N°18 / L'inconscient collectif Janvier 2011

Les psychologies cognitives et évolutionnistes renouvellent-elles la notion d'inconscient collectif ?

Jean-Louis Marie

Résumé

La notion d’inconscient collectif peut être enrichie et consolidée par une intégration plus poussée des approches sociohistoriques, psychanalytiques et cognitives. La prise en compte du temps long de l’évolution, avec la psychologie évolutionniste, comme celle des contraintes qu’exercent sur l’esprit l’organisation et le mode de fonctionnement même du cerveau, avec la psychologie cognitive, permet de retrouver certaines des propositions de Jung et Freud. Elle donne également des fondements élargis aux sciences humaines-sociales qui ont du mal à assumer la part de naturalisme qu’elles comportent pourtant.

The notion of a collective unconscious can be enriched and reinforced through a more thorough integration of socio-historical, psycho-analytical and cognitive approaches. Taking in to account the long overview of the time of evolution (through evolutionist psychology), as well as the constraints which the organization and the very mode of functioning of the brain imposes on the mind (through cognitive psychology) makes it possible to retrace some of the steps of Jung and Freud. It also gives broader foundations to social sciences and human sciences whose practitioners find it difficult to account for their built-in naturalism.

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Novembre 2010

Introduction

Les animateurs des Cahiers de Psychologie Politique nous convient à une réflexion sur l'inconscient collectif avec deux indications de cadrage. La première concerne les objectifs. Il s'agit de produire une «clarification de l'usage de la notion»...et de «penser les causes du double refoulement de la notion...impossibilité de (la) nommer clairement...impossibilité de mettre en place la pluridisciplinarité induite par l'étude de cet objet commun...». La seconde indication porte sur le périmètre des disciplines appelées à débattre. Deux groupes de références apparaissent: la psychologie des profondeurs de Karl Gustav Jung d'une part, et les sciences humaines, dont la psychanalyse, d'autre part.

On s'accordera sans doute aisément aujourd'hui sur le fait que des disciplines dénommées ici "sciences humaines" pourraient tout aussi bien, sans problème majeur, être désignées comme "sciences sociales". Si tel est bien le cas, la réflexion sur l'inconscient collectif peut et doit s'élargir à de nouvelles venues dans l'espace des sciences sociales: les sciences cognitivesi. Comment peut-on prétendre inscrire les sciences cognitives parmi les sciences sociales alors qu'elles sont le plus souvent présentées et perçues, au mieux, comme relevant d' épistémologies différentes peu compatibles, au pire, comme des entreprises intellectuelles et institutionnelles radicalement concurrentes ? On se fonde sur ce que Daniel Andler appelle un «déplacement du centre de gravité du domaine (des sciences cognitives) ». Aujourd'hui les questions nouvelles qui s'y posent concernent autant les propriétés du système cognitif liées à l'environnement social de l'individu que les propriétés qui, en première analyse, n'y semblent pas directement liées. Les questions relevant de la "cognition relationnelle" éclairent des pans de plus en plus larges de la problématique des sciences cognitives. Andler peut ainsi estimer: «les sciences cognitives sont en passe de devenir une composante essentielle des sciences sociales...une idée force circule beaucoup actuellement selon laquelle la cognition n'est jamais intégralement individuelle»ii. Pour un spécialiste d'une science sociale "classique" une telle "avancée" pourrait prêter à sourire tant elle semble évidente, pour ne pas dire trivialement consubstantielle à sa propre discipline. Elle retiendra tout de même notre attention et orientera tout notre propos. En effet, non seulement les sciences cognitives nous sont présentées comme une composante en devenir essentielle des sciences sociales, mais aussi, plus largement, comme ayant d'ores et déjà participé « d’un renouvellement radical de nos façons de penser la connaissance et le savoir humainsiii ».

A ce double titre peuvent-elles nous aider effectivement à renouveler notre réflexion embarrassée, comme on l'a vu, sur l'inconscient collectif ? Quels rapports la psychologie cognitive et la psychologie évolutionniste, puisque nous nous centrerons ici sur elles, entretiennent-elles avec cette notion doublement polysémique ? La notion d’inconscient collectif est ici explorée pour elle-même. Elle est également un analyseur des relations épistémologiques actuelles et potentielles entre des disciplines en première analyse distantes engagées dans une compétition d’idées très vive. Ce dont il s’agit, au-delà de polémiques souvent plus intéressées institutionnellement que rationnellement fondées, c’est de se demander sous quelles conditions, pour quels gains heuristiques, à quels coûts, peut-on envisager des transferts et complémentarités entre les différentes approches de l’inconscient collectif ?

Nous défendrons ici la thèse selon laquelle la notion d’inconscient collectif peut être enrichie et consolidée par une intégration plus poussée des approches sociohistoriques, psychanalytiques et cognitives. La prise en compte du temps long de l’évolution, avec la psychologie évolutionniste, comme celle des contraintes qu’exercent sur l’esprit l’organisation et le mode de fonctionnement même du cerveau, avec la psychologie cognitive, permet de retrouver certaines des propositions de Jung et Freud. Elle donne également des fondements élargis aux sciences humaines-sociales qui ont du mal à assumer la part de naturalisme qu’elles comportent pourtant.

Notre propos s’ordonnera donc en deux temps.

Nous verrons dans une première partie les écarts, voire les incompatibilités, apparemment radicaux entre les usages que les différentes disciplines et groupes de disciplines font éventuellement de la notion d’inconscient collectif. Au-delà de l’usage, ou non, de la notion, ce qui est engagé ce sont, en première analyse, des anthropologies et des échelles de temps très différentes.

