté psychanalytique, conduisant à des débats controversés au regard de sa valeur scientifique. L’abord de ce concept sous l’égide de la complexité (Morin, 1990) propose au niveau épistémologique et heuristique une approche suffisamment large retraçant ses nuances, ses articulations et ses spécificités propres.

L’histoire du concept d’inconscient collectif est composée de certains faits psychologiques et se trouve illustrative de différentes utilisations déviantes et abusives servant des causes autres que scientifiques. Nous allons ainsi dans ce premier chapitre tenter d’éclaircir le concept d’inconscient collectif au niveau psychanalytique ainsi qu’au niveau des différents points de questionnement qu’il propose, à partir d’une approche généalogique.

Carl Gustav Jung, sur la base des travaux freudiens, donne naissance au concept d’inconscient collectif en le différenciant de ce qu’il nomme l’inconscient personnel, très proche au départ de la conceptualisation de l’inconscient freudien. Ainsi, au delà d’un inconscient réactif et dynamique, il envisage un inconscient collectif composé de contenus universels qui, au même titre que les contenus « individuels », les représentations de chose, influencent la vie psychique du sujet, en primant sur la conscience.

Un premier niveau de questionnement théorique intervient d’emblée au regard des rapports, et éventuellement des relations, entre l’inconscient freudien (ou personnel jungien) et l’inconscient collectif. En ce sens, si Freud renonce au terme d’instinkt au profit de celui de Trieb, donnant ainsi toute sa spécificité à l’inconscient à partir du concept de pulsion comme moteur de l’appareil psychique, Jung envisage lui les contenus de l’inconscient collectif, sous ce qu’il nomme les archétypes et les instincts, communs à l’histoire de l’humanité. Il cherche ainsi à étayer cette hypothèse métapsychologique à partir du support du rêve qui valide la récurrence de certains contenus et matériaux n’appartenant pas uniquement à un registre individuel mais se référant à l’universel et à la logique du mythe.

Jung fonde toute son argumentation conceptuelle sur le postulat que « nous ne sommes pas d’aujourd’hui mais d’un âge immense », insistant sur l’intérêt de reconnaître l’existence d’un inconscient collectif afin d’en repérer les manifestations et leurs influences sur la vie psychique du sujet.

Il apparaît ici une différence fondamentale entre l’inconscient freudien, constitué à partir du refoulement originaire, et l’inconscient collectif, jungien, constitué de tout ce qui n’est pas conscient et qui est inhérent à la réalité, la culture et à l’histoire de l’humanité. Se profile ainsi un second questionnement théorique fondamental autour des notions d’héritage et de transmission psychique ainsi qu’autour des enjeux et processus psychiques qui sous-tendent cette dite influence sur la vie psychique du sujet.

Freud et Jung

L’inconscient collectif, malgré cette conceptualisation naissante au sein des travaux freudiens, sera rejeté par Freud, par la psychanalyse de l’époque mais aussi actuellement par la psychanalyse contemporaine. Il s’agit, comme le souligne Assoun (1997), d’un conflit théorique tenant pour différend les positionnements radicalement opposés sur lesquels évoluent la psychanalyse de Freud et la psychologie analytique de Jung et qui ne feront que se renforcer après les années 1910, à partir de l’œuvre de Jung, Métamorphoses et symboles de la libido. En effet, Freud évoque une modification si obscure de la psychanalyse et une vision si confuse qu’un positionnement à son égard s’en trouve compromis. Selon Freud, il s’agirait davantage d’une « vision du monde » à laquelle l’accès se trouve tributaire d’une subjectivité voire d’une suggestibilité.

