N°18 / L'inconscient collectif Janvier 2011

Peut-on en finir avec Hitler ?

Long cheminement, dénouement abruptMiklos Bokor - Paul WienerEd. L’harmattan, Paris, 2010Collection Psychologie Politique

JM Jakobi

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Est-ce la différence entre les deux auteurs, le plus âgé artiste peintre et le plus jeune psychiatre et psychanalyste qui a permis une telle recherche sur l’hitlérisme à la fois conceptuellement précise et ouverte sur des problématiques multiples.

Comment comprendre avec l’empathie nécessaire à une approche psychologique un homme qui est la cause de millions de morts et qui a laissé un monde abîmé après son passage au pouvoir.

Les auteurs pour qui la notion de culture européenne a un contenu concret ne réduisent pas leur analyse à un système de causalité simple aussi producteur de discours soit-il.

Hitler, sa personnalité, son histoire, sa pathologie, son contexte familial et social, font l’objet d’une analyse minutieuse qui révèle de nombreux faits peu ou mal connus et les met en perspective.

Les auteurs utilisent des notions et des mécanismes de psychopathologie qu’ils définissent et expliquent avec le plus grand soin, ce qui est utile pour chacun et indispensable au lecteur non spécialisé. Mais ils ne s’enferment pas dans les frontières des disciplines médicales ou psychologiques. «Le côté infernal de sa personnalité ne s’explique néanmoins ni par son passé d'enfant ‘surdoué’ ni par sa relation à sa mère». Ils poursuivent l’analyse et montrent comment la mort de sa mère soignée avec dévouement par un médecin juif va générer un antisémitisme délirant. Plus tard des séjours en hôpital psychiatrique une cécité temporaire viendront renforcer sa conviction d’avoir pour mission de sauver l’Allemagne. S’est-il identifié à Saül de Tarse victime lui aussi d’une période de cécité d’où il sortira renforcé sous le nom de Paul pour entreprendre une refondation du christianisme.

Hitler, peintre médiocre du moins aux yeux des institutions de son temps qui le refusent à Vienne aurait pu rester cet homme sans importance, malade mental de surcroit  s’il n’avait rencontré un peuple Allemand perdu par la défaite militaire, les difficultés économiques qui en étaient les conséquences, le chômage et la misère, si la culture allemande ne s’était pas prêtée à cette prise du pouvoir, si les démocraties européennes avaient été plus clairvoyantes et plus courageuses, si la culture juive n’avait été paralysée par un millénaire de non violence. Cette longue liste de «si» nous paraît rassurante car elle montre la faible probabilité de revoir une telle conjonction de conditions pour reproduire une nouvelle version de régime nazi.

Une représentation de la monstruosité d’un régime dictatorial est le plus souvent vêtue des habits d’un pays sous-développé. Pour Hitler il n’en est rien. Au moment de la prise de pouvoir l’Allemagne certes aux prises avec des difficultés nombreuses était un des pays les plus modernes au monde. Dans un ouvrage récent Christian Ingrao présente les résultats d’une étude sur 80 dirigeants des organes de répression du III° Reich. Plus de la moitié d’entre-eux avaient fréquenté une université et près d’un tiers étaient titulaires d’un Doctorat.

Bokor et Wiener explorent la profondeur de l’inscription dans la culture allemande de notions comme celles de «Lebensraum» ou de «Völksch». La première pour laquelle la destruction des Juifs qui doit être suivie par celle des peuples Slaves n’est que le début d’une ambition plus vaste de nettoyage ethnique. La seconde qui date de la fin du XIX° siècle n’est pas moins antisémite, mais elle lutte contre toute forme de monothéisme et veut rendre à l’Allemagne sa dimension païenne.

L’ouvrage de Bokor et Wiener explore de nombreux autres aspects de l’histoire d’Hitler et de sa rencontre avec celle de l’Allemagne dont il est difficile de rendre compte dans un espace limité. On ne peut que recommander de lire le livre dans son intégralité.

Son titre nous était apparu comme une peu énigmatique mais il s’est éclairé à la lecture d’un article récent du journal «Le Monde» daté du 15 octobre 2010. Il est intitulé : «Hitler, une obsession allemande» et porte comme sous titre «C’est une première en Allemagne : une exposition de consacre prudemment au Führer. Et interroge une nouvelle fois le pays sur son rapport au nazisme.»

JM Jakobi

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