Dans une seconde partie nous dissiperons cette impression première d’une distance irréductible entre les sciences cognitives et les autres disciplines pour montrer comment en fait elles convergent dans leurs visées positives et leurs méthodologies. Nous dégagerons ensuite leurs articulations et complémentarités profondes Nous proposerons ainsi un essai d’ajustement entre les niveaux de réalité et les échelles de temps explorés par les différentes disciplines.

1-En première analyse les psychologies cognitives et évolutionniste ne peuvent pas aider à penser l’inconscient collectif

1-1-Elles sont absentes des débats liés à la polysémie de la notion

Ces débats concernent presque exclusivement les sciences humaines sociales et la psychologie des profondeurs. On se souvient que l’usage de la notion d’inconscient est relativement récent. « Pour la psychologie classique, c’est par le terme de ˝subconscient˝ que l’on désigne ce qui, à partir de Freud, sera qualifié d˝inconscient˝. Quant à cette notion, elle n’était utilisée que pour désigner des états d’absence d’attentioniv ». Freud va l’utiliser probablement parce qu’elle était peu répandue et lui permettait de mieux indiquer une dimension dynamique : le processus de refoulement. L’inconscient comporte selon lui deux dimensions : l’inconscient refoulé, fait des pulsions, des souvenirs d’enfance, des affects refoulés et des fantasmes. Centrale dans la psychanalyse, c’est sur elle que portera l’essentiel du travail de Freud. Cette dimension est complétée par une autre : l’inconscient primitif, constitué des schémas phylogénétiques que l’enfant apporte en naissant, avant tout les pulsations émanées de l’organisation somatiquev, et qui selon Freud sont des précipités de l’histoire de la civilisation humaine.

Dans la psychologie des profondeurs de Jung, l’inconscient a deux modalités. La première, l’inconscient individuel, est composée d’éléments psychiques qui ont été un jour dans la conscience mais sont maintenant devenus inaccessibles, soit parce qu’ils ont été oubliés soit parce qu’ils sont réprimés. Il s’agit d’un ensemble de traces mnésiques et de sentiments propres à chaque individu. Cette notion ressemble à l’inconscient refoulé de Freud. La seconde modalité, l’inconscient collectif, correspond chez Jung aux expériences ancestrales et serait commun à tous les individus. Il n’est pas sans évoquer l’inconscient primitif freudien. Cet inconscient collectif est selon Jung le fondement du psychisme. Il s’agit pour lui de reconnaître dans l’homme une dimension qui dépasse infiniment l’égo et renvoie à des plans inconscients profonds, structuraux et dynamiques correspondant à des expériences universellesvi. Les archétypes et les instincts sont à la fois les contenus et les modes de manifestation de l’inconscient collectif. Ils constituent des virtualités formatrices qui modèlent le psychisme, ce sont de purs dynamismes plutôt que des structures préformées.

Durkheim et Mauss « dénoncent les illusions de la conscience, mais ils n’emploient pas le mot ˝inconscient˝, en tout cas pas sous sa forme substantivée, Boas pas davantage. A vrai dire, l’usage n’en était pas fréquent à l’époquevii ». La notion d’inconscient collectif peut être « induite chez Mauss par sa théorie du symbolique » mais il « n’utilise jamais cette formule ». L’inconscient collectif résulte de la faculté de chacun d’incorporer inconsciemment et de synthétiser dans l’action un ensemble de normesviii. Il semble que l’on puisse distinguer deux dimensions dans la notion. L’inconscient collectif correspond à un travail, une aptitude chez les personnes à l’amnésie de son origine sociale et collective liée aux processus de socialisation et d’incorporation des normes. Il renvoie également à quelque chose comme un ˝stock˝ de catégories de pensée, de croyances et de représentations

Lévi-Strauss déploie au début de son œuvre une conception de l’inconscient que l’on pourrait qualifier de freudo-marxiste. Il emprunte en effet à la critique de l’idéologie par Marx et la combine avec une perspective inspirée de Freud. Les sociétés vivent dans une contradiction entre les images idéalisées qu’elles se font d’elles mêmes et leur réalité. Pour atténuer cette tension pénible elles développent sans en avoir conscience des formes d’automystification qui s’apparentent au refoulement freudien. Par la suite Lévi-Strauss prend ses distances avec Freud. L’inconscient n’est plus issu du refoulement, il ne résulte plus de la tension entre des forces antagonistes (besoin d’idéaux vs perception d’une réalité dérangeante). Ce n’est plus, comme chez Freud un topo, une instance. L’inconscient est un aspect ou un caractère de l’activité de l’esprit, il peut être considéré comme synonyme d’implicite ou de virtuelix

Lorsque les sciences humaines-sociales débattent de l’inconscient collectif elles ne mobilisent pas les travaux produits par les sciences cognitives. Symétriquement, les sciences cognitives déploient leurs recherches sans, pour l’essentiel, à l’exception d’une critique de la notion d’inconscient refoulé thématisé par Freud, faire appel aux sciences humaines et sociales.

1-2- Elles n’utilisent ni le terme d’inconscient ni celui d’inconscient collectif

Les deux instruments de référence en langue française que constituent le ˝Vocabulaire des sciences cognitives˝ et le ˝Dictionnaire des sciences cognitivesx », ne comportent aucune entrée ˝inconscient˝. On ne trouve pas davantage d’entrée ˝instinct˝ ou ˝archétype˝. Il en est de même en ce qui concerne les index des manuels et traités de psychologie cognitive. Le constat vaut également pour les instruments de référence en psychologie évolutionniste.