Pourtant, Jung se situe au départ dans une aspiration profondément freudienne à la fois dans le fond des débats théoriques et dans la forme des premiers écrits proposés, centrés sur un point théorique qui se trouve précisément évalué à partir d’une hypothèse métapsychologique et des difficultés cliniques impliquées. Ainsi, dans une démarche scientifique très similaire à celle utilisée par Freud, venant questionner aussi le rapport de Jung à Freud, Jung cherche à valider son hypothèse de l’inconscient collectif notamment sous le prisme du rêve qu’il envisage, au même titre que pour l’inconscient, comme une manifestation, une formation de l’inconscient « collectif », permettant l’analyse de ses contenus. Il envisage ainsi un inconscient primaire construit sur la base du refoulement originaire des contenus phylogénétiques, initialement définis par Freud comme une certaine part innée de l’individu et qu’il nomme « les précipités de l’histoire de la civilisation humaine ».

Progressivement, Jung propose une interprétation des rêves singulière, pensés comme des messages venant transmettre des informations de la partie instinctive du sujet, donnant ainsi accès aux archétypes. Par ce biais, il propose ainsi un rapport entre inconscient personnel et inconscient collectif, considérant le rêve, au même titre que Freud, comme la voie royale d’accès aux différentes strates de l’inconscient. Jung reste ainsi très proche de l’inconscient freudien que l’hypothèse de l’inconscient collectif n’exclut pas et n’invalide pas. Il envisage alors l’inconscient comme un réceptacle des données refoulées mais postule l’idée, qu’à côté de ces contenus personnels, il existe d’autres contenus, de nature universelle. Jung propose ainsi une dualité conceptuelle mettant en avant une démarcation entre un inconscient personnel dont les contenus refoulés correspondraient au registre de l’acquis et un inconscient collectif chargé de contenus neurologiquement hérités et pensés comme un héritage historique qui correspondraient à la part de l’inné.

Jung décrit ainsi plusieurs strates comme composantes de l’inconscient collectif avec en premier lieu l’inconscient familial, puis l’inconscient de groupe, ethnique et culturel et enfin l’inconscient primaire. Il insiste sur le fait que son concept est au centre d’une vision autre de l’individu et de son rapport au monde. Cependant, selon Freud, cette hypothèse annoncée par Jung n’est pas de nature psychanalytique, amenant celui-ci à soutenir le point de vue que le jungisme n’est pas une approche des processus inconscients mais une « vision du monde » qui ne fait pas référence à la science de l’inconscient et qu’il n’est ainsi possible de référer au champ théorique de la psychanalyse. « La mythologie des complexes » tel que Freud nomme le jungisme, s’éloigne alors considérablement de la psychanalyse ; éloignement marqué par une rupture entre les deux hommes et renforcé par les travaux de Jung notamment ceux concernant la découverte de l’alchimie (1920).

Pour Freud, l’hypothèse de l’inconscient nait du refoulement de tendances pulsionnelles insatisfaisantes et/ou inconciliables avec la réalité. Il refuse ainsi l’existence d’un inconscient collectif même s’il reconnait la récurrence de motifs symboliques à travers l’histoire et l’espace qu’il nomme « les fantasmes originaires », tout en admettant ce qu’il nomme des schèmes originaires considérés comme des traits héréditaires présents chez tout sujet. Il s’agit en effet pour Freud, de contenus phylogénétiques qui n’ont rien à voir avec une structure et/ou une instance telle que l’inconscient collectif.

Pourtant, Freud abordera dans l’Homme Moïse et la religion monothéiste (1939), la question de l’hérédité comme des vestiges de la mémoire liés aux expériences des générations antérieures et plus uniquement sous le prisme de prédispositions naturelles et biologiques. Par cette hypothèse des traces mnésiques, Freud se rapproche sensiblement de la notion d’archétype, abordant ainsi à plusieurs reprises l’idée d’une « âme collective » qui sous-tend la possibilité d’une transmission transgénérationnelle d’une partie du psychisme.

L’inconscient collectif, psychanalyse et politique

Ainsi, cette hypothèse d’un inconscient collectif, décriée par la communauté psychanalytique, a suscité autant de rejet que d’intérêt pluridisciplinaire, amenant un certain nombres d’auteurs vers la tendance à prouver et approuver ses différentes manifestations. En ce sens, Ferenczi évoquera également l’idée que l’inconscient prend ses racines et son essence dans le biologique de l’être et que cet inconscient biologique contient des symboles qui ne sont pas seulement des contenus imaginatifs mais des traces historiques de faits biologiques refoulés.

Cependant, progressivement ce concept finira par largement déborder du champ de la psychologie analytique et de la psychanalyse, réutilisé entre autre au profit de la spiritualité où il sera envisagé comme une sorte de « mémoire universelle » permettant à l’homme d’entrer en contact avec lui-même et avec les autres, conduisant à des spéculations autour de l’« âme du monde ». Il trouvera ainsi une place dans la psychogénéalogie, dans la littérature, le cinéma, la culture lui offrant un statut relativement populaire mais qui propose parallèlement un débordement considérable de son cadre de référence propre, faisant défaut à sa crédibilité.

En effet, les critiques relatives à la validité scientifique du concept d’inconscient collectif proposé par Jung sont de deux niveaux. D’une part, elles sont internes au monde psychanalytique et d’autre part, elles sont externes et concernent la dimension politique. Ces deux niveaux proposent réciproquement un double niveau de réflexion conceptuelle à la fois au regard de la place spécifique occupée au sein de son histoire ainsi qu’au regard des différents usages déviants dont il a fait l’objet et des différentes causes idéologiques qu’il a pu servir.

En effet, durant la seconde guerre mondiale, Jung collabore avec la société allemande de psychologie sous la coupe de l’idéologie nazie et la critique se fait alors essentiellement politique. Cependant, ces critiques politiques alimenteront les critiques psychanalytiques notamment des partisans freudiens. Abraham entre autre, dénoncera le délayage que subit le concept d’inconscient à partir des apports jungiens, au profit d’une connotation religieuse qui lui donne une coloration de mysticisme, faisant de Jung un théologien et non un psychanalyste.

Le concept d’inconscient collectif porte ainsi un lourd héritage dans le monde psychanalytique et politique qui peut nous permettre aussi de faire l’hypothèse d’un lien entre les fondements théoriques de ce concept et la place occupée au sein même de son histoire.

En effet, en 1933, Jung est à la tête de la société allemande de psychothérapie et se trouve affilié aux théories racistes et antisémites nazies. Ce concept se trouve ainsi récupéré aux bénéfices de l’idéologie allemande, amenant Jung à distinguer un inconscient aryen et un inconscient juif ; distinction au profit du premier qui serait potentiellement supérieur au second. Roudinesco (1998) dans son article Carl Gustav Jung : de l’archétype au nazisme. Dérive d’une psychologie de la différence, aborde la conceptualisation jungienne autour de l’inconscient collectif, comme une justification des thèses racistes. Elle propose ainsi un portrait de Jung, adepte de la psychologie des peuples, comme ayant manifesté très rapidement, et notamment dans sa relation conflictuelle à Freud, ses prises de positions.

Cependant, au niveau théorique, le concept se trouve ainsi vidé de sa substance et délogé de sa position scientifique, absorbé par la collusion entre Jung et le parti nazi, mais aussi réutilisé dans des partis-pris idéologiques, sectaires et dogmatiques.

Pourtant, ne pouvons-nous pas envisager son histoire, ses dérives et ses utilisations abusives comme l’une des manifestations premières de l’inconscient collectif ? L’agir « collectif », au sein de ce qui fait institution dans notre société, ne vient-il pas fournir un étayage idéologique, au profit d’une aliénation institutionnelle qui se profile comme une réponse symbolique d’un héritage historique et collectif, au-delà de la part individuel et propre à chacun?