Le refus de recourir à la notion d’inconscient, individuel ou collectif, procède dans les sciences cognitives d’une double critique. Il s’agit tout d’abord de renoncer aux acceptions substantivées de l’inconscient dans lesquelles il est un en soi, une instance agissante au sein du psychisme. « La littérature psychanalytique, en particulier dans sa version mondaine, fait un usage du mot inconscient de type métaphorique, il s’agit d’un gauchissement sémantique…l’inconscient ne doit pas être traité comme un homonculus qui agit dans l’esprit des individus »xi. L’argument sous-jacent à cette critique relève de ce que l’on appelle une contrainte de plausibilité neuronale. En l’état actuel des connaissances relatives à l’organisation et au fonctionnement du cerveau, il n’est pas possible d’identifier un module ou un sous-système spécifique que l’on pourrait appeler ˝inconscient˝.

La seconde critique part du fait que chez Freud l’inconscient dérive du refoulement. En quelque sorte « l’inconscient c’est le refoulé ». Pour la psychologie cognitive incontestablement le refoulement existe en tant que phénomène de mémoire, son rôle doit cependant être relativisé. « Considérons idéalement l’ensemble des représentations de diverses sortes présentes dans un esprit humain. Certaines sont conscientes, ou susceptibles d’être rendues conscientes avec un degré variable, d’autres sont non conscientes, de façon actuelle ou durable. Et parmi ces représentations non conscientes, seules certaines sont inconscientes au sens freudien, c'est-à-dire non conscientes par refoulement. Les autres sont non conscientes en vertu d’autres processus ou d’autres facteursxii ».

Le refus par les sciences cognitives d’un inconscient au sens de substantif exclusivement lié à des processus de refoulement conduit à une autre terminologie jugée selon elles plus rigoureuse, mieux fondée scientifiquement.

La notion de ˝conscience˝ est revisitée. Le terme est jugé ambigu car susceptible de renvoyer, lui aussi, à une mystérieuse entité ou instance du psychisme. Le mot conscience « n’est jamais plus exactement conçu et utilisé qu’avec le statut d’adjectif…conscient et non conscient sont alors des désignations simples pour une propriété qui s’applique à des états momentanés d’une représentationxiii ». Il s’agit d’une propriété graduable, elle comporte du plus et du moins. On peut recourir à la notion de seuil. «Au dessus du seuil les représentations sont conscientes et elles le sont plus ou moins ; au dessous du seuil, elles sont non conscientes ou infra-conscientes, également avec un degré (négatif)xiv ». De façon complémentaire on distinguera des processus psychiques implicites, ou automatiques, et d’autres explicites. Les premiers se déploient en dessous du seuil de conscience, les derniers au dessus du seuil de conscience et peuvent être perçus par le sujet.

L’une des raisons pour lesquelles les sciences cognitives déploient ce vocabulaire spécifique réside dans le fait qu’elles travaillent largement avec des méthodes d’expérimentation qui visent une objectivation quantifiée des processus étudiés.

1-3 Elles reposent sur une anthropologie largement différente de celles des autres disciplines

Elles adhèrent à un programme de naturalisation de l’esprit. Marc Jeannerod le présente ainsi : "Le problème que se posent les chercheurs en sciences cognitives est donc de savoir comment des propriétés non sémantiques (physiques) peuvent produire des propriétés sémantiques, ou, à l'inverse, comment le contenu sémantique d'une représentation peut être naturalisé en termes de propriétés physiques du réseau nerveux. Cette naturalisation vise à faire de l'activité mentale, celle qui constitue nos représentations, la production, ou la conséquence, de l'activité biologique : telle est la partie centrale de l'entreprise de naturalisation, celle qui fait des états mentaux des objets naturels, ayant leur origine et leur cause dans la naturexv". Avec le programme de naturalisation de l’esprit et l’expansion continue du néo-darwinisme qui l’accompagne, on touche à ce qui est le cœur des sciences cognitives et le point le plus délicat de leurs relations potentielles avec les sciences sociales et humaines. Le programme de naturalisation de l’esprit se déploie selon deux axes complémentaires. Tout d’abord, comme on l'a vu, les processus cognitifs sont reliés aux caractéristiques matérielles de l’architecture et du fonctionnement du cerveau. Ensuite, ces mêmes caractéristiques et les aptitudes qu’elles autorisent, sont replacées dans le temps long de l’évolution sélective de l’espècexvi.

Les psychologies cognitives et évolutionniste, sous différentes modalités, adhèrent à un matérialisme monistexvii. Les états mentaux sont, en même temps, des états cérébraux. Si une intention peut se transformer en action c’est parce qu’elle a une nature physiquexviii. On considérera, au minimum, que si les propriétés intentionnelles peuvent avoir une efficacité causale c’est parce qu’elles sont associées à des caractéristiques physiques.

Conformément à l'épistémologie des sciences naturelles et physiques à laquelle elles adhèrent, elles mettent en œuvre une démarche réductionniste. Elles décomposent donc les processus mentaux complexes qu'elles étudient en processus plus élémentaires, et par là mieux maîtrisables. « Cette façon d’analyser des phénomènes complexes, sous-processus par sous-processus, illustre bien les modalités de la compétition entre la conceptualisation psychanalytique et la conceptualisation cognitivexix » Enfin, leur visée est explicitement causaliste et explicative.

A propos de l'anthropologie, et plus globalement de l'étude de la culture, Daniel Andler dégage trois grandes décisions théoriques au fondement de ce qu'il appelle un "anti-naturalisme classique" qui s'est durci tout au long du XXème siècle. "La première décision consiste à opérer un regroupement dichotomique des concepts fondamentaux de toute anthropologie. D'un côté, l'universel, le naturel, l'individuel et l'inné : la nature humaine, ensemble des dispositions présentes en chaque individu (normal) à sa naissance, est l'origine et la cause des traits partagés par toutes les cultures. De l'autre côté, le particulier, le culturel, le social et l'acquis : les cultures humaines résultent des interactions sociales, intentionnelles (signifiantes) et normatives, et se perpétuent en vertu d'une capacité fondamentale d'apprentissage – en particulier, d'une aptitude communicative générale. La seconde décision consiste à minimiser l'extension du premier groupe au profit du second…la contribution à la culture du donné naturel, au-delà de la capacité d'apprentissage, serait négligeable. Troisième décision, la nature humaine est sui generis : elle n'est pas (ou elle n'est que très faiblement) sous la dépendance de la nature tout courtxx…". A ces trois décisions s'ajoute une hypothèse fondamentale…à savoir que l'esprit humain est doué d'une plasticité qui n'a d'autre limite que la finitude de ses ressources : tout s'apprend…tout se communique.

1-4 Les disciplines qui traitent habituellement de l’inconscient collectif portent l’empreinte d’un "anti-naturalisme classique"

La sociologie et l’anthropologie inspirées de Durkheim et de Mauss paraissent difficiles à accorder avec le programme de naturalisation de l’esprit dont nous venons de rappeler les grandes lignes. L’inconscient collectif y a un statut fondamentalement culturel et historique. C'est-à-dire relatif, car variable selon les moments historiques et les cultures dans lesquels on l’appréhende. Ce par quoi il s’objective : les catégories de pensée, les affects, les normes, les valeurs, les représentations, sont modelables et dépendent de processus de transmission et d’apprentissage. Ceux-ci sont façonnés par la configuration historique des rapports sociaux d’interdépendance dans lesquels ils se déploient. L’activité humaine crée l’inconscient collectif qui inversement la sous-tend.

L’ensemble de ce que l’on pourrait appeler en psychologie cognitive et évolutionniste le "donné naturel" (dispositions, architecture et mode de fonctionnement contraignants du cerveau, aptitudes, toutes choses innées tenues pour le résultat d’un processus d’adaptation de l’espèce humaine au cours de l’évolution) n’apparait pas dans les tentatives d’éclaircissement de l’inconscient collectif.

Le travail d’historicisation des catégories de la psychanalyse mené par Norbert Elias peut probablement être tenu en sociologie pour une expression exemplaire de cet anti-naturalisme. Sa force, selon Bernard Lahire, est « de faire des "tendances propres à l’individu", de ses "désirs" ou de ses "dispositions", des réalités tout aussi socialement déterminées que le surmoi qui est une sorte de représentant des pouvoirs extérieurs au sein de chaque individuxxi »

Il semble donc, en première lecture, que les psychologies cognitives et évolutionniste ne sont pas susceptibles de nous aider à penser l’inconscient collectif. Nous venons de voir pourquoi : elles sont à l’écart des débats, ne recourent même pas à cette notion et reposent sur une anthropologie naturaliste largement étrangère aux sciences sociales. Nous allons voir à présent qu’il serait cependant erroné de s’en tenir à ce constat immédiat d’un hiatus irréductible entre les disciplines. Leurs perspectives et leurs résultats ne sont pas incompatibles. Leur articulation apparait même aujourd’hui comme une nécessité rationnelle si l’on veut avancer dans la réflexion sur l’inconscient collectif.

2- Pour un ajustement des temporalités et des niveaux de réalité travaillés par les différentes disciplines

2-1 Sortir de l’idée bloquante que l’on aurait à faire à deux épistémologies séparées ne pouvant communiquer

2-1-1 Les psychologies cognitives et évolutionniste ont-elles aussi une forte dimension environnementale sociale et culturelle

Les sciences de la cognition auxquelles appartiennent les psychologies cognitive et évolutionniste ne peuvent pas (plus) être assimilées à un réductionnisme biologisant. Jean-Pierre Changeux, neurologue, entend ainsi « s’engager dans la voie d’une naturalisation des intentions qui prenne en compte à la fois les états physiques internes de notre cerveau et son ouverture au monde avec échanges réciproques de significations, de représentations, tournées tant vers la perception que vers l’actionxxii ». Cette démarche rejoint tout à fait celle de Marc Jeannerod, professeur de physiologie et ex-directeur de l’institut des sciences cognitives de Lyon. Il parle de "cognition sociale" et déploie dans son analyse une perspective interactionniste qui redécouvre Mead. Plus globalement, les neurosciences placent la structuration matérielle des propriétés du système nerveux sous le contrôle d’une interaction dynamique avec le milieu…et la soustrait au pur déterminisme génétiquexxiii.

La psychologie cognitive relève également d’un "constructivisme environnementaliste" : « Loin que les capacités cognitives de l’homme dérivent essentiellement de potentialités internes, version moderne de la préformation, elles se développent et acquièrent leur structure caractéristique en vertu d’un processus de construction dans lequel l’environnement d’une part, la société d’autre part, jouent le rôle centralxxiv ». L’étude des modes de raisonnement, centrale en psychologie cognitive, est ainsi basée sur l’idée que « les inférences ne peuvent être dégagées des enjeux portés par les rapports entre les groupesxxv »

Les psychologues évolutionnistes se demandent à quoi sert de raisonner, d’avoir des pensées morales, des croyances, de comprendre les intentions des autres. Selon eux un grand nombre de mécanismes cognitifs doivent être pensés comme des adaptations dont la fonction est d’augmenter les chances de survie et de reproduction d’un organisme, il estiment donc nécessaire de décomposer ce but ultime en sous objectifs qui seront remplis par ces mécanismes. En effet, survivre et se reproduire ne demande pas les mêmes compétences selon les milieux. Leur raisonnement obéit à la stratégie suivante : d’abord déterminer l’environnement dans lequel nous avons évolué, puis identifier les problèmes importants posés par cet environnement et enfin imaginer des solutions possibles sous la forme de mécanismes cognitifs. Or cet environnement n’est pas que physique et matériel. « Notre esprit, nos émotions, nos valeurs sont en partie le résultat d’une adaptation de plusieurs millions d’années à l’environnement physique, social et culturel dans lequel ont vécu nos ancêtresxxvi »