2.- Institution et régulation sociale : Acte ou action

Institution et Société

L’institution est un lieu qui va accueillir des enjeux de pouvoir et d’autorité, qui vont interagir entre eux et influencer la dimension transférentielle. En effet, va s’entremêler et se mettre en scène, au sein de ces différents enjeux, les transferts sur l’institution qui y sont intimement liés. Selon Peuch-Lestrade, l’institution est définie comme « un espace commun portant et porté par les soignants, mis à disposition des soignés et incluse et concernée par de nombreuses autres institutions de la société » (2006, p. 1093). De plus, toujours selon Peuch Lestrade, viendront se déployer des enjeux de savoirs et de certitudes de chacun, caractéristiques du processus identificatoire du sujet, au sein d’une dialectique sujet/ institution. Je souscris à cette thèse qui indique que le déploiement maximal du transfert et sa possibilité d’analyse auront lieu au sein de la modalité la plus politique de son fonctionnement, soit celle qui laissera au mieux s’exprimer la dimension de la pluralité humaine. L’idée est que « politiquement démocrate », l’institution reste traitante tant qu’elle se laisse transformer et symboliser par ses différents membres, par l’intermédiaire d’un nécessaire travail de l’emprise (Ferrant, 2006).

Ainsi, l’institution mérite une attention particulière au regard de la société, inscrite à son fondement même. Sa présence favorise une forme de régulation sociale à l’endroit où son absence propose l’institution du chao. Ence sens, elle implique différentes formes de renoncement pulsionnel qui permettront l’intégration et l’appropriation de règles sociales, ne pouvant exclure la dimension de la violence ordinaire. Comme le souligne Askofaré et Sauret (2002) le terme de violence n’apparaît chez Freud (1929) que dans Malaise et civilisation, constituant « l’index de la prise de ce terme dans la problématique freudienne du lien social » (2002, p. 242). La violence peut-être ainsi envisagée comme un vecteur commun de la société et de l’institution, dont l’acte devient le témoin.

Enriquez (2006) souligne la dimension de cohérence et d’harmonie que permet l’institution dans la société, mettant en avant le fait que même les régimes les plus anarchistes s’inscrivent, après l’abolition des règles, dans une tendance à la refonte d’autres institutions. Elle permet ainsi par cette fonction de régulation sociale d’endiguer la violence mobilisée par le chao de son absence. Cependant, l’institution tient une double valence au regard de la violence car si elle permet d’une part, d’endiguer la violence du chao au profit d’une structuration des espaces, des places et des limites, elle tient une autre facette qui vient remobiliser cette violence à partir d’objets nouveaux, fabriqués par l’institution elle-même. Comme le souligne Enriquez le visage que peut prendre l’institution est nécessaire à « déchiffrer si l’on désire se confronter au roc du réel et ne pas trop céder à des illusions idéalisantes et de fait rassurantes » (2006, p. 900).

Institution et société sont interrogées par la violence dont la réflexion freudienne dans Totem et tabou (1912) illustre l’intérêt d’une lecture du social. En ce sens, le renoncement pulsionnel qu’implique l’institution ne se fait pas sans souffrance car la destruction que l’on réprime, celle dont on protège l’autre, se re-propose dans un retour sur soi. En ce sens, Freud soulignait que ce qui est détruit par l’homme est toujours ce qui représente pour lui l’informe, l’irreprésentable et l’inacceptable même si cette destructivité mobilise en retour une somme de culpabilité originaire.

L’institution expose ainsi le sujet à une double tension d’une part, dans sa nécessaire intervention, venant lutter contre un chao social source de violence en soi, et d’autre part, dans le jeu de force que mobilise l’être ensemble, par le travail de la violence et de l’emprise qu’implique la régulation sociale. Castoriadis (1975) souligne que la haine de soi est une composante de tout être humain. Il évoque ainsi la question de l’être homme et de la non-acceptation du devenir du sujet en sujet social, et par essence en sujet limité dans son désir, créé et fabriqué par la société. Il évoque ainsi le « noyau psychique de la révolte » contre ce qui vient limiter ses aspirations, en remettant en cause le sentiment d’omnipotence (Castoriadis, 2002).

Enriquez (2006) évoque quant à lui la présence d’un « objet maléfique » correspondant à ce que nous cherchons à détruire et que nous détruisons à travers les individus, les manières de vivre, les institutions antérieures… Cette tendance à la destruction de l’homme n’est pas uniquement due au fait que la haine est antérieure à l’amour mais aussi liée à celui qu’en dehors de toute emprise, nous sommes soumis au souvenir de la plénitude, de la non existence, et par là même au sentiment de finitude.