Peut-on dire par ailleurs des sciences cognitives qu’elles sont des sciences naturelles ? Cette présentation serait également manifestement mal fondée pour au moins deux raisons. La première est qu’elles trouvent l’origine de leur questionnement dans la philosophie et dans des sciences de l’homme au premier rang desquelles la psychologie et la linguistique. La seconde raison est qu’elles intègrent des disciplines qui ne traitent pas du naturel mais bien au contraire de l’artificiel : l’informatique et l’intelligence artificielle. Enfin, les sciences véritablement naturelles, les neurosciences, appuyées sur l'imagerie cérébrale et la biologie de l’évolution qui génère un néo-darwinisme expansif, viennent en dernier, chronologiquement, dans la constitution du champ interdisciplinaire appelé sciences cognitives. D’une certaine façon d’ailleurs cela peut compliquer encore davantage leurs relations aux sciences sociales : non seulement les sciences cognitives articulent l’esprit au biologique, elles questionnent la barrière entre humain et non humain (en étudiant la cognition animale), mais également entre naturel et artificiel, vivant et non vivant.

2-1-2 les sciences sociales et humaines étudiant l’inconscient ont plusieurs convergences fortes avec les psychologies évolutionniste et cognitive

L’une des plus immédiatement visible concerne la méthodologie.

Elle touche à ce que Ricœur appelle le soupçon : « Le philosophe contemporain rencontre Freud dans les mêmes parages que Nietzsche et que Marx ; tous trois se dressent devant lui comme les protagonistes du soupçon, les perceurs de masques. Un problème nouveau est né : celui du mensonge de la conscience, de la conscience comme mensongexxvii… ». Durkheim et Mauss ont dû faire face à différentes versions (philosophiques ou psychologiques) de réduction des faits sociaux à des données de la conscience, ce qui revenait à penser l’engendrement du collectif à partir des individus, pour eux il y a au contraire des données immédiates de la société, irréductibles aux représentations conscientes ou aux comportements individuelsxxviii. Cette position, déjà présente, autrement formulée, chez Marx, se retrouve chez Lévi-Strauss et aboutit chez tous à la même conséquence méthodologique. Le chercheur doit prendre ses distances par rapport aux explications données par ceux qu’il étudie. Qu’ils considèrent ces explications comme de simples gloses, des prénotions, des rationalisations illusoires ou l’expression d’une aliénation source de fausse conscience, tous estiment que les acteurs ne peuvent avoir une conscience claire de ce qui les fait réellement agir comme ils agissent. L’enquête doit donc partir d’éléments plus tangibles, moins subjectifs. Ce peut être l’analyse de la configuration des interdépendances sociales, des rapports de classe ou d’un système symbolique

Cette défiance est également au cœur de la psychanalyse et de la psychologie des profondeurs. Dans les deux approches le non conscient occupe une place prépondérante dans l’économie psychique, individuelle ou collective. Par définition inaccessible au sujet, le non conscient ne peut être appréhendé que par le chercheur équipé des méthodologies permettant de remonter jusqu’à lui à partir de ses manifestations ou expressions externes objectives.

La psychologie évolutionniste repose sur une semblable élimination du critère de la conscience. C’est même le troisième de ses cinq principes fondateurs. La conscience n’est que la partie émergée de l’iceberg, la plus grande partie de ce qui s’y passe nous est cachéexxix. La psychologie évolutionniste a un fondement identique. La plus grande part de notre activité psychique et des représentations qu’elle génère ne nous est pas perceptible. Pour remonter des comportements à leurs causes mentales il faut déployer un certain type d’expérimentation.

Une seconde convergence entre, d’une part, les sciences humaines, "les psychanalyses", et, d’autre part, les psychologies liées aux sciences de la cognition concerne les temporalités.

Bien sûr, l’anthropologie et la sociologie d’inspiration durkheimienne se déploient pour l’essentiel dans un temps historique, culturel. Mais le rapport au temps des disciplines qui traitent de l’inconscient est souvent plus complexe. Lévi-Strauss place le cœur de son travail, l’étude du symbolique dans une temporalité en quelque sorte antérieure à l’activité humaine. Les lois de structure logique sont intemporelles. Elles sous-tendent l’activité d’un esprit humain universel doté de capacités identiques de penser (classer, représenter, organiser), au-delà des particularités culturelles et des périodes historiques.

La temporalité freudienne est composite. Elle mobilise un temps court : celui de l’expérience biographique du sujet, avec ses souvenirs d’enfance liés à son éducation et à ses relations avec ses parents. Un temps social, historique, concerne le surmoi, avec ce qu’il véhicule de normes et d’interdits d’origine sociétale et culturelle. Enfin, un temps long, archaïque, véhicule des pulsions liées à l’organisation somatique, à des schémas phylogénétiques que l’enfant apporte en naissant et qui sont des précipités de l’histoire de la civilisation humaine, des instincts et des prédispositions. La temporalité Jungienne est également complexe, même si, elle, privilégie le temps archaïque, ancestral, celui de l’espèce humaine depuis l’aube de l’humanité, tandis que Freud thématise davantage temps biographique et temps social. On voit comment les sciences sociales et humaines déploient aussi, même sur un mode mineur, une temporalité longue qui est convergente avec celle des psychologies cognitives et évolutionniste.

Enfin, troisième convergence, elles comportent également une ouverture partielle à des modes d’explication naturalistes.

Ainsi Freud «oscille en permanence entre "héritage archaïque", "prédispositions héréditaires" ou "innées", d’une part et "influence parentale", ou effets de l’éducation familiale, d’autre part, mais place le plus souvent le ça du côté de l’héréditéxxx ». Selon Elias, Freud croyait en « un monde dual, divisé entre la libido, conçue comme une force purement naturelle et son contrôle conçu comme une force culturelle ou civilisatrice, intrinsèquement étrangère à la naturexxxi ». Jung se place de même sur un registre naturaliste. Sa conception de l’inconscient collectif repose sur l’existence d’archétypes innés et d’instincts universels. L’ouverture partielle à des modes d’explication naturalistes se trouve également chez des auteurs de référence habituellement présentés comme "l’incarnation" même d’une perspective propre aux sciences sociales et humaines. Durkheim lui-même considérait, même de façon critique, l’influence de l’hérédité parmi les causes et conditions de la division du travail social. Il la considérait comme un facteur aujourd’hui secondaire car ne transmettant bien que les « aptitudes générales et simples, tandis que les activités deviennent plus complexes en devenant plus spécialesxxxii ». On notera combien cette idée d’une transmission héréditaires d’aptitudes générales et simples anticipait les propositions de la psychologie évolutionniste Lévi-Strauss, dans un texte peu connu, affirmait : « l’ethnologie peut collaborer avec la psychologie infantile et avec la psychologie animale, mais pour autant que toutes les trois reconnaissent qu’elles cherchent, par des moyens différents, à saisir des propriétés communes, et qui ne font vraisemblablement que refléter la structure du cerveauxxxiii ». Plus récemment, le même auteur, tout en déployant une critique vigoureuse de la sociobiologie et de ses prétentions, en appelait (afin de lutter contre le racisme) à un « dialogue largement ouvert avec la génétique des populationsxxxiv ». Pour clore ce développement visant à suggérer que les sciences humaines-sociales qui explorent l’inconscient collectif comportent en leur sein une ouverture à des modes d’explication naturalistes, nous évoquerons de nouveau Elias, parfois enrôlé dans la lutte contre le supposé envahissement des objets des sciences sociales par les sciences cognitives. « On aurait besoin de spécialistes d’un nouveau genre, capables d’explorer les zones situées aux confins de la biologie, de la sociologie et de la psychologie, suffisamment sûrs d’eux-mêmes et indépendants pour rompre avec la routine des divisions établiesxxxv ».

2-2 Les approches cognitive-évolutionniste fournissent une base plausible qui complète les perspectives des sciences humaines-sociales pour l’étude d’un implicite commun

Est-il encore besoin de le préciser à ce moment de notre travail, les perspectives matérialistes et naturalistes, qui, on l’a vu, comportent également une forte dimension environnementaliste-interactionniste, n’ont pas vocation à se substituer à la perspective culturelle et historico-sociale des disciplines qui travaillent habituellement la notion d’inconscient collectif. Elles n’y prétendent d’ailleurs pasxxxvi. Il ne s’agit pas de chercher à éliminer dans l’explication du rapport au politique, par exemple, tout ce qui engage des mécanismes de socialisation des personnes et la dynamique des interactions et interdépendances sociales dont elles participent. Extraire le sujet cognitif de son environnement ou rejeter la description fonctionnelle de ses raisonnements serait d’ailleurs contraire à la visée même des sciences de la cognition. Celles-ci veulent articuler les différents niveaux de saisie de la cognition, depuis son substrat matériel, en passant par ses logiques fonctionnelles, jusqu’à ses dimensions symboliques.

Pour le formuler autrement, il s’agit avec elles de voir comment des données naturelles (transhistoriques et transculturelles, c'est-à-dire universelles) se déploient dans des contextes socioculturels et historiques spécifiques. Inversement, et indissociablement, il s’agit également de comprendre comment les paramètres socioculturels historiques produisent leurs effets sur la base, partiellement contraignante, des fondements matériels-naturels de la cognition. Ce programme de travail n’est certes pas entièrement neuf ou original et les tentatives pour construire un savoir unifié sont nombreuses dans l’histoire de la pensée. Ce que les approches des sciences cognitives peuvent apporter ce sont des ressources conceptuelles et méthodologiques nouvelles en appui d’une réflexion collective ancienne. Voyons les modalités qu’elles peuvent prendre.

Le terme même d’inconscient, trop polysémique, apparait comme un obstacle à la réflexion. La difficulté principale réside dans l’indétermination, le flou, qui accompagne trop souvent son usage : est-il employé sous une forme substantivée ou adjectivée ? Désigne-t-il ce qui n’est pas perçu ou une instance agissante ? Parler d’inconscient collectif augmente encore l’indétermination. Quel est le statut ontologique de ce "collectif". Veut-on désigner un groupe, les personnes partageant une même culture, l’espèce humaine dans sa globalité ? Comment un collectif peut-il être doté d’un psychisme s’il n’est pas saisi comme ensemble des individus qui le composent ? L’adjectif collectif renvoyant alors à ce qui est partagé, à ce qui est "en moyenne" dans le psychisme des individus, ou dans le psychisme de chacun ?

Les approches cognitives nous suggèrent qu’il serait judicieux d’y renoncer pour lui substituer celui d’implicite commun. Ce terme nous permettrait de nous en tenir à une seule idée, bien documentée : une (large) partie de notre psychisme nous échappe et cet "aveuglement" est le lot de tous, il est "ordinaire".