L’institutionnalisation : une tendance collective

L’approche proposée par Enriquez (2006) permet de mettre en parallèle les concepts d’institution et d’institutionnalisation, au profit d’une approche spécifique de la dimension de l’agir qui se trouve envisagé dans sa production collective. En effet, l’institution nouvelle est définie comme inscrite dans une dynamique, un mouvement instituant, visant à l’instauration de rapports sociaux et à la création de normes sociales, au profit d’obligations adaptées aux besoins nouveaux de la société. Cependant, ce mouvement instituant conduit irrémédiablement à un mouvement secondaire de consolidation, au profit de la forme naissante qu’elle prendra et qui se solidifiera pour assurer sa survie et sa pérennisation. L’institution se transforme alors en une organisation qui instaure, au-delà du désir propre du sujet, une division entre l’objet de travail de l’institution et le travail du maintien de cette même institution, renforçant des principes hiérarchiques, d’autorité et de savoirs qui soutiennent des enjeux de pouvoir (Foucault, 1973).

L’institution tend ainsi à la bureaucratisation, au profit de nouvelles règles et/ou de procédures qui entraînent un oubli, un effacement, des buts premiers qui avaient mobilisé son institution, inscrivant le fantôme de l’institutionnalisation à ses fondements mêmes. L’institution et ses membres tendent vers la formulation rassurante d’une doctrine solide qui fait courir le risque d’une réassurance idéologique maintenue par le fonctionnement dogmatique au profit d’un «amour du censeur » (Legendre, 1972). La rationalisation et la bureaucratisation peuvent entraîner un réductionnisme patent et une instrumentalisation de l’institution et de ses différents membres qui agissent ensemble pour le maintien d’une idéologie rassurante. Ces formes d’alliances mobilisent une sorte de dissociation évacuant la question du pourquoi, au profit de la question du comment. L’adoption de moyens inadaptés se profile alors comme un symptôme de l’être ensemble pouvant faire figurer d’une part, la violence comme possible mouvement de destruction et d’emprise, visant à restaurer un sentiment d’omnipotence perdu, et d’autre part, le traumatisme par le devenir que cette violence prendra dans la réalité extérieure, dont l’exemple de l’aliénation nazie en constitue une parfaite illustration.

En effet, le renoncement des pulsions sexuelles et destructrices ne peut s’envisager sous le prisme unique de l’organisation et de la bureaucratisation qui profitent à une éradication de toutes formes de violence, y compris de sa forme la plus originaire soit celle qui se trouve inscrite au fondement du lien. Dans cette configuration, la dynamique pulsionnelle trouve dans les voies de la paranoïa et de la perversion une porte de secours à sa libre expression, s’exprimant sous des formes socialement admises, plus insidieuses qui viennent questionner fondamentalement le rapport au pouvoir.

Les interactions se trouvent soumises à une profonde instabilité faisant émerger des rapports de force et des relations d’emprise dont la manifestation première est la violence et dont l’objet premier est le pouvoir. Diet (2002) nous parle d’une aliénation des dispositifs qui résulte d’une incapacité à accéder à la conflictualisation, aux effets similaires à ceux qu’exerce la censure. En ce sens, Legendre souligne que « la censure constitue un bon moyen d’enlever le conflit selon les exigences logiques d’un double jeu où s’accomplit la fonction vitale de masquer la vérité » (1974, p. 219). En effet, la psychanalyse appuie l’idée du passage d’un univers à un autre par l’intermédiaire du conflit alors que nous nous heurtons, pour reprendre les termes de Legendre, à la mythologie de l’Absent dans la croyance au pouvoir d’un tout puissant et dans la communication de règles sociales. Dans le même sens, Foucault souligne que les relations de pouvoir ne peuvent se réduire à un bien que l’on possède, que l’on veut conserver ou s’approprier mais à des rapports mouvants entre forces qui s’exercent. La violence n’est pas le propre des rapports de force mais elle en est la manifestation. Le pouvoir doit ainsi se déchiffrer à partir de ces rapports entre forces plutôt qu’à partir de la loi à laquelle il se conforme (Foucault, Deleuze 1971, p. 77).