En parlant d’implicite commun on désigne tout d’abord des modes de fonctionnement psychiques aujourd’hui bien documentés qui lui sont sous-jacents tels que la primauté des émotions dans la décision, l’utilisation d’heuristiques, l’attention très sélective à l’information, la prépondérance accordé aux dispositions supposées des acteurs lorsqu’il s’agit d’attribuer un sens à leur conduite etc.

Ces modes de fonctionnement universels expriment des aptitudes ou dispositifs, eux aussi bien documentés, comme le langage, la compréhension d’autrui, le raisonnement, la discrimination des prédateurs et des proies, les mémoires, le sens moral, etc. Dans la perspective des approches cognitives et évolutionnistes ces dispositifs sont en partie le produit de la sélection naturelle. La question se pose alors de savoir pourquoi ils ont été sélectionnés et se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui. La réponse avancée se situe du côté des avantages reproductifs qu’ils ont conférés à nos ancêtres et des contraintes inhérentes à l’architecture et aux capacités limitées de notre cerveau. Psychologie cognitive et psychologie évolutionniste se combinent alors pour dégager des logiques fortes et des explications plausibles. Nos capacités psychiques sont limitées, qu’il s’agisse du stockage de l’information en mémoire ou de sa récupération. Nos possibilités computationnelles ne sont pas infinies et nous ne pouvons traiter simultanément qu’un volume réduit d’informations simplifiées. L’environnement originel de nos ancêtres, probablement souvent hostile, imposait si nous voulions survivre, des réponses rapides, économiques, donc simplificatrices, et une cohérence forte de groupes humains universellement hiérarchisés. D’où nos aptitudes en matière de communication et de coopération. On voit ainsi comment depuis une vingtaine d’années au moins les approches combinées cognitive-évolutionniste déploient des propositions stimulantes pour essayer de rendre compte de ce qui a longtemps été perçu comme le cœur même de l’objet des sciences humaines et sociales : la culture, l’éthique, le politique.

Cette conception d’un implicite commun, fait de modes de fonctionnement automatiques, non conscients, traduisant des aptitudes forgées et sélectionnées au cours de l’évolution offre une perspective beaucoup plus claire que le recours à un inconscient collectif fait d’archétypes et d’instincts, notions imprécises qui ne sont d’ailleurs plus guère utilisées aujourd’hui.

Bien évidemment, l’approche cognitive-évolutionniste qui se déploie dans une temporalité très longue, ne peut expliquer directement des faits de culture qui se déploient dans un temps historique infiniment plus court. L’évolution aboutit à des changements de dispositions, qui se traduisent dans des modifications des comportements, au cours d’une processus sélectif s’étalant sur des centaines de milliers d’années. Darwin ne peut certes pas expliquer la révolution française ou les guerres de religion. Il peut cependant éclairer certains des traits psychiques constitutifs d’un implicite commun des acteurs impliqués à un titre ou à un autre dans ces faits de culture historiquement situés et relatifs.

L’implicite commun ainsi entendu suppose d’admettre un emboitement des temporalités et des niveaux de réalité étudiés par les différentes disciplines. Il n’y a aucune incompatibilité logique entre la saisie des jeux d’acteurs, pris dans des situations historiques et culturelles spécifiques, offrant des opportunités et des contraintes qui peuvent être radicalement neuves ou originales, et leur mise en perspective en terme de dispositions sous-jacentes adaptées issues d’un processus lent d’évolution. La sociologie contemporaine exprime déjà la nécessité d’articuler dispositions socialement acquises des acteurs et propriétés des situations et contextes dans lesquels ils agissent. Substituer à l’inconscient collectif la notion d’implicite commun ne constitue qu’un pas, selon nous rationnellement nécessaire, à une meilleure fondation de notre compréhension de l’agir humain.

Conclusion provisoire et mélancolique

On l’a déjà dit l’anti-naturalisme des sciences sociales s’est durci tout au long du XXème siècle. Ce repliement ne repose pas, loin s’en faut, uniquement sur des raisons scientifiques. Y sont également engagées des considérations morales et politiques inspirées par l’histoire. L’idée d’un implicite partagé dont les fondements sont en partie naturels est volontiers jugée comme conservatrice voire politiquement dangereusexxxvii. A ces considérations fortes s’ajoutent, là aussi de façon de plus en plus lourde, les contraintes de productivité et de compétitivité auxquelles doivent satisfaire aujourd’hui les chercheurs et qui leurs imposent une spécialisation de plus en plus étroite. Le renouvellement de notre réflexion sur l’implicite partagé suppose une ouverture interdisciplinaire réelle. Cette ouverture a un coût d’entrée intellectuel élevé et suppose une transformation de nos mœurs académiques sans débouchéprofitable immédiat. L’ensemble  contribue vraisemblablement  à en éloigner la perspective.

i  Elles procèdent d’un rapprochement entre trois groupes fondamentaux de disciplines scientifiques : les sciences humaines et sociales, les sciences de l’information et de l’ingénieur (également sciences de l’artificiel) et enfin les sciences de la nature, tout particulièrement les neurosciences et la biologie de l’évolution

ii  Andler (Daniel), Introduction aux sciences cognitives, Folio Essais, 2ème édition 2004, conclusion ˝Les sciences cognitives à l’aube de leur 2ème demi-siècle˝, pp 609-700

iii  J. Pierre Dupuy, ˝Aux origines des sciences cognitives˝,1994. cf également Guy Tiberghien, ˝Dictionnaire des sciences cognitives˝, 2002. « L’émergence des sciences cognitives est l’un des événements intellectuels majeurs de la fin du XXème siècle »

iv  Hénaff (Marcel), ˝Claude Lévi-Strauss˝, Belfond 1991, pp.115-116

v  Freud, ˝Essais de psychanalyse˝, Payot, 1973, glossaire, pp.273-274

vi  Hansenne (Michel), ˝Psychologie de la personnalité˝, De Boeck, 3ème édition 2007, pp.114-120

vii  Hénaff, op cité, p.105

viii  Alexandre Duclos, « sociologie de l’inconscient collectif : comment rendre des comptes au sens commun », Revue du MAUSS permanente, 6 mai 2010 [en ligne] http://wwwjournaldumauss.net/spip.php?article 864

ix  Hénaff, op cité, pp. 105-109

x  Olivier Houdé, Daniel Kayser, Olivier Koenig, Joëlle Proust, François Rastier, ˝Vocabulaire des sciences cognitives˝, PUF, 1ère édition 1998. Guy Tiberghien (dir), ˝Dictionnaire des sciences cognitives˝, Armand Colin 2002

xi  Le Ny (Jean-François), ˝Comment l’esprit produit du sens˝, Odile Jacob, 2005,p. 62

xii  Idem, p.63

xiii  Idem, p. 60

xiv  Idem, p. 68

xv  Jeannerod (Marc), "La nature de l'esprit", Odile Jacob, 2002, p. 29

xvi  On explique les faits sociaux et culturels à partir des structures de la nature humaine, on explique ces structures à partir de l'hypothèse darwinienne. La ligne directrice du raisonnement est celle-ci : les faits culturels et sociaux sont le produit des capacités de l'individu humain; ces capacités sont celles de l'appareil cognitif d'Homo sapiens; et celui-ci est à son tour le produit de la sélection naturelle. Andler (Daniel) in Andler (Daniel), Fagot-Largeault (Anne), Saint-Sernin (Bertrand), "Philosophie des Sciences", Gallimard Folio essais, 2002, volume II, p. 773-774.

xvii  Le matérialisme, c'est l'hypothèse que tout ce qui existe est matériel et obéit aux mêmes lois physiques générales. Rien n'est à expliquer qui ne soit matériel; rien ne peut s'expliquer qui ne soit matériel (au terme matérialisme, certains philosophes des sciences contemporaines préfèrent "physicalisme" ou "naturalisme"). Le matérialisme est un monisme, c'est à dire une conception selon laquelle tout ce qui existe est d'une seule et même substance au sens le plus général du terme. Le matérialisme s'oppose, d'une part, au monisme idéaliste, et, d'autre part, à différentes formes de pluralisme ontologique (dualisme cartésien, vitalisme, émergentisme, etc) pour lesquelles il existe plusieurs sortes de substances obéissant à des lois causales différentes. Dan Sperber, "les sciences cognitives, les sciences sociales et le matérialisme", in Andler (dir) "introduction aux sciences cognitives" Gallimard, Folio Essais, 2004, p. 493-494.

xviii  cf Jeannerod (Marc), op cité, p. 28.

xix  Le Ny, op cité, p. 67

xx  Andler, Largeault, Saint-Sernin, op cité, pp. 772-773.

xxi  Elias (Norbert), "Au-delà de Freud", La Découverte 2010, postface de Bernard Lahire, p. 194

xxii  Changeux (Jean-Pierre), Ricoeur (Paul) "Ce qui nous fait penser-la Nature et la Règle" Poches Odile Jacob, 2000, p.76.

xxiii  Jeannerod (Marc), op cité, p. 112

xxiv  Andler (Daniel), Fagot-Largeault (Anne), Saint-Sernin (Bertrand), "Philosophie des sciences”, Folio Essais, 2002, p. 396

xxv  Beauvois (Jean-Léon), Bromberg (Marcel), Deschamps (Jean-Claude), Doise (Willem), Ghiglione (Rodolphe), "Traité de psychologie cognitive", Dunod, Tome 3, p. 79

xxvi  Beaumard (Nicolas), Psychologie évolutionniste et sciences sociales, in, Van der Henst (Jean-Baptiste) et Mercier (Hugo), dir,, "Darwin en tête L’Evolution et les sciences cognitives", PUG, 2009, p. 107.

xxvii  Ricoeur (Paul), "Le conflit des interprétations essais d’herméneutique", Le Seuil, 1969, p. 101

xxviii  Hénaff, op cité, p. 104

xxix  Cosmides (Leda) Tooby (John), Center for evolutionary psychology, http//www.psych.uscb.edu /research/cep/primer.html

xxx  Elias, op cité, p. 195

xxxi  Idem, p. 176

xxxii  De la division du travail social, PUF, 10ème édition 1978, pp. 291-310

xxxiii  Lévi-Strauss, Sur le caractère distinctif des faits ethnologiques, in Revue des travaux de l’académie des sciences morales et politiques, vol CXV, 1er semestre 1962, p. 217. Cité par Marcel Hénaff, op cité, p. 121

xxxiv  Lévi-Strauss, Race et culture et l’ethnologue devant la condition humaine, in Le regard éloigné, Plon 1983, pp. 21-62

xxxv  Elias, op cité, pp. 184-185, cité par B. Lahire p. 211

xxxvi  Cf Beaumard, Van der Henst et Mercier, op cité

xxxvii  Pinker (Steven), "Comprendre la nature humaine », Odile Jacob, 2005, 1ère édition US 2002 ; Marie (Jean-Louis), Entre débat scientifique et querelle politique : la réception des sciences cognitives par la science politique, in Dufourt (Daniel) et Michel (Jacques) dir, "La vie politique de la science", L’interdisciplinaire, Lyon, 2008, pp. 113-132

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