En effet, l’institution est avant tout une construction humaine et sociale, une structure organisationnelle où le désir et le fantasme des différents sujets viennent se rencontrer. Les représentations et les images qui habitent chacun vont déterminer leur choix et leur rôle. Les fantasmes, et leur part la plus originaire, commandent les différents usages que le sujet fera de chacun des objets de l’institution comme notamment le pouvoir. Le rapport du sujet au pouvoir va anis infléchir sur la façon dont il va en user en se protégeant derrière le plaisir et la jouissance retirée. La jouissance, au-delà du plaisir, introduit la notion de totalitarisme qui s’exerce au détriment d’autrui et au mépris de la reconnaissance de toute limite. C’est bien ici, dans cette infime fenêtre, que l’agir du sujet, individuel et/ou collectif, va trouver une source de satisfaction pulsionnelle, « au delà du principe de plaisir », au profit d’une restauration du sentiment d’omnipotence et qui vient questionner, par sa récurrence, les traces d’un héritage historique, social et culturel introjecté.

L’énigme de l’inconscient collectif : La question de la répétition.

L’inconscient collectif vient interroger la réciprocité de la conscience et l’inconscient dans leurs manifestations et dans la façon dont elles viennent s’entremêler au sein même de la réalité sociale, comme représentante de la vie psychique du (et des) sujet(s). Ainsi, il n’est pas envisageable de réduire la part inconsciente, qu’elle soit individuelle ou collective, à toutes les manifestations intervenant au sein de la réalité sociale. Il n’est pas non plus envisageable d’annihiler la part consciente et l’espace de mentalisation qu’implique la confrontation aux différentes configurations sociales auxquelles nous exposent les méandres de l’inconscient, la part du réel et sa figuration dans la vie sociale. De plus, il n’est pas non plus envisageable de perdre de vue la façon dont s’articulent les différents actes des sujets dans l’être ensemble, inscrits dans une alliance allant parfois aux limites de la perversion, « au-delà du principe de plaisir » pour reprendre des termes connus, et ce de façon répétitive depuis la nuit de temps. D’un point de vue psychanalytique, l’acte dans sa fonction économique semble ainsi constituer aussi un écran de l’inconscient collectif.

La violence, dans le jeu de l’emprise et du pouvoir, se mobilise principalement sur un registre narcissique, entraînant un vécu d’anéantissement, d’impuissance et de désubjectivation. L’agressivité est aussi envisagée comme un processus d’affirmation de soi, servant à se signifier en tant que sujet. L’absence d’agressivité manifeste peut alors témoigner d’une désubjectivation marquant le chao et le négatif. Toute l’ambiguïté et la complexité de cette dialectique emprise/ pouvoir se situe dans ce jeu de force qui apparaît dans sa dimension nécessaire et constructive de la question du sujet, par la violence ordinaire qui s’en trouve mobilisée. L’absence de ce jeu de force entre pouvoir et emprise peut venir signifier un état où la violence ordinaire revêt le manteau d’une violence pathologique et totalitaire, qui ne peut se penser à titre individuel.

La complexité se profile principalement dans cette dynamique où l’emprise se trouve, dans ses excès, susceptible d’être uniquement considérée dans sa dimension destructrice, entérinant progressivement le silence et le chaos et introduisant l’agir comme l’une des manifestations de l’inconscient collectif. L’agir n’est alors plus uniquement envisagé dans sa dimension économique au profit de sa qualité de décharge, plus uniquement comme signifiant d’un déterminisme psychique mais comme moyen de répondre au maintien d’une idéologie collective rassurante. En ce sens, si l’institution propose, par un être ensemble, une tendance à la régulation pulsionnelle, elle soulève la question du destin pulsionnel collectif, notamment par le retournement dans le contraire, comme possible échappatoire à la complexification qui favorise dans le même mouvement une représentation linéaire portée par l’idéalisation et l’illusion.

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Sociologie de l’inconscient collectif, du rassemblement à l’émeute

Alexandre Duclos

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